S’entraîner tous les jours. C'était la clé du succès pour produire un son parfait, une histoire écrite sur une portée à cinq lignes, parsemée de croches, de rondes, de blanches et de noires, et bien d'autres encore. Svetlana jouait du violon tous les jours pour ne pas perdre la main et surtout pour le plaisir d'en jouer. La musique était l'un des traits particuliers chez les Vassiliev. Tous en jouaient.

A cette heure, il n'y avait personne dans le parc, surtout un dimanche. Lana aimait ce moment où le ciel perdait son manteau obscur, laissant le soleil percer à l'horizon. Le parc de Poudlard, immense, regorgeait de petit spot pour observer le lever du soleil. Près du lac, il y avait ces arches de pierres, datant surement de l'époque médiévale... La fille Vassiliev aimait s'y poser et jouer de son instrument. Elle guettait l'horizon, attendant le moment idéal pour commencer à faire glisser son archet sur les cordes.

Enfin, les premiers rayons percèrent à l'horizon. Il était temps. La musique se mit à résonner. Elle était suffisamment loin du château pour ne pas attirer les habitants et rester dans sa chère solitude. Le morceau était plutôt gai et dynamique, son bras et son corps se balançaient avec énergie. La belle quitta alors son masque de glace, laissant ce rare sourire étirer ses lèvres. Elle était bien. Elle pouvait se laisser aller.

Elle jouait depuis quelques minutes déjà quand une brindille se brisa derrière elle, produisant un son sec qui la fit s’arrêter net. « Qui est là ? » Lana se traita d’idiote la seconde suivante. Qui d'autre à part un élève ou un professeur de Poudlard ? Ou peut-être une créature de la forêt ?

Comme Jyn préférait la solitude à toute autre chose sur Terre, il y avaient des choses et des lieux qui lui seyaient mieux que d'autres. La Tour d'Astronomie se trouvait malheureusement être le point de rendez-vous des couples cherchant la discrétion lorsque l'année avançait, les serres étaient toujours parsemées de curieux désireux d'emporter dans leurs dortoirs une racine de Mandragore et le parc, généralement, était le lieux le plus bruyant de Poudlard. Mais pas le dimanche soir. La petite orpheline choisissait justement ce jour-là pour passer le plus de temps dehors. Elle venait tout juste de fausser compagnie à Wilda qui, bien que très compréhensive sur ses envies solitaires, avait parfois tendance à la coller et à rester avec elle. L'enfant terrible qui portait le patronyme de Dawkins lui avait donc filé entre les doigts alors que son amie - qu'il était étrange de penser d'elle en ces mots - essayait de la convaincre pour une partie de bavboules acharnées. Mais comme tout ce qui touchait à la magie, Jyn le détestait. Ce jeu, comme les baguettes, comme ce château et le Quidditch. Ce jeu, tout comme la magie, n'entrait pas dans les préférences de la petite fille qui se revendiquait fièrement comme une moldue et non une sang-mêlée ou une né-moldue. Logique, en soit, puisqu'elle ne connaissait pas ses parents biologiques. Ils auraient pu être deux goules décharnées que cela n'aurait fait aucune différence, car si les vagues traits de son père dont elle se souvenait laissaient penser qu'il était charmant, avec le temps, elle ne savait plus rien. Peut-être avait-elle fantasmé ces traits-là un soir pendant qu'elle était seule à pleurer son papa dans la chambre de la maison de Monsieur et Madame Dawkins, ou peut-être qu'ils étaient fidèles à la réalité. Jyn était intimement persuadée qu'elle ne le saura jamais.

Ces tristes et terribles pensées hantaient l'esprit de la minuscule Poufsouffle qui venait trouver du réconfort dans le parc du château. Elle comptait grimper dans un arbre, arracher quelques branches, et rester en paix avec cette nature qu'elle aimait tant, mais qu'elle voyait bien peu à cause de l'école de Sorcellerie Poudlard. Hélas, ce plan - comme tous ceux qu'elle mettait au point - avait une faille et celle-ci se trouvait être une faille tout à fait inattendue. Là, dans le parc habituellement silencieux à cette heure-ci, s'élevait de la musique. Jyn n'était ni assez patiente, ni assez calme pour s'intéresser à ce genre d'art. Elle préférait passer du temps en forêt et vaquer à ses occupations plutôt que d'essayer et d'échouer à jouer d'un instrument. Jouer pourquoi, d'ailleurs ? Pour elle ? Pour ses parents adoptifs ? Pour un public ? Oh, non, elle était bien trop sauvage pour se produire devant qui que ce soit, et elle n'était pas assez initiée à cela pour imaginer prendre du plaisir à jouer. Ses pensées l'aveuglèrent et elle ne se rendit pas très bien compte qu'elle venait de marcher sur une brindille. Comme le son d'une cloche violente, cela la fit redescendre sur terre et elle se jeta dans un buisson pour ne pas être vue de la fille qui venait, bien entendu, d'élever la voix.

(560)

Un bruissement de feuilles intense, puis plus rien. Comme si un animal venait de se terrer à l'instant, apeuré par sa présence. Svetlana scruta la forêt, les sourcils froncés, sur le qui vive. Elle n'aimait pas être écoutée. Rare étaient ceux qui pouvaient profiter de sa musique. Darius faisait parti de ceux là. Fronçant les sourcils, la slave fit quelque pas en direction des arbres. Cela ne la rassurait guère mais bien qu'elle ne soit pas gryffondorienne, elle avait un peu de cran. Sa main libre, qui ne tenait pas son violon, plongea dans la poche de sa cape pour serrer sa baguette entre ses doigts. Son contact la rassura aussitôt.

Un nouveau bruit la fit se retourner et pointer sa baguette sur un arbre. Aussitôt, une brindille s'agita sous son nez, remuant de longs doigts crochus. « Un botruc ! » s'exclama-t-elle en rangeant sa baguette. Lana joignit ses mains comme pour faire une prière et s'inclina pour s'excuser face à la créature qui s'apaisa aussitôt. Pour la tranquilliser plus encore, la jeune femme joua un petit air, léger. Aussitôt, le botruc se mis à remuer ses extrémités parsemées de petites feuilles vertes. La musique avait ce don d'apaiser les mœurs. Svetlana s'arrêta rapidement et retourna vers son spot. En passant, elle vit un bout de vêtement dépasser d'un buisson. Ainsi donc il y avait bien quelqu'un, elle n'était pas encore devenue paranoïaque.

Son soleil se couchait de plus en plus à l'horizon, disparaissant derrière ce lac devenu scintillant. Un spectacle magnifique qu'elle adorait. La solitude lui faisait du bien, surtout en ce moment. Les problèmes s'accumulaient, les pressions aussi. Malheureusement, ce soir, elle ne l'était pas. « Tu vas te terrer longtemps ? »

Jyn avait le coeur qui battait la chamade, comme s’il avait voulu jouer de la musique avec l’instrument hautement barbare de la fille qui l’utilisait. Son petit coeur que beaucoup jugeaient de pierre aurait pu symboliser avec une tout autre poésie, le métronome que la Serdaigle n’utilisait pas. Là, dans son bosquet, elle pensait être à l’abri. Minuscule comme elle l’était, sa tête ne dépassait guère des buissons, mais dans la précipitation, elle n’avait pas fait attention à son pull de grand-mère qu’elle trimbalait toujours avec elle. Loin d’elle l’idée de garder toujours l’uniforme hideux qu’imposait cette école - comme si elle ne savait faire que cela - aussi la petite orpheline préférait largement troquer ses vêtements contre ceux de la vie moldue dès lors que les cours étaient finis. Ce château, son directeur, et plus encore ses élèves, semblaient désireux d’inventer toutes sortes d’obligations auxquelles soumettre chaque individu qui avait “la chance” de marcher sur les vieilles dalles du bâtiment. Entre cette stupide règle de ne pas aller dans la forêt interdite - que Jyn prenait un grand plaisir à bafouer, croyez-le ou non - ou les Serpentards qui se croyaient intelligents à créer des barrières inutiles entre des individus déjà différents, tout semblait être à mille lieux des préoccupations solitaires de la gamine écossaise. La Poufsouffle entendit une exclamation lointaine, soupira de soulagement comme la voix de sa propriétaire semblait se trouver étrangement à plusieurs mètres d’elle, et sursauta pour tomber sur son derrière lorsque la voix s’adressa - ne se trompait-elle pas ? - à elle.
Jyn n’avait pas du tout envie de croiser quelqu’un ce soir. Pas du tout. Elle avait échappé aux griffes de Wilda pour un peu de bonheur paisible dans le parc, ses efforts ne pouvaient pas être gâchés par une fille qui se croyait être dans son conservatoire. Pendant de longues secondes, l’orpheline ne dit rien, pesant le pour et le contre. Ses yeux bleus se promenaient avec préoccupation sur d’autres caches vers lesquelles elle puisse s’enfuir pour réclamer son salut. Si paraître pour impolie ne la dérangeait pas outre mesure - les sorciers n’étant que de vulgaires brutes armés d’un bâton de bois ! - elle n’avait cependant pas envie d’être poursuivie comme une proie. Bien qu’elle était rapide, agile et montait très facilement aux arbres, l’enfant terrible se contenta de se relever pour ne laisser dépasser que la tête de son bosquet : « Non ».

De longues secondes passèrent dans le silence le plus total. Une fois encore, Svetlana se demanda si elle avait, une fois encore rêvé. Puis, un bruissement de feuille retentit enfin, suivit d’un « non », ferme. La jeune slave était surprise. Ce n’était un comportement avec lequel elle avait l’habitude de composer. Sa tête pivota légèrement pour contempler ce visage juvénile et sauvage qu’elle avait surement croisé à Poudlard mais qu’elle ne saurait nommer. Avec un haussement d’épaule, elle retourna dans sa contemplation du coucher de soleil tout en rangeant son violon dans son étui. Rares étaient ceux à Poudlard devant lesquels elle se « produisait ».

Au lieu de jouer, la moscovite sortit de son sac quelques feuillets, des portées vierges de toutes notes de musique. Parfois, elle essayait de composer. C’était un exercice particulièrement difficile surtout quand elle ne pouvait pas jouer de l’instrument en même temps, mais Lana connaissait par cœur chaque note et chaque tonalité. Elle positionna ses doigts en l’air, tenant un instrument invisible, les remuant pour les placer correctement sur les cordes, jouant un air inaudible. Convaincue, la belle traça quelques noires, croches et rondes en un enchainement que seul un initié à la musique pouvait comprendre. C’était un langage particulier, mais que tous pouvaient comprendre avec quelques notions.

La luminosité avait déjà fortement baissé mais Lana ne voulait pas utiliser de sortilège pour s’éclairer. Ce moment naturel était bien trop beau pour le gâcher avec quelque lumière que ce soit. Elle jeta un œil à sa montre. Elle avait encore un peu de temps jusqu’au couvre-feu. En relevant le regard, l’astre solaire était à moitié enfoui dans les eaux glacées du lac, faisant miroité à sa surface milles diamants. Comment se lasser ? Elle en oublierait presque la petite sorcière.

On disait souvent de la petite Dawkins qu'elle était folle, sauvage, associable voire même d'après ses victimes, dangereuse. Car elle ne regrettait pas d'utiliser la baguette pour terroriser ses oppresseurs, qu'elle renvoyait dans les pâquerettes à coup de crache-limaces bien rodés. Amycus Carrow avait été sa plus belle réussite avait-elle toujours pensé, surtout qu'elle avait évité ses représailles comme il avait été viré dans la semaine. Les bruits couraient sur ce garçon mais peu savaient réellement ce qui avait conduit le directeur à opter pour une option aussi définitive. Le professeur Dumbledore après tout, était connu pour être un homme bon, et bien que Jyn tirait la langue à ce genre d'individus, elle devait bien reconnaître qu'il n'y avait que la bonté qui pouvait l'empêcher de la renvoyer pour violences. Car en effet, si elle n'attaquait jamais en premier - loin d'elle l'idée de s'attaquer à quelqu'un qui ne lui avait rien fait - elle était souvent la dernière à lancer un sortilège. Aussi pitoyable était-elle en cours, l'orpheline était cependant douée avec la magie, qu'elle le veuille, ou non.
La jeune femme qu'elle venait de surprendre, elle ne la connaissait pas. Il fallait bien dire également que Jyn ne connaissait pas grand monde, comme elle s'intéressait peu à ceux qui peuplaient le sien. Ses connaissances au château ne se comptaient pas sur les doigts d'une main, puisqu'elle était obligée de se sociabiliser de force, notamment dans les cours du Professeur Slughorn. Cette espèce de vieille limace veillait toujours à ce qu'elle soit en binôme avec Dave, et le seul rêve de la petite galloise, c'était de lui faire exploser son chaudron à la figure. Bien qu'interdite devant la fille, elle plissa les yeux en constatant qu'elle ne lui parlait pas. Elle y vit là un moyen de s'enfuir sans avoir à discuter, et elle se releva comme mordue par un botruc, avant de constater que la blonde sortait des feuilles. "Pourquoi tu viens ici pour jouer ?" croassa la petite orpheline, bien malgré elle. Elle plaqua une main sur sa bouche, scandalisée d'avoir parlé, au lieu d'avoir fuit comme elle l'aurait fait d'habitude.

La plume suspendit son mouvement quand la voix de la jeune fille s'éleva. Svetlana se tourna vers ellé là fixant, le sourcil relevé dans une marque d'étonnement. Il était étonnant que la petite sauvageonne lui adresse ses mots alors qu'elle cherchait auparavant à se cacher d'elle. "La même chose que toi j'imagine." Dit-elle avec un brin d'ironie.  Mais elle se radoucit instantanément, roulant les r avec grâce, preuve évidente de sa langue maternelle. "Je joue devant peu de personnes. Je préfère être seule quand je prends mon violon". A poudlard, seuls Darius et Swann avait pu entendre ses accords. Ses parents étaient évidemment très regardant sur son évolution mais c'est devant ses grands-parents qu'elle prenait le plus de plaisir à jouer.

Et puis, il y avait ça. Ce silence, cet environnement paisible. Et cette vue. D'ailleurs, d'un geste de la tête, la russe désigna ce couché de soleil qui donnait au ciel de magnifique sur couleurs ocres tandis que le long manteau nocturne s'imposait, petit à petit. "Si tu le souhaites...". Sa main désigna une place à ses côtés, idéale pour observer l'astre royal disparaître à l'horizon. De nouveau inspirée, la belle poupée russe noircit de nouveau son parchemin de quelques notes de musique.

Jyn n'était pas venue pour trouver de la compagnie parce qu'elle fuyait celle-ci. Elle fuyait même parfois la gentille Wilda qui s'était attachée à elle pour une raison qu'elle ne comprenait pas. Elle n'était pas agréable, et elle n'était pas gentille. La Poufsouffle était un répulsif à moustiques et à personnes. Il n'était pas compliqué de comprendre l'abandon de ses parents, mais Wilda ne l'abandonnait pas. Pas encore, en tout cas. Finalement, en sa compagnie, l'orpheline se sentait bien. Comprise ou en tout cas un peu, même si son amie - qu'il était étrange de parler d'elle en ces termes ! - veillait sur elle comme un oeuf de dragon sur le feu. Elle avait parfois l'impression qu'elle était un peu sur le qui-vive. Mais tout le monde était comme ça, avec Jyn. L'ironie qu'utilisa la jeune femme ne plût pas du tout à Jyn qui fronça les sourcils, prête à cavaler en sens inverse. Malgré tout, la violoniste l'invita à s'asseoir ou à rester, ce qu'elle ne fit pas. La petite fille avait une fierté qu'elle entendait préserver, et un besoin de solitude qu'elle aimerait bien combler. Elle ne connaissait pas cette Serdaigle, ni même son âge, mais elle savait simplement qu'elle la dérangeait par sa seule présence. En d'autres termes, Jyn était dégoûtée parce qu'elle était arrivée avant elle. Impossible donc, de la déloger. Elle croisa les bras sur sa poitrine et la regarda d'un air défiant : "Non". Avec d'autres individus, la petite fille aurait peut-être eut gain de cause mais elle savait, avant même d'avoir essayé que celle-ci n'était pas de la même trempe. La jaune et noir savait qu'elle allait être celle qui allait abdiquer, hélas. "Bon jouage d'instrument" fit-elle naturellement un néologisme immonde. Elle se détourna d'elle dans l'idée d'aller de l'autre côté de la rive du lac noir pour avoir réellement et simplement la paix. La morale de l'histoire, c'était de ne pas abuser des scones au dessert pour venir plus tôt se promener dans le parc.

Spoiler:

Spoiler:

"Non" dit-elle avec un air de défi qui surprit la blonde. Pourquoi du défi ? Mais Lana n'alla pas chercher plus loin. Parfois les gens pouvaient être particulièrement étrange. D'ailleurs, la russe avait eu du mal à s’adapter dans cette Angleterre, pas assez froide à son goût. Avec un haussement d'épaules, Svetlana retourna à son ouvrage. La musique était son monde et elle se créa une nouvelle bulle si bien qu'elle n'entendit pas les derniers mots de la petite. Elle resta silencieuse.

Lorsqu'elle se retourna, elle avait disparu. Étrange... vraiment. Mais c'est avec satisfaction qu'elle ressortit son violon et se remit à composer. L'air qui s'échappa état teinté d'accords étranges, de violence et de sauvagerie. Un hommage à cette petite sauvageonne ?