Sybille avait quitté la salle commune pour se réfugier dans le calme de la bibliothèque. Un groupe de troisième année avait ramené des farces et attrapes de leur dernière sortie à Pré-au-Lard et avaient décidé, en cette veille de week end, de tester certains de leurs produits. Leurs rires et leurs cris avaient rempli la salle habituellement si calme et studieuse, rendant toute tentative de concentration totalement impossible. Et, pour étudier la position des astres, Sybille avait besoin de concentration.

Elle avait monopolisée une table pouvant, d’ordinaire, accueillir quatre personnes. Un véritable fouillis y régnait. Les cartes réalisées la veille en cours d’astronomie côtoyaient les livres d’astrologie. Elle faisait voler les parchemins à mesure qu’elle les remplissait. Elle réalisait des graphiques, des schémas et des calculs complexes, cherchant à découvrir si la position de Mars par rapport à Jupiter promettait un temps de paix ou de guerre, si l’alignement de Venus et Mercure surviendrait dans un avenir proche ou non. Elle avait besoin de savoir si les astres annonçaient les mêmes présages funestes que les rêves qu’elle faisait chaque soir.

Un ricanement résonna derrière elle et, avant qu’elle n’ait eu le temps de réagir, elle se prit un coup derrière la tête.

« Salut la foldingue. Alors, tu prévois la fin du monde dans combien de temps ? »

Trois filles s’installèrent. La première s’assit sur la table, sans se soucier de froisser les cartes pourtant tracées minutieusement. La deuxième commença à fouiner dans les papiers, attrapant les parchemins et les jetant au sol au fur et à mesure avec un air de dédain. La troisième resta plantée devant Sybille, le visage dur, jouant avec sa baguette.

« Je t’ai posée une question, tu es sourde en plus d’être bête ? »

Sybille lança un regard à celle qui trifouillait dans ses notes. Elle tendit le bras, saisissant le parchemin que l'autre regardait avec le même air méprisant que les autres.

« Ne touches pas à ça » lança-t-elle, d’une voix qu’elle voulait assurée mais qui trembla malgré tout.

La fille qui était assise sur la table ricana d’un air mauvais.

« Ne touche pas à ça ! », répéta-t-elle d’une voix nasillarde. Et, haussa les sourcils d’un air provocateur, elle saisit quelques cartes à pleines mains et les laissa tomber au sol.

« Pourquoi ? Tu comptes faire quoi ? Nous prédire notre mort prochaine ? »

Sybille ne répondit pas. Elles allaient finir par partir. Elles finissaient toujours par partir, au bout d’un moment.

 

« Si ce n’est pas elle qui vous la prédit, je vous garantis que c’est moi qui m’en chargerait, McCarthy. Sois en certaine. »

Sybille tourna la tête vers la voix qu’elle avait reconnu. Gardenia s’était approchée du petit groupe et, vu le regard noir qu’elle lança aux envahisseuses, elle ne plaisantait pas du tout. Sybille la regarda faire fuir les trois filles, d’une simple phrase, d’un simple coup d’œil. Elle aurait être un peu plus comme ça, Sybille. Un peu plus courageuse. Un peu plus sûre d’elle. Mais elle sa seule défense était la discrétion. La facilité qu’elle avait pour passer inaperçue lui avait surement sauvé la mise plus d’une fois. Mais dès lors que l’attention se posait sur elle, Sybille perdait tous ses moyens. Elle ne savait pas répondre aux insultes, ne savait pas être cynique, ni mordante. Elle ne savait pas non plus être effrayante et menaçante. Sybille, elle était douce et fragile. Beaucoup trop.

Gardenia lui adressa un sourire réconfortant.

« Tu vas bien ? S’enquit-elle. Elles ne t’ont rien fait ? »

Sybille secoua la tête.

« Non non. Je vais bien, ne t’inquiète pas. » Répondit-elle.

Elle se leva de sa chaise, et entreprit de ramasser les cartes qui avaient été jetées au sol. Elle les réinstalla sur la table, les étalant dans un ordre bien précis.

« J’ai l’habitude, avoua-t-elle en classant les notes mélangées. Elles sont agaçantes, et totalement stupides, mais elles ne sont pas violentes. Elles voulaient juste mettre un peu de bazar, je suppose. »

Sybille haussa les épaules, comme si ce qu’il venait de se passer n’avait pas la moindre importance. Comme si tout était parfaitement normal. Ses notes, graphiques et tableaux enfin triés, elle revint s’asseoir et leva son regard plein de reconnaissance sur Gardenia.

« Merci d’être venue m’aider, lui dit-elle avec un petit sourire. C’était vraiment gentil. »

Puis, son regard replongea dans ses notes et elle se mit à feuilleter l’un des livres d’astrologie, cherchant la page sur laquelle elle était avant l’intervention de ses camarades.