Bon, Alex commençait à comprendre. C’était pas trop tôt. Pourquoi il fallait toujours que je m’énerve comme ça pour que les gens percutent que je ne rigolais pas ? Est-ce que je manquais en crédibilité ? Est-ce que, à cause de ma réputation de tête brûlée, on avait tendance à prendre chacune de mes paroles pour une blague ? Ça, je n’en savais rien, mais ça commençait sérieusement à m’énerver. Comme si je ne l’étais pas assez. Au moins, il avait perdu tout sourire. Une conversation sérieuse pouvait enfin commencer.

« Tu n'as pas besoin de hurler comme un éruptif en manque ! Tu sais ce que tu es entrain de faire ? Tu es entrain de rejeter ta haine et ta rancoeur sur moi ! Mec, c'est pas parce que tes parents sont morts que tu dois détester tout le monde ! »

La blague de sa première phrase aurait pu me faire rire, en temps normal. Mais là, je n’étais pas d’humeur à rire. Même loin de là. Il m’avait foutu dans une merde, bon, c’était peut-être un peu excessif, néanmoins ça me plaisait pas du tout. Tout ce qu’il me balançait, là… Ouais, je le savais. C’était un pétage de plomb absolu et il avait eu le malheur de faire déborder le vase. Trop longtemps que je retenais tout ça en moi, et là, il avait tout fait péter.

« Désolée, il fallait bien que ça tombe sur quelqu’un ! continuai-je sur le même ton. Et tant pis si ça te plaît pas ! J’en ai marre de devoir m’excuser à chaque fois, c’est bon quoi ! »

Je fis une pause quelques secondes, le temps de reprendre mon souffle. Les échos de ma voix semblaient se percuter à l’infini sur les murs du couloir. Même un élève de l’autre bout aurait pu entendre notre conversation tellement je ne me cachais pas.

« Et par-dessus tout, implique pas mes parents dans tout ça, ok ? Laisse-les là où ils sont, j’ai suffisamment souffert pour qu’on me rappelle encore leur absence, t’as compris ? »

Je savais qu’il allait encore me faire la morale. Je le connaissais, lui et ses maudits proverbes tirés de ne je sais pas où. Lui avec son rapport… Particulier avec la mort. Mais j’en fichais royalement. Qu’il dise ce qu’il pense. Allez, c’était le moment.

Franchement, je ne savais pas quoi penser de tout ça. Entre colère, tristesse, déception, y’en avait des belles de couleurs dans ma tête. Je n’arrivais plus à réfléchir correctement et mes sentiments prenaient le dessus. C’était peut-être mieux ainsi, nan ? Après tout, j’avais toujours agis d’instinct sans vraiment utiliser les mécanismes de mon cerveau. Mais là… Là, je ne me contrôlais plus. Et toutes les réactions d’Alex ne faisaient qu’empirer les choses, encore et encore. Je le vis râler comme quoi ouais, c’était lui qui prenait tout dans la gueule. Et bah ouais, mon gars. Tant pis si ça te plaît pas.

« T'as besoin de personne pour te rappeler que tes parents sont morts et enterrés. Tu le fais tout seul ! »

Alors là. Il ne savait pas de quoi il parlait. De tous les regards que je recevais, encore aujourd’hui, qui me rappelaient JUSTEMENT qu’ils étaient partis. Mais ça, il pouvait pas le comprendre, hein ? Il avait perdu personne comme ça. Ses parents étaien toujours en vie, sa sœur aussi, et son frère, même si c’était un fils de gobelin, également. Alors, il pouvait pas comprendre ce que je ressens. Toute la révolte en moi.

« C’est facile de dire ça pour quelqu’un qui ne reçoit pas des regards de condoléances tous les jours, » lançai-je, sarcastique.

La vérité, j’avais l’impression que personne ne me comprenais. Que personne n’essayait, au moins. Que personne ne me laissait tranquille. Tout ce que je voulais, c’était qu’on cesse de me rappeler que mes parents n’étaient plus là. Pourquoi j’appréciais la compagnie de Moran ? Parce qu’avec lui, je parlais d’autre-chose. On s‘amusait, on rigolait. Il me posait une question pour voir si ça allait bien, puis on passait à autre-chose. Et c’était mieux ainsi. Pas comme Alex ou McKinnon, en bons gros forceurs !

« Et je te garantis qu'ils n'aimeraient pas te voir ainsi ! Tu crois qu'ils aimeraient voir leur fils se quereller avec tout ses amis pour des raisons stupides ? Putain moi je me retournerais dans ma tombe ! »

Je savais qu’il avait raison. Bien sûr. Mais il y avait une espèce de brume dans ma tête qui m’empêchait de piger. Peut-être parce que je n’en avais pas envie et que je voulais rester bloqué sur mes idées, pour une fois. Moi et l’orgueil des lions… Je ne pensais pas en avoir autant, en réalité. Je le fixai d’un regard noir avant de murmurer.

« Va te faire voir, Alex. »

Et je tournai les talons. Je savais que ça allait pas lui plaire. Peut-être qu’il allait me rattraper, peut-être pas. J’en avais rien à faire, de toute façon. Il faisait bien ce qu’il voulait. La preuve, non ? Il avait décidé d’un truc à ma place, sans mon consentement. Et qu’il me ressorte pas le coup de la fête ! Parce qu’au final, il s’était bien amusé, non ? Il avait même pu porter les vêtements de Saul et sortir les gros potins de Peter. Il aurait pu faire tout ce qu’il voulait pour se venger. Les Bombabouses, tout. Mais pas ça.

Comme je m’en doutais, Alex ne me laissa pas partir aussi facilement que je ne l’aurais voulu. Bon, en même temps, s’il m’avait laissé partir, je pense qu’il aurait baissé dans mon estime. Mais vraiment. Pire que maintenant, je pense. J’avais déversé déjà presque toute ma haine sur lui, et pourtant il résistait. Champion, le Rozen. Je pense que je ne m’étais jamais engueulé avec lui à ce point-là. Mais là… Devoir supporter toute cette accumulation, c’était devenu trop. Navré que ce soit le Serpentard qui ai été la goutte d’eau faisant déborder le vase, mais là c’était quelque chose que je ne pouvais vraiment pas accepter. Trop, c’était trop. Et je le lui avais fait très bien comprendre.
Il se planta devant moi en me pointant du doigt, écumant de rage.

« Tu as cru que tu allais pouvoir te défiler comme ça ? »

Oh, j’aurais bien aimé, ouais ! Nan mais qui il se prend ? Je ne peux pas dire « pour mon père », parce que ça serait vraiment de l’humour noir et glauque, mais sérieusement ? Je sais que j’ai de l’orgueil, je sais qu’il a raison, mais vous savez quoi ? J’aimerais qu’on me laisse tranquille, en fait ! Juste ça ! Est-ce que c’est si difficile à comprendre ou les gens sont bouchés ? Sérieusement. Je me pose sérieusement la question, là !

« Tu crois que moi aussi je n'ai perdu personne sur qui je tenais ? C'est vrai que la mort de mon arrière-grand-père ne m'a fait ni chaud ni froid. C'est vrai que je n'ai pas eu à supporter tout les regards de pitié dont je ne voulais pas. »

Je savais qu’il avait été profondément touché et marqué par la mort de son aïeul. Qu’il l’aimait beaucoup et que cette personne avait compté beaucoup pour lui. Bien plus que son propre frère, en tout cas. Mais comme il l’avait très bien dit, il n’avait pas eu à supporter tous ces regards dont il n’aurait pas voulu. Moi, si. Et ouais, je pleurais sur mon sort au lieu d’avancer. ET BAH C’ÉTAIT COMME ÇA, MERDE ! Si même Alex voulait pas le comprendre, alors qui, hein ? Qui, dans ce foutu château ?

« Alors tu peux pas comprendre, » je répondis, cinglant.

Je respirai un grand coup pour me calmer et reprendre une voix plus ou moins normale. Putain. J’en avais marre, genre vraiment. J’avais l’impression d’être un incompris depuis la mort de mes parents. Mais pourtant, les gens avaient juste à saisir une simple et unique idée : qu’ils me laissent tranquilles. Qu’ils me respectent, au moins. Qu’ils respectent ma décision.

« Écoute, commençai-je en me passant la main dans les cheveux, je suis désolé de m’être énervé contre toi, ok ? T’as été la goutte d’eau qui a fait déborder le chaudron, c’est comme ça. Mais là, j’ai juste qu’une envie, c’est qu’on me laisse tranquille. »

Je me pinçai les lèvres, désespéré.

« Merde, Alex, si même toi tu peux pas comprendre ça, alors qui peut, hein ? Qui ? »

J’avais envie d’une réponse, mais en même temps je n’en voulais pas. Dans ma tête, c’était… Ouais, nan, mieux valait ne pas décrire le bordel qu’il y avait en ce moment.  

Au départ, ça avait commencé par une simple plaisanterie, une petite vengeance de rien du tout. Oui mais voilà, c’était le petit truc de trop, pour moi. Depuis des mois, je prenais tout le temps sur moi, me contentant d’éviter de croiser McKinnon, de fermer les oreilles en entendant ses petites manifestations et passais à autre-chose. Mais évidemment, il avait fallu qu’Alex vienne y rajouter sa petite graine. Et pas des moindres. Il savait, pourtant… Qu’il ne fallait pas me chercher sur ce sujet. Il était peut-être l’un des mieux placés pour le savoir. Si je lui avais fait un coup vache avec Moran, ça lui aurait pas plu, je le savais. Parce qu’eux, c’était comme chien et chat. Ils pouvaient pas se voir. Donc je ne faisais rien pour les contrarier parce qu’ils étaient mes amis. Mais là…

J’étais parti dans le seul but qu’il me laisse tranquille, mais visiblement, il n’en avait pas fini avoir moi. D’un côté, j’en attendais pas moins de lui. Mais d’un autre, je voulais VRAIMENT qu’on me lâche les baskets. Ras-le-balais de devoir prendre sur moi à chaque fois. J’avais le droit d’exploser des fois, nan ? J’avais pas le droit ? Et bah allez voir ailleurs si j’y suis.

« Je maintiens que ce n'était pas une raison de s'énerver. »

Je serrai fermement ma mâchoire pour éviter de crier ou de faire péter ma voix pour je ne sais quelle raison. Ce n’était pas une raison ? Bien sûr. Il n’était même pas désolé. C’était ça le pire, je crois. Il ne s’était même pas excusé depuis le début. Certes, peut-être que j’avais eu tort de m’énerver aussi fort. Je dis bien peut-être. Mais dans tous les cas, je n’aurais pas été très heureux d’apprendre que j’étais lié avec McKinnon et je lui en aurais fait part de manière peu délicate comme je l’avais fait juste avant. Il ne semblait même pas désolé, merde ! Pour lui, ça semblait quoi, normal ? Tout était de ma faute ? Et puis quoi encore ?

« Je ne peux pas te le dire. Mais si tu en as ras le chaudron de tout ces gens qui te rappellent la mort de tes parents, dis-le leur tout simplement. Quitte à paraître impoli. Même si je reste persuadé que c'est toi qui fais une fixette là-dessus. »

Alors là, je ne savais pas quoi dire. C’était ironique, hein. Je ne le reconnaissais plus. Est-ce qu’Avery l’avait transformé au point qu’il devienne ce qu’il était en train de dire ? Mais qu’est-ce qu’il croyait ? Que j’avais laissé les gens me regarder d’un air peiné pendant tout ce temps ? Et ben non, mon pote. Je leur avais dit droit dans les yeux que je ne voulais pas de ces regards tristes. Qu’ils regardent ailleurs. Mais visiblement, ça ne leur avait pas suffi, comme remarque. Et ils avaient continué. J’expirai bruyamment en regardant autour de moi avant de refaire face à lui.

« J’fais pas une fixette dessus, ok ? Tu crois que je leur ai pas dit ? Que je me suis pas énervé ? Et bah si, figure-toi. Mais tu crois que ça leur suffit pour qu’ils comprennent, les gens ? Non. Et heureusement que je me casse de ce château à la fin de l’année. J’aurais pas pu supporter une année de plus ici. »

Bien sûr que j’exagérais. Poudlard, c’était tous les souvenirs. C’était les fous rires, Tsarducks, les bonnes Bieraubeure, c’était les passages secrets et les amis. C’était tout ça. Je soupirai soudainement, la mine déçue, et me passai une nouvelle fois la main dans les cheveux.

« Tu sais ce qui me tue le plus, Alex ? »

Je ne dis rien un instant pour qu’il se pose un peu la question. Chez Serpentard, on avait un cerveau, non ?

« T’as même pas l’air désolé, mec. Tu t’es même pas excusé de quoi que ce soit. »

Et voilà. C’était lancé. Je n’avais aucun remords à lui avoir dit. Allais-je regretter après ? Je ne pense pas. Il était temps que je lui dise, de toute façon.

« J’pensais pas qu’Avery t’avait influencé à ce point. »

Je savais que je touchais à un sujet sensible. Mais bon, c’était le moment pour tout dire, non ? Quitte à rompre définitivement les liens.  

Ma colère était soudainement retombée. C’était toujours comme ça, avec moi. J’explosais pendant de longues et bonnes minutes sans pouvoir entendre raison, puis je me calmais. Des fois pour cesser d’envenimer les choses, parfois pour, au contraire, dire droit dans les yeux ce que je pensais sans passer pour un colérique à l’état pur. Et en ce moment, c’était plutôt la deuxième option que je prenais. En baissant d’un ton, je n’avais pas vraiment voulu arrêter que les choses empirent. Parce qu’elles n’allaient pas arrêter d’empirer. Simplement, je voulais qu’Alex entende ce que j’avais à dire en me prenant au sérieux, un peu.
Il me dit que je ne pensais absolument pas ce que je pensais. Et bah… Quelque part si, en fait. J’avais hâte de rentrer dans la vie active même si ça me faisait un peu peur. Déterminé à être confronté aux problèmes extérieurs qui avaient coûté la vie à mes parents. Comprendre pourquoi et comment cela leur était-il arrivé pour pouvoir éviter cette douleur à d’autres personnes. Bien évidemment que j’allais regretter de partir quand je penserais à la multitude de souvenirs qui s’étaient inscrits au fer rouge dans ma mémoire. Bien sûr. Mais quand je pensais au danger qui nous attendait dehors… Je préférais être prêt.

Ça n’avait pas l’air de lui plaire, ce que je lui disais. Comme quoi il s’était pas excusé, tout ça. Je savais que les excuses, c’était pas son point fort. On avait tous un mauvais côté, un défaut qu’on n’arrivait pas à enlever parce qu’il faisait partie de nous. Moi, c’était peut-être mon orgueil et mon côté trop borné. Lui, c’était ça. On les connaissait, nos défauts. Mais on avait pas le choix que de faire avec. Il fallait nous accepter avec ça ou nous détester pour ça. Malheureusement, là, c’était bien ce que je lui reprochais.

« J’sais bien, mec. Mais tu vois, pour ton… Attends, frère ? J’pensais que t’aurais pu faire un effort. »

Il allait sûrement me sortir que moi aussi, j’aurais dû faire un effort et l’épargner de ma crise de nerfs. Que moi aussi, j’aurais dû faire la part des choses et ne pas me défouler sur lui. Que moi aussi, j’aurais pu arrêter de me comporter comme un idiot et faire la paix avec McKinnon. Enfin, que moi aussi, j’aurais pu tout simplement fermer ma gueule et repartir sur autre chose, oublier cet incident. Mais non. J’en avais marre, en fait. De devoir tout zapper et de prendre sur moi. Y’a des gens qui prenaient sur eux sans problème. Ça les gênait pas plus que ça. Ils étaient comme des réservoirs sans fond dans lesquels on pouvait entasser tout et n’importe quoi sans que ça déborde. Sauf que moi, j’étais pas comme ça. Non seulement mon réservoir n’était pas très profond, mais en plus il avait tendance à souvent déborder. J’avais vraiment fait des efforts ces derniers moi pour ne pas exploser. Parce que pendant tout ce temps, j’avais implosé, en fait. J’avais rien dit à personne. Et aujourd’hui, il s’en prenait plein la gueule.

« Tu choisis tellement bien ton moment pour m'assimiler à ce troll. Juste peu de temps après que je me suis fais jeter du groupe. Est-ce que tu es sérieux ? Tu penses vraiment que je suis comme eux ? »

Et comment je pouvais savoir qu’il s’était fait jeté par leur groupe, hein ? Il m’en avait même pas parlé ! Il me parlait jamais d’eux, de toute façon. C’était le sujet que je voulais pas aborder, et tant mieux. Pourquoi parler de ces abrutis ? Ils ne valaient pas mieux que des trolls. Alex était en train de véritablement s’énerver comme je l’avais rarement vu ainsi. Mais il fallait bien quelques tempêtes pour que tout redevienne normal après, non ? Quoique… Honnêtement, je ne savais pas si, suite à cet incident, tout allait redevenir normal.

« Ben des fois, je me le demande ! » répliquai-je.

Oui, c’était méchant. J’en étais conscient. Mais ces mots, je les pensais vraiment en ce moment. Alex avait terriblement changé au fur et à mesure qu’il avait traîné avec eux. J’avais fait partie des personnes qui lui avait conseillé de se méfier d’eux. Il nous avait pas écouté et voilà le résultat. Et moi qui pensais le connaître… En réalité, personne connaissait Alex. C’était un mystère à lui tout seul !

« Je t'interdis de penser que je suis comme Avery et de parler de l'influence qu'il aurait peut-être pu avoir sur moi. Tu n'en sais rien. Quand on ne sait pas, on ferme sa gueule au lieu d'émettre un jugement. »

Nan mais sérieux ? C’était de l’abus là ! Il osait me donner des ordres, à moi ? Alors que moi, tout ce que je lui avais demandé, c’était de s’excuser et il l’avait même pas fait ? Mais où on allait, là ? C’était le monde à l’envers. Il me demandait la montagne, je lui demandais le grain de sable sur la plage.

« Tu oses me donner des ordres, Alex ? commençai-je, la voix grave. Par contre, quand je te demande de t’excuser, tout de suite, « je n'aime pas m'excuser », et ça serait à moi de faire des efforts ? Écoute bien, je vais reprendre exactement ta phrase. »

Je m’approchai de lui, faisant mine de réfléchir, baissai la tête et accrochai son regard.

« Quand on ne sait pas, on se retient au lieu de faire des choses qui pourraient nous faire perdre un ami. »