Il était pas encore très tard. L'heure qu'il était j'en suis pas sûr mais je sais qu'il était pas très tard.
On venait de sortir, Moran et moi, de la salle du club de duel et j'avais rangé ma baguette magique encore fumante dans la poche intérieure de ma cape. La manche de mon pull était déchirée et j'avais des égratignures au front et sur les avant-bras. Ça m'empêchait pas d'être de bonne humeur, je venais de gagner mon duel face au Serpentard et j'en étais bien content. Et puis les blessures ça se soigne, les manches ça se rafistole et d'autant plus facilement quand on est sorcier.
« Sans rancune ? » que j'ai fait en administrant à Moran une tape sur l'épaule, sourire aux lèvres.
Le duel avait été serré et je l'avais battu de justesse. On se valait lui et moi et c'était plutôt sympa de jouer face à un adversaire de sa trempe. Quand c'est trop facile, c'est pas drôle et quand on est rétamé dès le premier sort, c'est pas drôle non plus. Moran et moi, c'était le juste milieu et c'est pour ça que c'était bien.
Mon ventre a grogné, j'avais une faim d'ogre et j'aurais pu facilement avaler à moi tout seul une dizaine de croque-sorcier avec supplément fromage.

Je sortais aux côtés de Luke, nous étions en fin d’après-midi. Pendant près d’une quarantaines de minutes, nous avions fait un duel, serré, mais que le Gryffondor avait remporté.
Nous n’étions pas dans un état formidable, mes cheveux étaient ébouriffés, ma manche gauche avait brûlé et j’avais une balafre sur la joue. Quand à Luke, une de ses manches avait aussi été victime du duel puisqu’elle aussi était déchirée et qu’il avait ça et là plusieurs égratinures.
En m’assénant une tape amicale sur l’épaule, Luke me demande si c’est sans rancune. Joueur, je lui réponds tout sourire :

   - Profites en, ce n’est pas comme si tu allais gagner souvent.

Luke et moi avions des niveaux sensiblement semblables. Et cela rendait les duels d’autant plus intéressent, parce que l’issue (malgré ma mauvaise foi) était toujours incertaine.
J’explosais de rire en entendant son ventre.

   - Alors, un petit creux ? Je pourrais presque croire que je t’ai épuisé.

Nous marchions à une allure raisonnable, nous étions encore au troisième étage. Il faudrait encore quelques minutes à Luke avant de pouvoir espérer se sustenter.
Luke était l’un des rares Gryffondor qui acceptait de converser avec moi et de retourner à la Grande Salle tout en discutant. Les relations entre les Serpentard et les Gryffondors étaient tendues et il était rare que deux membres de ces maisons s’entendent. Mais j’appréciais le franc-parler de Luke en plus de nos combats au club de Duel.
Alors que nous tournions dans un couloir pour rejoindre le Grand escaliers, j’entendis des rires derrière nous. Je nous pensais seuls à cette heure. Visiblement, je m’étais trompé.

« Alors, un petit creux ? a fait Moran en riant. Je pourrais presque croire que je t’ai épuisé.
— C'est ça, rigole, tu riais moins tout à l'heure ! » que j'ai fait sur un ton amusé.
En vérité, j'avais vraiment faim, le genre de grosse faim que tu ressens après un effort, quand t'as brûlé 300 calories mais que tu reprends tout en avalant trois cheeseburgers et un coke suivi d'une glace à la banane avec des éclats de cacahuètes sur le dessus. Et je me suis mis à rêver du repas de ce soir à la grande salle et j'avais vraiment hâte d'y être. J'allais tellement m'empiffrer que les elfes n'allaient pas suivre.
Y'a eu des rires derrière nous et je me suis retourné par curiosité. A l'autre bout du couloir avançait une bande de Serpentard un chouia plus vieux que nous, et ils ricanaient en nous regardant. C'était très certainement de la provocation et ils n'attendaient qu'une chose : qu'on leur demande s'ils cherchaient des noises. Mais j'avais pas envie d'entrer dans leur jeu du coup, j'ai détourné les yeux et on a continué à avancer avec Moran, comme si de rien était. Mais ça n'a pas du leur plaire car on a entendu siffler et comme y'avait que nous dans le couloir, ça ne pouvait que nous être adressé.
« Hé, le Sang de bourbe ! a fait un Serpentard et je me suis retourné pour lui faire face alors qu'ils nous rejoignaient. Tu fricotes avec les Sang pur ? Tu crois que c'est ça qui fera de toi un vrai sorcier ? J'ai de gros doutes ! »
Ils étaient quatre, et ils étaient plus âgés. Mais j'étais plus grand qu'eux et pour être franc, ils me faisaient pas peur.
« T'es soi-disant un Sang pur, que j'ai répliqué, et pourtant ça t'empêche pas d'être un sorcier médiocre, Parkinson. »
Il m'a regardé d'un air méchant et j'ai senti que ça allait mal finir, cette histoire.

« Nous rentrions simplement à la Grande Salle, a fait Moran. N'allons pas jusqu'à dire que nous nous fréquentons vraiment. »
Je l'ai regardé, genre « Ah ouais ?! ». J'étais soufflé. Pour sauver ses fesses, ce type était prêt à lâcher un copain juste pour faire bonne figure devant des camarades de maison avec qui il traînait même pas. Ça ne me serait même pas venu à l'esprit de faire un truc pareil, j'étais dégoûté qu'il n'assume pas et d'autant plus remonté contre cette bande de grands débiles qui nous faisaient face.
« Nous devrions y aller, a ajouté Moran. N'est-ce pas Perry ? »
J'avais envie de lui répondre « Ah, parce qu'on se fréquente, maintenant ? » mais j'en ai rien fait, préférant régler mes comptes en privé que devant cette bande de vautours. Donc je lui ai emboîté le pas mais je crois que ces maudits serpents n'en avaient pas fini avec nous car ils ont continué :
« Tu fais honte à ta maison, Powell, tu le sais, qu'à dit Parkinson. Pousseras-tu le ridicule jusqu'à défendre ce Sang-de-Bourbe ?
— Mais pour qui tu te prends ? que j'ai fait en m'approchant d'un pas et en glissant discrètement ma main dans la poche de ma cape où se trouvait ma baguette. T'as cru qu'il avait des comptes à te rendre, ou quoi ? Mais tout le monde s'en fout, de c'que tu penses, mon vieux. »
Les trois gorilles de Parkinson se sont avancés à l'unisson et j'ai remarqué qu'ils avaient des bras épais comme des poteaux électriques. Je me suis demandé si j'avais eu raison de faire le malin. Quant à Parkinson, lui, il avait un sourire mauvais qui présageait rien de bon.
« Tu penses vraiment ce que tu dis ? qu'il a fait d'une petite voix et ses trois gardes du corps se sont approchés davantage. Tu peux encore te rétracter, Sang de bourbe. »
J'ai soutenu son regard, ma main cramponnée à ma baguette, prêt à m'en servir. Comment cela allait-il se finir ?

Et c'est alors que les sorts ont fusé en tout sens, créant un véritable feu d'artifice : du rouge, du jaune, du bleu, le couloir du troisième étage était devenu un vrai spectacle de son et lumière. Ça aurait pu être chouette, j'aurais pu apprécier, genre vraiment, je suis un grand fada de ce genre de divertissement. Mais là, j'étais la cible de tous ces sorts et autant vous dire que j'en prenais plein la tronche. A quatre contre un, malgré les Protego lancés par Moran, j'avais à peine une seconde entre chaque sortilège pour respirer. Quant à me relever, après avoir été propulsé dix mètres en arrière, il fallait même pas y compter. Ils étaient peut être médiocres, comme sorciers mais quand ils s'associaient, c'était pas la même chose. J'avais réussi à leur lancer quelques sorts et j'en avais même mis un KO quand, après avoir été m'écraser contre une armure qui s'était effondrée dans un raffut terrible, je m'étais relevé pour voir qu'il n'y avait plus personne dans le couloir hormis Moran et moi. Ils s'étaient volatilisés. Il m'a pas fallu trois secondes pour comprendre pourquoi...
« Je peux savoir ce qui se passe, ici ? »
Une voix sévère et dure, celle de McGonagall qui nous regardait, les bras croisés et les yeux lançant des éclairs. Je me suis relevé, la tête basse. Je venais de me faire humilier par des Serpentard, mes fringues étaient dans un état lamentable et j'avais des bleus et des balafres partout.
« Mr Powell, Mr Perry, vous faites honte à cette école ! a fait McGonagall et j'ai gardé les yeux baissés. Vous battre tous les deux dans les couloirs de Poudlard, c'est inadmissible ! Je vous retire 20 points à chacun et vous allez tout de suite dans le bureau de Mr Picott qui vous donnera la retenue que vous méritez ! »
On s'était pas battu, tous les deux. Mais comment justifier ça à la prof ? Il n'y avait que nous dans le couloir, jamais elle ne nous aurait cru si on lui avait expliqué. Et puis ça n'empêche qu'on avait participé au combat, on était coupables quand même, et j'assumais mes actes. Et ça me permettrait de régler mes comptes en tête à tête avec Powell qui m'avait lâchement abandonné.

Le combat n'avait pas duré bien longtemps, mais suffisamment pour alerter un professeur. Malheureusement ce n'était pas la plus sympathique qui nous avait retrouvés, puisque la voix du Professeur McGonagall fendait l'air comme un sabre. Je me relevais en me massant le coude tout en la regardant nous dire que nous étions la honte de cette école et que nous devions de ce pas aller chez Apollon Picott pour notre heure de retenue. Bien évidemment les autres membres de ma maison avaient fui le professeur comme la peste, ce qui nous laissait, nous deux, comme coupables.
Touché dans ma fierté, je regardais le professeur dans les yeux avant de lui parler :  

   -    Professeur nous…
   -    10 points en moins pour vous, Monsieur Powell, ce qui en fait 30 en cinq minutes ! Sincèrement, j'attendais bien mieux de vous.

Elle fit voler sa cape pour repartir et je me retenais de lâcher un soupir. Je me retournais vers l'armure détruite sous le poids de Luke pour la réparer :

   -    Reparo.

Je me retournais sans un mot pour le Gryffondor pour aller vers le bureau de ce cher Picott, qui allait nous en faire baver alors que nous étions totalement innocents. Je ne supportais pas les injustices et je savais que Luke allait en rajouter une couche pour ce que j'avais dit et pour ne pas l'avoir aidé pendant qu'il se battait seul contre plusieurs Serpentard déchaînés. Une injustice de plus, puisque j'essayais de nous sauver la peau, la première fois.
Les couloirs étaient déserts et vu dans l'état dans lequel nous nous trouvions, c'était mieux comme ça.

Spoiler:

On s'est mis en route, Moran et moi, en direction des cachots où Picott avait établi son repère de concierge sadique. J'avais des douleurs un peu partout dans le corps, un vrai petit vieux et je boitais, un peu. Mais je restais silencieux, j'étais trop en rogne pour faire le premier pas et je risquais de regretter mes paroles si je parlais sans réfléchir. Du coup, on a fait tout le trajet sans rien dire, c'était pesant mais nécessaire, probablement. Et dans ma tête, alors que dans le couloir régnait un silence de mort, je me repassais toutes les images du combat en pensant à ce que j'aurais du faire pour gagner la partie.
On est arrivés dans les cachots où nous attendait Picott, les bras croisés, le regard sombre et toujours ses éternels cheveux gras qui encadraient son visage affreux. Il avait du être mis au courant de notre arrivée par le professeur McGonagall et je sais pas pourquoi, à sa mine, je me suis dit qu'on allait pas franchement rigoler.
Il s'est mis à nous engueuler, à nous dire qu'on était qu'une bande de bandimons, qu'il regrettait l'époque où on pouvait pendre les élèves par des chaînes accrochées dans la pierre, que s'il était directeur, il nous aurait renvoyé aussi sec. Sauf qu'il était pas directeur, Merlin merci. Après un sermon de trois quarts d'heure, il nous a finalement indiqué une petite salle qui jouxtait son bureau. Une pièce mal éclairée, avec quelques tables miteuses et des chaises bancales. Il nous a donné le règlement de Poudlard a recopier, c'était mieux que les chaînes.
Je me suis installé en silence —j'avais toujours pas envie d'ouvrir la bouche— et j'ai entamé mon recopiage.

HJ:

J'avais déjà écrit quelques mots quand Moran a pris la parole et ça a fait l'effet d'un coup de fouet, sa voix dans ce silence. Il n'avait pas encore fini sa phrase que je répliquais déjà :
« Tu sais quoi ? Tu es un lâche ! que j'ai fait en pointant le bout de ma plume dans sa direction. Tu es un foutu lâche, Powell ! Et tu le sais, j'en suis certain. Mais je vais pas t'engueuler, ça non. Et tu sais pourquoi ? Parce que c'est simple, je crois que ta conscience va s'en charger pour moi ! »
J'étais vache avec lui, je savais bien que s'il prenait ma défense, il signait son arrêt de mort. Après tout, il partageait sa salle commune avec ces gars-là et j'imaginais mal le restant de sa scolarité s'il se les mettait à dos. Mais j'étais têtu, aussi, et pas très compréhensif quant à ce genre de trucs. Il aurait beau me dire n'importe quoi que je continuerai à penser qu'il avait eu tord d'agir comme il l'a fait dans le couloir du troisième. Et puis merde, à un moment donné, faut faire un choix et faut faire le bon. Vivre toute sa vie comme un lâche mais sauver sa peau, ça c'est un mauvais choix. Du moins, c'était clairement pas celui que moi j'aurais fait. C'était peut-être pas pour rien que lui et moi on avait été envoyés dans deux maisons différentes, après tout.

Je n'avais pas finis ma phrase que Luke me coupait déjà la parole, vivement, sans me laisser aucune chance d'explication, comme je m'y attendais. Ma prédiction m'arracha un ricanement lorsque je l'entendis parler, mais c'était davantage un rire jaune que joyeux. Je posais doucement ma plume avant même d'avoir fini ma phrase pour me tourner vers lui, un coude appuyé contre le dossier de mon siège.

   -    Vous les Gryffondor, toujours à jurer par le courage, à agir comme des têtes brûlées… J'ai déjà bien assez agis en lançant des Protego pour t'aider. En me battant contre eux, ce n'est pas seulement ma scolarité que je ruine mais aussi mon avenir. Je ne suis pas si stupide.

J'avais chuchoté tout ce que j'avais dit, mais j'avais pris soin d'y mettre le ton.

J'en avais sans doute bien assez dit pour l'énerver un peu plus. S'il élevait la voix, Picott nous entendrait et nous donnerai deux heures de colle supplémentaires. Je repris ma plume et la trempais dans mon pot d'encre pour finir ma phrase commencée plus tôt. Je savais que je pourrais dire ce que je voulais à Luke, il était têtu et ne changeait jamais d'avis. Bien sûr, mon point de vue ne pouvait être objectif, mais j'étais certain en tout cas que son avis était extrême. A part quelques grognements du concierge qui rédigeait des fiches de retenues, le silence planait dans la pièce, entrecoupé du grattement de nos plume sur les parchemins encore bien clairs.

   -    Ma conscience se porte et se portera très bien, ne t'en fais pas pour ça.

J'avais mis le feu aux poudres, probablement. Je parlais de lui comme tête brûlée, mais en fait, je n'étais pas mieux loti que le Gryffondor.

J'allais répliquer un truc après l'intervention de Moran, mais je me suis retenu. J'étais pas bête, si on se disputait maintenant, lui et moi, on allait probablement finir avec quelques heures de retenue en plus. Et ça me disait trop rien, pour être franc. Et puis...
Et puis je savais bien qu'il avait raison. J'étais trop fier pour l'admettre et encore plus pour lui faire des excuses. Non mais il avait ses tords aussi, faut pas croire. Du coup, je me suis contenté de le regarder d'un oeil mauvais en secouant la tête de droite à gauche. Mais j'ai rien dit. C'était ma façon à moi de lui dire « On en reste là ». Je l'aimais bien, Moran, c'était un chic gars, mieux que les trois quarts des Serpentard, pour tout dire. Ça m'ennuyait de m'engueuler avec lui.
On a passé le reste de la retenue dans le silence. Parfois, on entendait Picott ronchonner à son bureau mais la plupart du temps, c'était les bruits de grattement des plumes sur les parchemins qui nous accompagnaient. L'heure est passée vite. On a rendu nos parchemins au concierge et avant de partir, il nous a passé un nouveau savon, nous disant qu'il espérait que ça nous avait servi de leçon, tout ça. Tu parles, je m'en fichais de sa retenue, moi.
En quittant la pièce, je me suis retourné vers Moran et d'un air très sérieux, je lui ai tendu la main.
« A plus tard, Powell » que j'ai fait avant de tourner les talons et de partir en direction de la salle commune des Gryffondor afin d'aller me changer avant le dîner.
Je lui en voulais encore, ça c'est sûr. Mais je devais prendre sur moi et c'est ce que j'ai fait.

HJ : Tu clos le sujet ?