L'or le plus pur est parfois tâché du sang des innocents ft. Rodolphus Lestrange

Février 1980, Boutique Moon & Stars, Chemin de Traverse, Londres sorcier.

Bien installée dans mon confortable fauteuil, j'épluchais une liste de commandes, épaisse, à la fois ravie de voir notre carnet de commandes gonfler au fil des semaines, et tout autant désespérée de la masse de travail qui s'annonçait. Si cela continuait ainsi, et je ne demandais que cela, il allait me falloir embaucher une personne supplémentaire pour s'acquitter des livraisons. Tâche bien difficile, et je devais également le reconnaître, bien ingrate. Les plus notables des familles de sang-purs, les plus conservatrices se trouvaient être malheureusement les plus exigeantes. Convaincues que leur ancien lignage leur autorisait tous les caprices, toutes les avarices, tous les excès. Leur haute opinion d'eux-même, si élevée parfois que ça en frisait le ridicule, ne pouvait tolérer qu'un sang tout aussi pur que le leur pour pénétrer le secret et le faste de leurs demeures. Et de ce fait il m'était de plus en plus difficile de concilier le travail administratif, les déplacements, de plus en plus fréquents et lointains, mes recherches et les livraisons. Je soupirais, lasse, fatiguée de ma nuit trop courte, en me languissant du lit de Julius. Merlin que j'avais hâte de pouvoir enfouir ma tête dans sa chair, et fermer les yeux pour sombrer dans le sommeil. Mais le travail attendait d'être accompli.
Je finissais tout juste de rouler un parchemin en réponse à la femme d'un haut-fonctionnaire qui voulait une toute nouvelle robe de bal lorsque la voix de Gloria me fit sursauter. Irritée d'être dérangée alors que j'avais expressément exigé la quiétude, je quittais à regret mon confortable fauteuil pour aller lui ouvrir.
- Merlin cet homme est épouvantable, épouvantable !
- Gloria je t'ai déjà dit qu'il me faut du calme, répliquais-je, de plus en plus agacée de la voir s'agiter.
- Il ne veut pas de moi, mon sang lui est inconnu, ce Lestrange est...
- Lestrange ? Lequel ?
- Je ne sais pas, et je ne veux pas savoir, occupes-toi en, moi c'est hors de question.
Après avoir essayé de raisonner la sorcière, dont le sang était pur, mais d'une famille italienne de Florence, je soupirais, lissais mon élégante robe en soie grise avant de rejoindre le salon principal. Là où tous nos clients étaient reçus dans un salon cossu, exquis, où nos modèles étaient exposés.
- Mr Lestrange, vous honorez cette boutique, un sourire aimable sur mon visage jeune et beau, mes cheveux roux, luisants comme une flamme domestiquée reposant d'un côté seulement de mon épaule, jetés comme une fourrure fauve, Veuillez excuser mon personnel s'il s'est montré indélicat.
Cet homme ne m'inspirait pas le moindre respect. Pire, il se dégageait une cruauté palpable et je savais de la bouche même de la jeune Jenny qu'il s'était trouvé à l'Institut. Ainsi que son frère Rabastan.
- Que puis-je pour vous ?
Je l'avais invité d'un geste élégant à prendre place sur l'un des fauteuils moelleux, et lorsque cela fut fait je m'installais à mon tour, face à lui, dans une position gracieuse, sans me départir de mon sourire courtois. Ma baguette glissa en un éclair de mon avant-bras à ma main, produisant le bruit caractéristique, et bref d'un mécanisme, œuvre de gobelins. Je l'agitais, sans distraire la courbe de mes lèvres, et un imposant livre relié de cuir apparut sur la table. Ce registre contenait les mesures de chaque client, mises à jour régulièrement bien entendu. Mon vieil elfe Fidel apparut dans la foulée et entreprit de disposer des boissons.

Spoiler:

Il n’avait nullement besoin d’une robe. Ni d’un costume d’ailleurs. Cependant, en se rendant ce matin à la boutique Moon & Stars, Rodolphus avait une idée en tête. Il rembarra sans le moindre respect ni le moindre regard la jeune vendeuse. Celle qu’il voulait voir était d’un intérêt bien supérieur à ce moucheron. Il l’avait aperçu à plusieurs reprises sans pour autant avoir réussi à l’aborder. A chaque fois la jeune sorcière parvenait à se défiler.

Elle apparut face à lui, sa chevelure flamboyante balayant ses épaules. Le mangemort esquissa un sourire. Il n’avait pas eu de si charmante apparition depuis qu’il avait quitté le manoir Selwyn la veille au soir. Mais si Taryn était faite d’or pur, la jeune Moon, elle, brulait littéralement, sa tignasse embrasant son visage. Après quelque secondes de silence, Rodolophus prit la main de la sorcière et y déposa un baiser.

« Vous me voyez ravi de faire votre connaissance, Miss Moon. »

Sans se défaire de son sourire, il lui jeta son regard de braise, celui qu’il faisait avant qu’elles ne tombent soit dans ses bras, soit raides mortes sur le sol.
Lestrange prit place dans un des confortables fauteuils du salon. Il répondit aux excuses de la rouquine d’un geste désinvolte de la main. Il n’accorda pas le moindre intérêt à l’elfe qui s’empressait de lui servir un verre de whisky. Son regard détaillait la sorcière assise face à lui. Portant le verre à ses lèvres, il éluda volontairement la question.

« Miss Moon, avez-vous peur ? dit-il d’un ton neutre avant de reposer son verre sur la table basse »

Février 1980, Boutique Moon & Stars, Chemin de Traverse, Londres sorcier.

Nulle pureté dans le sang d'un Lestrange, et encore moins de traces dans son cœur. Ce n'était plus du respect qu'ils inspiraient depuis quelques années, mais de la crainte. La crainte terrible d'irriter une famille fidèle au Seigneur des Ténèbres. Rodolphus Lestrange ne troublait pas la sinistre réputation des Lestrange. Aussitôt que je le vis ma colonne vertébrale se raidit, et des frissons de dégoût au creux des reins, je me forçais à poser un masque d'amabilité sur mon visage. Car mon cœur me criait de flanquer cette immonde tortionnaire à la porte de ma boutique. Il me répugnait d'être associée à ce sorcier, même par le biais tout à fait légal du commerce, les paroles de ma petite cousine Jenny me revenaient en tête, et ce démon face à moi, je n'avais aucun mal à l'imaginer s'en prendre à plus faible et démuni que lui. Ce type méritait Azkaban et le baiser destructeur de ses détraqueurs.
« Vous me voyez ravi de faire votre connaissance, Miss Moon. »
Tous les muscles de mon visage luttaient pour ne pas exprimer le dégoût, et il me fallut tout mon sang-froid pour ne pas vivement dérober ma main à la sienne. Toutefois je le laissais faire, méprisant sa personne et ses manières. Rodolphus Lestrange me donnait envie de vomir, littéralement. Je fis comme si je n'avais pas remarqué son regard insistant, écoeurée de sentir sa convoitise peser, glisser sur moi, s'attarder sur mes hanches, se nicher au creux de ma poitrine et s'entortiller dans ma chevelure. Évidemment si j'avais été une femme mariée... Cette pensée anima plus encore mon mépris.
« Miss Moon, avez-vous peur ? »
Merlin merci je ne m'étais encore rien servie. Mon visage se figea et ma prise se raffermit aussitôt sur ma baguette. Rodolphus Lestrange m'aurait certainement envoyé dans l'au-delà avant même d'avoir lancé le moindre protego, mais j'avais en cet instant bon espoir que mes protections me laissent assez de temps pour m'enfermer dans mon bureau, véritable bunker magique.
- Au cas où vous ne l'auriez pas remarqué Mr Lestrange, cette boutique est certainement l'endroit le plus sûr de tout le Chemin de Traverse après Gringotts, mon propre calme m'étonnait alors qu'intérieurement j'étais pétrifiée, mais je ne pouvais croire que Rodolphus Lestrange était là pour moi. Merlin je n'avais trahi aucun mangemort !
Lestrange avait peut-être connu la boutique du temps de mère, mais c'était là une époque révolue. Désormais des sorts puissants formaient une structure complexe et extrêmement solide, résultat d'une magie qui n'obéissait qu'à moi-même. Les objets étaient enchantés pour se transformer en armes. L'innocente paire de ciseaux programmée pour se planter dans le cœur, les aiguilles pour crever les yeux et même ce verre dans lequel il buvait enchanté pour éclater en mille morceaux et fondre sur l'ennemi. Et puis, plus loin, au cœur même de mon petit monde, le bureau, la magie noire, épaisse, ancienne régnait en maîtresse absolue.

Spoiler: