Chaque jeudi, les Gryffondor de Quatrième Année bénéficiaient d'une pause de deux heures l'après-midi, entre les cours d'Histoire de la Magie et de Métamorphose. Certains des copains de Dave, sur ces horaires, suivaient des cours super-ennuyeux comme l'Arithmancie ou les Etudes des runes, mais le jeune Goujon, lui, profitait pleinement de cette pause pour aller s'aérer un peu la tête et gambader dans le parc comme une licorne sauvage. De la sorte, il parvenait à revenir dans l'enceinte de Poudlard à peu près détendu et réceptif à des enseignements supplémentaires avant de retourner vaquer à ses occupations qui le tenaient sans cesse éloigné de la bibliothèque, et jamais bien loin de toutes sortes d'ennuis. D'ailleurs, songea le jeune Goujon en remontant de la Cabane d'Hagrid pour s'engager sur le sentier qui menait aux serres de Chourave, il lui semblait bien que Rusard l'attendait ce soir pour une heure de retenue... ou bien était-ce hier ? Dave avait un sérieux doute, maintenant, et aucun moyen d'en avoir le cœur net sans se jeter dans les griffes du concierge de Poudlard, ce qu'il préférait éviter quoi qu'il arrive. De toute façon, Rusard-le-terrible lui retombrait bien assez tôt dessus, Dave le savait pertinemment, il avait juré de le suspendre par les pieds dans les cachots de Poudlard déjà deux ans auparavant. Force était de constater que pour le moment il n'y était pas parvenu, et c'était pourtant pas faute de l'avoir provoqué... Le Gryffondor, qui commençait à s'ennuyer de sa promenade, eut soudain envie de rentrer dans une serre, histoire de rigoler un peu. Il testa une première porte qui se révéla fermée, mais eut plus de chance lors de sa deuxième tentative : la poignée s'abaissa docilement sous la pression, et Dave poussa la porte de la serre avant de se retourner pour vérifier que personne ne le voyait faire...

Le cri de terreur de Dave resta lamentablement coincé dans sa gorge face à l'assaut en traître perpétré par Jane Thickey, qui se trouvait être juste derrière lui avec sa petite tête de contente, et seul un couinement un peu ridicule s'échappa de la commissure de ses lèvres tandis qu'il se laissait lourdement choir contre la chambranle de la porte de la serre.
— Non mais ça va pas que... balbutia-t-il avant de s'interrompre pour soupirer bruyamment toute sa frousse. Faut pas faire ça ! croassa-t-il un peu pitoyablement en portant sa main à son petit cœur fragile. Même pas qu'elle avait l'air inquiète, la donzelle ! Elle était plutôt curieuse de savoir ce qu'il fabriquait seul par ici, mais le jeune Goujon était trop occupé à vérifier que cet afflux de frousse n'avait pas détérioré ses fonctions motrices et balançait les uns après les autres mains et pieds pour s'assurer qu'ils étaient toujours bien branchés à l'unité centrale. Il commençait à s'inquiéter de son potentiel d'instinct de survie : ce dernier n'avait jamais été bien haut, mais si maintenant il n'était même plus en mesure d'hurler pour appeler à l'aide face à une attaque brusque et violente, comment allait-il parvenir à rester en vie ? Thickey toutefois semblait se foutre de ce débat intérieur primordial comme de son premier Lumos, et faisait déjà mine de rentrer à sa place dans sa serre, si bien que Dave retrouva un semblant d'esprit.
— En théorie non, reconnut-il fort honnêtement tandis que Jane se faufilait dans la serre comme si elle s'en fichait de la réponse. Dave haussa les épaules et jeta un nouveau coup d’œil dehors pour vérifier que personne d'autre ne venait avant de refermer la porte derrière eux. Mais c'est ça qui est marrant, non ? demanda-t-il de manière tout à fait rhétorique en donnant une pichenette précautionneuse dans une fleur proche de la porte, qui resta tout à fait inerte.

La réflexion de Jane eut le mérite d'amener Dave à se désintéresser de sa fleur au moment où la jeune fille, à sa grande surprise, entamait une très curieuse chorégraphie avec ses sourcils.
— Ah ouais tiens, fit-il mine de s'apercevoir avec une moue un peu perplexe, incapable de comprendre où Jane voulait en venir. D'ordinaire, la Gryffondor avait un comportement normal, contrairement à beaucoup des filles de leur année dont il ne comprenait pas les us et coutumes la plupart du temps. Dave, en effet, n'était pas très au fait des agissements féminins, et beaucoup de choses le dépassaient à ce sujet. Expliquer les règles du hors-jeu au Quidditch à un troll, pas de souci ! Comprendre ce que sa voisine de classe avait voulu dire par "Non mais Rosamund, elle est gentille, mais bon voilà quoi.", ça, Merlin, il en était bien incapable !
— C'est vrai tu trouves ? s'enquit-il, un peu ragaillardi, quand Jane le ramena sur un sujet qu'il contrôlait bien. C'est vrai que mon coup contre Rozen était pas mal, même si bon, c'était pas sensé... Euh... Il n'avait pas remarqué que Jane s'était approchée de lui, jusqu'à ce qu'elle se mette à faire des ronds sur elle-même juste devant lui, sans qu'il ne comprenne pourquoi.
— Y'a une bête qui te gêne ? s'inquiéta-t-il en croyant reconnaître une habitude qu'avaient les croups de sa tante de tourner sur eux-même pour tenter de se débarrasser d'un parasite ennuyeux. Des machins bizarres devaient voler dans la serre !

L'incompréhension de Dave grimpa encore d'un cran lorsque Jane parut aussi surprise que lui à l'idée d'avoir une bestiole à lui tourner autour, et atteignit un niveau inédit lorsqu'il réalisa qu'en fait, la jeune fille s'était mise à danser sans aucune raison. Le jeune Goujon tombait des nues, car d'ordinaire il comprenait assez bien le comportement de son amie, qui ne se distinguait pas tant que ça de celui de ses copains Holden et Sven. Contrairement aux autres filles, Jane Thickey d'ordinaire agissait normalement, selon lui. Ou bien faisait-elle seulement semblant, mais ne parvenant plus à retenir sa véritable nature de fille étrange, était en train de faire une crise de bizarreté devant lui ? Dave en était rendu à se poser cette question, passablement alarmé, lorsqu'il retrouva ses esprits en sentant la main de Jane se perdre dans ses boucles :
— Non mais c'est pas grave hein, bafouilla-t-il en rougissant instantanément face à cette proximité inédite avec la jeune fille, qui lui annonça l'avoir débarrassé d'un grinchebourdon, j'aime bien les grinch... Il s'interrompit brusquement et avala précipitamment sa salive quand la malicieuse gamine Thickey lui dédia un lumineux sourire, elle était si proche qu'il aurait pu compter ses dents, si proche... Une onde de chaleur traversa Dave de la tête aux pieds lorsque les lèvres de Jane frôlèrent les siennes, et il rouvrit ses yeux qu'ils avait fermés sans le réaliser juste à temps pour la voir s'écarter de lui, dissimulant avec peine un éclat de rire entre ses doigts.
— Je... Je ne comprends pas, reconnut-il, écarlate et vaguement paniqué, euh t'as pas entendu la cloche, là ? s'enquit-il avec espoir en se tournant vers le Château, à l'affût de la moindre excuse pour prendre ses jambes à son cou.

Il y avait cette alarme qui rugissait dans la tête de Davey et l'enjoignait à partir en courant et claquer derrière lui la porte de la serre. Jane venait de s'éloigner de lui de quelques pas, lui laissant l'opportunité formidable de s'enfuir sans demander son reste. Pourtant, le Gryffondor resta figé sur place, incapable de se résoudre à partir. Il n'avait pas vraiment peur, il était juste extrêmement indécis, ce qui l'empêchait d'y voir clair sur la démarche à suivre, et donc de prendre une décision. Etait-ce ainsi que cela fonctionnait avec les filles ? Le jeune Goujon regrettait à présent de n'avoir pas mieux écouté son copain Holden quand celui-ci lui parlait de sa copine Nina. Peut-être aurait-il su quelle réaction adopter après avoir été embrassé par une fille ! Et maintenant, il était trop tard pour s'enfuir, Jane revenait vers lui dans toute sa nouvelle bizarrerie et Dave ne trouva rien de mieux que de reculer d'un pas pour buter contre une paillasse.
— Mais je... Je vois pas pourquoi, croassa-t-il un peu lamentablement en rougissant furieusement lorsque Jane lui révéla qu'il lui plaisait. Seule sa mère lui disait qu'il était beau. Elle le disait certes beaucoup, mais elle était la seule, et jamais personne n'avait tenu un tel discours au jeune Goujon qui avait jusque-là gambadé dans la vie en toute naïveté, peu soucieux de soigner son physique ou même son caractère pour plaire à qui que ce soit. Et soudain, il avait la surprise de découvrir qu'il plaisait à une représentante du sexe opposé ! Sa vie prenait une tournure à la fois douce et terrifiante. Terrifiante, surtout, quand il réalisa ce que Jane lui demandait, et ce qu'elle devait attendre de lui.
— Si tu me plais... bafouilla-t-il en louchant sur le doigt avec lequel la Gryffondor lui tapota le nez, beh je sais pas trop, je veux dire... co-comment tu sais ça ? s'enquit-il en déglutissant avec difficulté.

Jane semblait beaucoup s'amuser de la situation, quand Dave ne rêvait plus que de s'enterrer à mille lieues sous terre. Que n'était-il pas resté dans sa salle commune, à jouer à la Bataille explosive avec Sirius ou peu importe qui d'autre ? Maintenant, il se trouvait dans une situation totalement inédite qui avait le don de le déstabiliser complètement, et une question hautement explosive (du moins en avait-il l'intuition !) venait de lui être posée. Le garçon hocha toutefois de la tête quand Jane lui expliqua comment savoir si elle lui plaisait : il comprenait. Il ne savait toujours que trop répondre, mais il comprenait.
— Ben je trouve que... balbutia-t-il avant de s'interrompre de plus belle lorsque la jeune fille s'approcha de nouveau de lui pour lui susurrer une dernière question embarrassante. Dave Goujon rougit jusqu'à la racine des cheveux en repensant au contact mouillé qui avait eu lieu à peine quelques secondes plus tôt. Oui, ce baiser lui avait plu. Oui, reconnut-il finalement un peu timidement, et probablement sans mesurer complètement la portée que ces trois malheureuses petites lettres pouvaient avoir sur son existence. Et soudain le sublime visage de Wilda Griffiths, à laquelle il avait déclaré son amour quelques semaines plus tôt (sans grand succès !), apparut devant ses yeux et Dave comprit ce dont Jane lui parlait tandis qu'un doute affreux s'emparait de lui : ne venait-il pas de tromper son grand amour ?

Dave roula des yeux effarés quand Jane s'interrogea sur la nature de leur relation, et une vague de panique le submergea tandis qu'il rassemblait dare-dare les quelques informations à sa disposition en matière de relations amoureuses, ramassés de ci-de-là auprès d'Holden principalement, et de Vespyr un peu. Ils avaient à peu près le même âge, elle était une fille et lui un garçon, ils s'entendaient bien et surtout, elle venait de l'embrasser. Une grimace déforma ses traits lorsqu'il réalisa que les étoiles étaient plus alignées qu'elles ne l'avaient jamais été sur aucune de ses cartes d'Astronomie : il était en couple ! Tant bien que mal, Dave extirpa un sourire du fond de sa poche tandis que Jane lui confiait être contente, et lui ébouriffait les cheveux avant de s'enfuir en courant et claquer la porte derrière elle. Le Gryffondor resta de longues minutes immobiles à fixer la sortie, incapable de faire le moindre mouvement, totalement sous le choc des événements qui venaient de se produire à une si grande vitesse. Dix minutes plus tôt, il n'avait jamais connu de fille... Et maintenant, il était en couple avec Jane Thickey ! Et en retard pour son cours de Métamorphoses, accessoirement. Mais ça, Dave à cet instant n'y pensait absolument plus.