L'habit ne fait pas le moine - Jarred Miles - CLOS

Le soleil de début de printemps brillait sur Londres. Sur les bords de la Tamise, l'astre doré miroitait entre les remous de la rivière traversant la capitale anglaise. Sur les berges, le marché du dimanche matin allait bon train. Les échoppes côtoyaient les ondulations de l'eau et sur les pavés gris bordant la Tamise, Alix voguait entre les baraques de tissu, Noah dans ses bras. Le petit garçon de deux ans pointait tout du doigt, s'émerveillant de tant de splendeurs entre les bijoux orientaux, les tissus flamboyants et les jouets en bois. Alix remarqua alors un vendeur de tapis. Elle songea que son salon en avait bien besoin d'un. Alors qu'elle s'approchait de l'échoppe, un jeune homme la heurta. Il se retourna pour s'excuser et sa phrase s'évanouit dans les airs. Miam. Alix sourit à l'inconnu et posa Noah par terre. Les deux jeunes gens, bafouillant comme des gosses, entamèrent une discussion parfaitement inintéressante au sujet du beau temps et des tapis. Alix lança quelques coups d'oeil à Noah qui admirait les tapis posés devant lui. Le petit garçon voulut les toucher mais à plusieurs reprises, la marchand le gronda. Il finit par se réfugier en pleurant entre les jambes d'Alix qui, tout en lui caressant les cheveux, continua sa conversation, obnubilée par les magnifiques yeux verts de son interlocuteur somme toute plutôt mignon. Alors qu'il lui demandait si Noah était son fils ou si elle était juste la baby-sitter, Alix voulut le lui présenter. Elle regarda autour d'elle. Noah avait disparu.

Excuse-moi, ce sera pour une prochaine fois

Noah ! NOAH !

Il y avait tellement de monde au marché. Et s'il était tombé dans l'eau ? Et si on l'avait enlevé ? La panique s'empara d'Alix qui se mit à courir, cherchant une petite tête brune dans la foule. Son coeur battait à toute vitesse. Oh mon dieu... Il pouvait arriver n'importe quoi ! Et s'il cherchait à monter vers la route ? Et s'il était percuté par une voiture ? Il était tellement petit que personne ne le verrait ! La jeune mère continua à courir. Elle revint sur ses pas. C'est alors qu'elle le vit, près d'un homme agenouillé à ses côtés.

Noah !

Chéri, tu m'as fait tellement peur !

C'est le monsieur, maman

C'est lui qui m'a dit de t'attendre ici.

Comment pourrais-je vous remercier ?

Le jeune homme devant elle venait de sauver son fils et rien que pour cela, elle lui était redevable à vie.

Oui, c'est bien Noah

Ah ça pour courir vite ! J'ai beau être sportive, j'ai parfois du mal à le suivre !

Il a deux ans

Mais j'ai parfois l'impression qu'il est plus âgé que moi,

Alix en profita pour regarder discrètement le jeune homme. Il devait être bien plus jeune qu'elle. Facilement dix ans d'écart. Au vue de sa connaissance de la physionomie humaine, le jeune super-héros ne devait pas avoir vingt ans. Donc vraiment plus jeune qu'elle... Dommage. Stop ! Naméoh ! Tu as voulu jouer les jolis coeurs tout à l'heure & tu as vu le résultat ? Pourtant, la jeune médicomage devait avouer qu'il était particulièrement craquant. Bien qu'avec des traits un peu trop enfantins. Mais quels yeux ? Elle aurait voulu s'y noyer et oublier tous ses soucis d'adulte. Retrouver le sentiment d'ignorance qu'a tout adolescent qui s'éveille à la vie adulte et qui n'a encore aucune idée de ce qui l'attend. Juste découvrir avec des yeux éblouis la beauté d'un monde qui se fane à chaque pas vers les responsabilités. Alix avait vingt-sept ans et pourtant, elle n'en avait pas oublié son âme d'adolescente. Noah en était peut-être la cause. Il était né lorsqu'elle n'avait que vingt-cinq ans et qu'elle faisait son internat. Les premiers mois avaient été difficiles, jusqu'à ce qu'Aaron vienne s'installer chez elle et prenne un poste de baby-sitter à plein temps, en plus de ses études à la fac.

La jolie brune quitta le brouillard de ses pensées pour revenir au beau sauveur de son fils. Était-ce un signe ? Noah aurait pu être sauvé par un vieillard édenté. Mais non, il avait fallu qu'il s'agisse d'un jeune homme. Et beau, de surcroît. Alix n'en avait pas croisé d'aussi mignon depuis longtemps, sauf sur la table de l'hôpital, prêt à être passé sous le crible de sa baguette de médicomage. Mais en face d'elle, comment savoir si elle parlait à un sorcier ou un Moldu ? Elle choisit la deuxième option. Mais après tout, un jeune homme, qu'il aie des pouvoirs ou non, rester un jeune homme !

J'insiste, monsieur

Si vous ne voulez pas me laisser vous remercier comme il se doit, laissez-moi au moins vous offrir un verre

Dis oui, monsieur,

Le couple et Noah entrèrent dans le café, prenant place au fond à droite, loin des bruyants cris d'un groupe de jeunes. Alix se souvenait les soirées où elle sortait avec Joémy et leurs amis, pour boire un verre dans le minuscule café de Brading, sur leur île natale. Les Folkhart étaient ce qu'on appelle des insulaires. Attachés à leur terre natale, particulièrement fiers d'être des habitants de l'île de Wight. La jeune femme avait toujours en tête les splendides paysages dans lesquels elle avait passé les plus belles années de son enfance. Les hautes falaises de calcaire dominant la baie de Portsmouth. Elle avait toujours trouvé en la nature un réconfort que nul être humain ne pouvait lui procurer. Dans les éléments tranquilles des larges espaces vierges de l'île, Alix avait trouvé des ressources inimaginables et une puits d'amour. Parmi les fleurs, les arbustes, la mer et son étendue bleutée, elle avait trouvé la force d'avancer. Elle avait surpassé le décès de son père, puis celui de son frère jumeau. Elle avait vu Noah faire ses premiers pas, vaciller, se rattraper à un arbuste, tomber sur les fesses. Les splendides paysages de l'île saxonne étaient liés à chaque seconde de sa vie.

Le serveur s'approcha, demandant s'ils avaient fait leur choix. Alix commanda un jus de pomme pour Noah et un cappuccino pour elle, demandant au jeune homme qui l'accompagnait ce qu'il désirait. Elle sembla visiblement le tirer de profonds songes.

Je vous demandais juste ce que vous désiriez boire

Elle s'étonna alors que ses yeux reflètent tant de choses. Il semblait avoir vécu plus qu'elle et pourtant, son visage ne semblait pas plus âgé que vingt ans. Qu'avait été sa vie ? Qu'était-elle ? Ses yeux profondément bleus semblaient atténués par un insondable malaise. Son visage aux traits encore enfantins se contractait parfois et Alix avait l'impression d'avoir en face d'elle un homme abîmé par la vie, rongé par lui-même. Il était si jeune. Il avait encore la vie devant lui. Il avait encore des rires et des pleures à expérimenter. Pourtant, la jeune médicomage s'étonnait de voir dans toute sa physionomie comme la présence d'un poids. Le genre de poids qui vous fait ployer à petit feu, détruisant vos forces de l'intérieur, sans que vous puissiez faire quoi que ce soit.

Le serveur repartit avec la commande. Alix installa Noah juste à côté d'elle, sortant un carnet à dessin et un crayon gris de son sac ensorcelé. Heureusement que le sac avait pratiquement le même format que le carnet, sinon comment aurait-elle pu expliquer pouvoir sortir un objet plus grand sans qu'il soit déformé ? Elle ne savait pas si elle avait à faire à un sorcier ou un Moldu. Alors autant ne pas prendre de risques inutiles.

Vous ne m'avez pas dit votre prénom

Le mien est Alix

C'est un joli nom de famille !

De quelle origine est-ce ? Je dirais italienne, au vue des sonorités !

Vous en avez de la chance, d'avoir des origines étrangères ! Moi je suis à 100% anglaise et ça me plairait bien parfois, d'avoir du sang d'ailleurs ! De l'orient, ou bien des Amériques ! Pas de chance pour Noah non plus, son père était un anglais de pur souche !

Était. Mark était du passé. Elle n'avait plus repensé à lui depuis des années. Pour elle, Mark et son instable caractère, Mark et son insatiable besoin d'être encore jeune et de résister au temps ne faisaient plus partie de sa vie ni de ses pensées depuis de longues années. Enfin, pas si longues. Deux ans et demi. Noah n'avait que six moi lorsque son père était partis et il n'avait jamais semblé manquer d'amour et de tendresse avec sa mère.

Je suis médico...

Nom d'une chouette

Je suis médecin

Elle avait manqué faire une bourde immense. Noah, du haut de ses trois ans, avait parfaitement compris que le monde dans lequel ils vivaient tous les deux n'était pas exactement le même que celui de tous les autres Anglais sans baguette. Reprends constance, dépêche-toi.

Je travaille dans un petit hôpital à une heure de métro de Londres. Comme mon fils a tous ses amis dans notre quartier ici à Londres, je ne peux me résoudre à déménager

Alix plongea son regard dans son cappuccino, le remuant nerveusement. Pourquoi fallait-elle qu'elle perde ses moyens à chaque fois qu'elle se retrouvait devant un homme ? De mauvaises habitudes prises à l'époque où elle se sentait encore vulnérable après le départ de Mark.
Elle reporta son attention sur son fils qui se battait avec la paille de son jus de pomme. Le visage concentré de son petit garçon la détendit. Elle prit sa serviette et essuya une goutte qui coulait sur sa joue rebondie. Une question ne cessait de la tarauder. La même comme à chaque fois qu'elle rencontrait quelqu'un. Sorcier ou moldu ? Et si sorcier, OdP, neutre ou mangemort ? Rien qu'à l'idée d'être assise face à un mangemort, Alix frissonna légèrement. Elle prétexta un courant d'air. Elle devait arrêter d'être aussi suspicieuse. Pourtant, son métier ne l'aidait pas. En tant que médicomage, elle avait pris l'habitude de deviner les pathologies au visage des gens. Et elle pouvait le dire, cet homme n'était pas du genre à n'avoir rien à se reprocher.

Et vous, Jarred, dans quelle branche travaillez-vous ?

Italien, donc. Il en avait bien le nom, mais pas particulièrement le physique. Il avait plutôt celui d’un Anglais, avec son charme et son charisme. Pas la grossièreté et le franc parler des Italiens. C’était en tout cas l’image que la jeune femme s’était faîte de l’Italie. Grossière erreur, pour une femme habituée à rencontrer des inconnus chaque jour et ne pouvoir les juger que sur leur première apparence. Difficile d’être objective avec une couche de sang et des membres ou un œil en moins…

Jarred semblait perdre contenance. Elle voyait son visage se décomposer, blanchir. Il n’avait pas l’air particulièrement à l’aise… Un secret ? Un mensonge dans ses propos ? Il y en avait un nombre incalculable dans les siens. Alors comment l’en blâmer si c’était le cas ? Mais son changement d'attitude inquiéta la jeune femme. Elle connaissait les sautes d'humeur des gens atteints de dédoublements de personnalité ou bien de troubles mentaux pour en avoir côtoyé. Et elle ne les trouvait pas particulièrement rassurants. Et même si ce n'était clairement pas le cas chez le jeune homme, Alix n'était pas pour autant rassurée. Elle était presque à regretter de lui avoir offert un verre. Comme si une aura négative se développait autour de lui, comme pour la pousser à comprendre qu'il n'était pas tout à fait clair.

« Sorti de P… » Rien que la première lettre attira l’oreille de la médicomage. Poudlard ? Pouvait-il être sorcier ? Mais alors, gentil, méchant, neutre ? Cette distinction quelque peu manichéenne était pourtant la seule qui rythmait le monde magique. Et si cet homme, assis en face d’elle, était un Mangemort ? Un homme qui n’hésiterait pas à les tuer, elle et son fils, si telle était sa mission ? Et comment réagirait-elle si l’Ordre faisait de sa mort une de ses missions à elle ? Soudain, l’idée qu’un potentiel ennemi fut assis en face d’elle l’envahit. Ses yeux se posèrent sur Noah, mais elle ne montra rien. Il était juste à côté d’elle et si un combat s’engageait, elle le protègerait… Mais son esprit s’emportait trop vite. Il n’y avait pas que les Mangemorts, pour tous ceux qui n’étaient pas membres de l’Ordre. Il pouvait être un citoyen magique lambda, après tout !

Il vida soudainement sa tasse, d’un trait. Et il ne la regardait pas. De peur qu’elle lise la vérité dans ses yeux ? Elle en était capable !

« Je suis désolé Alix, je vais devoir prendre congé.. Je pars pour l'Italie dans deux jours et je dois encore régler certaines choses avant mon départ. »
« Hé bien je suis enchantée de vous avoir rencontré, Jarred ! Je vous souhaite un bon voyage et une bonne continuation » dit-elle en se levant pour lui serrer la main. « Dis au revoir, chéri » demanda-t-elle à Noah sans pour autant quitter du regard chaque mouvement du jeune homme qui, après leur avoir dit au revoir, quitta le bar.

Alix se rassit à sa table et prit son fils sur ses genoux. Elle avait comme un mauvais pressentiment. Comme si elle allait le revoir, mais pas dans des conditions aussi idylliques que celles-ci. Elle leva les épaules et embrassa son fils. Elle n’allait pas commencer à s’en faire pour une hypothétique rencontre !

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