Laisse-toi emporter dans mes bras - Garance [SUJET CLOS]

Il manqua basculer violemment en arrière lorsqu'elle le repoussa. Diable, elle avait de la force, cette fragile petite personne. Un demi-sourire sur les lèvres, le jeune homme la regarda s'éloigner. Il n'avait pas voulu la froisser ni même la mettre mal à l'aise - quoique - mais il semblait l'avoir touchée. Était-ce possible que deux étrangers, deux être ayant tant d'aversion l'un pour l'autre soient si... attirés ? Raphaël la regarda s'éloigner à grands pas. Pouvait-on être plus belle ? Alors que son regard d'acier se posait sur le doux balancement de ses hanches dans sa robe de soie verte, le jeune Français en oubliait ses préjugés, le Cartel, Poudlard, les Maraudeurs, tout ce qui représentait une barrière.

T'attends quoi ? fit alors Jonas en posant sa main sur l'épaule de Raphaël qui s'en dégagea d'un mouvement d'exaspération. Il enfonça ses mains dans les poches de veste de velours vert et traversa la salle à grands pas. Il arriva dans l'entrée, plongée dans l'obscurité. Il y faisait plus frais - comme si l'arche pour entrer dans la salle de danse dessinait une barrière. Le hall était sombre, calme et presque inquiétant. Raphaël regarda autour de lui. L'escalier, une table, les murs nus, où était-elle passée ? Il leva la tête vers les étages, priant qu'elle ne s'y soit pas réfugiée. Le son de la valse provenant du salon l'empêchait de penser. Il ferma les portes qui faisaient communiquer le hall et la salle et lâcha un soupir. Alors qu'il prenait la direction de l'escalier, la douce mélodie d'un souffle court lui parvint de sous l'escalier. Il descendit et contourna l'impressionnant monument de marbre, et... Elle était là, les pommettes rougies par leur danse et cette étrange situation dans laquelle ils s'étaient tous les deux retrouvés. Sa robe froissée d'avoir couru pour lui échapper, le souffle court de s'être ainsi cachée. Pourquoi l'avait-elle fui ? Était-il repoussant ? Avait-elle senti, elle aussi, qu'une alchimie toute nouvelle opérait entre leurs deux âmes ? Je te présente mes excuses, dit-il en lui tendant sa main pour la faire sortir de sa cachette. Il avait perdu de son masque de supériorité. Presque souriant, ses yeux se posèrent avec douceur sur le visage de la belle Garance.

Soudain, la musique se trouva assourdie, le fracas des talons hauts des femmes martelant le plancher disparut, le bruit des rires ne filtra plus à travers la porte qu'on avait refermée. Garance ravala à grand-peine sa salive, à l'affût du moindre bruit susceptible de trahir la présence de quelqu'un dans la même pièce qu'elle. En effet après quelque seconde, un soupir à peine perceptible traversa la salle, et des pas s'approchèrent de l'endroit où la jeune fille s'était dissimulée. Par réflexe, cette dernière se colla encore d'avantage au mur, espérant inconsciemment passer à travers et disparaître sans laisser la moindre trace. Un soupir de soulagement s'échappa de ses lèvres lorsqu'il apparut que les pas se dirigeaient vers l'étage... pour s'arrêter immédiatement et redescendre. Plus morte que vive, Garance sourcilla lorsqu'une paire de pieds élégamment chaussée de souliers noirs vernis s'arrêta devant elle, et releva lentement les yeux pour croiser de nouveau le regard de Raphaël. Il l'avait suivie. Je te présente mes excuses, lui assura-t-il en tendant la main vers elle, un sourire hypocrite vissé sur son sublime visage. La jeune fille se raidit immédiatement, interprétant le geste de séduction du Français comme une tentative pour la prendre au piège. D'un geste fluide, elle porta la main à sa coiffure et se débarrassa de sa baguette magique, dont elle se servait comme d'un pique à chignon, pour adopter immédiatement une posture clairement défensive.

Laisse-moi passer, ou tu risques de le regretter, parvint-elle à murmurer d'une voix déterminée, son regard furieux braqué sur le sien. S'il croyait qu'elle allait gentiment se laisser faire, ce jeune homme se fourrait définitivement la baguette dans l'oeil. Garance se sentait capable de le stupefixer et de le dissimuler dans un placard à balais, sans ressentir le moindre remord. Pas le moindre.

L'atmosphère glaciale du hall d'entrée avait refroidi la relation naissante entre les deux jeunes gens. Raphaël s'en rendit d'autant plus compte lorsqu'il se retrouva menacé par la baguette de la jeune fille. Il recula sa main pour la placer avec élégance dans la poche de son pantalon et prit un air décontracté. Je crois que ta réaction est un peu exagérée, Garance, dit-il avec un léger sourire d'amusement. Qu'as-tu donc à me reprocher, à part de t'avoir fait danser ? Il savait très bien qu'il s'aventurait sur un terrain dangereux. Elle pouvait lui reprocher mille choses sur cette soirée, à commencer par cet insupportable petit sourire qu'il conservait sans cesse vissé à ses lèvres. Mais Raphaël était ainsi. Cynique et ironique, il prenait tout à la légère et à la rigolade. Rien ne valait, à ses yeux, de perde son sang-froid ni de se prendre la tête. Quelque chose s'était passé entre eux, là-bas sur la piste de danse. Et cela, elle ne pourrait pas le nier. Ou du moins pourrait-elle dire à voix haute qu'elle n'avait rien ressenti, mais il verrait dans ses yeux le mensonge. Le serpentard était devenu assez bon pour discerner le mensonge, tant ses parents en avaient usé pendant toute son enfance.

Ecoute Garance, si ma présence t'es insupportable, je préfère me retirer. Je n'ai pas dans l'idée de déclencher une troisième guerre mondiale. Il hésita une fraction de secondes, puis fit un rapide mouvement de tête pour lui dire au revoir et tourna les talons, rejoignant l'endroit où les manteaux étaient tous réunis. Il récupéra le sien et rejoignit le hall, d'où Garance n'avait pas bougé. Il passa son manteau puis s'approcha de Garance, conscient qu'il jouait avec le feu qu'il voyait brûler derrière les prunelles de la jeune fille. Tu ne peux nier ce qui s'est passé ce soir, dit-il avant de prendre la direction de la porte. L'arrêterait-elle ? Il n'en savait rien, mais il sentait bien que l'affaire ne s'arrêterait pas là.

Lorsque le jeune homme replia son bras et glissa nonchalamment sa main dans la poche de son pantalon, Garance termina par consentir à baisser sa garde, légèrement plus calme. C'est de ce moment dont Raphaël profita pour rouvrir la bouche, la voix enjôleuse, et que le coeur de la jeune fille, qui s'était un peu calmé, fit une nouvelle embardée. Qu'as-tu donc à me reprocher, à part de t'avoir fait danser ? lui avait-il susurré, et la Gryffondor plissa des yeux, soudainement soupçonneuse. Avait-elle donc été la seule à être traversée par ce frisson impérieux, cette connexion entre deux êtres que rien si ce n'est le monde entier n'opposait ? Cette pique lancée par le Serpentard semblait le démontrer.

La jeune fille entreprit de dévisager très soigneusement le visage de son cavalier, à l'affût du moindre signe figurant qu'il se fichait d'elle. Mais rien n'apparaissait sur le visage si lisse du Serpentard, rien si ce n'est ce qu'il voulait bien montrer de lui, à savoir son éternel et horripilant sourire en coin, celui qu'il arborait aussi bien lorsque ses yeux riaient ou qu'ils fusillaient la personne d'en face. Garance n'était pas en mesure de l'interpréter pour le moment, à sa grande frustration : Raphaël restait une énigme sur laquelle elle ne s'était jamais penchée auparavant. C'est alors que le jeune homme la surprit une nouvelle fois, car il battit soudainement en retraite et lui annonça qu'il prenait congé, et cette fois fit réellement ce qu'il dit. Il disparut en effet un cours instant dans le vestiaire et en sortit vêtu de son manteau, sous le regard interdit de Garance, une nouvelle fois prise au dépourvu. Au bout d'une seconde, elle secoua la tête, reprenant ses esprits.

Alors bonsoir, je ne te raccompagne pas, lui lança-t-elle sèchement en lui tournant le dos pour amorcer un retour vers la salle de danse : s'il souhaitait s'en aller, elle n'allait sans doute pas le retenir, il semblait connaître la sortie.

Tu ne peux nier ce qui s'est passé ce soir, entendit-elle soudainement dans son dos, comme un écho à ses propres pensées : la jeune fille se figea sur place, le coeur battant à tout rompre. Alors lui aussi avait ressenti cette étrange alchimie, elle en avait à présent la preuve. Garance se retourna brusquement et ouvrit la bouche, à la fois surprise et furieuse, pour la refermer immédiatement : elle ne savait pas que répondre à une telle affirmation sans risquer de se trahir.

Que lui restait-il à faire ? Se taire, le laisser dire, ne pas relever, et continuer sur sa route ? Risquer de passer à côté de quelque chose, quelque chose dont elle n'avait pas la moindre idée, qui risquait de lui faire plus de mal que de bien, de lui brûler les ailes et de la laisser à terre ? Ou plutôt revenir sagement vers sa famille, reprendre sa soirée là où elle s'était arrêtée et faire comme si rien ne s'était passé ? En réponse à toutes ces questions, Garance se dirigea à son tour d'un pas déterminé vers le vestiaire, attrapa le premier manteau qui lui vint sous la main, une lourde cape assez grande pour couvrir Hagrid lui-même, et rejoignit en quelques enjambées Raphaël près de la porte.

Tu permets, persifla-t-elle en lui passant devant, se drapant de l'air le plus digne possible dans sa cape trop grande, avant de tirer la lourde porte d'entrée du Manoir de Talmon. Une bourrasque glacée l'accueillit immédiatement, et la jeune fille faillit faire demi-tour et planter là le jeune homme. Trop tard, lui murmurait sa conscience à l'oreille, et Garance tira avec mauvaise humeur le capuchon de fourrure sur sa tête pour se défendre contre la morsure du froid, avant de se tourner vers Raphaël.

Et que s'est-il passé, selon toi ? osa-t-elle alors lui demander, les yeux vrillés sur les siens. Garance ne comprenait pas d'où lui venait ce courage, de suivre ce louche personnage seule dehors, à l'abri des regards et des oreilles, et par-dessus le marché de l'acculer de la sorte, à la limite de l'agression. Elle n'avait bien sûr pas peur de Raphaël, qui la surplombait pourtant d'une bonne vingtaine de centimètres : elle n'avait pas peur de ce qu'il pouvait lui faire physiquement, car le doux contact du bois patiné de sa baguette l'assurait qu'elle était en mesure de se défendre. Ce dont elle avait peur était ce sentiment qui lui perforait le coeur et lui coupait le souffle, dont elle n'avait pas la moindre idée de la façon de l'éradiquer, et qui dépendait de ce que Raphaël allait lui répondre.

Spoiler:

Elle le bouscula pour sortir la première. Décidément, il commençait à la connaître plutôt bien. Il savait qu'elle ne lâcherait pas le morceau aussi facilement. La porte claqua dans son dos, enveloppant les deux adolescents dans le froid et le silence. Il la regarda, emmitouflée sous sa cape à la capuche doublée de fourrure, sa sublime robe verte dépassant. Comment n'avait-il pas pu remarquer avant combien elle était belle ? Il n'avait jamais pris le temps de poser son regard sur son visage, de dessiner chacun de ses traits, trop occupé à mépriser son entourage. Il ne l'avait vue que comme la bonne poire accompagnant les Maraudeurs. Et il découvrait ce soir qu'elle était tellement plus, rien de tout ça. Sa voix se fit agressive. Le Français voyait ses yeux briller - fulminait-elle, ou bien essayait-elle de cacher qu'elle avait, elle aussi, senti ce qui les avait fait vibrer ? Il descendit les quelques marches du perron et enfonça ses mains dans les poches de son pantalon.

Il fit quelques pas sur l'allée de graviers, levant la tête vers la lune. Elle était là, imperturbable. Combien de choses lui avait-il confié depuis son enfance, elle le témoin silencieux de ses désirs et de ses tristesses ? Et ce soir, encore, elle était la spectatrice muette d'une autre scène de sa vie. Il esquissa un sourire franc, puis se retourna vers Garance et avança vers elle. Lentement, pour ne pas l'effrayer. De grands arbres bordaient l'allée de graviers, un petit banc en fer forgé blanc était caché entre deux arbustes et, au loin, une chouette chantait sa sérénade dans le silence nocturne. Il posa son regard émeraude sur le visage de la gryffondor et sourit, pour la première fois, avec franchise et douceur. Il hésita à tendre sa main, puis voyant qu'elle était sur ses gardes, il ne préféra pas. Ce qu'il s'est passé, Garance ? répéta-t-il, comme s'il se posait à lui-même la question, rêveur. Un frisson, murmura-t-il en la regardant comme il ne l'avait jamais regardée, les yeux brillants de cette émotion toute récente, le ventre tordu de ce mal inconnu. Son murmure se perdit dans le silence assourdissant qui les enveloppait.

La jeune fille le suivit avidement des yeux tandis qu'il partait à l'aventure dans le jardin de ses grands-parents : si quelqu'un avait eu le génie de lui prédire cette scène, Garance lui aurait très certainement ri au nez, tant la perspective même de se retrouver en tête-à-tête avec le jeune homme autrement que lors d'un duel lui semblait incongrue. Et pourtant le destin en avait décidé autrement, car Raphaël était là, avec elle, et avançait dans la neige les mains dans les poches, arborant la même démarche fière qu'à Poudlard, quand il pavanait avec ses amis dans les couloirs. Car oui, il était égal à lui-même, du peu que Garance pouvait le connaître, la même gravure de marbre, digne représentation d'un ange noir vêtu de luxueux vêtements et d'un masque de froideur, que la Gryffondor s'était fait un devoir d'exécrer pour ne pas reconnaître qu'elle le trouvait singulièrement beau. Mais cette résolution ce soir avait comme volé en éclat, foudroyant la belle sur place, la confrontant à ses contradictions, à ces principes de fière Rouge dont le coeur ne peut pas s'emballer de la sorte sous le regard cajoleur d'un vile Serpentard, même des plus séduisant... Et pourtant son regard brillant, ses joues rosies, son corps fébrile et ses jambes qui manquaient de ne plus la soutenir, ce besoin impérieux de se porter à hauteur du jeune homme et de sentir les battements de son coeur : tout cela la trahissait, et la jeune fille restait immobile, comme en plein dilemme. Devant elle, Raphaël, sans doute inconscient de son trouble, admirait la Lune, au lieu de répondre à sa question, ce qui n'arrangeait en rien la pauvre Garance, qui continuait de trembler, seule sur le perron.

Elle n'était toutefois pas au bout de ses peines, car déjà son compagnon revenait lentement vers elle, adoptant la même démarche que celle d'un félin, et elle la posture d'une proie, fascinée et figée sur place : à sa merci. Ce constat, qui quelques heures plus tôt lui auraient arraché un frisson d'effroi, lui faisait à présent l'effet d'un baume chaleureux, qui envahissait sa cage thoracique et enveloppait son coeur d'une étreinte bienveillante, la rendant incapable de bouger tandis que le Serpentard arrivait presque timidement à sa hauteur, face à elle, si grand qu'il lui cachait la vue de la lune, et plongeait son visage dans une semi-obscurité. Tant mieux, car sa réponse, celle qu'elle attendait depuis déjà plusieurs minutes, ne tarda pas à traverser la barrière de ses lèvres : Un frisson, murmura-t-il d'une voix caressante, comme soucieux de déclencher exactement cette réaction chez la jeune fille, ce qui fonctionna à merveille. La conscience de Garance commençait à se rebeller, ulcérée d'être associée à un tel flan, mais le moment était tel que c'était comme si elle ne l'entendait pas, toute entière à ce coup de foudre qui la déconnectait totalement de sa réalité. Son coeur battait à un rythme tel que la Gryffondor craignait que Raphaël, qui se tenait si proche d'elle (et si désespérément loin à la fois !) ne l'entende et ne se moque d'elle.

Ce doit être ça, oui, ne trouva-t-elle pas mieux à souffler, en levant son regard vers celui du jeune homme, qui était vrillé sur elle : son intensité lui coupa le souffle, et ses yeux s'écarquillèrent sous la surprise de lire tout ce que Raphaël la laissait lire en lui. Sans même s'en rendre compte, la jeune fille s'était rapprochée de lui, telle Icare attiré par la flamme, poussée par sa quête d'inaccessible, sourde aux conseils de tous les Dédales du monde.

Spoiler:

Raphaël s'était perdu dès qu'il avait mis un pied chez les De Talmon. Il s'était perdu dès qu'il avait posé les yeux sur Garance, dans sa sublime robe. Il s'était perdu, à tout jamais, dès qu'il l'avait faîte danser. Leurs mains s'étaient touchées, leurs corps s'étaient frôlés et dans la grande salle pleine d'invités, ils n'avaient plus été que deux adolescents égarés, perdus dans l'immensité d'un sentiment qu'ils découvraient et qui ravageait leurs inconscients. Tous les beaux principes, les si brillants idéaux de Raphaël s'étaient envolés à l'instant même où Garance l'avait suivi dehors, dans le froid glacial de cette nuit d'hiver. Dans son complet de velours, le jeune homme tentait de conserver un minimum de cette froideur qui faisait sa renommée. Mais à l'intérieur, sous les couches de glace, sa résistance se liquéfiait, comme un iceberg en plein soleil. Il flottait à la dérive sur l'océan de ses certitudes, abandonné à lui-même. Et l'unique bouée de sauvetage qu'il pouvait attraper, si près de ses doigts tendus, était la bouche de Garance - un ancrage où se reposer, après avoir affronté les éléments.

Elle s'était rapprochée. Était-ce volontaire ? Avait-elle tout calculé ? Sentait-elle la tension émanant de son corps ? Raphaël ne voulait plus se poser de telles questions. Il ne voulait plus avoir à réfléchir. Juste à s'oublier sur cette bouée. Il quitta la contemplation de ses yeux pour celle des étoiles qui subsistaient entre les nuages du ciel pollué de Paris. Sa main glissa sur le côté, touchant celle de Garance. Il n'y avait plus de réflexion. Plus de pragmatisme. Plus de calculs. Seulement le battement de leurs cœurs.

Garance aurait sans hésiter dilapidé toute une fortune qu'elle n'avait pas et n'aurait jamais pour avoir la moindre idée de ce qui se passait à cet instant précis dans l'esprit tortueux de Raphaël Febvre. Il la fixait avec une insistance égale à la sienne, mais la jeune fille ne parvenait pas à se mettre d'accord avec elle-même concernant le sens qu'il lui fallait y donner, et se vautrait dans sa confusion avec la délectation d'une première fois. Car oui, c'était la première fois, la première fois que son coeur prenait ainsi les commandes de son esprit et du reste de son corps de manière aussi absolue et irrésistible. De toute façon, la jeune fille ne résistait plus depuis déjà bien longtemps, depuis le moment en fait où ses pieds avaient irrémédiablement pris le contrôle de sa personne toute entière et l'avaient menée dehors, sur les pas du Serpentard.

Ils étaient tous les deux très proches, à présent, et malgré la barrière de leurs manteaux respectifs, Garance croyait à présent percevoir assez distinctement le rythme effréné du coeur de celui qui lui faisait face. Profitant de l'occasion inespérée de Raphaël qui levait soudain les yeux vers le ciel pour ne plus soutenir son regard, la jeune fille rassembla tout son courage et posa doucement ses doigts sur la poitrine du jeune homme, au moment même où ce dernier frôlait les doigts de son autre main. Son coeur à elle fit une nouvelle embardée tandis qu'elle réalisait qu'ils avaient eu le même réflexe au même moment, et soudain cela fut comme une évidence dans l'esprit de la jeune fille. Mue par un courage qu'elle ne se soupçonnait pas le moins du monde, Garance s'étira sur la pointe des pieds et posa délicatement ses lèvres sur celles de Raphaël, scellant leurs deux destins en un doux baiser.

Qu'elle était belle, sous cette lune rayonnante. Raphaël ne se serait jamais cru aussi sentimental. Lui qui fuyait tout épanchement du cœur et de l'âme ; lui qui avait enveloppé sa sensibilité d'une muraille de glace se retrouvait désarmé face au regard brillant de Garance. Aurait-il cru succomber au charme de la jeune fille en accompagnant sa mère pour un événement mondain ? Et s'il n'était pas venu ? S'il avait décidé de rester au coin du feu avec un livre d'histoire au lieu de se vêtir comme un pingouin ? Toutes ses certitudes basculaient dans l'infini de l'inconnu. La belle brune semblait toute aussi perdue que lui. Pourtant, leurs corps surent se trouver, comme une boussole trouve le pôle nord. Dans la glaciale nuit d'hiver, les deux jeunes gens se frôlèrent, puis se touchèrent. Au moment même où la main de Raphaël prenait celle de Garance, celle de la jeune fille se posa sur son torse. Son souffle s'arrêta un court instant. Et lorsque les lèvres de la belle brune se posèrent sur les siennes, il pu de nouveau respirer.

Le serpentard fut démuni. Il n'avait pas pensé que la situation tournerait ainsi. Et même si son esprit lui hurlait qu'il faisait une erreur, ses mains trouvèrent le chemin des hanches de Garance, sous le manteau qui la protégeait du froid. Ses doigts rencontrèrent la douce étoffe de sa robe, tandis que ses lèvres se réchauffaient, au contact de celles de Garance. Que faisaient-ils ? Ils étaient si différents. Lui serpentard, elle gryffondor. Pourtant, à bien y réfléchir, ils étaient les mêmes. Deux âmes en quête d'amour et, malgré tout ce que Raphaël aurait pu objecter à une telle affirmation, lui aussi voulait tomber amoureux. Lui aussi voulait connaître les battements d'un cœur s'emballant. Ce n'était pas de l'amour, entre Raphaël et Garance ; du moins pas encore. Mais lorsqu'il recula son visage, lui souriant avec toute la douceur dont il était capable, il su qu'il ne regrettait pas. Ils avaient du temps pour apprendre à se connaître et à s'aimer. Le destin avait voulu qu'ils se retrouvent tous deux en ce soir de fête, sans leurs amis de Poudlard. Car l'univers de l'école compliquerait tout, il le savait. Mais là, ses bras entourant la taille fine de Garance, il ne voulait plus que penser à elle. Et à elle seule. Il laissa son regard se perdre dans les yeux sombres de la belle Folkhart, la laissant lire dans ses propres yeux tout ce qu'il était. Les barrières de glace fondaient, le mur de pierre s'écroulait. Raphaël posa tendrement sa main sur le visage de Garance, lui caressant la joue. Un sourire s'étala sur ses lèvres, tandis qu'il admirait les traits de la jeune fille. Tu es belle, murmura-t-il, brisant le silence de la nuit étoilée.

Et soudain ce fut comme une implosion, la rencontre fortuite entre la glace sibérienne et la lave en fusion, tandis que Raphaël répondait au baiser de Garance et faisait lentement glisser ses mains sur la soyeuse matière de la robe de la jeune fille. La Gryffondor, toute entière à son étreinte, ne nota même pas combien les lèvres du Serpentard étaient glacées et leva une main jusqu'à la poser sur la gorge du jeune homme, avide de sentir si le sang qui pulsait dans ses veines était aussi impétueux que le sien. Elle pouvait ainsi sentir les battements rapides de son coeur, qui répondait au sien à l'unisson, à un rythme plus tempéré toutefois. Ce fut d'ailleurs Raphaël qui mit un terme à leur baiser et Garance se laissa légèrement retomber en arrière, de pleins pieds, avant de relever les yeux vers le Serpentard avec une petite moue gênée.

Tu es belle, lui murmura-t-il en posant sa main sur la joue de Garance, arrachant à cette dernière un sourire timide et une rougeur à peine masquée par l'obscurité qui régnait dans ce jardin d'hiver. Comment un être d'abord si froid pouvait-il s'adresser à quelqu'un et agir avec une telle douceur ? Raphaël posait sur elle un regard indéchiffrable, mais pas ce regard insondable qui entraînait chez les autres un sentiment de malaise, non, un regard qui jetait Garance dans un trouble tel qu'elle se trouva forcée de tenter de changer un peu de sujet.

J'ai toujours cru qu'en fait, tu étais une magnifique statue dotée de mouvements, avoua-t-elle en riant de sa propre bêtise, avant d'oser de nouveau lever les yeux vers lui, qui la dépassait de tant de centimètres, mais j'avais tort, souffla-t-elle d'une voix malicieuse avant de s'écarter de Raphaël, soudain de taille à affronter l'adversité. Et si je te faisais visiter ? Enfin, ou toi en fait, tu dois connaître l'endroit mieux que moi, reconnut-elle humblement en réalisant qu'elle ne savait même pas où se trouvait le jardin aux roses dont lui avait tant parlé sa mère.

La main de la gryffondor sur son cou laissa comme une marque brûlante. Sa peau, réagissant au contact des doigts glacés de la jeune fille, s'électrisait de cette rencontre entre le feu et la glace. Ils n'étaient plus qu'émotions, perdus das l'immensité insondable de l'inconnu et du temps. Plus rien ne vivait autour d'eux, si ce n'était la Lune illuminant d'argent leur première étreinte et leur premier baiser. Raphaël sentait son sang battre à la vitesse d'un cheval lancé au galop. Mais lorsque sa main, posée sur la joue de Garance, glissa dans son cou, il réalisa que ce trouble qui l'envahissait vibrait dans tout l'être de la belle brune.

Ils s'éloignèrent, perçant le silence nocturne de leurs voix. Un sourire amusé courba les lèvres du serpentard à la mention de sa ressemblance avec une statue. Sa peau pâle de Français peu enclin aux longues heures sous le soleil lui donnait le teint d'une sculpture de marbre, tandis que son visage peu expressif confortait les étrangers dans leur sentiment de gêne face à son apparente indifférence. Mais les étoiles dans les yeux de Garance, sa main posé dans son cou, ses lèvres pressées contre les siennes - tout semblait l'éveiller. Il ne répondit pas, se contentant de sourire légèrement, avant de la suivre vers le jardin, ne pouvant détourner ses yeux de son visage. Je ne suis venu qu'une fois ici, donc je suppose que tu connais bien mieux cet endroit. Cependant, j'ai le souvenir d'une roseraie, dit-il en prenant la direction de l'arrière du domaine. Ses doigts se glissèrent dans la main de Garance, s'enlaçant dans les siens. A moi, donc, de te faire visiter, ajouta-t-il avec espièglerie. Elle éveillait en lui des trésors de vie dont il se pensait dénué.

Les deux jeunes gens entreprirent donc de calmer les battements affolés de leurs coeurs respectifs en se lançant plus sagement à la recherche de la précieuse roseraie du domaine De Talmon. Sa main lovée dans celle de Raphaël, Garance entreprenait à présent de remettre ses idées en place, encore abasourdie par un tel revirement de situation. Lorsqu'il s'était présenté face à elle, son premier réflexe avait été le recul. Ensuite était venu le temps du trouble, et le moment où leurs corps les avaient tous les deux trahis au milieu de la foule indifférente. Puis le repli désespéré de Garance, consciente de ce qu'une telle alliance ne pouvait lui apporter que tourment et souffrance. Et enfin, l'abandon, ou ce moment délicieux lors duquel ils avaient tous les deux rendu les armes en un baiser qui n'aurait sans doute jamais eu lieu d'être en une autre date et un autre lieu.

C'est la première fois que je visite le jardin sans mes cousins, souffla-t-elle comme une confidence à son compagnon, en resserrant ses doigts autour des siens tandis qu'il la menait derrière le manoir. L'obscurité les enveloppa de plus belle, et Garance passa quelques secondes à scruter les profondeurs sombres du jardin avant de discerner le chemin que lui faisait emprunter Raphaël, qui semblait s'y retrouver comme chez lui malgré ce qu'il lui avait dit.

Tu comptes me perdre dans les bois, c'est ça ? s'amusa-t-elle soudainement d'une voix malicieuse lorsqu'il la fit bifurquer une nouvelle fois derrière un bosquet, achevant de la perdre dans ce labyrinthe végétal. Comme si tu n'étais pas déjà suffisamment perdue comme cela, lui souffla sournoisement une petite voix dans sa tête, qui se présenta sous le nom de conscience. Et soudain, la jeune fille se raidit franchement, une sombre pensée traversant comme une flèche son esprit plus prompt à s'affoler : et si tout cela n'était qu'un piège, et s'il n'attendait qu'une bonne raison pour lui faire du mal ? Et s'il n'avait jamais cessé d'être un ami de Rogue et Rosier, et s'il n'avait jamais cessé d'être l'ennemi des Maraudeurs ? Et si elle était en danger ?

Les gravillons de l'allée craquaient sous les pas des deux jeunes gens qui, main dans la main, marchaient vers la pénombre abritée de la roseraie. L'imposante demeure parisienne s'éloignait pour laisser place à l'inconnu excitant de l'obscurité vers laquelle Raphaël les menait tous deux. La confession de Garance provoqua l'apparition d'une image plutôt singulière dans l'esprit du jeune homme. Une petite fille brune entourée d'autres enfants, courant sur l'herbe du jardin vers les roses, riant aux éclats tandis qu'il les observait, caché derrière une haie et le regard brillant et envieux d'une telle énergie qui semblait lui manquer. L'avait-il donc déjà rencontrée, bien longtemps avant Poudlard ?

Les haies s'élevaient autour d'eux, cachant l'union de leurs doigts et leurs cœurs affolés à la vue et à l'ouïe des convives insouciants du tableau se jouant sous le couvert des branches encore vides de fleurs. L'hiver avait rongé la beauté des roses, n'en laissant qu'épines et branches nues. Mais Raphaël se souvenait de la beauté de cet endroit. Et il avait la plus belle rose d'entre toutes à son bras. C'est exactement mon souhait, répondit-il, espiègle. Alors qu'ils avançaient, s'enfonçant plus loin encore dans l'inconnu vertigineux à leurs pieds, Garance s'arrêta vivement. Raphaël se retourna, étonné. Elle semblait perturbée, comme si une avalanche de questions venait de la percuter, découvrant devant elle toutes les difficultés que cette si belle soirée apportait. Ils allaient avoir à faire des choix, qui chambouleraient tout. N'étaient-ils pas d'extractions différentes ? Lui, le Français né-moldu si honteux de son ascendance et perdu dans des mensonges le trompant lui-même. Elle, l'Anglaise sang-pur n'ayant cure de ses origines et mordant la vie à pleines dents, vraie et confiante. Deux antagonismes.

Garance, qu'est-ce qui se passe ? Tu veux qu'on se rapproche de la maison ? Dis-moi si ça ne te convient pas, ici. Finalement, c'était plus beau en été, quand les roses étaient écloses... Concluant ainsi, il tourna les talons et fit quelques pas pour revenir sous le rassurant halo argenté de la lune, peignant le gazon de reflets brillants. Que n'aurait-il donné pour être dans la tête de sa compagne à cet instant.

Garance n'interpréta pas mieux le ton espiègle que le jeune homme venait de prendre, osant pour la première fois comparer ce charmant Raphaël à l'image qu'il lui renvoyait à Poudlard de l'effrayant garçon trop beau pour être honnête. Pouvait-elle être cause d'un tel revirement de situation ? Mille et une questions se bousculaient dans le crâne de la Gryffondor, ne pouvant croire qu'elle pouvait être cause de ce que l'une des terreurs du Cartel de Serpentard se soit subitement transformé en un garçon fréquentable par son seul fait. Non seulement fréquentable, mais gentil et prévenant, tel qu'il le prouva en s'inquiétant de son soudain mutisme pour lui proposer de retourner du côté de la maison et de son cadre tellement plus rassurant. En effet le bal continuait dans le grand salon, les danses s'enchaînaient, la jeune fille pouvait entendre les différents accords qui s'échappaient dans le jardin par les hautes fenêtres qu'un domestique venait probablement d'entrouvrir pour délivrer aux protagonistes de cette belle soirée un léger courant d'air salutaire.

Raphaël commençait à parler pour ne plus rien dire, ce que Garance interprétait de nouveau comme le signe que quelque chose ne tournait pas rond chez lui : parler pour ne rien dire revenait 1) masquer quelque chose, et plus on parle pour ne rien dire, plus cette chose est grosse 2) à distraire l'attention de son interlocuteur, le rendre vulnérable 3) n'avoir rien à dire à son interlocuteur car ils sont trop différents et n'ont rien à se dire. Dans le cas présent, les trois théories trouvaient un écho dans l'esprit affolé de la jeune Folkhart, qui voyait partout des signes de ce que cette situation n'avait aucun sens, si ce n'est un but tordu du côté de Raphaël dont elle ne s'expliquait pas bien les motivations. Fermement convaincue que le Serpentard en se comportant ainsi envers elle ne pouvait qu'avoir de sombres intentions, et niant obstinément l'apparition de cette alchimie qui s'était opérée entre eux quelques minutes plus tôt, Garance décida de prendre Raphaël par surprise.

Et pourquoi tu fais ça, au juste ? lui lança-t-elle d'une voix sensiblement transformée, un peu frondeuse mais à l'accent rendu quelque peu hystérique par la sensation de danger éprouvée. J'veux dire être gentil, comme ça, comme si... Comme si t'étais pas méchant, dans le fond !

Sa voix était montée crescendo au fur et à mesure que les mots qu'elle se répétait dans la tête depuis cinq minutes lui échappaient dès qu'elle voulait les prononcer à haute voix, et avait crevé la quiétude de la nuit comme une aiguille perce une baudruche. Ses mots étaient violents, plus qu'elle ne l'avait désiré, mais le message au moins avait le mérite d'être clair : Garance referma la bouche, le visage fermé et les sourcils froncés, la posture de suite plus froide. Raphaël, qui avait fait quelques pas devant elle, vers la maison, se tenait immobile nimbé par la lumière de la lune, la mine aussi impénétrable que la sienne. Merlin, qu'avait-elle donc fait ?

Les yeux levés vers la résidence De Talmon, Raphaël voyait, dans son ombre, se découper la forme de sa propre maison. Le Français n'aimait pas l'endroit où il avait grandi. Trop grand, trop vide, trop bien ordonné. Pas un espace d'intimité, pas une once de spontanéité. Tout était codifié, contrôlé, géré chez les Febvre. Sa présence à ce gala et sa rencontre avec Garance faisait-elle finalement partie de l'immense plan qu'avait construit sa mère bloc par bloc depuis son enfance ? Était-il toujours la victime d'un complot qu'il pensait être parvenu à fuir depuis plusieurs années ? Le doute s’immisça dans l'esprit de l'adolescent - sombre et glacial. Il frissonna légèrement avant de se retourner, la voix de Garance le tirant de ses pensées.

Le masque tomba et il ouvrit de grands yeux, éberlué. C'était donc cela, que l'on disait de lui. Méchant. Le mot résonna à ses oreilles, emplissant son âme d'incompréhension. Il était distant, froid, calculateur et silencieux. Mais pas méchant. C'est donc ça que tu penses de moi, lâcha-t-il. Son regard s'était fait dur. Que je suis un genre de monstre sans cœur à l'expression de marbre, ajouta-t-il en enfonçant ses mains dans ses poches. Je suis ravi de l'apprendre, ça permet au moins de mettre les points sur les I, dit-il en affichant un petit sourire satisfait.

Raphaël fulminait. Alors qu'il était parvenu à être sincère avec Garance pendant la dernière demi-heure, il redevenait l'abruti que Poudlard et ses mensonges avaient forgé ; l'adolescent incapable de se tirer d'une situation embarrassante par autre chose qu'une pirouette et de l'ironie au vitriol. La remarque de la gryffondor l'avait poussé dans ses retranchements, éveillant sa méfiance et la réaction qui en avait découlé. Et il s'en voulait. Après tout, il avait forgé cette réputation qui le desservait à présent aux yeux de Garance. Jour après jour, année après année, méticuleusement, il avait gardé secret la personne qu'il était réellement et s'était inventé un passé, ainsi qu'un présent et un avenir. Et ses mensonges le rongeaient.

Il regarda Garance puis détourna la tête. Les yeux de la brune étaient un miroir de plus reflétant l'immense supercherie qu'il était devenue. Sincère et vrai dans l'heure passée, il pouvait le redevenir. Mais n'avait-il pas perdu la poussière de confiance que Garance semblait avoir accepté de lui confier ? Pardonne-moi, murmura-t-il. Tu vas trouver ça stupide et tu auras bien raison. Je ne suis pas vraiment moi, à Poudlard. J'ai menti, depuis mon arrivée. Était-ce intelligent de tout lui révéler ? Il ne voulut même plus se poser la question. Je suis de sang moldu, mes parents n'ont pas une once de magie dans les veines, dit-il finalement en fuyant son regard. Il n'avait pas encore la force suffisante pour l'affronter de face. Marlène et moi, ce n'était que du vent, pour cacher mes origines et agacer son père. Il y avait tant de choses à dire, tant de vérités à révéler. Mais il fallait faire un petit pas.

Il finit par la regarder.