« So deep the shame of men »
(flashback, Institution Clevergrace)
Severus Rogue & Raphaël Febvre

Tout n'est que douleur – son corps, sa chair, son esprit. L'être de l'adolescent, éclaté en minuscules éclats, parcelle l'atmosphère. Recroquevillé sur le sol de pierre, le corps traversé de spasmes, il en oublierait presque sa propre humanité. Le sang perle de son visage. Un sortilège plus agressif que les autres a entaillé sa chair. Sa propre douleur trouve un écho dans le rire désarticulé de la sorcière brune. Elle n'a pas retenu sa magie pour montrer l'exemple aux autres. Ils étaient cinq, debout en ligne face aux sang-pur – comme un peloton d'exécution, tout aussi sommaire qu'à la guerre. Elle a fait un exemple sur le premier de la ligne, qui est tombé. Elle a arqué un sourcil, haussé les épaules et s'est tourné vers le second. Un adolescent de serpentard – un menteur et un tricheur. Le rictus sur les lèvres de la mangemort ne fut pas suffisant pour préparer sa victime à sa barbarie. Il s'est effondré, convulsant sur le sol mais retenant ses cris à grand peine. Elle a cessé son sortilège, il a repris son souffle – haletant. Et elle a laissé les élèves s'exercer.

« Dehors ». La voix de la sorcière claque comme un fouet, poussant les élèves vers la sortie. Elle lance un regard aux deux corps recroquevillés à terre. L'un est vivant, l'autre mort. Le défunt est traîné hors de la salle, tandis qu'elle éructe à l'autre de se relever. Le Français ouvre les yeux. La souffrance s'atténue, ne laissant qu'une douleur lancinante dans tout son être. Les serpentards se sont vengés. Les souvenirs de Poudlard ne seront plus jamais les mêmes. Quand cette torture prendra-t-elle fin ? La folie hante son âme, s'infiltrant par toutes les fissures de sa résistance, qui s'effondre lentement. Les hurlements se font encore rares mais bientôt, il ne pourra plus se battre. Il n'a rien tenté contre un gardien. Il n'a pas agressé un sang-pur. Il est né de parents moldus et ça a suffit pour le mettre du mauvais côté de la baguette. Il paie au prix fort sept années de mensonges. Dans sa tête commence à s'insinuer l'idée perverse que sa souffrance est tout ce qu'il mérite. Il a trahi, trompé les siens. La Providence lui a tourné le dos, lâchant sur lui les forces obscures de la Vengeance. Nul Dieu ne viendra plus à son secours.

L'adolescent porte sa main à son visage blessé. Sous les filets de sang, ses doigts dessinent les pourtours boursouflés d'une ouverture dans sa chair, de sa pommette à son arcade sourcilière. Il déglutit et tente de se redresser, quittant le contact glacial de la pierre. Chaque parcelle de son corps lui hurle de se rallonger, de ne pas bouger, d'attendre que vienne la délivrance, de ne pas se débattre. Mais voilà, il ne baissera pas aussi facilement les bras. S'il cède aujourd'hui, il est perdu. Le grincement désagréable de la porte provoque un frisson qui traverse son corps. Pas encore... Il ne lèvera pas la tête. Il n'a pas la téméraire folie des gryffondors à vouloir affronter le regard de son agresseur. Il se force à se mettre à genoux mais garde la tête baissée, les mains posées sur ses genoux. Les yeux fermés, il tente de calmer son souffle tandis que quelqu'un entre dans la salle. Que pourrait-on bien lui faire de pire ? Son humanité ne tient plus qu'à un fil. Un autre Endoloris de cette tarée de Lestrange et il ne sera plus qu'un corps brisé à l'âme égarée.

Dragées:

— T'as entendu ça, Rogue ? Bellatrix a réglé son compte à notre sang-de-bourbe préféré.
— Il paraît qu'elle ne l'a pas loupé. J'aurais bien aimé m'en charger moi-même, de ce fils de moldu. Lui apprendre ce qu'il lui en coûte de se foutre de la gueule d'un Mulciber.
— Non, c'est Barty Croupton qui aurait dû s'en charger. Après tout, c'était quand même son meilleur ami, pas vrai ?
Mulciber et Avery éclatèrent d'un rire gras, mais Severus resta de marbre. Il n'avait même pas levé les yeux de son épais ouvrage depuis que les deux Mangemorts avaient fait irruption dans la chambre qu'il occupait à l'Institution Clevergrace. Rosier l'avait déjà prévenu du sort qui avait été réservé à Raphaël Febvre un peu plus tôt dans l'après-midi, si bien qu'il accueillit la nouvelle avec une apparente sérénité. Mais derrière son masque flegmatique, Rogue vivait quelques-unes des heures les plus pénibles de son existence, et ça, Rosier l'avait bien deviné. Et ce, avant même de lui annoncer la nouvelle. Il le connaissait si bien. Il avait deviné que les scrupules ne manqueraient pas de le submerger. Et une fois encore, Rosier avait vu juste.
— Eh ben Rogue, c'est tout ce que tu trouves à dire !
L'interpellé cessa de faire semblant de lire son ouvrage et releva les yeux pour croiser le regard de Mulciber, qui s'étonnait de son manque de réaction. Mulciber, qui croyait s'adresser à lui comme à son égal. Mulciber, qui ignorait que le sang de Rogue était à peine moins souillé que celui de Raphaël Febvre.
— Et que veux-tu que je te dise ? C'est un sang-de-bourbe. Il n'a que ce qu'il mérite.
Avery lâcha un ricanement vaguement étonné, et échangea un bref regard avec son acolyte, qui arborait lui aussi une mine interdite. Sans doute ne s'attendaient-ils pas à une telle réponse. Rogue soupira et referma son grimoire d'un mouvement sec, conscient qu'il allait devoir se montrer plus loquace pour convaincre ses compagnons.
— Mais c'était ton ami, pas vrai ?
Severus tiqua et lança un regard noir en direction d'Avery. Il était temps de mettre les choses au clair, et de se libérer de tout soupçon. Définitivement.
— Tu as raison. C'était mon ami. Mais ça, c'était avant.

Severus avait sans trop de peine convaincu le Mangemort de garde de prendre une pause. Il lui avait donné une excuse fumeuse, lui-même ne sachant pas très bien ce qu'il venait trouver ici, mais Fawley avait sauté sur cette occasion inespérée pour aller retrouver Dolohov, avec lequel il partageait une passion dévorante pour les affaires illicites. Trois secondes plus tard, il avait disparu au détour du couloir, et Rogue s'était retrouvé seul avec ses démons à la porte de l'isoloir. Il ne savait même pas pourquoi il était là. Il ne savait même pas ce qu'il allait lui dire. Il ne savait même pas s'ils avaient encore quelque chose à se dire, tous les deux. Il entra malgré tout.
L'obscurité reprit ses droits dans l'isoloir lorsque Rogue referma la porte derrière lui, un peu fébrile. Il faisait une erreur, une très grave erreur. S'il était surpris, c'en était fini de lui. Rosier ne parviendrait pas à le couvrir, pas cette fois. Sa fureur serait trop grande. Mais Rogue se devait de le faire. Il devait le voir.
— Lumos.
On aurait pu douter qu'il venait de parler, si le bout de sa baguette ne s'était pas instantanément nimbé d'une éclatante lueur blanche. Un court instant, Rogue plissa les paupières, aveuglé, avant de s'habituer à cette nouvelle source de lumière et distinguer Raphaël à l'autre bout de la salle, à genoux à même le sol, la tête basse. Le fier, le fringuant Raphaël, le séduisant français de la bande, réduit à rien en l'espace de quelques heures. Figé d'horreur et de consternation, Rogue resta à quelques pas du captif. Incapable de déterminer ce qu'il devait faire.

Spoiler:

Dans les ténèbres qui enserrent son corps et son esprit, une voix incante alors. Une lumière vive inonde le cachot, mais Raphaël ne lève pas la tête. Peu importe qu'il ne s'agisse pas de cette folle de Lestrange. Ici, tous semblent vouloir leur vengeance. Raphaël joint ses mains sur ses genoux et une prière muette monte dans sa tête. « Qu'on en finisse et vite » implore-t-il aux nuées qui emprisonnent et amoindrissent sa résistance. Pourtant, le coup ne tombe pas. L'attente est encore pire. Peut-être son geôlier est-il en pleine jouissance de le voir ainsi démuni. L'arrogant Français, le fier fondateur du Cartel, n'est plus guère qu'une coquille vide. Dans sa tête, ne résonnent plus que les sortilèges qui ont entamé sa chair et son âme. A-t-il tant offensé Dieu par ses mensonges pour qu'Il se venge ainsi ? Raphaël a nombre de faits à se reprocher, rien n'est moins vrai.

Un sursaut de courage lui fait lever la tête. Il cligne des yeux, ébloui par la luminosité de la baguette qui lui fait face. Tandis qu'il s'habitue à la lumière, l'ombre debout devant lui devient homme et ses traits se composent. Raphaël déglutit difficilement. Severus Rogue. Que fait-il ici ? Vient-il admirer le travail de ses collègues ? Dans le regard de son ancien ami, Raphaël s'étonne de ne trouver aucune jouissance sadique. Cependant, malgré ce soulagement fugace, le jeune homme s'arme de méfiance. Est-il venu lui tendre la main pour le faire mordre plus violemment la poussière ? D'autres sont venus avant lui, éveiller un espoir cruellement anéanti.

Raphaël baisse de nouveau la tête. Il ne veut pas affronter le regard de son ami. Il ne peut pas. Lire de la pitié dans les yeux de Severus l'achèverait pour de bon. Les souvenirs de leurs années à Poudlard, de leurs expériences en potions resurgissent dans l'esprit du captif, lui tordant l'estomac. Ils ne sont pas si différents, tous les deux. Tous deux ont menti pour se faire accepter dans un monde auquel leur origine leur refusait accès. Tous deux ont bâti leur réputation sur des mensonges et des supercheries. Severus a eu la chance d'avoir un an de plus et d'être du bon côté de la baguette. Raphaël a tout perdu et en paye le prix. Mais il sait. Il sait que cet homme, debout alors qu'il est à genoux ; puissant alors qu'il n'est plus rien, n'est pas différent de lui. Dans ses veine, coule ce même sang moldu. Certes Severus a du sang de sorcier, mais son mensonge n'en est pas moins odieux que celui de Raphaël.

Parce qu'il a encore un faible espoir en leur ancienne amitié, Raphaël relève la tête et plante son regard dans celui de Severus. Ce n'est pas de sa faute et il ne le fustigera pas d'être du bon côté et de s'en tirer aussi bien. « Si tu es venu t'assurer que ton secret est bien gardé, tu peux dormir tranquille » murmure-t-il sans de plus amples précisions. Ils se connaissent bien ; ils se comprennent encore mieux. Et malgré les épreuves, les souffrances et les désillusions, Raphaël ne reniera pas leurs années d'amitié.

Dragées:

Il avait pu se passer une seconde, une minute ou une heure, Severus n'aurait pu le dire, avant que Raphaël ne relève finalement la tête et le reconnaisse. Son regard transpirait la crainte, une crainte que Severus n'aurait jamais cru trouver un jour dans les yeux de son ami, une crainte sans nom autre que celui des êtres qu'il désirait plus que tout rejoindre, et qui ne voulaient plus de lui. Parce qu'il était impur, parce qu'il subissait les conséquences des actes irréfléchis de ses géniteurs. De la crainte, et de la suspicion, également. Il ne comprenait pas, bien sûr que non, Severus lui-même ne savait pas ce qu'il faisait ici, si ce n'est une énorme erreur. Il n'aurait pas dû venir, se mettre en danger ainsi rien que pour... Pour quoi, d'ailleurs ? Si ce n'est se faire dévisager par Raphaël comme s'il était un répugnant cobra, un lâche, un traître. Il n'avait pas besoin de savoir ce que Raphaël pensait de lui, il le savait déjà. Il le pensait lui-même.
Comme s'il avait entendu le fil des pensées de Severus, Raphaël baissa à cet instant la tête, et prouva ainsi au Mangemort que lui non plus ne pouvait plus le soutenir du regard, que c'était au-dessus de ses forces. Aucun mot n'avait encore été échangé, que déjà ils n'avaient plus rien à se dire. Que dire ? Qu'il était désolé ? Cela n'avait pas de sens. Pouvait-on décemment s'excuser d'un acte que l'on n'avait pas commis ? D'un acte dont il n'aurait pas pu ne serait-ce que reculer l'échéance, même s'il l'avait voulu ? Severus devait-il s'excuser de n'avoir rien pu faire ? Il n'en avait pas la moindre idée. C'était une question qu'il n'aurait jamais cru se poser un jour. Jamais les deux jeunes hommes n'avaient abordé ce sujet, ne serait-ce qu'imaginé que l'un d'entre eux pourrait un jour être démasqué et renié comme Raphaël l'était aujourd'hui. Et que l'autre passerait entre les mailles du filet, continuerait à jouer à ce jeu dangereux, en laissant son acolyte derrière. Même dans leurs pires cauchemars, cela n'arrivait pas.
— Si tu es venu t'assurer que ton secret est bien gardé, tu peux dormir tranquille.
Severus tressaillit lorsque la voix morne et basse de Raphaël s'éleva dans l'isoloir. Était-ce ce qu'il était venu chercher ? Pouvait-il prétendre qu'il n'y avait pas de cela ? Severus aurait aimé répondre que oui, que sa démarche n'était pas dictée par son instinct de survie. Après tout, venir trouver son ami paria dans l'isoloir de l'Institution Clevergrace au péril de sa propre sécurité, n'était-ce pas aller à l'encontre de tout instinct de survie ?
— Cela va sans doute te sembler présomptueux, mais je n'en ai jamais douté.
Et c'était vrai, Severus le réalisait, à présent. Il n'avait jamais douté de la loyauté de Raphaël. S'il était soulagé de le lui entendre dire, force lui était de constater qu'il n'avait jamais eu peur pour sa propre sécurité, et pas seulement parce que Rosier surveillait ses arrières. Il n'avait jamais eu peur parce qu'il savait son secret entre de bonnes mains, c'était aussi simple que cela. Il aurait aimé que Raphaël puisse penser de même.
— Je... Je suis désolé Raphaël. Pour tout.

Spoiler:

Raphaël ne s'attendait pas à ce que la voix grave de son ancien ami agisse comme un calmant sur son âme torturée. Il lève la tête pour le fixer de ses yeux trop grands pour son visage trop maigre et l'ombre d'un sourire passe sur son visage. Dans cet enfer de cruauté et de violence subsiste un mince résidu de leur amitié. Le Français déglutit difficilement et porte sa main à son visage. Des gouttes de sang perlent sur sa main. Il relève la tête. « Tu n'y es pour rien » murmure-t-il, comme pour se persuader lui-même que Severus n'a rien à voir avec cet emprisonnement dont sont victimes les élèves de Poudlard. Et s'il savait ? Et si il a aidé dès le début à mettre en place ce plan diabolique ? Ils ont tous cru à un autre tour du Ministère de la Magie pour brider les velléités de révolte de la jeunesse, mais personne n'a vu arriver une telle expérience. Et personne n'agit. Raphaël ne peut croire que personne, hors de ces murs, n'est au courant de leur situation. Même ses propres parents, pourtant peu protecteurs avec lui, doivent s'inquiéter de son absence – alors qu'en est-il des parents qui veillent constamment sur leur progéniture ? Même pour les camps de concentration, les riverains savaient. La peur a-t-elle tout envahi ?

« Je n'ai que ce que je mérite » souffle Raphaël en baissant la tête, posant son regard vide sur ses mains tâchées de sang. « J'ai menti pendant sept ans ; j'ai cru pouvoir m'en sortir et voilà le résultat » ajoute-t-il. Il lève la tête vers Severus et ouvre la bouche, mais aucun mot ne sort. La douleur de leur situation à l'origine très semblable et pourtant désormais si différente éclate dans ses yeux fatigués. Ils ont tous les deux construit leurs êtres sur des mensonges pourtant, la Providence à fait Severus plus âgé. « Et le Cartel ? » demande Raphaël. Pas un seul de ses soi-disant amis n'ont pris le risque de venir le voir et pour cela, peut importe ce qui arrive, il sera toujours reconnaissant à Severus. « Bartemius ? » Le nom de son ancien meilleur ami lui écorche la langue, emplissant sa bouche d'une bile amère. Ils ont tout partagé, Bartemius était au courant de la nature de son sang – il était le seul à savoir. Est-il celui qui l'a dénoncé ? « Evan ? » crache-t-il. Il n'a jamais apprécié Rosier, à qui il ne faisait pas confiance. Il l'a vu dans les rangs des geôliers à son arrivée à l'institut. Il a rejoint le camp de Voldemort, comme sûrement la majorité du Cartel. Comme Severus. Après tout, c'était la suite logique de leurs activités illicites à Poudlard. Raphaël se rend compte qu'il a été bien naïf de croire que tout irait pour le mieux, qu'il pourrait prendre une route différente de celle du Cartel après avoir pratiqué la magie noire à leurs côtés. « Il n'y a que toi pour affronter ce qui se passe entre ces murs, alors » finit-il avec amertume. « Les amitiés de Poudlard sont bien légères » murmure-t-il en fermant les yeux.