Le Chaudron baveur n'était en soit pas un lieu que l'ancienne Serdaigle affectionnait particulièrement. La propreté laissait clairement à désirer, la clientèle n'était pas toujours des plus fameuses, la nourriture... Mieux valait ne pas penser à la nourriture. Néanmoins, au fil des ans elle avait pris l'habitude de passer pas mal de temps dans ce pub tant apprécié des sorciers, fait qu'elle dissimulait bien évidemment à ses parents. Qu'aurait dit sa pauvre mère si elle l'avait sur dans un lieu si peu convenable pour une jeune fille de bonne famille? Enfin pour le moment sa mère et ses valeurs étaient les dernières de ses priorités. Si elle venait dans ce pub, c'était avant tout parce qu'il se situait à la frontière de deux mondes, le sorcier, le moldu. Un peu comme elle, en fin de compte. Et puis, elle se savait ici en sécurité, et assurée de ne jamais rencontrer ce silence qu'elle craignait tant.

La serveuse s'approcha de sa table, lui demandant ce qu'elle souhaitait.

« Du thé, s'il vous plaît. » La serveuse commença à repartir et la jeune fille s'apprêta à replonger dans sa lecture mais... « Non, attendez. Apportez-moi plutôt un pichet de lait. » Voilà qui était mieux. Parce qu'il était impossible qu'elle puisse boire un bon earl grey dans cet endroit, et qu'il était inimaginable qu'elle soit obligée de goûter quelque autre thé de basse catégorie. Mieux valait garder les valeurs sûres -le lait de poule- et ne pas chercher plus loin.

La brune tentait sans vraiment y arriver à se concentrer sur les lois de la magie, un livre plus qu'utile lorsqu'on souhaitait faire carrière au département de la justice magique. Mais quoi qu'elle fasse, ses pensées se retournaient toujours vers les derniers évènements. La sortie de Poudlard, son stage au Ministère, son emménagement dans un bel appartement londonien avec Lyleïa... Son énième dispute avec ses parents, qui ne voulaient pas la voir partir loin de la demeure familial et de ce cocon, cette prison hors du monde qu'ils lui avaient construit. Mais elle avait besoin d'indépendance, elle voulait prendre sa vie en main, et même si cela était très mal vu qu'une jeune fille quitte ses parents avant d'être mariée. Première rébellion d'une enfant parfaite, que nul n'avait vu venir. Première rébellion, mais pas des moindre. Elle ne reviendrait pas en arrière.

Une voix bien connue la sortit de sa réflexion.

L'adolescente releva un visage calme vers la jeune fille blonde qui lui avait adressé la parole, lui offrant un sourire poli. Elle appréciait  Isobel, qui avait partagé sa chambre pendant les six dernières années -à vrai dire, c'était sa seule camarade de dortoir avec qui elle s'était entendu. Mais la voir la rendait un peu mélancolique du temps qui passait, des choses de l'enfance qui s'estompaient pour ne plus jamais exister... Isobel continuerait Poudlard l'année suivante, tandis qu'elle était, elle, définitivement passée dans le monde adulte. Une toute nouvelle expérience, décisive.

« Isobel, c'est un plaisir de te revoir. Je t'en prie, assieds toi. » Dans le même temps, elle lui désigna l'une des chaises vides à ses côtés; et referma son manuel, politesse oblige. Elle n'avait pas du tout envie de parler, à vrai dire, mais elle ne voulait pas se montrer irrespectueuse. Tout de moins pas avec Isobel, qui si elle n'était pas une grande amie était néanmoins l'une de ses rares connaissances positives -sachant que comme elle ne s'était pas créer beaucoup d'alliés à Poudlard, mieux valait conserver les rares qui lui restaient. « Je vais très bien, et toi? »

Bien entendu, c'était faux. Mais l'ancienne serdaigle n'aimait pas s'épancher sur sa vie -privée ou professionnelle-, ni répondre à des questions qui de toute manière dans le cas présent n'était posée que par principe. Et même si Isobel était réellement intéressée, elle ne pouvait ni ne voulait lui dire tout ce qui n'allait pas.