Cela faisait une semaine qu’Aethelwold était rentrée de vacances. Il en était totalement ravi. A vrai dire, il n’aimait pas vraiment prendre des vacances. Mais son patron l’y avait un peu forcé, ne voulant pas avoir de problème avec la justice magique du travail parce qu’il n’aurait pas donné de jours de congé à son employé parce que celui-ci n’en aurait pas demandé. C’était un homme très routinier, Aethelwold. Et s’absenter du travail pendant une période prolongée perturbait sa routine. Déjà qu’il avait dû prendre une semaine de congé suite au décès de sa mère à la fin de juin… Ce n’avait pas été suffisant, apparemment.
En retournant au travail après deux semaines d’absence de mi-août à fin-août, il avait l’impression que tout y avait changé. D’autant plus que le patron du café lui avait annoncé qu’il allait encore avoir une nouvelle apprentie. C’était monnaie courante, cela dit. Aethelwold, depuis quelques mois, était devenu le formateur attitré du Tsarducks. Mais à l’annonce d’une nouvelle recrue, le jeune serveur avait toujours cette petite appréhension avant de la rencontrer. Et si c’était une mauvaise personne ? Il y avait vraiment des personnes qui le faisaient se sentir mal.

Heureusement, en rencontrant Aurora, ses appréhensions s’étaient dissipées à la vitesse de la lumière. Elle avait l’air adorable – et elle l’était. Les quelques jours qu’il avait passé à lui apprendre les rudiments du métier de serveuse avaient confirmé sa première impression. Il avait rapidement remarqué sa maladresse derrière laquelle il devait souvent repasser. Mais il faisait preuve d’une grande patience. Après tout, Reginald également faisait beaucoup de gaffe avant de devenir un employé compétent. Ce dernier ayant dû retourner à Poudlard, Aurora était sa digne remplaçante.
Cette semaine était passée si vite. La période d’essai de la jeune femme était terminée. C’était un samedi, à la fermeture. Il était temps de faire un premier bilan sur fond musical d’une mélodie des Croque-Mitaines.
« Alors, elle n’a pas été trop éprouvante ta première semaine ? Tu arrives bien à tout intégrer ? Si tu as des questions, vraiment, n’hésite pas. Je suis là pour ça. »
Il débarrassait les derniers verres qui trainaient sur les tables.
« C’est demain que tu dois parler au patron, non ? »
Il espérait que la période d’essai d’Aurora allait être concluante. Il l’aimait bien. Très bien même.

La patience d’Aethelwold était légendaire. Le serveur n’en avait jamais conscience qu’on lui en fasse la réflexion. Pour lui, c’était tout normal et naturel. Il espérait que les gens en aurait fait tout autant avec lui. Aurora n’avait aucune expérence et il fallait bien commencer quelque part. Lui-même avait cassé de nombreuses choses avant de devenir un serveur accompli. Il n’y avait que ceux qui ne faisaient rien qui ne faisaient pas d’erreurs.
« Ne t’inquiète pas, ça ne fait qu’une semaine. Le reste va finir par rapidement rentrer. »
Il avait un bon pressentiment concernant la suite. Il pensait que la période d’essai d’Aurora était concluante. Il espérait vraiment ne pas se tromper. Elle était très sympathique. C’était agréable de travailler avec elle. Elle lui fit part de son plan pour convaincre le patron de l’engager. Selon lui, elle n’en avait pas besoin. Mais sûrement que le boss allait apprécier l’effort. Encore fallait-il que son « café spécial » soit convaincant. S’il était de qualité médiocre, cet effort pouvait jouer en la défaveur de la jeune femme et c’était ce qu’Aethelwold craignait.
« Un café spécial ? C’est-à-dire ? Il y a un ingrédient particulier ou quoi ? » demanda-t-il en se penchant pour s’appuyer contre le bar.
Aurora lui proposa alors de lui faire goûter ce fameux café spécial. Il ne voyait pas de raison de refuser. Et puis, il valait mieux que ce soit lui qui dise que le café était mauvais plutôt que le patron. Peut-être qu’il allait pouvoir l’aider à améliorer la recette si nécessaire.
« Bah écoute, je veux bien. Et je te dirai ce que j’en pense. Je n’ai personne qui m’attend à la maison de toute manière. »
Il vivait seul en appartement à quinze minutes à pied du Tsarducks. Il n’avait pas non plus beaucoup de chemin à faire.

« Le deviner ? Rassure-moi, c’est comestible, au moins ? »
Il n’y avait pas de limite à la créativité. Mais quand il s’agissait d’alimentation, il y en avait. La créativité s’arrêtait alors au caractère comestible de la matière première. Ajoutez à cela qu’il n’y avait pas une infinité d’ingrédients se mariant bien avec le café. On ne pouvait pas trop s’éloigner des sentiers battus. Aethelwold devait s’avouer que sa collègue n’était pas très rassurante, pour le coup. Si elle ne s’y connaissait « pas très bien en café », il valait peut-être mieux qu’elle ne soit pas trop créative non plus si elle voulait impressionner le patron. Mais il voulait lui faire confiance.
Il avait tout son temps à lui accorder. Elle sembla étonnée et un peu triste d’apprendre qu’il vivait seul.
« Non, penses-tu… Je crois que je ne suis pas fait pour avoir des animaux. »
C’était une charge émotionnelle trop lourde pour lui. Quand il était enfant, avec ses parents, ils avaient une chatte. Neige. Qu’elle était belle avec son pelage tout blanc ! Aethelwold l’adorait. Mais au moindre signe inhabituel chez elle, il s’inquiétait. Puis elle avait commencé à agir étrangement. Le petit garçon n’eut compris que le jour où il entendit des tout petits miaulements en provenance de la grange attenante à la maison. Neige avait donné naissance à quatre chatons qu’elle avait cachés là. En faisant cette découverte, il fut très content et se résolut d’essayer de garder l’existence de la petite famille secrète. Parce que sinon… Mais au bout de quelques semaines, son père les découvrit. Celui-ci les noya tous dans la bassine d’eau des moutons du voisin. Aethelwold avait énormément pleuré. Neige avait passé des heures et des heures à chercher ses petits. En vain. Quelques jours plus tard, elle avait disparu et on ne l’avait plus jamais revue.
« A ma moindre chose, je m’inquiète beaucoup trop. Mais je ne peux pas m’en empêcher. »
Il regardait distraitement ce que faisait Aurora, penché sur le bar, d’un œil intrigué.