Aujourd'hui et hier ne serons plus jamais pareils ( D.M.F )

Hier était passé avec fracas, dans la violence et l'horreur, son sinistre et hideux visage encore tout frais de la mort d'une innocente, son âme insouciante et innocente ravie dans la fleur de l'âge. Mais aujourd'hui pour Minerva Moon n'était pas un jour nouveau et l'odeur délicieuse d'herbe fraîche, l'effluve taquine des petites fleurs et le chant gai des oiseaux rêveurs et frivoles n'y changeait rien. Sous ses airs plus froids et distants que jamais le bleu vert de ses yeux, limpides et frais trahissait la vase qui sommeillait au fond de sa pupille si expressive pour qui savait y lire. Épuisée par ces émotions trop vives, son corps harmonieux et fin privé d'un apport régulier et suffisant de nourriture, Minerva était mal en point, si mal qu'il lui était de plus en plus difficile physiquement et mentalement de cacher son terrible secret. Depuis son retour à Poudlard certains lui avaient posé des questions et à tous, sans exception, la rousse sorcière leur avait servit la même soupe mensongère, si pratique et fiable qu'elle était lavée de tous soupçons. Pas une seule fois elle n'avait eu l'occasion de s'isoler en compagnie de sa meilleure amie.

Son corps fatigué ne répondait plus que par des automatismes, de vagues réflexes auxquels elle ne prêtait même plus attention, incapable de fermer les yeux bien longtemps sans voir flotter au-dessus de ses songes, transpercer la brume paisible de ses rêves la silhouette d'un corps. Cependant la jeune Minerva foulait de ses bottillons le sol herbeux et vallonné de l'immense terrain qui entourait l'école de sorcellerie, la surface argentée et paisible du lac l'attirant inexorablement. Prétendre le contraire eût été mentir, oui, Moon n'était plus que l'ombre d'elle même et ce n'était pas ses airs apprêtés, sa natte élaborée, la densité lumineuse et mauve de sa robe printanière qui laissait apparaître ses fins mollets et ses jolies chevilles qui sauveraient la face. En tout cas certainement pas aux yeux du jeune homme allongé dans l'herbe et que justement elle fuyait par peur de ses questions, de sa perspicacité et ce lien si fort entre eux.

Un peu à contrecœur, sans un mot, Minerva vint s'allonger dans l'herbe à ses côtés de telle sorte que sa jolie tête rousse aux fins traits fatigués et ivres d'une tristesse profonde vint se blottir parfaitement dans le creux de sa nuque. Étendue ainsi, elle se sentait à la fois assez proche de Demetrius et éloignée de lui pour ne pas s'enfuir lâchement car il ne pouvait voir ses expressions les plus sincères.

Un peu de son innocence lui avait cruellement été ravie. La mort de Sybil Vane entraînait bien des bouleversements et elle qui hier encore maudissait la jeune Serdaigle aurait beaucoup donné pour lui rendre le souffle et la voix. Mais les morts ne pouvaient revenir du royaume d'Hadès. Les Reliques de la Mort, aussi mystérieuses et tentantes soient-elles n'intéressaient guère la jeune Minerva dont la passion curieuse pour l'art noir s'essoufflait. Son retour au château centenaire s’était fait en toute discrétion, les Moon bien entendu étaient au courant de la mésaventure d’une des leurs et bien qu’ils aient eu la délicatesse de ne pas trop commenter l’affaire en sa présence aucun d’eux, ou alors très peu, ne faisaient grand cas de cette disparition subite. Fidèles à leurs idées d’un autre siècle, Sybil Vane n’était qu’une perte parmi tant d’autres et ne méritait pas tant d’attentions. Englués dans leur bêtise, ils ne voyaient pas à quel point le décès de cette innocente leur porterait préjudice et transformerait à jamais la jeune Minerva.

Les lettres restées muettes, privées du contact d’une plume à sa surface, Minerva n’avait pas eu le courage de tout avouer à son meilleur ami. D’ailleurs son courrier était surveillé par ses grands-parents pendant cet interminable séjour londonien et bien que les Flint fassent partie de ces familles estimées, les Moon n’en n’étaient pas moins affolés à l’idée que l’on sache que Minerva ai un quelconque lien avec cette sombre histoire. Soutenir les idées du mage noir était une chose, mais y être rattachés en était une autre. Ce n’était certainement pas le courage qui étouffait la plupart des membres de cette famille mais plutôt la lâcheté, la convoitise et tout le cortège honteux des vices humains.

Le bras amical de Demetrius, fidèle et protecteur se déposa délicatement autour de ses épaules maigres et frissonnantes tandis qu’une vague de chaleur réconfortante se propageait lentement. Minerva ferma ses paupières fatiguées, à la fois heureuse et anxieuse de gouter à ce moment de complicité puis soupira. Sa volonté mollissait dangereusement au contact de Demetrius et elle sentait en elle naître le besoin pressant de se confier, de tout lui raconter et trouver, peut-être, un salut.

« Si je ne te connaissais pas aussi bien, Minerva, je penserais que tu m'évite ... » La rouquine réprima un tremblement incontrôlé de sa main, Flint voyait juste et la sorcière connaissait assez son ami pour savoir qu’il ne lâcherait rien. Pourtant les consignes des Moon étaient claires, personne ne devait être dans la confidence mais c’était bien plus facile à dire qu’à faire…

- Ma famille s’est inquiétée et a préféré me retirer de l’école quelques jours répondit-elle comme pour couper court à toute question mais sa hâte et surtout leur amitié profonde ne duperaient pas aussi facilement Demetrius. Et puis, avait-elle vraiment envie de lui mentir ?

Leur amitié durait depuis des années et ne se limitait pas à Poudlard. Les deux sorciers, proches voisins par un heureux hasard habitaient tous deux dans la cité londonienne contrairement à beaucoup de sorciers préférant se regrouper à la campagne. Mais les Moon possédaient de nombreuses maisons un peu partout dans le pays et c'est à Londres, par proximité du Chemin de Traverse que Morgan Moon avait décidé de résider après son retour sur le sol anglais. Ce n'est qu'une fois scolarisés que Demetrius et Minerva s'étaient découvert cet autre point commun. Depuis ils ne se quittaient plus et pour la jeune fille mentir à son ami lui coûtait beaucoup. Les grands-parents n'étaient pas de cruels sorciers mais ils possédaient assez d'autorité et la pression exercée était telle par les membres de sa famille que la jeune fille se sentait tenue au secret, la langue comme collée à son palet.

Ainsi l’un contre l’autre, la rouquine farceuse retrouvait un semblant de vie normale et le grand air, pur et vivifiant, lui redonnait des couleurs après un long week-end enfermée dans une petite chambre, les rideaux tirés. Elle avait un peu froid et l’herbe était humide mais Demetrius, prévenant, lui apportait toute la tiédeur de son corps et l’empêchait de frissonner. Minerva s’en voulait de lui cacher ce secret, elle culpabilisait même de le tenir à l’écart, lui qui avait prouvé sa fiabilité, mais elle avait si peur des retombées que le spectre de ses oncles suffisait à la retenir.

- Je n'y crois pas une seconde… Sa culpabilité augmenta ainsi qu’un profond sentiment de solitude. Demetrius n’était pas né de la dernière pluie, Moon le savait et ne comptait pas sur son ami pour gober ses médiocres mensonges, mais au fond ça l’arrangeait bien. La perspicacité du garçon lui fournissait une excuse toute trouvée…

Je vois bien que tu me caches des choses, Min' ... Et c'est bien là la première fois ! Allons, tu sais bien que tu peux tout me dire. Est-ce que ... J'ai dis ou fais quelque chose qui t'aurait contrariée ? Les larmes lui vinrent aux yeux, émue par les derniers mots de Flint, elle se retint tant bien que mal de ne pas sangloter ce qui, après toutes les larmes versées se révélait plutôt difficile. A fleur de peau, la jeune fille culpabilisait encore plus, dévorée par l’envie de tout dire, vider son sac mais les mots ne venaient pas.

- Non, bien sur que non s’exclama-t-elle en caressant de ses longs ongles brillants d’un vernis translucide une mèche brune de Flint, Je t’assure, tu n’y es pour rien. Elle ne lâchait pas la mèche, triturant les cheveux du garçon sans pour autant lui faire mal, signe de nervosité. Tactile, Minerva jouait souvent avec ses cheveux pour se calmer les nerfs, réfléchir ou tout simplement pour le plaisir du contact avec ses mèches soyeuses. Mais cette fois elle enroulait la mèche autour de ses fins doigts à n’en plus finir, ses ongles effleurant parfois la nuque de Flint.

- Tu sais bien comment est ma mère, elle n’est jamais rassurée renchérit Moon d’une petite voix sans pour autant paraître très convaincante.