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Depuis plusieurs heures la nuit avait jeté son sombre voile sur l'institut, et le dortoir résonnait paisiblement au rythme des ronflements et du crépitement de quelques veilleuses. Harassés par les corvées, affaiblis par la faim tenace, épuisés par l'état d'alerte constant dont ils devaient faire preuve pour se prémunir des coups fourrés, les élèves dont on disait qu'ils avaient le sang « impur » ne tardaient généralement pas à s'endormir sitôt le couvre-feu tombé. Il y avait bien de temps en temps quelques mouvements nocturnes, cachotteries menées par les plus âgés, excursions vers les cuisines ou retrouvailles avec des « purs » qui malgré leur statut n'oubliaient pas leurs amitiés, mais ces tentatives se faisaient de plus en plus rares avec l'avancée de l'été, et l'abrutissement général qui accablait tout le monde ici.
Pourtant cette nuit là, malgré la fatigue qui le poursuivait de jour en jour, Alexander n'arrivait pas à trouver le sommeil. Sombres pensées et mauvaises questions virevoltaient dans son esprit et lui refusaient tout repos. Il commençait à se demander si sa mère n'avait pas raison depuis le début, après tout. Il ne sentait de moins en moins l'étoffe d'un sorcier, ne se trouvait pas à sa place dans ce monde, ne brillant en rien, mis à l'écart pour ses origines jugées trop « ordinaires », placé ici comme simple domestique des enfants de grande lignée. Plus le temps passait ici et plus il se disait qu'il ferait mieux, une fois ce camp d'été terminé, de définitivement renoncer à Poudlard. Chaque été sa mère lui montrait la liste des écoles qui seraient prêtes à l'accepter, et il savait qu'elle ne mentait pas sur ce point là. Même si Kelmscott et Wetherby étaient des endroits exigeants, au moins les élèves n'y étaient pas poussés à se torturer les uns les autres. Il pourrait parler avec le reste de sa famille de ce qu'il fait en cours, écouter la musique qu'il souhaite autant qu'il veut, peut-être même en profiter pour aller à des concerts, et se sortir de ces affrontements de sorciers qui tournaient au cauchemar permanent.
Alors qu'il en était à se demander s'il serait vraiment capable de renoncer à la magie, aux sorties à Pré-au-Lard et aux veillées à coté de la cheminée de la salle commune, il lui sembla entendre comme un gémissement venant du couloir de l'étage. Un écho étrange, une mélopée de voix faiblardes et torturées, qui semblait l'inviter à les rejoindre. Le jeune Poufsouffle se retourna d'abord de l'autre coté de son lit, en faisant grincer le maigre et vieux cadre de bois, mais les voix ne semblaient pas décidées à le laisser s'endormir si facilement. L'institut renfermait ses mystères, et cette nuit là, ces derniers semblaient avoir envie de se faire connaître.
N'y tenant plus, Alexander finit par descendre doucement de son lit, s'efforçant d'en minimiser le bruit. Il ne voulait pas déranger ses camarades, ou pire, alerter le veilleur qui piquait du nez près de la porte. Vêtu de son seul pyjama, il prit machinalement sa baguette sur lui, preuve que quoi qu'il en pense la magie était partie intégrante de sa vie désormais, et commença à avancer à pas de loups vers le couloir. Le souffle court, progressant lentement dans la pénombre, il se demandait d'où venaient ces voix, et surtout, comment les autres arrivaient à dormir malgré ce tumulte...

La pierre du sol était froide, parsemée de poussière et de restes de plumes traînées jusqu'ici par le vent. Un courant d'air languissait justement dans le couloir entre les dortoirs, faisant danser la flamme vacillante d'une veilleuse sur un mur proche, projetant des ombres étranges tout autour. Les silhouettes de ténèbres s'agitaient en une scène macabre et désordonnée, comme autant de menaces pesant sur les importuns qui auraient la mauvaise idée de braver le couvre-feu. La nuit était fraîche pour un été, et Alexander commençait à se dire qu'il avait été présomptueux de ne pas au moins passer son uniforme en se levant. Qu'à cela ne tienne, il n'était plus temps de faire demi-tour de toute façon.
Avançant à tâtons, oreille tendue, il se demandait soudain pourquoi il n'avait jamais vu de fantôme dans l'institut. L'endroit n'était pas jeune, et tous les vieux bâtiments sorciers étaient hantés à divers degrés, à commencer par Poudlard, non ? Le jeune Poufsouffle réalisait à quel point il était habitué au fait de croiser le Moine Gras en salle commune ou de devoir passer au travers des traquenards de Peeves en se rendant en cours. Le genre de choses qui n'arrive pas à Eton, assurément.

Alors qu'il commençait à divaguer sur les avantages et inconvénients d'une vie d'élève moldu de bonne famille, il fut soudain rappelé à son objectif premier par la complainte, insistante, entêtante, envoûtante. Le son semblait aller et venir, comme mu par une vie propre, l'appelant presque. Alexander en était tellement captivé qu'il n'entendit pas le bruit des pas derrière lui, ni ne remarqua la lueur qui approchait dans son dos, projetant largement sa propre ombre en travers du couloir.

Un frisson parcouru son échine quand il senti soudain une main se poser sur son dos. Il sursauta, réprima de justesse un cri de surprise et d'effroi et, mâchoire serrée, se retourna vivement, la main crispée sur sa baguette, prêt à défendre chèrement sa vie contre l'ennemi.

" Alexander, qu'est-ce que tu fais ici ? Tu vas t'attirer des ennuis ! "

A moitié aveuglé par le Lumos de son assaillant, il mit un moment à reconnaître les traits de Daren, l'un des Griffondor qu'il croisait parfois en cours. Il ne se souvenait pas que ce dernier avait une voix aussi ferme et résolue d'habitude. Mais pour tout dire, il ne se souvenait pas de beaucoup de discussions avec lui. Plissant les yeux pour s'habituer à cette lumière soudaine, il retrouva quelque peu sa contenance.

« Moins fort ! Tu vas nous faire remarquer ! »

Allumer sa baguette n'était pas une mauvaise idée du tout en fait, mais c'était un coup à attirer l'attention. Le veilleur n'était plus loin, et Alexander n'était pas sûr de vouloir parier sur la qualité de son sommeil. Au moins comme cela il verrait où il mettrait les pieds. Ici, ils n'étaient jamais à l'abri d'une bombabouse dissimulée par des sangs-purs ou autre piège tendu par ces moniteurs encagoulés.

« Tu entends ces voix toi aussi, non ? Je dois aller voir ce dont il retourne. Il faut que j'en ai le cœur net. »

N'attendant pas la réponse de Daren, il se retourna en direction du grand couloir du deuxième étage et du veilleur qui s'était assoupi sur sa chaise. Il allait falloir faire preuve de discrétion pour passer sans le réveiller...