Comme le château était occupé par une armada de jeunes, Fluvia ne pouvait plus faire un pas sans en croiser un. Elle avait pensé que ce séjour organisé serait une bouffée d'oxygène, qui viendrait rompre son tête-à-tête angoissant avec Niclas. Cependant, il s'avéra que voir toute cette jeunesse vive et sans souci avait ajouté au malaise de la jeune femme.
Dès qu'elle se promenait dans les couloir de la propriété des Travers, elle redoutait de se trouver nez-à-nez avec Aurelius Fawley qui lui ferait une remarque désobligeante, ou avec les autres filles qui lui demanderaient des détails sur sa vie conjugale.
C'est ainsi qu'elle s'était mise à fréquenter la bibliothèque. Spatieuse, lumineuse, offrant à la vue plusieurs rayonnages harmonieusement rangés, elle ressemblait à une retraite feutrée, bienvenue. Les fauteuils moelleux invitaient les lecteurs à profiter de leur solitude. C'était tout ce que demandait Fluvia Travers : un moment à elle, une échappatoire.

Elle n'y lisait pas systématiquement, d'ailleurs. La plupart du temps, elle commandait un thé à la violette, ou verre du Vin des Elfes - selon l'heure - et se posait sur un des fauteuils qui faisaient face à la fenêtre. Fluvia avait ainsi une vue imprenable sur les montagnes et, le regard perdu sur les sommets enneigés, elle pouvait réfléchir à loisir au tournant inattendu qu'avait pris sa vie. Inattendu, vraiment ? À vrai dire, depuis quelques temps, la jeune femme se remémorait tous les indices qui annonçaient que ce n'était pas forcément une bonne chose que son mariage avec Niclas. Elle n'avait jamais eu une si bonne situation dans la société sorcière mais, par conséquent, elle n'avait jamais été aussi peu elle-même.

Ce jour-là, Fluvia entra dans sa pièce fétiche, sa robe de sorcière d'un bleu ciel ondulant dans son sillage. Elle avait laissé ses cheveux détachés, et ils tombaient, lisses, le long de son dos. Dès son entrée dans la pièce, la jeune Travers avait rivé son regard sur le paysage et s'était dirigée vers là, jetant un coup d’œil au parc ensoleillé. C'est alors qu'elle entendit une voix - cela la fit presque sursauter.
Cassiopeïa.

▬ Bonjour, répondit Fluvia en se reprenant et en trouvant le courage d'esquisser un sourire poli, oui, il s'agit d'une belle journée.
Lassée par cet échange de banalités, Fluvia se tourna de nouveau vers la vitre, se maudissant d'être tombée sur sa cousine Yaxley au moment-même où elle voulait rester seule. Et puis, parce qu'elle avait vécu bien des drames depuis la dernière fois où elle avait vraiment parlé avec Cassiopeïa, l'ancienne Serpentard décida de ne pas ignorer sa présence.
▬ Je ne suis qu'à moitié étonnée de te voir ici, glissa-t-elle en se tournant vers Cassie, il est vrai que tu aimes les livres. Trouves-tu ton bonheur ?

Avec un peu de chance, Cassiopeïa comprendrait qu'il ne lui restait plus qu'à quitter la pièce...

Citation :

Longueur ▬ 502 mots

Fluvia avait eu l'espoir que Cassiopeia s'en allât aussitôt les formalités d'usage échangées. Il n'en fut rien. Elle crut cependant déceler dans les paroles de son ancienne amie que, si elle était là, c'était aussi pour fuir la présence des maîtres et maîtresses de la demeure, et se retrouver seule.
▬ Non, approuva la blonde héritière, ma belle-mère ne lit que très peu. En revanche, elle collectionne les ouvrages rares, rien que pour leur valeur financière.

Elle se tut, songeant que c'était aussi un peu son cas à elle depuis quelques mois.
▬ Je me demande qui prend encore le temps, ici, ne serait-ce que pour lire les titres des livres, fit Fluvia en réponse.
S'approchant d'une étagère, elle fit le constat d'une couche de poussière assez épaisse pour faire montre de l'immobilisme des lieux. Il y avait des choses immuables. La jeune Yaxley s'était aussi approché d'un rayonnage pour caresser le dos des livres accumulés par des générations de Travers. Enfin, comme si elle causait avec prudence, elle se tourna vers Fluvia et lui demanda comment elle allait – vraiment.

La fille de Tiberius Avery ne sut pas quoi répondre tout de suite, pressentant que la conversation allait prendre un tour similaire d'avec celle qu'elle avait eue avec Azelma, voilà quatre jours. Et si la démarche de Cassiopeia semblait sincère, Fluvia n'oubliait pas ce qu'il s'était passé la dernière fois qu'elles avaient discuté à cœur ouvert. Elle avait humilié Cassiopeia – qu'est-ce qui disait que cette dernière n'en ferait pas de même, à présent que leurs situations semblaient s'être inversées ?

▬ Tu as sans doute dû apprendre pour Evan, cela vient à peine d'être officialisé.
Un sourire figé naquit sur le visage de Fluvia.
▬ Oui, je viens de l'apprendre. Toutes mes félicitations, il paraît qu'il te convient.
Fluvia aussi était sincère, mais était retenue par une froideur pudique.

▬ À dire vrai, je pense que ni toi ni moi n'avons eu une vie parfaite depuis notre dernier échange.
Fluvia s'assit sur un des fauteuils, se faisant à l'idée que Cassiopeia ne s'en irait pas de sitôt. Soupirant, elle posa son menton dans le creux de sa main, le coude appuyé sur l'accoudoir.
▬ Je suppose que nous avons plein de choses à nous dire, en ce cas, fit-elle en désignant un autre fauteuil, invitant son ancienne amie à prendre place.
Toutefois, elle n'avait pas la force d'entamer la première le récit de sa vie depuis ses noces, et choisit de se dérober, questionnant Cassiopeia pour ne pas que l'on évoquât son cas.
▬ Le mariage est prévu pour quand, alors ?
Fluvia espérait qu'il aurait lieu dans un an et demi – voire plus. D'ici là, elle aurait sûrement mis au monde un enfant d'ici-là, et apaisé le courroux de son époux.

Citation :

Longueur ▬ 500 mots

La jeune Fluvia écouta son ancienne amie décrire son futur mari. L'analyse froide et détachée qu'elle en fit faisait sourire l'épouse Travers.
▬ Ce qui est derrière la façade, répliqua Fluvia en perdant tout sourire, te concerne tout particulièrement.

Fluvia avait appris depuis son mariage. Elle savait désormais qu'il ne suffisait pas de clamer une chose pour qu'elle se déroulât vraiment. Aussi un homme qui se montrait charmant en public pouvait tout aussi bien être constamment de mauvaise humeur en privé.
Elle acquiesça distraitement quand Cassiopeia, qui venait de prendre place sur une causeuse à ses côtés, lui indiqua les dates – très approximatives encore – de ses noces.
▬ C'est vrai que Evan n'a pas terminé Poudlard, se contenta-t-elle de dire en roulant des yeux vers le parc.

C'était une conversation étouffante pour Fluvia. Pourtant, alors qu'elle ne craignait pas de se montrer poltronne avec Cassiopeia et se disait qu'elle pouvait à tout moment rompre l'échange et fuir la bibliothèque, la blonde héritière resta assise, tentant d'adopter une attitude de circonstance. Peut-être était-ce la curiosité qui la clouait à son siège ?
▬ Tu as choisi entre Charybde et Scylla, voilà tout, résuma-t-elle, amère.

Quant à elle, son mariage avec Niclas avait été comme l'arrivée d'Ulysse chez Circée. Au départ, tout était bien, avant la transformation funeste.
▬ Moi ?, demanda Fluvia pour gagner du temps.
Son regard d'eau se fixa sur Cassiopeia. Cette dernière n'était pas dupe, et avait parlé de mésaventures – de tourments. Fluvia soupira. Elle avait fini de se cacher. Inutile de mentir, non ? Cassie Yaxley devinait juste et en savait déjà bien assez pour que Fluvia ne pût lui mentir.
▬ Et bien, tout est vraiment différent de ce à quoi je m'attendais... Niclas est...
Était quoi, au juste ? Un monstre, un sans cœur ?
▬ Il ne me fait pas confiance, révéla-t-elle au compte-goutte. Et...
Fluvia inspira, lâcha un moment le regard de sa compagne, avant de terminer :
▬ Il pense que c'est de ma faute si nous ne parvenons pas à avoir un enfant.

Voilà un an bientôt que Fluvia avait épousé Niclas. Et, à part un fœtus mort-né, tout semblait conduire à cette maudite conclusion : tous deux formaient un couple stérile.

Tandis que Cassiopeïa livrait son point de vue concernant son mariage, Fluvia était en train de comprendre que la jeune Yaxley avait été bien plus intelligente qu'elle. Elle avait bien compris toutes les vicissitudes de la vie conjugale, et avait louvoyé de façon à ce qu'elle pût sauver ce qui lui importait le plus. Fluvia, elle, avait mordu dans son mariage comme si ç'avait été un fruit, ne se contentant que de voir si son aspect était appétissant, ne prenant pas la peine de vérifier s'il était assez goûteux.
La vie d'épouse de grande famille lui laissait beaucoup de temps libre, ce qui lui permettait de réfléchir beaucoup. Fluvia avait été bien trop orgueilleuse et savait qu'elle en était punie. Qu'elle avait été sotte de croire que rien ne lui résisterait... Elle devait donner un joli spectacle. Et le pire, c'était que cela ne l'atteignait même plus.

▬ Ma tante a épousé un Travers, protestait Cassie qui avança qu'ils n'avaient pas eu d'enfants et que cela était sûrement lié à la souche Travers.
Pour la première fois depuis longtemps, Fluvia se tourna vers la jeune femme et lui sourit avec sincérité. Elle aussi, avait reprit le précieux Registre de Nott, qu'elle avait un peu délaissé depuis son entrée à Poudlard. Elle y avait scruté toutes les subtilités, et avait découvert avec un immense soulagement qu'il existait un grand nombre de femmes bien comme il fallait qui n'avaient pas eu d'enfant. Et à qui ça n'avait pas empêcher de peser sur la société Sang-Pur.
▬ C'est sûrement lié à nous deux, souffla Fluvia.
Elle allait ajouter qu'elle ne désespérait pas de devenir mère - et à en croire la fréquence avec laquelle Niclas remplissait ses devoirs conjugaux, le sentiment était partagé - mais Cassiopeia lui demanda pourquoi elle estimait que Niclas ne lui faisait pas confiance.

Nouveau regard fuyant vers le parc, nouveau moment de silence durant lequel Fluvia souhaitait gagner du temps. Elle ne pouvait dire la vérité. L'entière vérité. Pas alors qu'elle venait juste de renouer avec son ancienne amie. Peut-être plus tard...
▬ Cette fausse couche, c'est symbolique pour Niclas. Il l'interprète comme quelque chose de néfaste pour notre mariage... S'il avait tenu, nous serions aujourd'hui parents d'un garçon, et tout aurait été pour mieux.

Si seulement...

Cassiopeia semblait décidée à faire de Niclas un homme stérile, à en croire ses paroles.
▬ Peut-être, fit Fluvia en riant légèrement. Si je ne retombe pas enceinte d'ici quelques temps, je chercherai une solution. Il y a des médicomages spécialistes très discrets.

Fluvia ne savait ce qui la poussait à se confier ainsi, sans gêne et presque sans filtre. Sûrement que l'empathie de Cassiopeia, son écoute attentive, la pièce dans laquelle elles se trouvaient, la mettaient en confiance. Cela faisait du bien de parler de ce qui lui faisait si mal. Cela faisait du bien d'entendre dire que Niclas était aussi responsable de leur mariage moribond, qu'il se comportait comme un enfant.
▬ Je ne sais pas ce que connait Niclas de la maternité, soupira Fluvia en inspectant son alliance. Mais tu as raison, c'est un enfant. Ses sauts d'humeur en sont la preuve.

Hélas, ses colères n'avaient rien à voir avec les caprices d'un enfant, songea-t-elle. Elles étaient bien plus longues et dangereuses. Niclas pouvait avoir un regard terriblement noir et des paroles assassines qui minaient le moral de Fluvia.
▬ Tu es sûre qu'avoir un fils résoudra vos dissensions ?, demanda la jeune Yaxley qui semblait peser ses mots.

Fluvia haussa les épaules.
▬ Bien-sûr que non... Mais au moins, l'on arrêterait de me demander quand est-ce que je donnerais un héritier à notre famille. Cela rassurerait tout le monde et j'aurais rempli ma part du contrat.

Elle se pencha légèrement vers Cassie.
▬ Car c'est bien à cela que nous servons, n'est-ce pas ?, sourit-elle faiblement.

Les paroles de Cassiopeïa, bien que ne comportant aucune nouveauté, eurent tôt fait de rassurer Fluvia. Pondre un enfant, donner à Niclas ce qu'il voulait, et vivre sa vie. Rien de plus simple, n'est-ce pas ?
▬ Je suppose que nos mères ont vécu la même chose, non ?, réagit la jeune femme en levant la paume de la main vers le ciel. Et pourtant rien n'a changé entre elles et nous...
Ce n'était pas tout à fait vrai. Fluvia et Cassie épousaient toutes deux des garçons qui avaient leur âge.

Là était le dilemme. Si l'on voulait la pureté du sang, il ne fallait pas associer deux sorciers au hasard. Le mariage était l'occasion de resserrer les liens entre les grandes familles de sorciers, de fructifier des héritages... L'âge, les sentiments, ce n'était pas prioritaire, bien entendu.

Fluvia se tut, rivant son regard dans le parc en contrebas. Elle était si jeune encore. Et elle devait déjà avoir des enfants ? Elle en voulait bien-sûr, mais pourquoi si vite ? Trop tard pour faire marche arrière. Trop tard pour tout, de toute manière. La jeune femme inspira profondément et se tourna vers Cassiopeïa.
▬ Je suis ravie qu'on ait pu discuter et j'espère que nous pourrons encore le faire à l'avenir.

C'était presque une excuse que présentait Fluvia. Presque, parce que même si elle regrettait les mots mesquins qu'elle avait adressés à Cassie, elle n'allait quand même pas le reconnaître à voix haute.