Il faisait chaud. C'était un délice que de sentir sur sa peau, qui prenait peu à peu une teinte dorée, la chaleur du soleil grec. Fluvia profitait pleinement des plages, des jus de citrouille glacés, des promenades vespérales le long du port et des activités organisées par le camp. Elle ne manquait jamais de dire à Père dans ses lettres à quel point elle était heureuse.
Bien-sûr, elle racontait seulement ce qui était racontable - ce que Père ignorait ne pouvait lui faire de mal. Ainsi passait-elle sous silence ses frasques avec les autochtones...

La blonde aimait à être seule. Chose curieuse, puisque d'ordinaire elle s'entourait d'un cheptel qui ne demandait qu'à imiter le moindre de ses gestes. L'ile de Falkonera opérait sur elle sa magie. Fluvia, aussi superficielle soit-elle, n'était pas insensible au charme des rivages grecs et aux paysages bien différents de ceux de son pays natal. Aussi, dès qu'elle le pouvait, s'éclipsait-elle pour prendre du temps pour elle. Et puis, c'était d'ailleurs parce qu'elle passait aux yeux des Grecs pour une fille solitaire et rêveuse qu'elle parvenait à en séduire plus d'un !

Pour le moment, il n'y avait en vue qu'un Poufsouffle. Adossé à une fontaine qui glougloutait délicieusement, il incarnait à la perfection l'image d'un songeur triste. Fluvia le connaissait bien. Maximus, à l'ego aussi énorme que son prénom, pas moche du tout, séduisant même, mais qui avait le défaut d'être chez les Blaireaux et de l'ouvrir un peu trop souvent en cours. Le dépit qui se lisait sur son visage inspira l'héritière qui ne retint pas sa langue de vipère :

▬ Alors, Brankovitch troisième du nom, on n'ose pas regarder son reflet dans la fontaine de peur de finir comme Narcisse ?

A cinq pas de lui, Fluvia, moqueuse, observa sa réaction avec un regard en coulisse.

Un air d'incompréhension passa sur le visage de Brankovitch. Fluvia l'avait tiré un peu brutalement de ses pensées et il semblait avoir du mal à se retrouver ses repères dans l'espace-temps actuel. Il regarda Fluvia comme s'il était ébahi devant sa présence - c'était souvent l'effet que la jeune femme faisait sur les hommes et, le mieux, c'était qu'elle en avait parfaitement conscience.

▬ Tu crois vraiment que je vais me transformer en fleur en me regardant dans l'eau ?

Le regard de l'héritière, qui s'était aventuré jusqu'au sommet du jet d'eau, revint sur Maximus et resta bloqué sur lui deux secondes. Une fleur ? Et puis elle comprit. Maximus était vraiment musclé de partout, sauf du cerveau... Contrairement à Fluvia qui avait l'avantage d'être belle et intelligente. Chacun fait avec ce qu'il a. Elle s'avança de quelques pas vers le Poufsouffle et débita, d'un ton cassant et froid, un sourire toutefois taquin plaqué à ses lèvres :

▬ Narcisse est une divinité grecque qui est tombé amoureux de lui-même en se regardant dans l'eau d'une fontaine. Résultat en voulant embrasser son reflet, il s'est noyé...

Elle appuya ses deux mains sur le rebord de la fontaine, clignant des yeux à cause de l'eau qui reflétait le soleil. Elle y plongea ses doigts de la main droite et caressa la surface. Elle se tourna vers de nouveau vers Brankovitch et ajouta à voix basse :

▬ Prends garde à ce qu'il ne t'arrive pas la même chose.

Elle désigna l'eau d'un geste du menton, comme pour l'inviter à tenter le risque, telle une sirène qui appellerait le marin à se jeter dans les flots déchaînés...

Fluvia s'y connaissait dans l'art de la séduction. Elle avait plusieurs cordes à son arc, plusieurs gammes dans son jeu, ce qui lui permettait de parvenir à ses fins avec pratiquement tout le monde. Pour cela, elle avait pris exemple sur Père, redoutable manipulateur qui, tantôt séducteur ou tantôt menaçant, savait obtenir des autres ce qu'il voulait. Rôdée à ce jeu, donc, Fluvia en avait une certaine expérience. Certaines personnes étaient plus faciles à influencer que d'autres. Il fallait faire preuve de tact, savoir prendre le temps et grignoter peu à peu les réticences de l'autre. Maximus, à n'en pas douter, faisait partie de ces gens qui mordent au premier hameçon venu. Il semblait littéralement envoûté par la jeune femme qui, sans sa confiance absolue en ses atouts, aurait pensé qu'il avait pris une insolation particulièrement coriace.

Oh, bien-sûr, c'était gratifiant que de le voir loucher sur elle - toutes les filles de l'école, de la première à la dernière année, pinçaient pour Brankovitch. Et là, il était pratiquement à ses pieds...

Et terriblement prêt à toute initiative. Il saisit les doigts de Fluvia, les emmêla dans les siens. Puis, sans prévenir, il approcha la main de Fluvia de sa bouche et l'embrassa. La Serpentard ne put s'empêcher de faire résonner son rire - il ne manquait pas d'air, ce Brankovitch troisième du nom.

▬ Je t'arrête tout de suite, lui dit-elle, ne va pas t'imaginer que quelque chose est possible entre toi et moi.

Et pourtant, elle ne fit rien pour retirer ses doigts. Il était bien connu que Fluvia adorait jouer avec le feu...

Brankovitch n'était toutefois pas aussi mou du cerveau que l'avait estimé Fluvia. Ses réponses du tac au tac, qui renversaient la donne, le prouvaient. Fluvia était surprise et piquée de s'être trompée à son encontre. Cette surprise la ravissait et semblait lui promettre un jeu de séduction des plus corsés. Et sa main dans les siennes, et son baiser suggestif sur sa peau...

▬ Ne va pas t'imaginer que quelque chose est possible entre toi et moi.

Il jouait sur le même mode que Fluvia, avec des mots qui étaient le contraire de ce qu'ils pensaient et de ce qu'ils faisaient. L'héritière répondit à ses œillades langoureuses, tout en s’esclaffant au fond d'elle-même. Quel beau parleur ! S'il pensait qu'elle tombait dans ses filets, il se trompait ! Fluvia gardait l’œil ouvert et restait lucide. Et pourtant...

Elle sentit de l'eau fraîche mouiller son tee-shirt et rafraîchir sa peau. Elle était si stupéfaite qu'elle ne réagit pas de suite, se demandant si le Poufsouffle avait réellement fait ce qu'il avait fait. Oui, effectivement, et il recommençait de plus belle. En un rien de temps, la blonde chevelure de Fluvia fut trempée et son tee-shirt collait à son corps comme une seconde peau. Elle fit quelques pas en arrière, par mesure de sécurité. En temps normal, elle aurait jeté un sort à la personne pour se venger. Mais elle comprenait qu'il s'agissait d'un pur jeu de séduction.

▬ Maraud, fit-elle avec un sourire, tu es indigne de moi. Puisque c'est ainsi, je m'en vais.

Elle s'en alla en courant, semant derrière elle une multitude de gouttelettes d'eau, sans un regard pour le Poufsouffle.

Spoiler:

Il la poursuivait - elle le savait. Fluvia ne se retournait pas par orgueil, mais elle entendait le bruit de ses pas sur le sol avec ravissement. Elle était telle une proie prise en chasse par un prédateur qui ne doutait pas de la réussite de son entreprise. L'héritière ne voulait pas lui faciliter la tâche : elle allongea sa foulée, changea de temps à autres de direction et se faufila parmi les tables des bistrots.
Maximus était un sportif et, évidemment, il n'avait aucune peine à tenir le rythme. Fluvia s'engouffra alors dans une ruelle et les bruits de pas ne parvinrent plus à ses oreilles. Ah ! Elle l'avait peut-être semé ! Une partie de cache-cache s'annonçait-elle ?
Elle n'en continua pas moins sa course et longea la ruelle. Heureusement que son tee-shirt était mouillé - elle commençait à avoir chaud. Et soudain, alors qu'elle sortait de la ruelle, quelque chose l'intercepta.
Branko !
Souplement, doucement, il lui fit faire une volte et la colla contre le mur, bloquant ses poignets. Fluvia sentit des papillons dans son ventre et se retint juste de sourire. Elle était à bout de souffle et inspirait profondément.

▬ Tu ne peux plus t'échapper .... Mais en as-tu vraiment envie ?

Fluvia se contenta de le fixer du regard. A quoi jouait-elle ? Elle se rendit compte soudain qu'elle était vraiment tombée dans un piège : elle avait commencé à parler à Brankovitch uniquement pour se moquer de lui. La voilà qui se retrouvait littéralement coincée.
Son cerveau lui envoya fugacement l'image de Niclas, son fiancé de fraîche date, qu'elle n'imprima pas. Qu'elle ne voulut pas imprimer. Qu'est-ce que ça changeait, au juste ? Il ne le saurait pas, de toute façon. Et puis, ne se retrouvait-elle pas impuissante ?

▬ Tu aimerais bien, souffla-t-elle en souriant sensuellement, coulant un regard séducteur au jeune homme.
Elle était si près de lui qu'elle sentait son parfum boisé...

Maximus savait y faire ; il était joueur et précis. Fluvia se sentait comme une poupée entre ses mains. Lorsqu'il approcha sa tête de son visage, ce ne fut que pour la frôler doucement et ce contact fit frissonner l'héritière. Elle, qui était sortie avec plusieurs garçons déjà, était pourtant surprise de l'adresse de Maximus. Comme si elle ne l'impressionnait guère. Les regards qu'il lui lançait, toutefois, trahissaient son enthousiasme.

▬ Rien ne t'empêche de t'échapper ....

Il avait libéré ses poignets, mais son bras à lui enroulait sa taille. Fluvia, elle, avait posé sa main sur un de ses flancs, dont la fermeté révélait l'athlète qu'était le jeune homme. Elle se rendit compte que, non, elle ne pouvait pas s'échapper. Là, juste à ce moment, elle était bien et n'aurait souhaité pour rien au monde être ailleurs. Pour un peu, ses jambes ne la portaient plus - elle fondait littéralement.

▬ Non, eut-elle juste la force de souffler tandis qu'il déposait un baiser aussi brûlant que l'air de Falkonera contre son cou.

Elle ferma les yeux pour savourer la caresse et se colla davantage contre lui. A ce moment-là, un groupe de jeunes passa juste devant la ruelle. Occupés par leur conversation, ils ne firent pas attention à Fluvia et Maximus. Ce n'était pas des Anglais, mais cette interruption, aussi fugace soit-elle, ramena la jeune Avery à la réalité. Était-ce bien à un Poufsouffle qu'elle s'abandonnait de la sorte ? Elle glana quelques dernières secondes de plaisir puis, tout d'un coup, elle posa sa main sur le torse de Maximus et l'écarte d'elle.

▬ Oh, et puis si, fit-elle en reprenant son air méprisant qu'elle arborait quand elle l'avait accosté, tout ceci me lasse.

Elle fit quelques pas vers la rue principale, remit correctement ses cheveux qui terminaient de sécher, et tourna l'angle, le menton levé, la démarche fière et chaloupée.
▬ Si tu penses avoir un jour Fluvia Avery, tu te trompes, Brankovitch !

Et elle disparut dans la chaleur estivale.

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