Que ce soit en mai, en septembre ou en décembre, il fait toujours sombre dans la Salle des Cerveaux. Mais ne suis-je pas dans mon élément ? Je m’y sens plus à l’aise, entouré de cet air un peu frais que confiné dans une salle où les rayons de soleil n’apportent qu’une brève insouciance à ce qu’il se passe réellement. La lumière, la joie ? Balivernes. Dans les ténèbres nous pouvons tout autant trouver satisfaction et bonheur sans être éclairé par ce jour incessant.

Je m’essuie les mains avec un torchon. Mes expériences au Ministère se multiplient et, l’air de rien, le travail que je fais est très intéressant. La Salle des Cerveaux est pratiquement vide, peu de gens y travaillent. Et en général, je m’arrange pour ne croiser personne. Ce que j’y fais ? Étudier les pensées humaines les plus complexes afin de comprendre comment les êtres se comportent. Cela m’aide énormément pour développer mon talent de la manipulation, et je crois en comprendre la subtilité. Non, je la comprends, tout compte fait.

Je regarde ma montre. Il est l’heure d’aller manger. Je sors rapidement de mon lieu de travail et me pointe devant l’ascenseur afin de quitter le Département des Mystères. Mes lèvres émettent un léger sifflement, musique qui me revient de temps en temps lorsque je repense à ma terre natale. Amérique, belle Amérique. Je ne serai pas long.

L’engin arrive et j’y rentre en remettant ma veste en place. Une classe, cet Allister. Je me tiens adossé contre le mur du fond, place qui me permet d’observer les gens qui entrent et qui sortent. Le Département des Mystères se trouve au neuvième niveau du Ministère. Je descends donc tous les étages sans décroiser mes bras un seul instant, calme et silencieux, le visage n’exprimant aucun sentiment. L’ascenseur sonne alors le deuxième niveau, celui du Département de la Justice. Les portes s’ouvrent pour faire entrer une charmante créature, son visage clairement fatigué. Elle vient se placer à côté de moi et, pendant que les portes se ferment, je ne peux m’empêcher de lancer un :

« Dures journées à la Justice ? »

Mon regard porté sur les portes reste fixe, et un léger rictus se dessine sur mon visage.

Nymeria. Double jeu.

Je ne m’arrête jamais au Département de la Justice. À quoi bon ? Prendre le risque qu’on me reconnaisse ne fait pas vraiment partie de mes principes. Mais ce n’est pas pour autant qu’ils me font peur. Rien ne m’effraie, si ce n’est que le nom Allister soit salit. Perdre mon honneur ? Je n’en ai pas. Et puis, si je suis reconnu, il suffit d’un rien pour que je retourne aux États-Unis. Là-bas, il ne m’arrivera rien, que les autorités anglaises me poursuivent ou non. Appelez cela comme vous le voudrez. Lâcheté. Couardise. J’appelle simplement ça sauver sa peau. Je suis peut-être un lâche, mais le terme ne me parle franchement pas.

Je sens la charmante sorcière tourner la tête vers moi pour me répondre.

« Il y a des jours plus difficiles que d'autres .. Et aujourd'hui fait partie de ceux-là… »

Je souris. Une voix aussi douce que de la soie. Mais je ne connais pas cette notion de difficulté. Chaque jour résonne pour moi comme une nouvelle partie qui dure parfois plus longtemps que d’autres. Des plateaux de jeu. Visualisez un plateau d’échec, vous comprendrez. Et à la fin, cela finit toujours de la même manière

Échec et mat.

« Je vous comprends. Mais l’amour de notre métier rend les jours un peu plus surmontables. »

En m’entendant parler, je suis plutôt agacé. Mon accent américain se perd de semaines en semaines et je commence à avoir des intonations anglaises. Cela m’horripile, mais j’imagine que je ne peux pas faire autrement. L’idée de me transformer en buveur de thé me révulse d’horreur.

« On ne s'est pas déjà vu quelque part ? Votre visage me dit quelque chose. »

Cette fois-ci, c’est à moi de tourner la tête. Vraiment ? Je n’ai pas un visage à marquer les autres, pourtant. Je suis assez discret, marchant dans l’ombre et évitant tout contact avec une foule trop dense. Je souris intérieurement en pensant qu’elle se souvient de moi. Parce que moi, je ne me souviens pas du tout d’elle.
L’ascenseur s’arrête alors et s’ouvre pour faire entrer une dizaine de personnes. La seconde d’après, la belle créature se retrouve plaquée contre moi, n’ayant pas vraiment le choix. Mais je ne me décale pas, bien au contraire, et me penche même pour lui murmurer à l’oreille de ma voix grave.

« Je ne crois pas. Le Département des Mystères se trouve plutôt loin de celui de la Justice. »

Puis je me redresse en la fixant, un sourire au coin. Quelle jolie sorcière.

Nymeria. Double jeu.

Parfois nous faisons d’étranges rencontres, bonnes ou mauvaises, mais qui jouent un rôle clé indéniable dans notre futur. Je ne sais pas si c’est le cas ici, mais il n’empêche que cette sorcière a autour d’elle une étrange aura qui me touche imperceptiblement. C’est étrange.
Elle qui pense m’avoir croisé, je démens cependant son propos en accentuant le fait que nos Départements sont éloignés. La sentir à proximité de moi, ainsi bloquée à cause du nombre exorbitant d’employés dans cet ascenseur, est une sensation à la fois plaisante mais j’abroge dans mon esprit. Mon cœur n’a jamais ressenti de sentiments humains, et jamais je n’en ressentirai. Les seuls plaisirs que je ressens sont quand je tue, quand je sabote, quand je mens et manipule.
La jeune dame me tend alors sa main pour se présenter.

« Je m'appelle Audrey... Worthington … »

Un joli nom pour un joli visage. Tout sourire, je me penche et prends sa main pour venir y poser mes lèvres. Un rapide baisemain, quoique un peu incongru dans une situation telle que celle-ci, mais la sorcière n’est pas insensible à ma personne, je l’ai bien remarqué. Je relève la tête et plonge mon regard sombre dans le sien.

« Wyatt Allister. Enchanté de faire votre connaissance. »

Je laisse ma main quelques instants dans la sienne avant de la retirer non sans douceur. Cette partie risque d’être intéressante…

La tour s’avance.

Nymeria. Double jeu.

J’ai rarement rencontré d’aussi charmantes créatures que cette Worthington. Un visage doux et un parfum aussi exquis que celui-là, on n’en voit pas tous les jours. Je la sais sensible à ma présence, autant ne pas vous cacher que j’en joue légèrement –si ce n’est beaucoup ? La gente féminine m’a souvent glissé quelques œillades indiscrètes en pouffant de rire à mon approche. Du moins, c’était ainsi aux États-Unis puisque j’étais connu par la majorité de la société mondaine. Les Allister ne sont pas des inconnus. En revanche, je me fais discret depuis que je suis arrivé sur le sol anglais. Pas sûr que ma famille accepterait que leur héritier se fasse prendre parce qu’il vent du poison illégalement à l’Allée des Embrumes.
La jeune femme est troublée et se dit enchantée de me rencontrer. Mais je le suis de même, ma jolie colombe. Mon petit sourire en coin ne quitte pas mon visage, et tandis que l’ascenseur continue sa progression, j’observe les personnes qui sont autour de moi. Tous des robots. Des machines. Ils ne connaissent que la routine et se contentent de suivre à la lettre ce que l’on a prévu pour eux. Je n’ai pas été élevé comme ça. Je ne suis pas dans ce conformisme aveugle et suis mon instinct ainsi que mes envies. Je suis… imprévisible. Les gens qui pensent me connaître ne me connaissent pas, en réalité. Je ne montre que ce que je veux bien montrer.

« Vous n'êtes pas d'ici, n'est-ce pas ? Votre nom et votre accent ne sont pas britanniques ? »

Mon sourire s’élargit et je m’accroche un instant aux parois de la cabine lorsqu’elle s’arrête soudainement. Que de problèmes techniques, dans ce Ministère. J’espère ne pas rester coincé indéfiniment. Quoique, avec une si agréable présence féminine à mes côtés… Pourquoi pas, tout compte fait. Je plonge alors mon regard de le sien et lui réponds de ma voix grave.

« Belle déduction, miss. Je viens en effet des États-Unis, je suis arrivé sur le sol anglais il y a cinq ans. »

J’évite de trop parler de moi mais ne reste pas évasif sur le sujet pour autant. Elle ne se méfie de rien, pourquoi en serait-il autrement ? Je vais l’embobiner comme tous les autres, et ce ne sera qu’une partie de plus dans lequel je serai le vainqueur. Je me délecte d’avance sur ma victoire.

« Pas trop difficile de survivre dans ce métier d’hommes ? »

J’entends par-là la place qu’elle occupe en tant qu’Auror. Cette élite est composée essentiellement de la gente masculine, et je sais en connaissant la situation de mon pays que les femmes doivent se battre pour avoir leur place. Il en est certainement de même ici. Personnellement, je ne donne pas mon avis dessus. Je ne m’intéresse pas vraiment à ce genre de choses et me contente de m’occuper de sujet qui me concerne. Le reste n’est que… Divertissement, n’est-ce pas. Étant un homme, ce genre de problèmes ne m’embête pas vraiment.

Nymeria. Double jeu.

Je reste le dos appuyé contre le mur, les mains croisées devant moi, un sourire aux lèvres. La présence à mes côtés n’est pas pour me déplaire. Ce n’est pas tous les jours que l’on peut croiser une aussi ravissante créature. Nous parlons, de son métier principalement, et puis de mon origine étrangère. Ah, l’Amérique. Elle me manque tellement. J’ai ce que l’on pourrait appeler, le mal du pays. Je n’ai jamais vraiment digéré le fait que je sois partie des États-Unis, malgré cette envie d’en savoir plus sur le Lord. Peut-être que la jeune Auror pourrait me faire changer d’avis afin que j’apprécie un minimum ce pays… ? Peu sûr. Puis tout compte fait, je ne rejoindrai pas les rangs de ce mage noir. Je reste quelqu’un de très solitaire qui ne supporte pas de travailler en groupe. Je vends mes petits poisons dans mon coin. Les fabrique dans mon coin sans personne pour m’embêter. Les seules personnes qui ont accès à mon laboratoire sont au nombre de deux : Lys et Lyssa. Point. L’une parce qu’elle est mon apprentie, l’autre parce qu’elle est ma collaboratrice. Néanmoins, c’est toujours moi qui mène la danse.

« Cela met du temps pour faire sa place. Certains hommes nous croient incapables, d'autres nous pensent fragiles et nous protègent, certains nous ignorent carrément. J'essaie de ne pas y prêter attention en tâchant de faire toujours de mon mieux. »

J’hoche la tête pensivement. Elle a raison. Malgré mon caractère, je n’ai pas d’apriori sur les femmes. Je ne les range pas non plus dans ces cases de mère au foyer qui doit s’occuper de ses enfants. Je les pense tout, sauf faible. Ma sœur et ma mère en sont un bon exemple. Elles ne sont pas faibles mais bien fortes. Certainement les femmes les plus fortes que je connaisse. Miss Worthington a bien raison de se battre ainsi. Mais attendez… Auror ? Dans ce cas, elle doit sûrement connaître ma… cousine par alliance ? Raven. Rencontrée Lors de mes premiers pas sur le sol britannique. Une femme détestable qui ne semble pas adhérer aux idéaux de sa propre famille. Qui les a renié, presque. Non, je ne parlerai pas d’elle.

« Ceux qui pensent que les femmes sont faibles sont des abrutis. Elles méritent d’avoir une place dans notre société, » je dis d'un air monotone.

Pour une fois, je suis sincère. Je pense réellement ce que je dis. L’ascenseur s’arrête et les personnes à l’intérieur sortent. En compagnie de la charmante sorcière, je fais de même. Je ne sais pas si elle s’en va, mais j’ai bien envie de continuer la conversation. Alors qu’elle me tourne le dos, je pose ma main sur son épaule et me mets en face d’elle, tout sourire.

« Où allez-vous pour manger ? Je vous paye un coup à boire, si vous acceptez. »

Je ne sais pas ce que je fais, chose rare. D’habitude, je prévois tout et improvise. Là, j’ai l’impression que c’est le fiasco total. Inviter quelqu’un à  manger, et puis quoi encore…

Nymeria. Double jeu.