Dans la première pièce de la boutique d'Ava, on retrouvait de nombreuses étagères où ingrédients et potions toutes prêtes auraient pu prendre la poussière sans le plumeau magique qui s'agitait partout. Derrière le comptoir, les étagères étaient réservées aux potions les plus complexes et chères. Une porte menait à une autre pièce, le laboratoire de confection des potions, mais en cette période de forte fréquentation de la boutique et pour éviter des allers-retours inutiles, Ava préférait travailler derrière le comptoir. Assise sur une chaise haute, elle lisait le dernier Sorcière Hebdo tandis qu'à sa droite, un chaudron frémissait doucement, touillé régulièrement par magie, et à sa gauche, un couteau aiguisé coupait finement un bouquet de valériane.
Quand le tintement de la cloche s'était fait entendre à l'entrée de deux nouvelles clientes, Ava avait posé son magasine pour sourire et saluer poliment les deux femmes. La plus jeune, distraite, ne sembla pas lui accorder d'attention et, disponible, Ava s'occupa à ranger une nouvelle fournée de potions pour les maux de tête sur une étagère, attendant qu'on la demande, ce qui arriverait tôt ou tard.
La demoiselle finit enfin par s'approcher d'elle et bafouilla quelques mots qu’Ava manqua de comprendre, en lui tendant un parchemin. Généralement, c’était plutôt les jeunes garçons qui avaient tendance à bafouiller devant la potionniste. « Comment ?... » commença-t-elle avant de jeter un œil au titre inscrit sur le parchemin, Si tu refuses de signer, je te renie ma fille, comprenant enfin que la demoiselle lui demandait de signer une pétition. « Oh, un reniement, c’est un peu… péremptoire, non ? »
Au moins, le titre, même si quelque peu confus, avait eu le mérite d’attirer son attention. Sur le chemin de traverse, il n’était pas difficile d’être alpagué pour signer quelques pétitions, faire un don pour toutes les causes ou répondre à un sondage qui « promis, ne durera que cinq minutes » mais finit par en prendre vingt. Aussi, il était devenu comme à la mode de lancer des sortilèges, souvent des sortilèges de mutisme pour les plus gentillets, pour avoir la paix pendant ses courses.
Ava tourna le parchemin pour estimer le nombre de signatures déjà apposées et constata qu’elles n’occupaient même pas un verso complet. « Quelle est la cause que tu défends ? » somma Ava sans prendre la peine de lire le paragraphe explicatif qui suivait le titre. Elle voulait entendre les convictions de la jeune fille de sa propre bouche avant d’apposer son nom sur n’importe quel parchemin.

Alors qu'Ava s'attendait à de nouveaux bafouillements de la part de la jeune sorcière, celle-ci changea du tout au tout dans son comportement. Le sujet, on le sentait dans sa voix, lui tenait à cœur. Sans cette passion qu'elle avait, Ava aurait sûrement prêté moins d'attention à sa pétition, même si elle partageait l'intérêt pour le sujet. Ava avait assez peu foi dans le pouvoir citoyen.
Elle ignora d'un geste de la main les petits flacons de potions qui avaient manqué s'effondrer au sol sous la fougue de la jeune fille et écouta attentivement ses revendications. Elle employait la première personne du pluriel une fois, laissant penser à la potionniste qu'elle-même ne se sentait pas tout à fait libre et ressentait le poids d'une société sorcière au fonctionnement très patriarcal.

« Disposer de son coeur comme de son corps » répéta Ava, qui se retrouvait, en partie du moins, dans les paroles de la demoiselle. Même si son premier époux n'avait pas été le fruit d'un mariage arrangé - il n'était pas prévu qu'elle se marie avec cet homme, c'est plutôt sa relation avec lui qui les avait menés tous les deux à se retrouver dans un mariage dont voulaient leurs parents - elle avait le sentiment de n'être respectée en société que lorsqu'elle était au bras d'un homme. "Coincée dans un mariage", Ava ne l'avait ressenti qu'une fois, maintenant qu'elle se savait la cruauté de tuer un homme qu'elle avait aimé. Mais la possibilité (et l'envie d'ailleurs) n'était pas donnée à toutes les femmes de se débarrasser d'un claquement de doigts d'un mari attribué et non voulu.  

« Est-ce que je me méprends si je pense que c’est ton cas ? » demanda Ava avec toute la délicatesse du monde, interprétant son utilisation de la première personne associée à sa passion du sujet. Son regard alla de la jeune fille à sa mère : ses parents avaient-ils déjà choisi un époux pour elle ?

« Malheureusement, je pense que les traditions sont difficiles à faire disparaître chez les sangs-purs, même si, implicitement, beaucoup de personnes ne les approuvent pas, et celle-ci fait partie des plus ancrées. Tu as réussi à avoir des signatures ? »

Bien sûr, les mariages forcés avaient lieu principalement dans les grandes familles sangs-purs qui souhaitaient conserver une certaine pureté du sang, en plus de favoriser certaines alliances avec des familles précises. Pour sûr le ministère désapprouverait que des jeunes filles soient obligées d’épouser des hommes qu’elles ne connaissaient pas, n’aimaient pas… Mais face au silence entendu de tout un pan de la société sorcière, il n’y pouvait pas grand-chose.

Ava retint un léger mouvement de recul et cacha sa surprise à l’annonce de la demoiselle. Comment pouvait-elle annoncer si facilement que sa mère était moldue ? A la place, elle posa un regard neutre sur la femme qui continuait ses achats à l’autre bout du magasin. Comprenait-elle seulement la moitié des fioles qu’elle pouvait regarder ? Son regard revint sur la jeune fille.
Elle fut désolée de constater que la demoiselle avait une moldue pour mère. Certes, Ava n’était pas la femme la plus ouverte d’esprit sur les moldus – mais ses idées provenaient surtout de son ignorance sur ceux-ci. Le problème provenait surtout de sa déception de constater que ces idées novatrices ne provenaient pas du milieu directement concerné. Les moldus étaient donc autant en avance  sur le temps sorcier ? « Chanceuse. » commenta simplement Ava avec un léger sourire.

Elle était encore une fois d’accord avec la sorcière qu’elle trouvait bien mature. Quel âge avait-elle ? Pas plus de 17 ans. Et pourtant, à son âge, Ava était loin d’avoir de telles réflexions et elle était encore plus loin d’oser les formuler à voix haute.

« Comptons donc quatre signatures... » affirma-t-elle en récupérant le parchemin dont elle regarda la courte liste de noms inscrits. « … mademoiselle McKinnon ». Elle passa de l’autre côté de son comptoir, récupéra une plume qu’elle trempa dans un encrier et apposa son nom, Ava Zabini. Il faudrait encore du chemin à sa pétition pour espérer intéresser ne serait-ce que la secrétaire du secrétaire du ministre. Et Ava avait assez peu d’espoir de voir cette pétition finir ailleurs que dans un tiroir (sûrement le tiroir de son auteure d’ailleurs). Mais elle ne voulait pas décourager les rêves de Marlene. « Tu pourrais laisser un parchemin dans ma boutique, peut-être que certains clients voudront la signer. » proposa-t-elle.
Elle voyait déjà Morfin rire de la présence d’une telle pétition dans sa boutique. Peu lui importait. « Seulement des signatures de femmes ? Pourquoi pas ton père ? Comme tu l’as si justement dit, c’est un monde d’hommes : tu ne peux pas espérer que les choses changent sans les intéresser par ton combat. »

Ava, aussi persuadée qu'elle l'était que cette pétition n'avait aucun avenir, gardait en tête qu'elle n'en était pour autant pas futile. Alors même si le parchemin allait sûrement servir plus souvent de dessous de verres, la potionniste était d’accord pour afficher son soutien à la cause des jeunes filles mariées contre leur gré, jusque sous le nez de ses clients.

En avisant le regard fuyant de Marlene, il lui sembla avoir fait une maladresse en mentionnant le père de la demoiselle. Elle ne s’en formalisa pas pour autant et la jeune femme rebondit aussitôt, bille en tête contre les hommes.

Elle ne put retenir un rire spontanée quand Marlene fit référence aux tendances tripoteuses de souaffles des hommes. « Les… souaffles… peuvent être un argument pour intéresser ces ‘’têtes de botrucs’’ au combat. Si tu vois ce que je veux dire. La grève du sexe est une technique qui a eu son effet, dans l’histoire… » lâcha-t-elle sans hésitation, peut-être moins prude que la jeune femme ou tout simplement moins imaginative pour user de la métaphore ?

« Quoi qu’il en soit, mon cher époux a tout intérêt à signer cette pétition, s’il ne veut pas mourir dans d’affreuses souffrances. » déclara-t-elle très sérieusement avant d’ajouter avec un sourire : « Je plaisante, bien sûr. »

Spoiler:

Ava ne savait comment interpréter la grève de la jeune fille. Y avait-il un petit copain frustré derrière la grève ou au contraire pas de petit copain, ce qui facilitait plutôt la tenue de la résolution… Mais après tout, au même âge, Ava connaissait déjà son futur premier mari intimement, alors elle fit l’hypothèse de la première solution. « Mène-les par le bout du nez plutôt que l’inverse, alors ! » conseilla-t-elle.
Elle, mariée ? Plutôt trois fois qu’une ! faillit-elle répondre à la question de Marlene, avant de se contenter d’un hochement de la tête. Le problème était qu’annoncer si joyeusement et sur le ton de la plaisanterie qu’elle était déjà deux fois veuve et déjà remariée, en l’espace de quatre ans, ça pouvait paraître suspicieux. Surtout après avoir menacé sur le ton de l’humour de tuer son actuel mari dans d’atroces souffrances s’il ne signait pas une simple pétition. D’autant plus qu’elle était loin d’être un modèle et avait beaucoup regretté son premier mariage à sa sortie de Poudlard, qu’elle avait en quelque sorte provoqué mais surtout subi car pressée par les deux familles. « Je te remercie ! Je ne me souviens pas de toi, pour être honnête. » Sortir du lot avait été un vrai enjeu de son adolescence : quand son frère ne parvenait pas à s’intégrer à la société sorcière anglaise, elle avait au contraire parfaitement réussi à s’insérer, son nom combiné à sa beauté faisant le travail pour elle, avec l’avantage d’être un parti intéressant en tant que femme. En retour, évidemment, elle ne s’intéressait pas du tout aux élèves plus jeunes, encore moins au sang impur comme la demoiselle.
« Oui, très heureuse ! » répondit-elle en toute sincérité. Ava avait tendance à vivre ses relations avec beaucoup de passion : elle aimait passionnément puis détestait tout aussi vivement. Ses trois maris avaient été très différents, mais Trevor ne l’avait encore jamais rendu malheureuse. Bien sûr, elle ne se berçait pas d’illusions en se disant que les choses resteraient parfaites avec lui, mais jusque-là, elle était satisfaite de son mariage. « Bien sûr, il avait les qualités nécessaires pour prétendre me courtiser… » Elle entendait par là qu’il était sang-pur et provenait d’une famille plutôt bien placée dans la société sorcière. « Et puis il est effacé pour que je ne devienne pas simplement “femme de” ! »

Spoiler:

Femme accomplie puis épouse accomplie, Ava forçait l’admiration de Marlene qui la regardait avec des yeux brillants. Et comme à l’époque de l’école, elle se surprenait à penser qu’elle aurait bien aimé un peu plus lui ressembler. La potionniste parlait de qualités nécessaires et l’élève projetait ses propres fantasmes : respect, gentillesse, écoute, générosité ... Elle ne connaissait pas beaucoup de garçons qui étaient de nature à s’effacer, à vrai dire, elle n’en connaissait qu’un seul. Dommage que ce dernier n’ait, jusque là, jamais eu sa préférence. « Plus sympa que de se faire considérer comme une carte chocogrenouille … ». Moïra McKinnon était de retour et dut se racler la gorge pour retrouver l’attention de sa fille qui semblait avoir trouvé un nouveau modèle à suivre un peu moins orthodoxe que le sien. « Tu vois ? Déjà une signature de plus ! » fanfaronna-t-elle auprès de sa mère qui se contenta de saluer puis de remercier la tenancière sans l’ombre de la moindre conviction. « Merci, c’était chouette de te croiser après tout ce temps ! - finissait de babiller la sorcière mêlée en se faisant traîner par la manche - Je repasserai bientôt ! ». La porte de la boutique tinta en se refermant derrière elles. « Pas sans que je sois présente » fut-elle enfin corrigée. La majorité sorcière ne semblait pas faire grand sens aux yeux de sa mère moldue. Vivement la rentrée, se contenta de penser son enfant pour une fois silencieuse et pensive.

Spoiler:

Alors qu'elles étaient en pleine conversation durant laquelle Ava se plaisait à se complimenter elle-même sur la réussite de son mariage, la mère de la jeune femme les interrompit. Ava lui prépara un paquet pour les potions qu'elle avait choisi sans l'aide de leur créatrice, qui en avait un peu oublié son rôle de commerciale pendant tout ce temps. Etonnamment, la moldue semblait s'être débrouillée sans elle, elle n'avait donc pas à culpabiliser. Ava imaginait sans mal que la mère avait dû se former aux choses de la vie sorcière en quelques années... Etonnant comment les moldus pouvaient s'avérer très résilients.

« Le plaisir est partagé ! Bonne rentrée à Poudlard ! » répondit Ava alors que Marlene était presque traînée par sa mère vers la sortie. « Au revoir mesdames ! »

Le tintement de la porte résonna après leur départ et Ava retourna à la confection de la potion qu’elle avait arrêtée à l’entrée des deux femmes. Sur le comptoir, un parchemin de la pétition de Marlene attendait qu’on y ajoute de nouvelles signatures.

FIN