Commençons par l'éternité ❝ Antonin [flashback]

POUDLARD, HIVER 1967

L'adolescente de quinze ans releva la tête, portant un regard hautain sur les élèves de première année qui se pourchassaient dans les couloirs, à grand renfort de hurlements et d'éclats de rire. Reportant son attention sur le cours de métamorphose dont elle relisait ses notes, elle tendit sa jambe, redressa son pied et suivit du coin de l’œil la course du plus jeune. Il s'étala de tout son long sur le sol de pierre, se retournant aussitôt pour chercher un coupable, le regard fou d'un animal blessé. Il croisa les yeux sombres de la Black et son air fier se désagrégea. Penaud, il détala.

L'élève de serpentard leva de nouveau la tête lorsque la porte du cours de défense contre les forces du mal s'ouvrit, laissant sortir ses amies. Le petit groupe de filles se reforma rapidement, prenant toutes ensemble la direction du rez-de-chaussée. Tandis que Bellatrix entretenait ses compagnes de son charmant petit tour, elle ne remarqua pas le groupe de garçons devant lequel elles passèrent. Bella, il t'a encore regardée, murmura l'une des filles. Et tu crois vraiment que ça m'intéresse ? rétorqua la sorcière sans daigner poser son regard sur son amie, qui haussa les épaules.

Alors qu'elles gagnaient la Grande Salle, Bellatrix se rendit compte que son encrier, qu'elle avait déposé sur le sol le temps de chercher sa plume dans le fond de son sac, n'avait pas réintégré sa place initiale. Se traitant de tous les noms de dragons, elle informa ses camarades qu'elle devait retourner le récupérer et les abandonna sur place, regagnant le troisième étage. Les couloirs étaient vides, les élèves ayant regagné le réfectoire pour le déjeuner. La sorcière pensa au devoir que Slughorn leur avait demandé pour la semaine suivante - deux-cent vingt centimètres de parchemin sur les différentes caractéristiques du bézoard. Plongée dans ses pensées, elle ne vit pas la haute silhouette de l'autre serpentard et lui rentra dedans. Reprenant ses esprits, elle leva les yeux vers son visage et ne se priva pas d'une grimace. Dolohov, dit-elle en reculant légèrement.

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La mine est déjà volontiers antipathique, malgré le très jeune âge que l'on peut déceler sur le visage encore très lisse du jeune Dolohov : le regard glacial et calculateur est déjà reconnaissable entre tous, de même que le pli dur des lèvres trop souvent muées en un sourire de mauvais augure. Personne ne sait comment le heurter, pas même ses plus proches amis, car le jeune garçon manifeste une indifférence placide à l'égard de tout type d'attachement. Il est par conséquent, à peine âgé de quinze ans révolus, l'une des plus grandes terreurs des élèves de Poudlard, et se complaît dans cette réputation exécrable qu'il ne sait pas encore qu'il va traîner toute sa vie. Dolohov a quelques amis, même si sa définition d'un ami est sensiblement différente de celle que vous avez : il traîne avec quelques garçons presque aussi sombres et lugubres que lui, aussi violents peut-être, mais il ne les apprécie pas outre mesure. Tout au plus lui sont-ils utiles, lorsqu'il s'agit de se mettre en binôme en cours ou de répandre la terreur dans les couloirs. Le reste du temps, Dolohov est seul, désespérément seul, et ne s'en plaint pas.

Il y a toutefois depuis quelques temps une chose qui réchauffe son âme glacée, accélère le rythme de son coeur et allume une étincelle nouvelle dans son regard morne. Elle a le regard aussi noir que sa chevelure indomptable, la peau blanche comme l'os et la bouche rouge comme le sang ; même au milieu de ses nombreux admirateurs et de sa cour, la jeune fille semblait irrémédiablement seule, et Dolohov savait que c'était parce que son âme était unique, et avide de quelque chose de tellement plus intense que cette ennuyeuse clique qui ne la quittait pas simplement parce qu'elle venait d'une famille si influente. Bellatrix Black était devenue pour lui une obsession, et le jeune homme russe savait intimement qu'un jour, il deviendrait la sienne à son tour.

Pour le moment, la belle faisait semblant de l'ignorer, là où Dolohov ne faisait même plus l'effort de cacher l'adoration qu'elle lui inspirait : si les amies de la jeune fille semblaient l'avoir parfaitement noté et semblaient ne pas se gêner pour le rappeler à Bellatrix à chaque fois que tous deux se croisaient dans un couloir ou dans la salle commune, la principale concernée affectait de ne même pas connaître jusqu'à ce nom qui pourtant faisait frémir Poudlard pratiquement à l'égal du sien. Mais le jeune Antonin savait que cela n'était qu'une couverture, et n'attendait qu'une occasion, la moindre, pour la confronter à son amour et l'amener à lui avouer le sien. Et cette occasion était venue, en témoigna le moment exquis où la jeune Black, revenue seule pour une raison qu'il ignorait, le percuta tandis qu'il se tenait en compagnie de son ami Marcus près de la salle de Défense contre les Forces du Mal, occupé à conclure un nouveau plan qui consistait à faire passer un mauvais quart d'heure à un Serdaigle de leur année.

Black, s'étonna-t-il tandis qu'elle faisait de même en reculant avec une grimace qui ne lui échappa pas, tu pourrais regarder où tu mets les pieds, lança-t-il sournoisement en levant un sourcil provocateur.

Il avait beau être irrémédiablement fou d'elle, il n'avait pas l'intention de se liquéfier comme un Poufsouffle pour la simple raison qu'elle posait son regard de velours noir sur lui. Pour la conquérir, il le savait, il allait devoir la combattre. Et surtout, il allait devoir la vaincre.

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Bellatrix dévisagea le serpentard de haut en bas, du mépris apparent dans le regard. C'était bien sa vaine, de se retrouver seule face à cette sangsue. Elle ne daigna même pas poser le regard sur le reste du petit groupe. A toi de ne pas être sur mon passage, répondit-elle d'un ton glacial avant de s'écarter un peu plus. La sorcière tenait à son espace vital et le voir si près d'elle lui déplaisait fortement. Tu crois vraiment que j'ai le temps de faire attention à toute la vermine sur mon chemin, Dolohov ? ajouta-t-elle en repoussant d'un mouvement de la main sa masse de cheveux bruns.

Dolohov était beau, sous ses airs de prince de glace. Mais il en fallait bien plus pour atteindre le cœur de l'héritière Black. Elle ne voyait en lui qu'un misérable dont la place n'était pas à serpentard et encore moins à lui faire la cour de façon aussi apparente. La sorcière n'avait pour lui que mépris et dédain, ce qu'elle ne se privait pas de lui faire comprendre dès qu'ils avaient l'occasion de se croiser. La racaille se regroupe, à ce que je vois, dit-elle en lançant enfin un regard aux comparses de Dolohov. Elle arqua un sourcil puis tourna les talons, entrant dans la salle de cours, vide à cette heure. Elle alla jusqu'au pupitre où elle s'était assise et s'accroupit, cherchant sa plume.

Non d'un Inferi, c'est bien là que je l'ai laissée, murmura-t-elle avant de se redresser. Elle remarqua alors que Dolohov était entré dans la salle de classe. Levant les yeux au ciel, la sorcière darda son regard sombre sur le serpentard. T'as un problème, Dolohov ? lança-t-elle, agressive.

Jamais un autre que Dolohov n'aurait été aussi fou pour s'acharner après un tel avertissement de la part de l'impétueuse Black. Bien plus que ces soeurs Narcissa et Andromeda, celle-ci avait une autorité si écrasante car si naturelle qu'il était somme toute tout à fait normal pour le commun des mortels de plier sur son chemin comme un épi de blé en cas de canicule. Mais ces méthodes d'intimidation ne marchaient pas sur le jeune Antonin, qui ne se laissait pas démonter, jamais : du moins tant qu'elle le traitait de la sorte, du moins voyait-elle qu'il existait. Et tant qu'elle verrait qu'il existait, le jeune homme serait heureux, et assez patient pour attendre qu'elle réalise qu'il valait vraiment la peine que l'on s'intéresse à lui. Très vite, Antonin le savait, Bellatrix allait réaliser qu'il n'attendait pas ce que les autres attendaient d'elle, à savoir la célébrité, la fierté de pouvoir dire qu'ils comptent parmi les intimes de la grande Bellatrix Black. Tel n'était pas l'objectif d'Antonin. Telle était la raison pour laquelle il continuait inlassablement de s'acharner, essuyant sans férir le moindre revers : ses amis, loin de se moquer de lui, commençaient même à lui trouver un courage digne du plus fou des Gryffondors, et l'admirer pour cela. Ils ne cillèrent donc pas lorsque Dolohov s'écarta d'eux pour s'engouffrer dans la salle de cours à la suite de Bellatrix. Son plan se déroulait parfaitement, aussi un petit sourire s'installa-t-il sur ses lèvres fines.

T'as un problème, Dolohov ? lui lança-t-elle, acide, tandis qu'il s'appuyait nonchalamment à l'encadrement de la salle de cours, l'observant d'un air goguenard s'évertuer à chercher une plume qui en fait se trouvait dans son propre sac. Il l'avait en effet lui-même subtilisée durant leur cours de Métamorphose, et avait attendu tout l'après-midi près de la salle de cours que la belle ne revienne la chercher, ce qui était à présent chose faite.

Pas le moindre, lui rétorqua-t-il d'une voix trop innocente pour ne pas être soupçonnable en croisant les bras sur sa poitrine, mais peut-être devrais-je plutôt te retourner la question. Aurais-tu perdu quelque chose ? Puis-je te proposer mon aide ?

Bellatrix manqua s'étouffer. Son aide ? Était-il sérieux, ou avait-elle mal entendu ? Elle remit derrière son oreille une mèche qui lui voilait la vue. Elle le dévisagea avec mépris de haut en bas. Le sourire goguenard qu'elle voyait flotter sur son visage n'était pas pour lui plaire. La Black avait en horreur qu'on se moque d'elle. Et au vue du ton qu'il venait d'employer, il n'était pas innocent dans la disparition de sa plume. Mais plutôt crever la gueule ouverte, que d'accepter son aide. Je suis bien assez grande pour me débrouiller seule, répondit-elle en se retournant. Va donc nourrir les boutrucs au lieu de m'ennuyer, ajouta-t-elle, glaciale.

Comme il ne semblait pas décidé à faire sécession, Bellatrix s'appuya contre un des pupitres et croisa les bras, visiblement énervée. Qu'avait-il donc à paraître si sur de lui ? S'il était à l'origine de la disparition de sa plume, Bellatrix se jura qu'il en payerait les conséquences. Loin d'être sentimentale, la sorcière n'était pas du genre à accepter que l'on touche à ses affaires. D'autant plus un moins que rien de Russe. Ou d'Ukrainien. De Polonais ? Elle ne s'en souvenait pas et ce n'était pas faute d'avoir entendu ses "amies" lui décliner son pedigree dans l'espoir de voir une once d'intérêt se dessiner sur le visage de marbre de la Britannique. Tu n'as donc rien de mieux à faire qu'à jouer au plus fin comme ces imbéciles de première année ? Rends-là moi, ajouta-t-elle en tendant sa main devant elle, dardant son regard sombre dans les yeux du jeune homme.

Pour la première fois, Bellatrix remarqua les étincelles dans le regard de Dolohov. Ses yeux semblaient pétiller d'un éclat de vie dont tout son entourage était dénué. Ils avaient beau avoir le même âge, elle était déjà blasée par une vie qu'elle savait toute tracée. Elle pouvait cependant lire dans ses yeux qu'il n'en était rien pour lui. Et le voir si fier, si audacieux, si arrogant - si libre, augmenta sa colère. Elle se redressa d'un coup et fit un pas en avant, réduisant la distance entre eux deux. Sa voix se fit plus forte, plus menaçante aussi. Rends-moi cette plume, Antonin.

C'est avec un sourire goguenard vissé sur le visage qu'Antonin soutint le regard de la jeune Black, qui commençait enfin à mettre les pièces du puzzle en place et exigeait de lui qu'il lui rende son bien. Il n'avait pas le moins du monde peur des colères de la jeune fille, et mettait même un point d'honneur à s'en amuser, assuré qu'il était de l'énerver encore plus. Il la laissait charitablement le fouler du pied, et lui pardonnait la moindre de ses frasques, car il savait au fond que chez elle toute cette violence n'était que façade, et qu'elle n'en avait pas le choix. Que dans l'affaire, c'était lui qui avait de la chance, pas elle. Narcissa avait le même comportement que sa soeur, et pourtant elle était la gamine la plus tendre que Dolohov n'avait jamais rencontrée. Alors il laissait Bellatrix le traiter comme un chien, et depuis le temps, elle devait tout simplement avoir compris que cela ne l'atteignait pas.

Et la politesse, dans tout ça ? soupira-t-il théâtralement sans bouger, se contentant de lever les yeux au ciel avec une consternation feinte.

Il n'y avait pas que les Bouffondors pour aimer jouer avec le feu, Antonin s'octroyait sans cesse ce petit plaisir avec Bellatrix Black. C'était tout un art que de la mener lentement au point de non-retour, lentement parce qu'il tenait à rester en vie, mais non-retour car une fois qu'elle était énervée, la belle daignait enfin montrer qu'elle cachait un tempérament de feu sous cette barrière de glace. C'était un jeu dangereux, c'était un jeu sans règle : c'était ce qui le rendait si excitant dans l'esprit du jeune Dolohov.

En tous cas, saches que j'adore quand tu prononces mon prénom, ronronna-t-il en lui jetant un regard suggestif, avant de se redresser souplement et faire quelques pas en direction de la jeune fille.

La sorcière bouillait intérieurement. Campée dans toute sa colère face au visage goguenard du serpentard, elle le haïssait d'être si nonchalant alors que tant d'autres auraient déjà ployé. Ne savait-il donc rien de la sombre puissance des Black ? N'avait-il donc pas peur de s'élever contre elle ? L'espace d'un instant, Bellatrix s'étonna de s'en amuser. Les manières de Dolohov, si naturellement baignées de fierté et d'indépendance n'étaient pas pour lui déplaire. Et le temps d'un battement de coeur, la sorcière lui trouva même un petit quelque chose que les autres n'avaient pas.

Puis elle revint à sa colère, à son mépris - à ce qu'elle était si intrinsèquement. Ou plutôt ce qu'on avait façonné d'elle. Sous les boucles sauvages de cheveux bruns, sous sa peau pâle, derrière ses yeux couleur de nuit, restaient les ruines discrètes d'une révolte adolescente brisée en plein élan. Face à un père intransigeant et une mère soumise, les trois filles Black n'avaient pas eu les mêmes réactions. Andromeda avait pris le chemin de la rébellion, s'écartant de sa famille pour apporter humiliation et déshonneur aux Black. Mais elle vivait tel qu'elle l'avait toujours voulu - libre. Bellatrix et Narcissa avaient ployé, ravalant les bribes de leur fierté d'adolescentes. Leurs rêves s'étaient étiolés, ne trouvant même plus leur place sur les pages blanches de journeaux intimes rapidement abandonnés. L'utopie s'était effacée de la vie des deux soeurs, les confrontant au tendre âge de leur quinzaine au véritable statut qu'elles devaient tenir. Héritières de la digne maison des Black, tel était leur rang. Et Bellatrix, en tant qu'aînée, se devait d'ouvrir la route pour sa cadette.

Elle n'avait pas le droit d'échouer. Elle se devait d'être l'adolescente parfaite que ses parents voyaient en elle. Et ses pensées à l'encontre du jeune homme n'entraient pas dans ces plans de perfection parentaux. Pourtant, lorsqu'il ronronna qu'elle prononçait si bien son prénom, la jeune fille baissa sa garde. Une fraction de secondes. Et il en fut assez pour que l'ombre d'un sourire couvre sa bouche. Elle se reprit aussitôt et fit disparaître en deux pas la distance entre eux qu'il venait juste de réduire. Il était plus grand qu'elle. Et il n'en fallait pas plus pour la mettre hors d'elle. Pourtant, il y avait presque quelque chose de rassurant dans son arrogante confiance - quelque chose qu'elle n'avait jamais vue chez les autres. Dans sa famille, on était arrogant - sans rien d'autre.

Elle déglutit, son regard planté dans celui, amusé, de Dolohov. Après tout, pensa-t-elle. Il est tout ce qu'ils détestent. Et personne n'en saura jamais rien. Alors, sans baisser sa garde, elle s'abandonna à leur jeu de dupes. Rends-moi cette plume. Antonin.

Sans doute un autre qu'Antonin n'aurait-il pas noté l'imperceptible mouvement qui agita soudainement la commissure des lèvres de la jeune Black. Sans doute un autre qu'Antonin l'aurait, s'il l'avait vu, pris pour la manifestation subtile de l'agacement exponentiel de la jeune Black. Mais Antonin les connaissait déjà toutes, ces manifestations de la fureur made in Bellatrix Black, il les connaissait toutes, et les vénérait toutes avec une ferveur égale. Mais ça, ce léger frémissement à l'orée de la bouche de la jeune fille, c'était bien plus que tout ce à quoi il n'avait jamais osé prétendre, bien plus précieux que tout ce qu'il n'avait jamais eu le culot de réclamer. Bellatrix Black, l'espace d'un court instant, venait de lui offrir un sourire. Un sourire dénué de tout sarcasme, un sourire sincère, arraché à grand-peine, ce qui le ne rendait que plus beau.

Ce constat plongea à lui seul le jeune Dolohov dans un état d'euphorie tel qu'il manqua de peu d'éclater d'un rire joyeux : il avait réussi ! Lui, l'orphelin, le moins que rien, le rejeté de la société, venait d'arracher un sourire à la belle, riche, influente et puissante fille aînée des Black. C'était rien, un sourire, pour un autre que lui, et pour une autre qu'elle. Pour lui qui n'avait rien, un sourire de celle qu'il aimait valait bien plus que tous les Gallions du monde - qu'il finirait bien par décrocher par centaines à sa sortie de Poudlard ! Mais pour elle qui avait déjà tout, Antonin savait qu'un sourire, si banal en apparence, revêtait un caractère quasi-sacrilège, car preuve de ce qu'elle n'était finalement, non pas seulement l'héritière d'une famille presque royale, mais surtout une jeune personne dotée de sentiments, de désirs, et de pulsion. Non pas seulement l'incarnation de la noblesse du sang des Black, mais un être habité par une âme, une âme qui l'espace d'un infime instant, s'était trouvée en diapason avec celle d'un être qui lui était totalement opposé.

C'était la raison pour laquelle Antonin était si joyeux, même si sous aucun prétexte il ne l'aurait reconnu. Seule brillait au fond de ses yeux sombres une lueur de triomphe qu'aucune remarque perfide de la jeune fille ne parviendrait à éteindre. Seulement cette remarque ne vint pas, et Bellatrix fit encore deux pas vers lui, en une ultime et vaine tentative d'intimidation. Antonin ne cilla pas, et s'amusa à l'observer de haut, lui qui la dépassait d'une belle volée de centimètres et ne se privait pas à cet instant précis de le lui faire remarquer.

Rends-moi cette plume, Antonin.

Un grognement appréciateur s'échappa de la poitrine du Serpentard tandis qu'elle prononçait une nouvelle fois son prénom : il espérait ainsi déstabiliser de plus belle la jeune fille, même si lui-même ne baissait pas les armes. Black était dépourvue de plumes, mais pas de baguette ni de ressources ! S'il avait gagné l'infime bataille du sourire, la guerre quant à elle était loin d'être terminée. Même si Dolohov avait bien l'intention de profiter de son maigre avantage.

Un baiser, Black, et je t'aide à la retrouver, murmura-t-il d'une voix enjôleuse, ses yeux brûlants baissés sur le beau visage de sa camarade.

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Il semblait apprécier le jeu. Le grognement qui s'échappa de sa gorge fit l'effet d'un électrochoc à la jeune sorcière. Ils jouaient avec leur désir. Et ils aimaient ça tous les deux. Car Bellatrix ne pouvait le nier. Antonin était physiquement très attirant et depuis quelques minutes, depuis que le désir avait influencé les paroles du jeune homme, elle lui trouvait un petit quelque chose de plus. La demande de baiser la laissa pantoise. Elle ne s'attendait pas à ce qu'il aille si loin. Préférant un rencard avec un gnome plutôt que de s'avouer troublée, la sorcière recula de quelques pas, sans pour autant détourner le regard. Elle ne s'avouait pas vaincue.

Elle s'assit sur le rebord d'un des pupitres et posa ses mains de chaque côté. Elle secoua légèrement la tête, ses cheveux ondulant autour de son visage qui s'éclaira d'un sourire carnassier. Bellatrix se sentait d'humeur joueuse. Mais elle devait rester inaccessible, lointaine. Même si leur jeu avait débuté autour d'une plume et que celle-ci en restait l'enjeux, les règles mutaient à force que les corps des deux jeunes gens agissaient comme des aimants. La tête de Bellatrix avait beau la rappeler à l'ordre, argumentant l'immense déception familiale si elle s'acoquinait avec un étranger issu du néant de l'inconnu et des familles aux noms vide d'éclat. Mais son corps murmurait une toute autre mélodie.

Un baiser est cher payé pour une simple plume. Finalement, je vais peut-être te la laisser. A moins que tu n'aies une autre idée d'échange, dit-elle avec un sourire. La balle était dans le camp de Dolohov.

Un très bref instant, le sourire de Dolohov se figea, et son regard se fit orageux. Il était en colère contre lui-même, d'avoir cru que Black allait rendre les armes aussi facilement. Il était en colère contre lui-même, d'avoir cru que cela suffisait. Il ne l'en aimait que plus, de lui mettre tant de bâtons dans les roues. Toute rancune envolée, son sourire s'élargit de plus belle tandis qu'il suivait la jeune fille du regard. Black traversa toute la salle, et daigna poser un bout de son royal fessier sur une table de cours pour lui faire face. Dolohov resta à l'observer un instant, réfléchissant à sa proposition : officiellement, même si aucun des deux n'était dupe, il n'avait pas cette plume. S'il s'avouait vaincu à cet instant, à l'instant même où Bellatrix se montrait disposée à marchander avec lui, il perdrait le peu d'estime qu'elle avait peut-être pour lui à tout jamais. Non, il devait revoir à la baisse ses exigences, car s'il poussait l'audace jusqu'à la laisser planter là (image ô combien séduisante), il savait pertinemment qu'elle ne le suivrait pas. Comme pour exclure définitivement ce scénario catastrophe, Dolohov poussa la porte jusqu'à ce qu'elle ne soit presque totalement fermée.

Oh, tout dépend de la qualité de la plume, répondit-il d'une voix rusée en plongeant ses mains dans ses poches pour faire quelques pas dans la classe. Et de celle du baiser, crut-il utile de rajouter d'un air malicieux.

Dolohov pouvait se vanter d'avoir son petit succès à Poudlard : ses larges épaules et son regard de glace faisaient chavirer bien des coeurs, même hors des rangs de Serpentard. Le jeune homme pourtant ne leur prêtait aucune attention, focalisé comme il l'était sur l'aînée des Black, tant et si bien que cette dernière avait une raison supplémentaire (bien qu'involontaire) de s'attirer la jalousie de la moitié de la gente féminine de sa maison.

Non vraiment, je trouve mon offre particulièrement intéressante, conclut-il avec une moue appréciatrice. Tu pourrais avoir la plume ET un baiser. Quel meilleur rapport qualité-prix pourrais-tu seulement imaginer pouvoir obtenir ?

Laissant à Bellatrix méditer sur sa réponse, Dolohov laissa son sac sur une table et se laissa nonchalamment tomber sur une chaise, avant de relever le menton et l'interroger du regard.

Il n'y avait guère plus que leurs respirations pour troubler l'éclatant silence qui suivit la déclaration d'Antonin. En voyant son air satisfait lorsqu'il posa son fessier sur l'une des chaises, Bellatrix sut qu'il attendait beaucoup de sa propre réplique. La réponse de l'aînée Black façonnerait la suite du jeu. Les règles changeaient et, imperceptiblement, les deux corps s'étaient rapprochés. Il n'étaient plus qu'à quelques mètres l'un de l'autre. Bellatrix se leva soudain et s'approcha de la fenêtre, les mains jointes dans son dos. Lui tournant le dos pour regarder dehors, elle sourit. C'était trop facile pour lui - autant corser l'affaire, que le jeu en vaille la chandelle. Sa stupide plume s'était envolée de son esprit et une unique pensée s'y était faufilée. Vaincre. Elle devait remporter leur partie d'équilibriste, coûte de coûte.

Une pensée lui vint alors. Fulgurante. Intrépide. Dangereuse. Et si elle lui faisait croire à sa victoire ? Elle ne l'en aurait que plus entre ses griffes. Bien qu'elle eut officiellement préféré embrasser le fessard d'un crabe-de-feu, elle devait bien reconnaître que ce petit avait du cran. Ceux qui avaient eu le fol courage de tenter de la séduire s'y étaient brûlé les ailes et rompu les os. Il était le premier à parvenir aussi haut et, ô miracle, à s'attirer son attention sans qu'elle ressente l'envie de l'envoyer s'écraser vingt mètres plus bas.

Son corps lui hurlait de céder à l'appel électrique de la peau d'Antonin; d'oublier son statut et d'accepter la défaite. Ou du moins, de reconnaître la réalité. A voix haute. Tu m'agaces, Antonin, dit-elle finalement en pivotant, sans pour autant revenir vers lui. Il y a chez toi une insupportable tendance à vouloir gagner. Elle avança vers lui, le visage fermé. Lorsqu'elle fut à moins d'un mètre de lui, elle se pencha et posa ses mains sur les genoux du jeune homme, approchant son visage à quelques centimètres du sien. Elle ouvrit la bouche et murmura, son regard planté dans celui du serpentard. Et tu es chanceux parce qu'aujourd'hui, je suis d'humeur à perdre, finit-elle.

Plus le temps s'écoulait dans un parfait silence, et plus Dolohov jubilait : c'était un moment d'une intensité rare qu'ils vivaient tous les deux, et le jeune homme le savait bien. Bellatrix ne disait rien, elle qui pourtant avait toujours une réplique cinglante à infliger à quiconque, en n'importe quelle circonstance. Peut-être pas celle-ci, à en croire la posture de la belle qui avait rompu le contact visuel pour s'éloigner de lui et lui tourner le dos. Dolohov ne broncha pas : il fallait bien reconnaître que sa chute de rein avait au moins autant d'attraits pour lui que son visage.

Tu m'agaces, Antonin, soupira-t-elle en pivotant vers lui, une expression indescriptible sur le visage. Il y a chez toi une insupportable tendance à vouloir gagner.

Dolohov ouvrit la bouche pour rétorquer quelque chose - après tout, c'était bien Sainte-Mangouste qui se moquait de la charité ! - mais se ravisa en voyant la jeune fille se diriger vers lui et pinça les lèvres de plus belle. Déstabilisé. Ce qui ne s'arrangea pas lorsque Bellatrix s'arrêta à ses pieds, et posa ses mains sur ses cuisses pour peser contre lui, les yeux rivés sur ceux du jeune homme. Celui-ci sentit son coeur rater un battement, tandis qu'une lueur sauvage se mettait à scintiller au fond de ses prunelles glaciales.

A perdre, vraiment, murmura-t-il d'une voix enjôleuse en levant doucement sa main vers le visage de la belle, affectant de remettre en place une mèche de sa somptueuse crinière derrière son oreille. Il effleura à peine la joue de celle-ci, mais ne parvint pas à ignorer les picotements qui lui brûlèrent le bout des doigts à son contact. Les lèvres du jeunes homme s'entrouvrirent tandis que son regard dérivait vers la bouche charnue de Bellatrix, à quelques centimètres de la sienne, et doucement Dolohov commença à réduire la distance entre leurs deux corps enfiévrés.

Ils n'avaient jamais été aussi proches ; à peine séparés par le rempart des convenances qui menaçait d'imploser. Corps et âme à son jeu, elle en oubliait les promesses faîtes à sa famille. Les mains appuyées contre les genoux d'Antonin, son visage à trop peu de centimètres du sien, sa bouche se languissant des lèvres du jeune homme qu'elle voyait s'approcher, Bellatrix comprit qu'elle ne pourrait pas résister. Les tours de passe-passe, les entourloupes ne servaient plus à rien.

Lorsque le souffle d'Antonin effleura la peau de son visage, la serpentard s'avoua vaincue, sans pour autant oublier de jouer sa dernière carte. Elle glissa sa main dans la nuque d'Antonin sans cesser de le regarder. Ses doigts passèrent dans ses cheveux châtains, tandis que ses yeux sombres tentaient de déchiffrer l'insondable âme de son concurrent. Ils jouaient toujours et Bellatrix comptait bien perdre avec panache. Il viendrait à elle, comme elle l'avait prévu dès le départ.

Sa deuxième main effleura la joue du serpentard. Le contact de sa peau électrisa le corps de la sorcière. Était-ce de l'attirance physique ? Elle devait bien s'avouer qu'elle n'en savait fichtre rien. Sa réputation négative n'avait d'égale que son ignorance dans les sentiments positifs. Bellatrix n'avait jamais aimé. Elle n'avait jamais abordé les côtes de ce monde si étrange qui semblait ne pas faire partie de son univers - celui des sang-purs, des mariages arrangés et des dotes conséquentes.

Ses deux mains dans la nuque d'Antonin, elle avança encore plus son visage jusqu'à ce que ses lèvres effleurent celles du serpentard. J'ai gagné, murmura-t-elle avec un sourire.

Même dans ses rêves les plus fous, jamais le délire n'avait été poussé aussi loin : aussi troublée que lui, Bellatrix avait posé ses mains sur son visage comme pour mieux le posséder, sans que cela ne parvienne à calmer le feu qui inondait ses yeux noirs. Antonin ferma un instant les yeux, savourant cette caresse inouïe dont il n'avait jamais osé rêver : le moment risquait d'être court, il le savait, aussi était-il décidé à l'inscrire à jamais en lettres de feu au plus profond de son âme, afin de ne jamais l'oublier. Ses doigts glacés étaient partout, effleurant d'une caresse sa pommette saillante, glissant doucement à la lisière de sa nuque pour rejoindre leurs collègues de l'autre côté du visage d'Antonin. C'est alors que les lèvres de la jeune fille frôlèrent les siennes pour lui murmurer la plus belle énormité de tous les temps : si c'était ça, perdre, Antonin était prêt à devenir le plus grand loser que personne n'avait jamais rencontré ni parmi les sorciers, ni parmi les moldus. Il rouvrit les yeux, remarquablement amusé, pour toiser Bellatrix qui, toujours à quelques centimètres de sa bouche, semblait attendre sa réaction, un sourire mystérieux vissé aux lèvres.

Bellatrix Black vient de m'embrasser, souffla Antonin en encadrant délicatement de ses mains le visage chéri de la jeune fille, et tu oses prétendre que j'ai perdu ?

On discernait dans la voix du jeune Dolohov une certaine réprobation moqueuse mêlée à une jubilation digne d'un enfant rendu au petit matin de Noël. Tout entier à son bonheur, le jeune homme mirait sur l'objet de tous ses fantasmes un regard qui avait le mérite de donner à voir à la jeune fille l'estime et la place que son propriétaire lui décernait dans son coeur - et il n'y avait qu'une seule personne résidant dans ce Panthéon, il n'y en avait jamais eu qu'une, et n'en aurait jamais d'autre. Dolohov se désintéressa un instant du visage de Bellatrix pour explorer son cou, se délectant du rythme accéléré du poul de la jeune fille qu'il pouvait sentir du bout des lèvres.

Faudra t'y faire Black, aujourd'hui c'est moi qui gagne, murmura-t-il doucement tout contre la gorge blanche de la jeune fille, avant de se redresser et l'envelopper de plus belle de son regard sombre, un demi-sourire mutin dessiné sur la bouche.

Bellatrix n'avait jamais rien vu de plus beau que l'admiration qu'elle lisait dans les yeux d'Antonin. Les artistes avaient-ils donc posé un tel regard sur leur muse ? Sa défaite prenait un goût tellement délicieux, qu'elle décida de s'y perdre complètement. Les mains du jeune Russe encadrant son visage, ses paroles amusées, le souffle sur son visage, tout semblait d'une perfection presque effrayante. Antonin ressemblait à un enfant ravi de remporter un prix. Bellatrix devait bien le reconnaître, elle avait perdu et elle était même prête à le reconnaître à haute voix.

Les lèvres d'Antonin s'aventurèrent dans son cou et l'adolescente ferma les yeux. Un sourire se dessina sur ses lèvres – franc, humain, de ceux qu'elle n'avait pour personne. Bellatrix n'était pas encore une folle hystérique et déshumanisée. Il en fallait cependant beaucoup pour gravir les monts de glace qui séparaient le monde et l'âme de la jeune fille. Le contact de la bouche du serpentard contre sa peau réchauffait son corps, faisant fondre toutes les barrières. Le sourire qu'elle vit poindre sur les lèvres du jeune homme ressemblait trop au sien lorsqu'elle remportait une partie pour qu'elle se laisse berner. « Je crois qu'à ce rythme, je vais m'y faire plutôt rapidement » répondit-elle avant d'attirer le jeune homme vers elle et de l'embrasser pour de bon. Au diable les convenances, au diable son éducation – au diable les Black.