« Je vais rentrer un peu plus tard ce soir, les gars, dis-je alors que nous quittions en bande la Grande Salle où nous venions de prendre notre dîner. Je dois me rendre au club de, euhm, de peinture sur parchemin.
— De peinture sur parchemin ? s'étonna Wilkes en ricanant. Ça existe vraiment ce genre de club ?
— Si je te le dis, rétorquai-je en faisant mine d'être vexé. Remettrais-tu ma parole en doute ?
— Non, bien sûr que non, mais ça doit être un club de nanas, j'me trompe ?
— Eh bien, répondis-je, un petit sourire aux lèvres, pourquoi crois-tu dont que je m'y rends ? »
Et nous nous séparâmes, eux prirent la route des cachots tandis que je gravis les escaliers en direction du troisième étage, là où m'attendait mon rendez-vous secret. Mais attention, ne vous méprenez point, il n'était là nullement question d'un rendez-vous galant mais simplement d'une petite partie d'échecs sorciers entre amis qui n'auraient jamais dû être amis.

Plus tôt dans la journée, j'avais envoyé un petit mot en origami à une de mes camarades, un origami qui avait pris la forme d'une grue. Quand je dis « grue » je veux bien sûr désigner l'animal, entendons-nous bien, il ne s'agissait pas d'une grue de chantier. Quant à ma camarade, eh bien... Emmeline Vance, vous situez ? Intello discrète et sang-impur. Oui, sang-impur. Vous comprenez maintenant pourquoi il était vital de mentir à mes amis au sujet de ce rendez-vous.

J'arrivai devant la salle qui allait nous servir d'aire de jeux à Emmeline et à moi. Je pris soin de regarder à gauche puis à droite avant de me faufiler à l'intérieur de la pièce en maudissant mentalement la porte qui grinça sur ses gonds lorsque je la poussai. Poudlard n'était décidément qu'une vieille ruine.
La salle ressemblait à une salle de classe abandonnée depuis des lustres. Les tables habituellement bien rangées dans une salle de cours classique étaient toutes poussées contre le mur du fond et les chaises étaient empilées dans un coin de la pièce. Il ne restait qu'une table et deux chaises que nous avions disposées au centre quelques jours plus tôt lorsque nous avions découvert cet espace.
Emmeline n'était pas encore arrivée et je m'en étonnai car d'ordinaire, de nous deux, c'était toujours moi qui arrivais en dernier. Il fallait une première fois à tout. Pour patienter, j'allai m'asseoir sur l'ancien bureau inutilisé qui trônait contre le tableau noir. Les deux mains sur le bord et les pieds dans le vide, j'attendis.

Le grincement de la porte lui fit grincer des dents, et elle se souvint qu’apprendre le sort de graissage de gonds était sur sa liste de choses à accomplir d’ici la fin de l’année, sur ce parchemin long comme quinze baguettes mises côtes à côtes qui lui servait d’objectifs à remplir. C'était juste derrière le "mettre trois échecs et mats d’affilé à Thomas". En parlant du sorcier…. Emmeline sursauta, ne s'attendant pas du tout à déjà le trouver assis sur le bureau.

« Bonsoir Thomas. Tu es à l’heure. » constata-t-elle d’une voix douce, agréablement surprise. Ce n’était pas que Thomas était tout le temps en retard mais… si, en fait, il était tout le temps en retard. Façon emmeliniesquement polie de dire "J’espère que ça t’arrivera plus souvent de ne pas me faire attendre vingt minutes toute seule à chaque rendez-vous".
La ponctualité incarnée et le Lapin Blanc, ça aurait pu faire mauvais ménage. Mais bizarrement, à Thomas, elle pardonnait cet écart. Ce n'était pas sensé. Il y avait beaucoup de choses qui n'étaient pas sensées, entre eux. Comme le fait qu'ils soient amis.

Avec n’importe qui d’autre, elle n’aurait pas toléré qu’on la fasse attendre. Mais Thomas était un cas un peu à part, il lui avait bien expliqué comme il était compliqué de se dépêtrer de ses amis sang-purs sans attirer l’attention ou être suivi. De son côté elle n’avait pas ces problèmes puisque, de toute façon, elle n’avait pas d’autres amis. Pas officiellement. Et de toute manière, ils n’avaient pas à savoir ses moindres faits et gestes. Et s’ils l’avaient voulu, elle leur aurait juste rappelé la définition de "vie privée". Cela faisait deux ans qu’elle vivait d’amitiés clandestines, et la petite sorcière était devenue plutôt douée pour les garder !

« Tu n’as pas trop attendu j’espère ? » s'inquiétât-elle tout en sachant qu'elle était pile à l'heure. Avec des gestes rompus par l’habitude, elle posa son sac, elle retira gracieusement sa cape, la plia minutieusement en quatre pour la poser sur l’unique bureau dépoussiéré –celui qui servait de porte-manteau improvisé. Puis elle se retourna vers Thomas avec une chocogrenouille comme par magie apparue dans la main.  

« On m’a offert cela… » Elle se garda bien de lui dire que c’était Lily, qui la lui avait donnée. Lily était gentille, mais Emma faisait attention à son régime alimentaire, surtout depuis que Black s'était moqué de ses rondeurs enfantines qui refusaient de disparaître. « …mais je n’ai plus faim. Or ce serait dommage de faire du gâchis. Tenté par un dessert avant de débuter la partie ? » Thomas n’avait pas besoin de chocolat pour stimuler ses capacités intellectuelles ou lui donner du fil à retordre.... Mais Emmeline aimait bien Thomas, et Thomas aimait les chocogrenouilles. Ca au moins, c'était sensé.

Je n'étais pas patient de nature et j'avais dû regarder ma montre à peu près toutes les dix secondes avant qu'Emmeline ne se décide à se montrer. C'était un peu pour ça d'ailleurs que j'arrivais toujours en retard lorsque l'on me donnait une heure précise. Ainsi, c'était à l'autre d'attendre et non à moi. C'est fou comme je suis malin.
« Bonsoir Thomas, fit Emmeline en pénétrant dans la salle. Tu es à l’heure.
— Comme tu peux le voir ! répondis-je en sautant du bureau. Bonsoir Emma, ravi de te voir.
—  Tu n’as pas trop attendu, j’espère ? demanda-t-elle et je la rassurai en balayant sa question d'un geste de la main.
— Oh, ne t'en fais pas, lui dis-je. Je ne suis pas là depuis très longtemps. »
Diplomatie, bonjour. En réalité, j'avais dû attendre à peine cinq minutes mais c'étaient des minutes qui m'avaient parues des heures. Mais je n'en dis rien, préférant rester sympathique. Dans toutes les situations, je savais mettre de côté ce qui m'était désagréable pour toujours paraître comme un parfait petit gentleman aux yeux des gens.
Je m'approchai d'elle, les mains dans les poches de mon pantalon, prêt à en découdre autour d'une bonne partie d'échecs. Mais avant, Emmeline retira son sac, sa cape et rangea le tout proprement avec une minutie qu'elle était la seule à avoir. Puis elle se retourna vers moi avec une Chocogrenouille dans la main et mon regard s'illumina.
« On m’a offert cela, m'expliqua-t-elle, mais je n’ai plus faim. Or ce serait dommage de faire du gâchis. Tenté par un dessert avant de débuter la partie ?
— Essayerais-tu de m'amadouer afin que je te laisse gagner ? lui dis-je, un léger sourire au coin des lèvres. Si c'est le cas, sache que l'on ne m'achète pas aussi facilement, jeune fille. Mais il est vrai que je dirai pas non à une Choco, tu me connais bien... File-moi ça, et installe-toi. Prête à te faire battre une nouvelle fois ? »
Et je pris place à la table sur laquelle apparut un plateau à damiers et des pièces d'échecs.

Thomas, le parfait gentlemen. Emmeline sourit doucement à sa réponse faite pour ne pas la mettre mal à l'aise. C'était la principale raison pour laquelle elle appréciait sa compagnie. Sa mère disait qu'il fallait choisir ses connaissances selon s'ils se comportaient bien en société, puis ses amis selon s'ils se comportaient bien en privé... Il avait passé brillamment les épreuves pour le moment.

Elle laissa le garçon s'emparer de la friandise, toute satisfaite d'avoir obtenu ce qu'elle attendait.
Les Serpentard n'avaient pas le monopole de la ruse... Mais Emma savait qu'il lui aurait fallu plus d'une seule chocogrenouille pour acheter Thomas, il était trop fin négociant. Une dizaine au moins. Et encore.
Enfin elle s'en moquait puisqu'elle comptait gagner par ses seuls talents. Sinon, la victoire ne serait pas bonne à prendre.

« Je ne doute pas que tu es un modèle d'intégrité... Mais sache que je n’ai pas besoin de ruser pour gagner. Je te laisse cet avantage, et peut-être que comme cela tu gagneras un peu plus de temps avant que l'élève ne dépasse le maître. » Parce qu'elle était encore en phase d'apprentissage mais, foi de Vance, ça ne durerait plus longtemps ! « Comme nous disons chez les moldus : "Il ne pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué". Commençons. »

Elle prit place en face de Thomas, l'air si mortellement sérieuse que c'en devait être comique de l'extérieur. Emmeline jouait pour gagner, pas pour s'amuser... enfin un peu quand même. C'était amusant, d'apprendre à vaincre la redoutable logique de Thomas. Elle aimait la compétition.

Il lui donnait toujours le premier trait, par courtoisie, parce qu'elle était une fille... mais aussi parce qu'il était meilleur qu'elle. Emma le savait. Et détestait ça. Et sur la fameuse liste de choses à accomplir, il y avait celle de lui laisser l'avantage de commencer un jour... Mais pas aujourd'hui, parce que Emma était peut-être fière, mais pas stupide. Et cracher sur son seul avantage ? Sûrement pas !

Alors, avec sa moue concentrée elle ordonna à sa première pièce bleue -ils avaient trouvés amusants de colorer les pièces aux couleurs de leurs Maisons- de se déplacer : « Pion en a4. » L'ouverture la plus basique qui existe, elle était une joueuse prudente.

Je croquai dans mon morceau de chocolat tandis qu'Emma prenait place en face de moi. Je grimaçai à peine une seconde en l'entendant citer un proverbe moldu mais repris bien vite mon visage impassible, comme si elle n'avait rien dit. Bien sûr, je me gardai bien de lui rappeler que les moldus n'étaient franchement pas une référence. Puis je me souvins qu'elle était elle-même moldue, enfin née-moldue — mais quelle est donc la différence ? — et les yeux dans le vague, rivé sur une lame de plancher, je me demandai pourquoi c'était différent avec elle. Pourquoi elle ne me dérangeait pas autant que les autres moldus. Son intelligence ? Sa compagnie autour d'une partie d'échecs ? Sa douceur, peut-être qui me rappelait celle de ma mère ? Non, c'était idiot, Mère n'avait rien à voir là-dedans et la psychologie à deux noises n'était bonne que pour les aliénés.
Sa voix me fit soudainement quitter mes réflexions.
« Pion en A4, annonça-t-elle et son pion se déplaça de lui-même sur l'échiquier.
— C'est un début, somme toute, assez classique, lui dis-je, un mince sourire au coin des lèvres. Tu ne te mouilles pas.
Et comme si le jeu pouvait lire en moi, sans que j'aie à prononcer le moindre mot, un de mes pions quitta sa case pour s'avancer à son tour. Je croquai à nouveau dans ma chocogrenouille, tout en visualisant la partie dans mon esprit. Il fallait toujours visualiser, voir les coups à l'avance suivant les coups possibles de l'adversaire. C'était tout un travail qui demandait énormément de concentration et il n'était pas rare que nous restions silencieux tout au long d'une partie. Mais aujourd'hui, j'avais envie de la déconcentrer un peu.
« Alors, quoi de neuf chez les Serdaigle ? » lui demandai-je histoire de l'obliger à faire la conversation.
C'était une question assez banale mais qui, je l'espérais, lui ferait perdre sa concentration.

Elle répondit par l'ombre d'un sourire énigmatique à la remarque du garçon. Ses taquineries la déstabilisaient beaucoup, lors de leurs débuts, mais elle s'était adaptée depuis. A force d'animaux en papiers et de semaines passant, elle avait commencé à analyser, comprendre et résoudre les problèmes, les failles, comme la bonne Serdaigle pragmatique qu'elle était.
Le problème était qu'elle jouait encore très scolairement. Emma dévorait manuels sur manuels de théorie sur les échecs, et mémorisait le plus de tactiques possibles, avant de les essayer sur le plateau. Mais Thomas avait l'avantage de l'expérience...

...Et de la ruse. Ah, le maudit, utiliser la parole pour la déconcentrer ! Mais, politesse oblige, elle ne pouvait pas juste l'ignorer -mère et père auraient eus honte.
Pinçant discrètement les lèvres, elle ordonna dans un murmure à une pièce de bouger -les pièces obéissaient bien plus facilement à Thomas, leur propriétaire, qu'à la débutante Emma-, avant de relever la tête vers son adversaire et ami.

« Rien de très passionnant. Il y a beaucoup d'activité, avec les BUSES qui approchent, et certains se battent pour réserver des livres de la bibliothèque. » A quoi bon perdre du temps à se disputer au lieu d'étudier ? Emma ne comprendrait jamais ceux qui cherchaient la confrontation, la fuir était tellement plus simple et malin ! « Quelles nouvelles de chez les Serpentard ? Ton frère n'est pas trop dépassé par ses révisions ? » dit-elle en espérant franchement qu'il le soit, dépassé. Oui, c'était mesquin. Mais pas aussi mesquin que Rohan Avery lui-même.

Elle tenta de garder un air et une voix neutre, et de ne grimacer qu'intérieurement. Rohan, elle le détestait. Rohan était méchant, moqueur, toujours le premier à se moquer d'elle lorsque Lyleïa n'était pas là. Heureusement, Lyleïa était souvent avec lui, et ça lui épargnait bien des peines.

Emmeline se demandait vraiment comme Thomas, si gentil et si charmant, pouvait être le frère d'un garçon aussi horrible que Rohan. A croire qu'ils n'étaient pas des même parents ! Mais ces interrogations là, elle le gardait pour elle.