A l'ombre des regrets [FORWARD - Minerva Violette Moon]

Avril 1981

Une tasse de thé à la main, confortablement installé dans un fauteuil, j'observai au dehors la pluie tomber sur Londres. Nous étions peut-être loin de l'hiver, mais le temps était glacial et ne donnait pas envie de sortir dans la rue. La preuve, j'étais bien au chaud dans le salon de Minerva, à discuter de tout et de rien, et surtout pour prendre de ses nouvelles. Sa relation avec Julius venait de se terminer, et même si elle ne montrait rien, je savais que la jeune sorcière avait été touchée de cette séparation. Malgré nos différents depuis notre rencontre, et en particulier ce qui s'était passé durant le mariage de Marlene et Abraxas, elle était devenue une amie pour moi, enfin si on pouvait appeler notre relation de l'amitié... Je me posais parfois la question d'ailleurs, mais je ne trouvais jamais de réponse. Peut-être même que je n'en trouverais pas, au final.

D'ailleurs, j'étais seul à pouvoir me questionner. Hors de question que je pose la question à Loki, qui se moquerait franchement de moi -et il aurait surement raison-, quant à Allison, j'évitais un maximum de lui parler de Minerva. Leur dernière rencontre, il y a un petit moment déjà, ne s'était pas vraiment bien passé... Depuis, je dissociais totalement ma vieille amie de la jeune rousse pour éviter tout malentendu. Au final, j'étais donc seul à pouvoir me demander où j'étais en train d'aller, même si mon entourage, jusqu'à Jessica, devinait que quelque chose clochait. Mais j'avais beau tourner la situation dans tous les sens, rien n'y faisait et j'avais finalement rendu les balais en me disant que ça n'était pas important. Je n'étais pas un dragueur invétéré du style de Lockart, aussi mes relations féminines se réduisaient à de simples amitiés, comme avec Taryn, et les rares liaisons que j'avais entretenues étaient posées clairement. Je n'avais pas la place pour de l’ambiguïté au final...

- Tu as des nouvelles de ta mère et de Tiberius en ce moment ? Maintenant que tu as quitté le manoir familial...

Minerva était maintenant la principale gérante de la boutique de la famille, et elle avait choisi de prendre une petite maison dans Londres, suite au mariage de sa mère. Mais elle n'avais pas l'air de s'en porter plus mal... Je posai ma tasse sur une petite table quand j'entendis un petit claquement aux carreaux. Un hibou messager attendait d'entrer, et je laissai Minerva s'en occuper en masquant ma curiosité.

Spoiler:

Avril 1981, Londres, Angleterre.

Le ciel londonien était à l’image de mon humeur, gris, morose, déprimant et saturé d’humidité qui déversait sa déprime sur les créatures vivantes. Humaines ou pas. En ce dimanche après-midi on ne peut plus banal je me sentais plus misérable encore, cloîtrée dans ma maison, recluse dans la bibliothèque lorsque je ne m’enfermais pas de longues heures dans mon bureau sans donner signe de vie. Pour la faire courte le monde entier me faisait horreur, les couples me donnaient envie de vomir, de pleurer, ou les deux, et toute démonstration de joie m’enfonçait un poignard dans le cœur. Chaque jour se traînait, morne et insipide, et chaque jour il me fallait donner le change, faire comme si de rien n’était. Pour le travail, pour l’argent, pour mon espoir fou qui se concrétisait chaque jour un peu plus, et pour ne pas m’effondrer aussi. Mais lorsque je rentrais chez moi un poids me tombait au fond de l’estomac, la nausée me prenait et pire que tout, je ne pouvais plus supporter certaines personnes. Parfois le soir je me sentais seule, et par réflexe cherchais un corps qui n’y était pas, et plus je repensais à toutes ces nuits passées, et moins je dormais.

Bref, je haïssais Julius Yaxley de toute mon âme, et c’était peu dire. Parfois, souvent même je souhaitais me procurer un retourneur de temps pour revenir en 1978 et empêcher la sombre crétine que j’étais de se placer sur la route de cette ordure. Et souvent il m’arrivait aussi de repenser au mariage de Marlene…

Comme aujourd’hui, alors qu’Orpheus se trouvait dans mon salon, installé dans un fauteuil, le sien en fait, ou plutôt celui qu’il occupait quasiment à chaque fois qu’il passait. En dépit du temps pourri qui sévissait sur Londres, Orpheus était mon unique rayon de soleil de la journée, puisque j’avais refusé de voir Marlene et Molly. Cette fois je n’avais même pas pris la peine d’inventer une excuse bancale, la honte et le remords me pourrissaient l’existence. D’ailleurs lui non plus ignorait les horreurs vues lors de mon intrusion dans l’esprit de Julius, et mieux valait qu’il ne l’apprenne pas.

- Oui, vite fait, éludais-je, parce que pour être tout à fait sincère, cela faisait une bonne semaine maintenant que j’ignorais mère. Quant à Tiberius je lui avais purement et simplement retiré l’autorisation de poser un orteil dans ma maison. S’il s’y risquait il ne serait pas déçu de mes protections magiques !

Je n’avais clairement pas envie d’aborder le sujet, et le silence me convenait parfaitement, mais je voyais bien qu’Orpheus était là pour moi et je ne pouvais me résoudre à le traiter comme un elfe. J’allais ajouter quelque chose lorsqu’un hibou vint donner de petits coups de bec à un carreau. Je sursautai, renversant du thé sur ma chemise blanche, bien trop grande pour moi, et pour cause, puisque c’était celle de Dorian. Il y en avait un peu sur mon pantalon noir. Je grommelai un « Non d’une goule ! » avant de me lever, agacée.

- Tu peux t’en occuper ? Je reviens, ça doit être Sainte-Mangouste.

Spoiler:

Malgré son apparente nonchalance, les cernes sous ses yeux et son air vide prouvait bien qu'elle n'allait pas bien. Elle avait plusieurs fois trouvé des excuses pour ne pas voir son entourage, mais je ne m'arrêtais pas à ce genre de raisons et m'invitai chez elle sans qu'elle ait son mot à dire. Et au final, même si elle ne parlait pas beaucoup, j'avais quand même l'impression que ma compagnie lui faisait du bien. Après tout, moi non plus je n'étais pas très bavard... Alors ça ne me dérangeait pas le moins du monde.

Je finis mon thé en souriant face à sa réponse évasive. Elle ne portait pas son beau-père dans son cœur, ça je l'avais bien compris, et depuis qu'elle s'était émancipé de sa famille, elle vivait sa vie, et sa mère également. Il était temps, malgré son jeune âge selon mon point de vue, qu'elle puisse faire ce qu'elle voulait de sa vie. Et ce malgré les erreurs ou les obstacles qui pouvait se mettre en travers de sa route. Elle était de toute façon assez forte pour pouvoir surmonter tout ça, il lui fallait seulement un peu de temps...

Quand le hibou toqua au carreau, Minerva sursauta et renversa sa tasse sur sa chemise. Elle se leva et partit se changer en me demandant de prendre la lettre pour elle. Je me levai, intrigué. Sainte Mangouste ? Que se passait-il ? Ouvrant la fenêtre, je pris le courrier, donna une friandise au hibou avant de me retourner.

- Minerva, veux-tu que je te lise ce qui est dit ? demandai-je en me rendant compte que le courrier était mal fermé.

J'étais curieux de savoir ce qu'il en était, mais en même temps, c'était le courrier de Minerva, pas le mien... Je n'allais pas regarder sans autorisation non plus. Ca n'était pas mon genre.

Avril 1981, Londres, Angleterre.

Orpheus ne me laissait pas le choix. Que je sois d’humeur ou pas, il frappait à ma porte, l’elfe Fidel lui ouvrait et nous finissions invariablement dans le petit salon, chacun à nos places habituelles autour d’une tasse de thé. Il respectait mes silences, me parlait de la pluie et du beau temps, me racontait quelques anecdotes du ministère, et parfois même parvenait à me faire rire. Et c’était déjà beaucoup. De toute façon si je n’avais pas été en mesure de supporter sa présence j’aurai ajusté mes barrières magiques et réglé ainsi le problème. Comme pour Tiberius et Julius. Et probablement Fluvia car plus j’y repensais et plus son rôle m’apparaissait comme majeur, déterminant. Elle avait tant et si bien manigancé que ma chère sœur, ou plutôt demi-sœur, avait atteint son objectif.

Le miroir de la salle de bain me renvoya une image désastreuse. Sans maquillage, et sans sortilège de bonne mine ma peau était terne, mes yeux clairs et si vifs d’habitude éteints, et surtout mes traits respiraient la mauvaise humeur et la déprime. Si je n’étais pas cette rousse maussade je ne me serai jamais donnée vingt ans, mon âge en cet hiver 1981. Je me passai un peu d’eau sur le visage, pour chasser cet air morose et gris, avant d’enlever mon chemisier et de le mettre au sale. Puis je passai de la salle de bain à ma chambre, les deux pièces séparées par une porte, pour me vêtir d’un sous-pull léger en cachemire rose, à ma taille cette fois. J’étais en train de changer de pantalon quand la voix d’Orpheus me parvint, et ma position étant inconfortable et surtout instable, je criai depuis l’étage « OUI TU PEUX ! ». Ce n’était pas très digne de mon éducation de sang-pur, mais il n’y avait que moi et Orpheus, et je m’en fichais royalement. Je n’allais pas sautiller sur place indéfiniment une jambe dans le pantalon et l’autre à moitié rentrée.

Et puis c’était sûrement Sainte-Mangouste qui m’envoyait les résultats de mon bilan de santé. Pas que je sois malade, ou sujette à la maladie, mais ces derniers temps je sentais plus durement le poids de la fatigue. Je l’avais maintes et maintes fois repoussé jusqu’à finir par m’y résoudre. Mais à peine arrivée à Sainte-Mangouste j’avais aussitôt regretté d’être venue. Les blouses blanches couraient dans tous les sens, baguettes en mains, les couloirs retentissaient de cris, d’ordres, de pleurs et d’autres bruits moins distincts. Les mangemorts avaient encore attaqué. La honte, le remords, la colère aussi et d’autres souvenirs, bien plus douloureux me firent l’effet d’un coup de poing. Être legilimens et occlumens pouvait me prémunir de l’esprit des autres, mais contre mes propres fantômes, j’étais sans défense, et soudain prise d’un malaise, je n’avais pu que me laisser choir sur un fauteuil, au bord de la nausée, livide et le regard flou. Le retour au présent s’avéra brutal car je venais de m’étaler au sol. Une minute plus tard j’étais prête à rejoindre Orpheus qui m’attendait dans le salon.

- Orphy ? Je l’interrogeai, inquiète car je n’avais jamais vu cette expression sur son visage, en me rapprochant du fauteuil jusqu’à venir m’asseoir sur l’accoudoir, contre lui, ce qui pour une raison qui m’échappait me rassura. Quitte à apprendre une mauvaise nouvelle autant avoir quelqu’un contre qui me laisser aller.

Spoiler:

Quand la jeune sorcière m'affirma que je pouvais regarder de quoi parler le courrier, je ne me fis pas prier plus longtemps. Nous ne nous encombrions plus de ce genre de choses depuis quelques temps déjà, et sur une simple acceptation, l'un comme l'autre regardions sans vergogne dans la vie de l'autre. Enfin, c'était vrai, sauf pour la légilimencie. J'étais toujours aussi réfractaire à cette idée et faisait en sorte que Minerva n'ait jamais à fouillé dans mon esprit pour qu'elle sache ce qu'elle avait besoin de savoir...

Une fois la lettre ouverte, je regardais un instant le cachet de Sainte- Mangouste, perplexe. Que lui arrivait-il pour qu'elle reçoive une lettre de l’hôpital ? Je m'inquiétais un peu, avant de soupirer. Elle n'allait pas bien moralement, mais à part de la fatigue, elle ne semblait pas aller mal physiquement... Ca ne devait donc pas être très grave. Je parcourus les premières lignes qui indiquèrent les résultats d'une prise de sang, ce qui me rassura, avant de rire un peu.

- Attention Min, tu devrais te calmer sur les...

Je m'arrêta subitement, lâchant l'enveloppe sous le coup de la surprise. Je devins livide, si c'était encore possible, et relus une seconde fois la lettre dans son ensemble. Histoire d'être sûr de ne pas avoir mal lu. Mais non, j'avais bien lu la première fois. Les mains serrées sur le papier, je ne relevais les yeux que pour les poser sur Minerva quand elle revint dans le salon. Non... C'était impossible, pas comme elle était maintenant... Je la fixais quelques secondes, avant de baisser les yeux sur le papier quand elle me questionna, surement inquiète.

- Min...

Comment lui dire ? Ca n'était certainement pas voulu, Julius n'était plus là maintenant, et puis, avec la boutique... Mais en même temps, il fallait bien qu'elle le sache.

- ... Tu es enceinte.

Je lui tendis la lettre lui indiquant les résultats de ses analyses, ne sachant plus quoi faire.

Avril 1981, Londres, Angleterre.

La dernière fois que j'avais vu Orpheus aussi pâle remontait à deux ans environ, lorsque par une nuit de février il avait fait irruption dans ma vie, me forçant à trouver en moi plus de courage que je pensais en avoir. Je lui avais certainement sauvé la vie cette nuit-là, et il avait réveillé quelque chose en moi, fissuré cette capacité merveilleuse que j'avais à pouvoir me voiler la face. Cette nuit-là j'avais eu peur moi aussi d'être prise pour cible, avec pour seul tort d'être venue en aide à un inconnu qui en avait besoin. Et puis il y avait eu tout le reste, les attaques, les morts, les disparus, la boutique saccagée de Marlene, la mort de Dorcas, et celle de Gideon et Fabian... Tant de morts, tant d'être chers disparus. Alors lorsqu'il laissa l'enveloppe lui échapper des mains, mon pressentiment se confirma. Quelque chose n'allait pas. Quelque chose de grave. Et ce n'était pas juste mon taux de sucre qui était trop élevé.

Je déglutis, avec difficulté, dans la douleur, cette façon qu'il avait d'employer le diminutif de mon prénom me glaçant le cœur. J'avais l'impression de faire un bond dans le passé, et lorsque à la place d'Orpheus se tenait une Marlene en larmes venue m'apprendre la mort de Dorcas, ma meilleure amie. C'était ici même, dans ce salon, et ça me donna la désagréable impression que ces meubles seraient les témoins privilégiés des plus sinistres nouvelles. Ma gorge s'assécha, terriblement, et je fus renvoyée quinze ans en arrière, lorsque l'enfant que j'étais assistait aux dernières heures de son père. Toute la scène se déroula à nouveau, intacte, préservée dans un coin de mémoire, froide et cruelle. Qu'allait-il m'annoncer ? Que j'étais atteinte aussi de ce mal incurable ? Condamnée dans les mois à venir à dépérir, perdre chaque jour qui passe de mes forces jusqu'à n'être plus qu'un tas d'os au teint cireux, au regard creux et éteint.

Je me sentis tout à coup très mal, l'air me manquait, mon cœur battait plus fort, plus vite, et mon estomac se tordait autour de cette enclume qui venait d'y tomber. Par réflexe je posai une main sur l'épaule d'Orpheus, pour me raccrocher à quelque chose de réel, de solide, et aussi parce que la peur déferlait en moi, triomphante et violente.

- Quoi ? Fut tout ce que je parvins à articuler d'une voix blanche, cassée en prenant d'une main tremblante la lettre.

Et là, plus de doute possible, noir sur blanc, le verdict était inscrit. Si jusqu'à présent je ne me sentais pas bien, j'eus tout à coup l'horrible impression de sentir la terre s'ouvrir sous mes pieds. Un mélange déroutant de vertige, avec cette sensation terrible de chuter dans le vide, et une nausée, fulgurante, implacable me prirent. Je laissai l'enveloppe entre les mains d'Orpheus avant de courir à la cuisine toute proche, et penchée au-dessus de l'évier, je vomis jusqu'à la bile, mon estomac se contractant douloureusement, la gorge irritée, brûlée. J'étais plus pâle encore qu'un spectre, et les yeux rouges de douleur, je restai là, prostrée, à faire couler l'eau, en sanglotant, sans pouvoir assimiler le fait que je portais en moi le fruit d'un monstre.

Spoiler:

Minerva s'accrocha à mon épaule avec l'énergie du désespoir, alors que je lui annonçais la terrible nouvelle. elle ne semblait pas y croire pendant quelques instants, avant de se lever et se précipiter vers la cuisine. Impuissant, je récupérais le courrier et l'enveloppe que je posais près de ma tasse vide, avant de me lever. J'entendais la sorcière vomir le peu qu'elle avait dans son estomac. Je pris une chaise dans le salon avant de la rejoindre. Elle sanglotait à présent, recroquevillée contre l'évier, complètement détruite.

C'est compréhensible, cette nouvelle n'était pas anodine et sans conséquence... Elle venait de terminer sa relation avec le père de ce bébé qu'elle attendait, pour des raisons plus ou moins avouables, il était logique qu'elle n'accepte pas ce qui lui arrivait... Et pourtant, elle ne pouvait pas faire autrement que le faire. Il fallait qu'elle porte cet enfant et qu'elle l'élève, malgré les origines du paternel...

Je sortis de mes réflexions pour passer une bras autour de la taille de Minerva et posai ma main sur son bras, avant de l'attirer vers la chaise. Je la fis assoir, avant de lui servir un verre d'eau et de prendre un mouchoir. Je m'accroupis à ses côtés, mis le verre entre ses mains avant d'essuyer ses joues avec douceur.

- Tout va bien se passer Min, d'accord ? Tu n'es pas seule, il y a Marlene, je suis là aussi, tout ira bien, je te le promets.

Je me sentais totalement inutile pour lui venir en aide, et ne pouvais rien faire d'autre que de tenter de la rassurer. Je ne savais pas si lui promettre que tout ira bien lui ferait du bien, mais je ne trouvais rien d'autre à faire ou dire...

Avril 1981, Londres, Angleterre.

Une partie de Julius grandissait en moi, se faisait un nid dans mon ventre, niché dans mes entrailles chaudes. Un morceau de lui, de moi. Ma gorge me brûlait, et mon estomac se tordait dans une tentative désespérée de vomir jusqu'à la dernière goutte de bile. De vomir cette chose qui avait élu domicile à mon insu. Je ne m'étais jamais sentie aussi mal, aussi sonnée par cette annonce. Pas même la mort de Dorcas ne m'avait autant fait paniquer. Le monde s'écroulait autour de moi, tout ce que j'avais bâti, et pire que tout la culpabilité me tombait dessus, brutale et féroce. Hagarde, hébétée, complètement sonnée par le choc, je n'offris aucune résistance à Orpheus lorsqu'il m'attira contre lui avant de me faire asseoir sur une chaise. Je ne sentais pas non plus ses gestes, le contact de sa main chaude contre mes joues brûlantes et humides. Mon monde chavirait, les ors de mon ambition s'effritaient, la boutique, le respect que j'avais gagné à force de batailles entre Moon ; tout foutait le camp. Mais pire que tout, c'était de savoir que ce monstre m'avait fait ce cadeau empoisonné.

Alors ce fut comme transplaner, ce même vertige, cette même sensation désagréable d'éprouver la loi naturelle de la gravité. Tout ce que j'avais vu, toute cette souffrance, cette joie malsaine, cette excitation morbide, le plaisir évident qu'il prenait à torturer, tout cela me revint en mémoire. Comme cette nuit, lorsque j'avais enfin ouvert les yeux, après près de deux ans de mensonges et de relation adultère. Julius savait pour l'assassinat de mes cousins Fabian et Gideon, de même qu'il savait que Dorcas était sur leur liste noire. Toutes ses promesses n'étaient que du vent, j'y avais cru, assez naïve pour oser croire qu'un mangemort renoncerait aux ordres de son maître par amour pour moi. Mais il n'y avait pas d'amour dans ses souvenirs, ses barrières mentales n'avaient pas résisté à ma rage, il n'y avait que des meurtres, des exécutions sommaires, des attaques, des batailles, des rires gras, du sang et des larmes. Il me dégoûtait tout comme ma propre image me donnait envie de vomir.

- NON TOUT NE VA PAS BIEN SE PASSER ! Hurlai-je d'une voix tremblante en jetant de toutes mes forces le verre contre le mur qui se brisa. Alarmé l'elfe apparut aussitôt, mais il alla très vite se cacher dans un coin de la cuisine sans oser intervenir.

- Je n'en veux pas, cet éclat m'avait vidé de mon énergie, et je me laissai retomber sur la chaise mollement, le dos courbé, la tête entre mes mains, Je ne veux pas de cette chose en moi. Je veux que ça parte, tu le comprends ?

Orpheus ignorait la raison réelle qui m'avait poussé à quitter Julius. Après avoir perdu Dorcas je m'étais laissée bernée par ses belles paroles, mais la mort de Fabian et Gideon avait celle de trop. Et savoir qu'il aurait pu leur sauver la vie en se confiant à moi pesait trop sur ma conscience. Cette ordure avait assez fait de mal, il m'avait ravi ceux que j'aimais, et même s'ils n'étaient pas morts de sa baguette ça ne changeait rien au fait qu'il soit coupable à mes yeux. Je ne voulais pas non plus prendre le risque de perdre Orpheus en lui disant toute la vérité.

Spoiler:

Le désespoir de Minerva me toucha en plein cœur. Non seulement parce que je n'aimais pas voir mon amie triste, désespérée à ce point, mais en plus parce que je savais que je ne pouvais rien faire. J'étais impuissant face à ce qui lui tombait dessus d'un coup, à seulement pouvoir être à ses côtés au cas où elle aurait besoin de quelque chose. Je mourrais d'envie de débarquer chez ce Julius pour lui mettre une raclée dont il se souviendrait. Mais je n'étais pas assez naïf pour croire qu'il se laisserait faire, et assez égoïste pour me dire que Minerva avait plus besoin de moi vivant que mort...

J'étais incapable de trouver quelque chose à lui dire, ou une solution à cette nouvelle. Et les seules paroles que je lui disais la bouleversait encore plus, au vu du verre d'eau brisé au sol. J'ordonnai d'une main à l'elfe de rester à l'écart pour le moment, oubliant même que je n'étais pas son maître. La jeune femme se recroquevilla sur sa chaise après son élan d'énergie, murmurant inlassablement qu'elle ne voulait pas de cette enfant.

- Je comprends oui, je comprends... Mais penses-tu que c'est possible ? Si tu veux, je t'amène à Sainte Mangouste, on pourra peut-être trouver un médecin qui pourra t'aider.

Je lui pris les mains et les serrai doucement, avant de lui faire relever la tête. Ses yeux baignés de larmes n'arrivaient pas à se fixer sur quelque chose plus de quelques secondes, ce qui était compréhensible... Mais elle ne devait pas se laisser abattre dans l'avenir, quoi qu'il arrive...

- Mais promets-moi que quoi qu'il arrive, tu te battras. Pas tout de suite, pas pour les jours qui suivent, mais dans les mois à venir. Je ne veux pas que tu te laisse abattre, d'accord ?

Avril 1981, Londres, Angleterre.

L'envie de vomir jusqu'à la dernière parcelle de Julius présente en moi me tordait encore le cœur et l'estomac, mais je me sentais aussi soulagée maintenant que j'avais rendu jusqu'à ma bile. Orpheus ignorait toute la vérité, et il devait en être ainsi, mais le poids de ce secret me rongeait. Cela me pesait tant. J'aurai rendu service à la communauté magique en le dénonçant aux aurors, certaines familles auraient peut-être même assisté au procès du meurtrier d'un proche, mais ça ne m'aurai pas absolue de mon pêché. Pas plus que ça ne ramènerait Dorcas, Fabian et Gideon à la vie. En livrant Julius aux autorités du pays je me condamnai à mort et entraînai avec moi mes proches. Je ne pouvais m'y résoudre. La peur me tenait, et la haine me rongeait jusqu'à la moelle, me pourrissait l'existence depuis un peu plus d'un mois maintenant. J'étais piégée, tenue par la plus solide des muselières ; la terreur.

Mais lorsque Orpheus me proposa de m'accompagner à Sainte-Mangouste pour débarrasser mon ventre de cette partie de Julius qui grandissait en moi je sentis à nouveau la nausée me faire tourner la tête. Aussi désespérée que je sois, et choquée par cette nouvelle catastrophique, une partie de moi refusait catégoriquement d'aller si loin. Ce n'était ni plus ni moins qu'un meurtre, et pourtant... Severus pourrait m'aider. Il lui suffirait de me concocter un poison et de me faire prendre l'antidote. Le choc serait suffisamment violent pour tuer cette chose en moi. Un frisson me parcourut, accentuant un peu plus mon malaise alors que l'image du petit Cormac s'imposait à moi.

Malgré les mains chaudes et stables d'Orpheus, les miennes étaient glacées et tremblantes. Ma mère me manquait en cet instant, Molly aussi même si j'avais trop honte de moi même pour accepter de la voir, mais étrangement c'était la présence de Melody dont je sentais que j'avais le plus besoin. Certainement parce qu'elle s'était trouvée près de deux ans plus tôt dans la même situation. Je me laissai aller contre Orpheus, passant mes bras autour de son cou et pleurant la tête enfouie dans son épaule, trop bouleversée pour réfléchir. Aucune parole ne pouvait me réconfortait, et de toute façon je n'avais envie de voir personne. En cet instant Orpheus était tout ce dont j'avais besoin.

- Les médicomages n'accepteront jamais, croassai-je d'une voix éraillée après que mes sanglots se soient calmés, Severus pourra m'aider, il le fera.

Je sanglotai de plus belle, chamboulée par ce que je venais de dire tout haut. Tout à coup ça me sembla monstrueux, aussi mortifère que Julius lui même. Je n'ignorai pas l'allégeance de Severus, mais j'avais une entière confiance en lui, et puis notre relation n'avait jamais été aussi intime. Du moins nous n'avions pas partagé le même lit. Lui seul pourrait me venir en aide sans me tuer ou me laisser à l'état de légume.

- Je ne me sens pas bien, murmurai-je d'une voix faible, plaintive, étouffée par l'épaule d'Orpheus, et avant d'avoir pu mettre un nom sur ce que je ressentais, je me levai brutalement, chancelante avant de retourner à l'évier vomir à en pleurer.

Spoiler:

Toutes mes paroles semblaient ricocher sur Minerva, brisée dans sa douleur, enfermée dans la terreur qui l'engloutissait petit à petit. J'avais beau dire tout ce que je pouvais, toutes les paroles rassurantes que je trouvais, rien n'y faisait, elle ne m'écoutait pas, totalement recroquevillée sur elle-même... Jusqu'à ce qu'elle tombe dans mes bras en pleurant. Interloqué quelques instants, je la serrai dans mes bras avec force, incapable de trouver autre chose à faire ou dire. Je préférais donc me taire et la tenir contre moi, lui faisant comprendre que quoi qu'il arrive, j'étais là et je ne la laisserais pas tomber.

A l'entente de Severus et de ses potions, je m'assombris un peu. Je n'avais pas totalement confiance en ce jeune homme qui n'était qu'à moitié fiable, mais Minerva lui faisait entièrement confiance et je ne pouvais pas lui enlever ça. J'espérais seulement que ça n'allait pas lui couter la vie... Je caressais doucement son dos pour la calmer, attendant de savoir ce qu'elle voulait faire de plus.

- Si tu es convaincue que les médicomages ne seront d'aucune aide...

L'idée de mettre fin au début de vie, aussi pervertie soit-elle, qui germait en Minerva était dérangeant en soi. Et pas que pour moi. Très vite la sorcière se redressa pour s'arcbouter une nouvelle fois au dessus de l'évier. Je me redressai et m'approchai d'elle, hésitant un peu avant de tenir ses cheveux en arrière, attendant que sa nausée passe.

- Je peux te préparer une potion si tu veux. Pour te faire passer la nausée, ou même pour t'aider à dormir. Ce que tu veux Min. Je pense que tu devrais essayer de t'allonger pour le moment.

Je m'attendais à être rejeté en bloc, mais ça valait le coup d'essayer...

Avril 1981, Londres, Angleterre.

La seconde nausée s'avéra nettement plus douloureuse que la première, et pour cause, je n'avais plus rien à vomir, hormis un peu de bile et de salive mélangées qui me tordaient l'estomac et me brûlaient la gorge. Mais cette douleur là n'était pas grand chose comparée à ce qui me bouleversait au plus profond de moi. La vue brouillée par un épais rideau de larmes, le teint blafard, maladif même, je sentis à peine Orpheus se placer à mes côtés et tenir mes cheveux. Mon estomac se contractait douloureusement, agitant mon corps de convulsions désagréables qui renforçaient cette sensation de jambes cotonneuses. Comme si plus grand chose ne me soutenait en fait.

Lorsque les spasmes cessèrent, me laissant tremblante et vidée de toutes mes forces, dans un état second, je fis couler l'eau à la fois pour rincer l'évier du maigre contenu de mon estomac et en profitai pour me rincer le visage à grande eau. L'eau froide, glacée même me fit du bien, et dans cet espèce d'état groggy où tout mon corps me donnait l'impression de fonctionner au ralenti je me calai, soutenue par l'évier et la présence d'Orpheus en me concentrant sur les battements de mon coeur lents et ma respiration d'abord saccadée puis profonde, lente.

- Les deux, dis-je d'une voix rauque, abîmée par l'acidité de la bile, puis toujours sans bouger, j'ajoutai, encore faible mais avec plus de douceur cette fois, Fidel, obéis à Orpheus.
- Oui maîtresse, est-ce que Fidel peut faire quelque chose pour maîtresse Miny ?
- Un coussin pour le canapé.

Je ne voyais pas Fidel, mais ses grands yeux posés sur moi s'emplissaient d'inquiétude et sa voix chevrotait. Lui qui était issu d'une lignée d'elfes acquis par la famille de père depuis longtemps avait assisté à ses dernières heures. Aussi étrange que cela puisse paraître j'aimais Fidel, pas comme une créature, mais comme un être vivant.

- Tu peux trouver quelque chose à grignoter ? demandai-je d'une petite voix à Orpheus l'estomac au fond des talons. Je n'étais pas certaine de pouvoir tenir debout plus d'une minute, car je sentais à nouveau le monde tanguer sous mes pieds.

Spoiler:

Ses nausées n'étaient plus du à l'état de son corps, mais plus la peur et le dégout qui l'étreignaient à présent, et l'empêchaient de souffler. Elle semblait même oublier que j'étais à côté d'elle, tellement elle été mal... Mais malheureusement, je ne pouvais vraiment rien faire d'autre qu'attendre qu'elle se calme. Et quand enfin elle le fit, elle répondit positivement à mes propositions. Deux potions donc, il me faudrait deux chaudrons pour aller plus vite...

Minerva se redressait un peu, avant de donner des ordres d'une voix douce à son elfe Fidel, lui demandant aussi de m'obéir. Tant mieux, ça me facilitera la tâche pour mes préparations... Je regardait l'elfe de maison partir en tremblant de peur, et surtout d'inquiétude. Il accourait pour obéir à sa maitresse et apporter un coussin jusqu'au canapé. Je baissai les yeux vers la jeune sorcière qui me demandait quelque chose à manger d'une voix tremblante. Hochant la tête, je l'aidai à s'assoir de nouveau sur la chaise pour qu'elle ne tombe pas, avant de remplir un nouveau verre d'eau et de farfouiller dans les placards. Je trouvai rapidement un paquet de biscuits, que je rapportai à mon amie.

- Tiens, bois un peu. Et ensuite va t'allonger sur le canapé le temps que je te prépare ce qu'il te faut, d'accord ?

Je lui tendis ce que j'avais trouvé, avant de regarder Fidel qui revenait vers sa maitresse.

- Fidel, veux-tu m'amener deux chaudrons, de la valérienne, lavande et un pot de mucus de veracrasse s'il te plait ? pense aussi au thym et aux poils de croup.

Je me tournai de nouveau vers Minerva et me redressa, prêt à l'amener jusqu'au canapé pour qu'elle se repose un peu. Il ne fallait que ça pour le moment, du repos et du recul pour qu'elle puisse se rendre compte que cette nouvelle n'était pas aussi catastrophique qu'elle se le figurait.

Avril 1981, Londres, Angleterre.

L'eau fraîche coula dans ma gorge, délicieuse, soulageant cette irritation détestable qui me donnait l'impression d'avoir un hypogriffe dans la gorge. Je grimaçai toutefois en sentant le goût acide de la bile parasiter mon palais, mais c'était secondaire. Tandis que je buvais mon elfe Fidel, le bien nommé, s'exécutait, s'éclipsant dans un pop avant de reparaître quelques secondes plus tard dans le salon en déposant sur le coussin un oreiller ainsi qu'un plaid.

- Merci, murmurai-je, la voix encore altérée en essuyant mes larmes à l'aide d'un torchon propre, et emportant avec moi le paquet de biscuits je me traînai jusqu'au canapé où je me laissai tomber, la tête enfouie dans l'oreiller.

Roulée en boule, pelotonnée à la manière d'un enfant, serrant contre moi l'oreiller, je demeurai là un bon moment, plongée dans un état cotonneux, vidée de toute énergie. Mes sanglots bruyants s'étaient calmés pour se muer en des pleurs silencieux, étouffés par l'oreiller. Ce n'était pas juste un mauvais rêve, et il n'y aurait pas non plus de réveil miraculeux pour moi, rien qu'un corps courbaturé, des yeux secs et rouges et l'impression de ne plus rien contrôler. Et cette chose étrangère en moi dont j'étais certaine de ne pas vouloir, même si malgré tout l'idée de mettre un terme à cette vie m'horrifiait. Un miaulement plaintif me força à tourner la tête. C'était Bastet, le chat offert par Orpheus qui daignait quitter sa place favorite, près de la cheminée, pour se faire une place à mes pieds en prenant un soin tout particulier à lécher ses pattes noires.

En fin de compte je n'avais pas touché aux biscuits. Mon estomac gargouillait, supplique organique, mais la simple perspective d'alimenter cet enfant de Julius me révoltait. Je ne parvenais pas non plus à dormir, j'étais trop choquée pour ça. Mon monde s'écroulait, mais dans mon malheur je n'étais pas seule. Orpheus était là, et tournant la tête pour l'observer, ma solitude en cet instant me parut plus dure encore à soutenir. Julius n'était pas là, trop occupé à semer la mort pour le compte de son maître, et lorsqu'il n'était pas asservi à ce mage, c'étaient les chaînes du mariage qu'il se passait.

Spoiler:

Son faible merci fut la dernière parole que Minerva m'adressa avant d'aller se recroqueviller sur le canapé. Je l'observais quelques instants, avant que le "pop" caractéristique me signala que Fidel était revenu. Je le remerciai, pris les deux chaudrons et les plaçai sur le feu, avant de commencer hâtivement mes préparations. C'était toutes deux des préparations plutôt simples et rapide, réalisables même pour un sorcier assez peu doué en potions. Et puis, ça n'était pas la première fois que je les pratiquais, loin de là...

Cette exutoire me permit de penser à autre chose que faire la peau à Julius pendant plusieurs minutes. C'était une idée suicidaire, certes, mais c'était la seule qui s'imprimait dans mon esprit à présent. Il n'était même pas au courant de la nouvelle pour le moment, mais il faudra qu'il le sache un moment ou un autre, et ce jour, j'espérais franchement pour lui qu'il prendrait les responsabilités qui s'imposaient, sinon il serait encore plus détestable qu'il ne l'était déjà à mes yeux. Je serais les dents en remuant mes préparations presque terminées, avant de terminer d'un coup de baguette. Je prélevai une louche de chaque potion et les mis dans deux récipients différents, avant d'aller voir Minerva.

La jeune sorcière était prostrée dans le canapé, étouffant ses sanglots dans son oreiller en regardant dans le vide. Je m'accroupis à sa hauteur et tentai de lui faire un sourire rassurant, avant de lui donner la potion contre les nausées.

- Bois celle-ci d'abord, et l'autre ensuite. Tu veux que je prévienne quelqu'un, ou que je demande à Marlene, ou Molly, de venir chez toi ?

De la compagnie était peut-être la dernière chose qu'elle voulait, mais peut-être que je me trompais et préférai lui proposer.