Le regard tourné vers la fenêtre, observant en silence. L’archè frôle lentement les cordes au rythme de mes envies. Lentement, s’accélère. Je ferme les yeux. Je savoure. Le son parfait du la des cordes qui vibrent. Mes doigts se déplacent les uns après les autres, tremblent et reviennent. J’ai cessé de réfléchir depuis longtemps. J’imagine une pluie d’étoiles filantes. Et soudain, une météorite s’écrase juste sur Lyleïa. Je tremble de tout mon corps. Et j’ouvre les yeux. Un cauchemar. Je suis poursuivie. La musique est mon seul échappatoire. Par pitié laissez-moi tranquille. Je n’aurais même pas dû avoir le droit de garder mon instrument. Mais c’est la seule chose qu’il me reste, alors ils ont fait une légère entorse. Et puis, ma musique n’a pas l’air de déplaire. Alors je joue. Encore et encore, jusqu’à ce que les mains se mettent à saigner, jusqu’à ce que je n’arrive plus à discerner les notes. Parfois, Lyl me regarde plus qu’elle ne m’écoute. Elle me regarde me balancer sur la mélodie, tournant à gauche, à droite, fermant les yeux pour sentir les vibrations parcourir mon corps. C’est une sensation agréable. Je libère mes endorphines et je profite de l’instant présent.

Et il y les moments de rages après ça. Les moments de douleur. Quand on me pose une question, j’ai envie de dire des trucs enragés, des trucs horribles blessants, de déverser tout un torrent de méprises et de partir loin me cacher. Je pourrais y arriver je crois. A vivre en ermite, seule, cachée dans les bois. Non, tu rêves ma chère, tu es trop précieuse pour ça, réveille toi. Et j’ai froid, tout le temps. Je me sens comme si il n’y avait rien en moi. Juste un cœur vide qui s’emballe trop vite. Un vide abyssal s’empare de moi, m’enrôle et me tourmente. La saveur du rouge écarlate m’arrive en bouche. J’essaye de cracher mais en vain. Je suis en train de mourir. Je suis en train de finir mes jours toute seule, allongée au milieu de nulle part.

Sourires. Regards pétillants. Je les vois tous heureux. Ou alors, ils font vraiment bien semblant et il faudrait m’expliquer comment ils font parce qu’ils ont même l’air de croire à leur propre mensonge si c’est ça. C’est un peu comme si je disais que je ne mourrais pas d’envie d’être à ce soir pour retrouver Swann. Il m’a emprunté mon livre toute à l’heure. Je sais pas ce qu’il a ce garçon mais il est super charismatique et ça me désarçonne, peut-être que son sourire à la blancheur impeccable aussi y est pour quelque chose mais je ne veux pas l’avouer parce que ça voudrait dire que je suis trop faible pour y résister. En plus, c’est un Serdaigle. Je ne fraternise pas avec les Serdaigle. Même si je veux bien faire une exception pour lui parce qu’il est incroyablement sexy quand il étudie et qu’il n’a pas vraiment les qualités d’un aigle mais passons.  Je repasse à la salle commune avant de filer pour le match. Je refais mon chignon vaguement déstructuré, je passe mon rouge à lèvre sur mes lèvres hydratées et je cours rejoindre Lyleïa pour aller voir le match de quiditch. C’est un peu comme une rengaine, on se retrouve tous là-bas, à crier pour les gagnants. En temps normal, je ne m’y serais même pas rendue. Serpentard ne joue pas et ce n’est pas un jeu que j’apprécie. On ne peut rien suivre du match les trois quarts du temps parce que les joueurs sont hors du champ de vision. Mais je dois aller rendre son ligne au capitaine des Serdaigle. Ça aussi, c’est incroyablement irrésistible. Tout le monde s’agite dans les gradins. Lyleïa est super concentrée. Je ne sais pas ce qu’il lui arrive en ce moment, d’habitude, on n’aurait pas arrêté de parler et de faire des commentaires salaces sur les joueurs. Elle me manque. Je sais qu’elle ne va pas bien en ce moment, que c’est pire que d’habitude mais quand je lui demande, elle refuse de me dire ce qui la rend malade. Je suis désarçonnée et je déteste ça.  

Le match se termine. Je dis à Lyl de rentrer et que je vais vite la rejoindre. Elle me sourit et trouve un groupe de serpentardes pour retourner au château. Je la regarde partir, m’assure qu’elle ne s’arrête pas en route et je pars à mon tour. Je veux retrouver les joueurs de l’équipe. Je sais que d’ordinaire, ils se retrouvent tous dans un espèce de vestiaires. Ils se changent, discutent du match et repartent. Je sais que Serdaigle à perdu. Ce qui fait qu’il va être d’une humeur de chien. Mais peu importe. S’il n’est pas content c’est pareil. Je ne me laisserais pas faire non plus. Il a beau être attirant, il a aussi la réputation d’être un sale manipulateur coureur de jupons. Tout le monde le sait, mais personne n’en parle, évidemment. Un prédateur sexuel dans une école de sorcellerie presque qualifiée comme école d’élite n’est pas très vendeur n’est-ce pas. Les garçons sortent et je sais qu’il ne reste plus que lui. Je ne réfléchis pas. Je pousse la porte, peu importe. Il est debout, devant un grand tableau noir. Ne prend pas la peine de se retourner. Jones. Ton livre. Je m’avance et le regarde fixement. Mes yeux ne fuient pas. Ils sont fixes, déterminés. Prêts à tout. Et même du pire.

Spoiler:

Je déteste l’idée de toujours avoir à protéger Lyleïa de moi-même, d’un de ces films d’horreurs que représente ma vie. Je ne veux pas lui faire peur, lui en dire trop. Des choses qu’elle ne pourrait pas supporter. Je ne veux pas qu’elle puisse avoir ce poids sur les épaules. Elle en a déjà bien assez comme ça, de ses problèmes, des miens et de tout le reste. Je ne veux pas qu’elle ait pitié de moi, qu’elle ne me témoigne son affection seulement à cause de mon passé, de ce que j’ai vécu et de tout ce que je n’arrive même pas à avouer moi-même. Hier, j’ai tenté d’affronter mes fantômes. Et j’ai échoué encore. Je n’ai plus le moindre contrôle sur ma vie, sur mon semblant de vivant. Sur mon inconscient du moins. Pour ce qui est du reste, je ne peux pas en dire autant. Mon existence semble idyllique pour beaucoup, la barrière infranchissable que j’ai créée il y a des années n’a pas la moindre fêlure. Mon monde est parfait. Une jeune fille de bonne famille, de l’argent, une amie fantastique, des vacances aux quatre coins du globe, des parents investis. Tout est une question d’apparence. Il suffit de s’entraîner, de disséminer quelques mensonges par ci, par là pour construire une véritable toile en soie indestructible. Une ville entière construite de toute pièce qui s’emboitent parfaitement les unes les autres et forment un mensonge que moi-même je pourrais finir par croire et me plaire à y vivre. M’ensevelir et ne plus refaire surface.

J’observe son visage comme jamais je n’avais pensé le faire un jour. Les traits de son visage qui fuient vers son torse nu, marqué par sa tâche de capitaine. J’observe ses mouvements prudents. Il paraît tellement détaché, détendu. Son visage ne le trahit pas. Il a appris cet art de façade. Je ne sais pas s’il est réel. Je ne sais pas s’il est sincère. S’il est vraiment aussi décontracté qu’il y paraît. Cette écrasante défaite qu’il vient d’assumer, il doit la porter. C’est peut-être son fardeau à lui. Et quelque part je l’envie. Il ne semble pas être un homme à problème, juste un homme à femme. Soudain je réalise que je ne connais pas cet homme à moitié nu devant moi. Et je meurs d’envie de savoir qu’il est, son histoire. Il se tient debout devant moi et je suis intriguée, fascinée par quelqu’un dont je ne sais finalement pas grand-chose pour ne pas dire rien du tout. Malgré moi, j’observe ses hanches musclées, fuyantes sous son mince pantalon. «  Ça pouvait attendre non ? Tu peux me rejoindre dans mon dortoir si tu veux me voir dénudé tu sais, ma belle. » Pétrifiée, humiliée, le fardeau de la honte sur mes épaules. Mes pensées s’emmêlent, fuient et s’envolent. Mes jambes ne me portent plus et pourtant, je m’avance, lentement. « Tais-toi.» dis-je sèchement, les mots s’échappent de ma bouche et sonnent comme une symphonie pleine de rage, de colère et de passion. De passion au sens de la douleur. J’essaye de partir. De m’envoler. Mais je suis un oiseau pris au piège dans une cage dorée. Un oiseau avec un fil invisible et une alliance au doigt. Je peux sentir une chaleur grandissante s’enfouir en moi, ébouillanter chacune de mes cellules. Je m’approche. Je peux sentir son souffle sur ma peau. Il est calme, doux, froid. Il semble impassible, comme un soldat. C’est un soldat de plomb. Ma main s’approche dangereusement de  son torse mais retombe. Je tourne la tête. Une larme perle sur ma joue. Je suis faible. Faible. Faible. FAIBLE.

Spoiler:

Son regard perce le mien de ses iris aux couleurs intenses. Il est clair, beau, réfléchi. Je ne vois pas l’ombre d’un reproche, de haine, de doute. Et puis il s’obscurcit peu à peu. Il est fâché. Il le prend mal. Mais je ne veux pas qu’il pense encore que je suis une de ces filles faibles, dont ont fait n’importe quoi. Que je pleure pour rien, que je ne sais pas me retenir. Je veux qu’il me voie forte, prête à faire n’importe quoi, à me battre contre tout, surtout contre moi-même. Je pourrais me battre contre lui. Lui prouver que je ne suis pas ce genre de fille fragile, qu’on a peur de briser rien qu’en les regardant. Ce n’est pas vrai. Je suis incroyablement forte. Je vis dans un monde rempli de violence et de pilules magiques qui peuvent tout te faire oublier, mais je suis là à le regarder. Et ça, ça ne te rend pas fragile, au contraire, ça te rend plus fort. Et j’ai envie de crier. De lui hurler de me regarder droit dans les yeux, et qu’il ose me dire que je suis une enfant fragile. Parce que ce n’est pas vrai. Et je suis sure qu’il le sait. Moi, j’ose espérer qu’il arrive à le voir.

Swann est quelqu’un d’intelligent, je crois. Je veux penser qu’il peut voir à travers moi-même s’il ne s’en donne pas la peine. En ce moment, je donnerais beaucoup pour savoir ce qu’il pense. Ce qu’il pense de lui, de moi. De lui à moitié nu et moi devant lui, humiliée. Il doit me haïr. Il grogne. Je l’ai déçu. Il devait espérer mieux, beaucoup mieux. Après tout, je lui ai montré beaucoup mieux que des larmes s’échappant contre mon gré. Je lui ai montré la Maddison impliquée, calme, intelligente, douée dans tout ce qu’elle entreprend. Maintenant, il ne voit plus que mes larmes et mon cruel échec. Ça me tue d’avoir laissé mes accès d’émotivité gâché l’instant que j’avais si bien prémédité. Cela ne devait pas se passer comme ça. Il devait accepter son livre, je devais m’approcher de lui et lui dire de m’embrasser. Tout simplement. Comme je l’avais prévu, comme je l’avais rêvé plusieurs fois. J’avais préparé tant d’éventualités qui auraient pu me gâcher cet instant, mais pas ça. Je n’aurais jamais pu prévoir que j’allais être trahie par mon propre corps. «Serana, pourquoi tu fais la tronche ?» Il se maintient les côtes entre ses bras musclés. Swann Jones et sa diplomatie légendaire. J’acceptais son manque de diligence. Après tout, c’était de ma faute, il devrait me dire bien plus que ça. Il m’arracha le livre des mains avec hargne, se détourna. «Merci pour le bouquin, la prochaine fois contente-toi de me le rendre en cours.» Il enlève son t-shirt. Je peux lire la colère dans ses yeux. Je n’arrive pas à réprimer mon sourire. J’ai mis en colère Swann Jones. Moi et moi seule. Il n’y a pas de quoi en être fière, peut-être que si mais peu importe. «Allez, ce n’est rien. Toi, par contre, ça n’a pas l’air d’aller fort.» Je souris toujours, en dévoilant mes dents blanches. J’ai cessé de pleurer. J’aurais presque envie de rire devant tant d’incohérence venant de moi-même. Les yeux brillants, je continue. « Avoue que tu n’es pas si mécontent de te faire courtiser jusque dans les vestiaires Jones. Et pas par n’importe qui en plus. » Je suis sure de moi, de mon pouvoir de séduction, de mon attractivité. J’ose m’avancer encore un peu devant cet homme au torse nu, juste à quelques mètres de moi. A cet instant précis, je n’ai plus rien à perdre, j’ai déjà perdu, tout s’est déjà effondré ce soir. Mais mon amour propre reste intact, et il me reste encore un peu de courage. Je suis à quelques centimètres de lui, je sens son souffle s’écraser sur ma peau. J’approche un doigt à ses lèvres, les effleure, puis l’approche des miennes. Je veux sentir son corps chaud contre le mien et sa bouche se plaquer contre la mienne avec fougue. Un frisson parcourir mon corps, électriser tous mes sens un à un.

Spoiler: