Printemps 1975

L’après-midi était bien avancé. C’était la seconde fois qu’elle passait devant la vitrine de Fleury et Botts. Glinda piétinait sur place, puis traversait la rue, avant de revenir sur ses pas. Une vieille sorcière avait même fini par lui demander si elle avait besoin d’aide et Glinda avait décliné la proposition en se mettant à se ronger un ongle.
« Allez ma Glinda, faut pas se dégonfler ! » s’était-elle finalement murmurée avant de pousser la porte de la boutique de livres. La clochette avait sonné mais aucun regard ne s’était retourné vers elle et pour cause : en cette journée de dédicace, les allers et venues étaient nombreuses dans le magasin.
Il avait fallu une bonne dose de courage à la jeune femme pour venir à cette dédicace. C’était quand elle avait vu l’affiche la semaine précédente annonçant la dédicace de l’écrivain que l’idée avait émergé de venir le voir. Mais ce n’est que le matin même en se réveillant qu’elle avait pris sa décision.
Qui aurait cru que Wilhelm Rosenberg, le petit serdaigle qui en pinçait pour elle quand elle avait 15 ans, deviendrait un auteur à succès, éminent chercheur et manifestement célèbre ? En tout cas, pas Glinda Crook.
Une heure avait passé depuis qu’elle était entrée dans la boutique et elle continuait de se promener entre les étagères, feuilletant certains livres avant de les remettre à leur place. Ce n’est qu’en voyant que la dédicace arrivait presque à son terme qu’elle se pressa vers la table où l’ancien serdaigle était installé. Au passage, elle attrapa le livre du jour dont de nombreux exemplaires étaient exposés sur une table.
« Hey ! Salut, Wilhelm ! Tu… Tu te souviens de moi ? » fit-elle avec un petit sourire légèrement gêné en posant l’ouvrage devant le jeune homme.

Quel stress. Jamais Wilhelm n’aurait pensé que son manuel d’Histoire et de symboles puisse avoir autant de succès. Un titre comme Hiéroglyphes et logogrammes magiques sonnait comme étant particulièrement barbant pour quiconque ne s’intéressait pas un minimum à ce domaine. Et pourtant, la foule ici présente le prouvait, cet ouvrage avait plu, même aux non initiés. Il avait ouvert la brèche d’une intense curiosité envers le Moyen Orient, l’Egypte mais aussi les symboles et les thèses historiques.

Ses mâchoires lui faisaient mal à force de sourire à son public et sur son majeur réapparaissait cette bosse d’écriture qui le faisait souffrir lorsqu’il écrivait trop souvent. Le bout de ses doigts commençait également à se noircir d’encre. Il restait toujours très maladroit avec une plume. Qu’on lui rende son stylo à bille, par Merlin. Les sorciers feraient bien de prendre quelques idées moldues.

Enfin, la salle commençait à se vider. « C’est pour qui ? » demanda-t-il avec ce même sourire quoiqu’il fut légèrement fatigué. La fillette était tellement impressionnée qu’elle bafouillait, la pauvre, incapable de prononcer son nom, qui semblait sommes toute, assez complexe. « Un prénom peut-être ? » « Oui », répondit aussitôt la jeune fille. Un ange passa. « Qui est ? » Demanda-t-il en voyant qu’elle ne répondait pas. « Oh oui pardon, Marjie… avec un J… comme jardin. » Un fille étonnant. « Ha… j’ai toujours voulu en avoir. » Elle le regarda étrangement. « Un jardin, » se sentit-il obligé de précisé. Elle sembla avoir compris, puis elle prit enfin l’exemplaire signé qu’il lui tendait, et partit avec un dernier sourire, rougissante.

Bientôt la fin… Il détendait sa nuque raide lorsqu’il l’entendit, cette voix surgit du passé. « Hey ! Salut, Wilhelm ! Tu… Tu te souviens de moi ? » Il releva le regard et contempla ce visage gracieux qui avait fait chavirer son coeur d’adolescent. Il ancra son regard dans le sien, fixe. Wilhelm n’était plus ce petit garçon, peu sûr de lui, les yeux toujours baissés et la voix tremblotante. « Oui. » dit-il d’une voix posé, qui ne tremblait pas. Le changement était flagrant. Cependant, il restait très sensible et fleur bleu, aussi l’apparition de son amour de jeunesse, qui avait encore gagné en beauté, lui fit un pincement au coeur. « Ce n’est plus Rosenberg ? » Elle l’avait toujours appelé ainsi. Il y avait anguille sous roche.

Elle qui était si populaire à Poudlard… Ca y est, le voila connu, il devenait enfin intéressant à ses yeux ? « Toujours en quête de popularité ? » Son ton était badin mais tranchant. Il commença à signer l’ouvrage.


Et il lui tendit l’ouvrage signé avec un air de défi et quelque peu satisfait de prendre aujourd’hui sa revanche.

La raison qui avait poussé Glinda à venir voir Wilhelm n'était pas simple. Pour la comprendre, il fallait revenir au passif de leur relation. Glinda, adolescente superficielle au caractère très égoïste, avait tout bonnement brisé le cœur du discret serdaigle quand celui-ci lui avait fait part de son intérêt pour elle. Plus que lui poser un refus net, Glinda avait ri au nez de Wilhelm, pas assez populaire pour qu'elle s'y intéresse. Pendant plusieurs années, pour aucune raison Glinda n'avait remis en cause son comportement de l'époque. Elle avait eu des mots méchants avec d'autres personnes et n'en avait rien regretté non plus.
Mais Poudlard finissant, Glinda avait pu se rendre compte que la vie ne lui ouvrirait pas les bras généreusement comme elle avait l'habitude d'être traitée étant enfant.
Et voilà que, depuis quelques années maintenant, Glinda tentait de devenir une meilleure personne. Tomber sur cette annonce de dédicace ne pouvait qu'être un signe du destin la poussant à venir s'excuser auprès d'une personne qu'elle avait blessée.

Glinda aurait pu mettre toutes les dents qu'elle voulait au sourire qu'elle adressa à Will sans que ce soit suffisant. Elle ne s'étonna pas de recevoir en retour un regard fixe. Son sourire vascilla légèrement et elle enfonça ses mains dans ses poches pour éviter de revenir ronger ses ongles.
Au moins il se souvenait d'elle... Quoi qu'il aurait peut-être mieux valu pour elle qu'il l'ait complètement oubliée...

-Je peux t'appeler Rosenberg si tu préfères, souffla-t-elle maladroitement.

Un souvenir de l'avoir surnommé un jour Rosenberk devant des copines lui revint pile à ce moment là et elle espéra vivement qu'il n'en avait jamais rien su.
Son sourire se fana clairement quand il lui demanda si elle était toujours en quête de popularité. Elle bafouilla un instant et le temps qu'elle rassemble ses mots pour tenter de s'excuser pour tout, il lui avait déjà signé l'ouvrage. Elle le tourna de son côté pour le lire et ses joues s'enflammèrent.

-Ouch... Ça fait mal mais c'est mérité, déclara-t-elle avant d'ajouter : Mais je crois que tu as oublié le R de Crook... R comme... Rédemption ?

Elle lui tendit le livre avec espoir.

« Ou répulsion ? »  C’était sorti tout seul. Il n’avait pu empêché le terme de franchir ses lèvres habituellement si polies. Comment osait-elle venir ? Et surtout à un tel moment, alors qu’il est en pleine signature, en plein moment de gloire. C’était louche. Wilhelm était incapable de voir la bonne intention de Glinda.

Aussi ne prit-il pas le livre qu’elle lui tendait à nouveau. « Une lettre pour une lettre… Tu me le dois bien, Crook. Le K a la place du G de Rosenberg m’a poursuivi pendant quelques temps. » On le susurrait sur son passage. Un groupe de Serpentard lui avait même fourré la tête dans les toilettes. Ils disaient que comme cela, je méritais bien le nom de Rosenberk. Le souvenir était encore cuisant.

Il n’y avait plus personne dans la librairie. Glinda était la dernière personne a se tenir devant le bureau. Aussi, enleva-t-il ses lunettes et se leva. En quelques années, Wilhelm avait gagné en assurance et surtout en charme. Exit les boutons et les traits juvéniles, place à un visage plus carré et mature mais avec un regard doux et toujours un sourire collé au visage. Sauf à cet instant, bien évidemment.

Alors tout en remettant sa veste, ajustée et non pas trop grande pour lui comme dans sa jeunesse, Wilhelm toisa son ancienne camarade. « Désolée, mais j’ai du mal à y croire. Toi, la princesse de Poudlard, venir cherche la rédemption. » dit-il en mimant les guillemets lorsqu’il parle de cette fameuse rédemption. Il n’y croyait pas et, il fallait bien l’avouer, il e faisait aucun effort non plus. Tout un après-midi à faire des dédicaces… c’est à vous faire fondre le cerveau.

L’espoir qu’il corrige la faute à son nom fut réduit à néant quand Wilhelm transforma son « rédemption » en « répulsion ». Glinda avait espéré associer cette correction de la dédicace à un symbole d’encouragement, mais l’écrivain gardait une rancune très prononcée contre elle.
Elle ramena le livre contre elle, baissant les yeux quand il fit référence au surnom que l’imagination de Glinda avait réussi à lui trouver pendant leur scolarité. Il fallait croire que les ragots entre ses copines étaient loin de rester dans leur cercle d’amies : on ne pouvait pas espérer mieux d’un écosystème comme Poudlard. Les mots lui manquaient à nouveau, tandis que le rouge lui montait aux joues. Elle commençait à regretter d’être venue le confronter à cet événement public : c'était un acte stupide et égoïste, qui n'apporterait rien de bon ni à lui, ni à elle.

Il se leva et Glinda recula d’un pas devant l’homme assez impressionnant qu’il était devenu.
« Je n’étais pas la princesse de Poudlard ! » s’égosilla-t-elle soudainement, plaintive, mimant à son tour les guillemets. Alors oui, elle se comportait comme une petite princesse pourrie gâtée à Poudlard, mais elle n’était pas non plus une fille populaire à cette époque. Certes bien plus que Wilhelm et ses copains, mais pas au point d’être comparée à la princesse du château.
« Ecoute, » tenta-t-elle en adoucissant son ton à nouveau : « J’étais une gamine… Tout le monde change… Tu en es la preuve ! »

Ouvrant les bras, elle fit un geste englobant toute la boutique et lui-même. Ses yeux s’arrêtèrent sur son corps et elle l’observa de haut en bas sans s’en cacher. Il était plus grand qu’elle maintenant, et transpirait le charme. Sans ses lunettes, elle se rendait compte qu’il avait des yeux magnifiques. Il était tout à fait le genre d’hommes vers lequel Glinda se retournait dans la rue.

Il fallait réellement être aveugle pour ne pas voir ce changement chez Glinda, mais Wilhelm était enfermé au sein d’une boucle infernale que l’on nomme rancune, cette morsure soudaine qui s’accroche. Ce n’était pas dans ses habitudes de céder ainsi à de telles pulsions négatives, et pourtant… La culpabilité sera pour plus tard, pour l’heure, il éprouvait un plaisir malsain et coupable en la voyant baisser la tête de la sorte, telle une petite fille prise en faute. Ainsi, elle reconnaissait ses torts. Une bonne chose. La ire s’apaisa quelque peu mais revint de plus belle lorsque sa voix partit dans les aiguës. Pas la princesse ? Oh si qu’elle l’était. Avec ses manières, ses jugements, son comportement, ses paroles…

Le nez de Will se fronça, il renifla avec rancoeur. « Ecoute, » De nouveau de la douceur. Infâme manipulation. Mais soit, il garda le silence, ancrant son regard dans le sien. « J’étais une gamine… Tout le monde change… Tu en es la preuve ! » Tout le monde change… C’était bien vrai, elle avait entièrement raison. Un long soupir franchit ses lèvres, teinté de lassitude tendit qu’il ne massait l’arrête du nez. Son mal de tête empirait de minute en minute. « Bien… soit. » dit-il finalement, baissant les armes. « Tu as changé… d’accord… » Wilhelm contourna le bureau derrière lequel il avait dédicacé l’après midi durant et s’approcha d’elle.

Il n’y avait plus de barrière physique entre eux. « Mais a quoi bon venir chercher la rédemption si ce n’est que pour soulager ta chère conscience. Encore un plaisir bien égoïste… Glinda. » Il la regarda. Il la contempla. Adolescent, il la trouvait magnifique et avec le temps, elle avait gagné cette maturité séduisante qui n’était pas pour lui déplaire. « Ne nous croisons plus et alors ta rédemption n’aura plus lieu d’être, puisque nous n’existerons plus pour l’un et l’autre. » Il haussa les épaules. « Oublie moi. » Et il tourna les talons.

Glinda se retrouvait soudain presque timide devant Wilhelm, ou en tout cas plutôt impressionnée. Il n’avait plus la carrure maigrichonne du collégien qu’il était à Poudlard. Il n’avait plus non plus le même comportement en retrait. En même temps, quand on était l’invité prestige de la plus grande librairie du chemin de traverse, il était difficile de rester discret.
A côté, Glinda se sentait étrangement petite, elle qui ne l’était pas tellement par rapport à Wilhelm. Elle avait l’impression d’être à nouveau adolescente, sauf qu’elle n’était plus face à un élève qu’elle pouvait facilement malmener. Elle se répétait qu’elle avait changé et que l’image que Wilhelm avait d’elle était maintenant dépassée.
Pendant un instant, elle crut qu’il la pensait sincère et elle redressa les épaules, un sourire naissant sur les lèvres. Mais aussitôt, il anéantit ses espoirs et elle bégaya bêtement en essayant de trouver quoi lui répondre.
C’est qu’il avait terriblement raison. Sa démarche était purement égoïste. De toute évidence, Wilhelm s’était très bien remis de son coeur brisé et n’avait sûrement plus songé à cet événement depuis qu’ils étaient sortis de Poudlard, contrairement à Glinda que sa conscience travaillait. En venant aujourd’hui à cette dédicace, elle ne pensait qu’à sa recherche de “rédemption”, sans penser que Wilhelm pouvait n’avoir aucune envie qu’elle se rappelle à son (mauvais) souvenir.
Elle déglutit en se rendant compte qu’elle n’avait rien à lui répondre qui puisse justifier sa tentative. Il tournait déjà les talons et elle hésita à faire de même pour prendre la direction de la sortie, mais elle avait déjà fait beaucoup d’effort pour venir jusque-là et engager la parole. Elle ne pouvait pas se décourager alors qu’il avait une réaction tout à fait normale. Si elle partait maintenant, ça la travaillerait encore plus et là, elle aurait loupé sa chance. Alors, autant assumer.

« Mais attends, Wilhelm… » souffla-t-elle en faisant un pas vers lui. « Tu as raison... Et tu t’en fiches peut-être, mais je voulais vraiment m’excuser… Je regrette vraiment mon comportement… » Elle essayait de se souvenir du discours qu’elle avait imaginé avant de venir, mais pas une seule phrase ne lui revenait. « Je n’ai aucune excuse, mais je suis une meilleure personne maintenant. Enfin, j’essaie. J’ai repensé à certaines choses que j’ai faites, je peux pas oublier si simplement... et donc oui, c’est égoïste, mais j’avais besoin que tu saches que je ne suis plus cette fille qui t’a ri au nez. Je n’attends pas que tu acceptes mes excuses, mais je te les présente quand même… »

Elle reprit sa respiration, ce n’était pas aussi clair que dans ses souvenirs de la veille, mais ça lui suffisait. Si le message ne passait pas, au moins son coeur était-il plus léger maintenant. Totalement égoïste, comme il disait.

La voix de la douce retentit à nouveau. Son insistance était, comment dire… plaisante. Wilhelm sentit la curiosité et l’intérêt pointer le bout de son nez. Sourcil relevé, il se retourna pour fixer son ancienne camarade. L’hésitation et la maladresse étaient flagrante chez elle et le jeune homme sentit petit à petit sa colère et sa rancune redescendre d’un cran. Il l’écouta attentivement, dans un calme olympien, respectueux, plongeant ses iris sombres dans les siens. Elle regrettait vraiment… et son énergie à le convaincre lui mit du baume au coeur.

Les traits de son visage se détendirent, à chaque mot qu’elle prononçait. Qui était à présent cette personne en face lui ? En tout cas, malgré sa rancoeur persistante, il devait bien reconnaître que Glinda avait changé. Et le fait qu’elle lui présente ses excuses, sans attendre d’acceptation de sa part… Oui, c’était touchant. « D’accord. » dit-il tout simplement, d’une voix neutre mais néanmoins dénuée d’ironie, de sarcasme ou de colère.

Il la contempla, longuement, puis il lui fit un petit hochement de tête avant de quitter définitivement la librairie. En arpentant la rue pavée du chemin de traverse, Wilhelm ne put s’empêcher de culpabiliser un peu. Il avait été dur avec elle et il n’avait pas l’habitude de se comporter ainsi. Cependant, il ne put s’empêcher de dire que cette journée harassante se terminait d’une assez belle manière.

Au fond d'elle, Glinda était partagée. Elle voulait absolument faire amende honorable auprès de Wilhelm, mais une pointe de fierté lui tiraillait le coeur. Elle était presque en train de s'humilier, de supplier, pour que l'ancien serdaigle accepte ses excuses. Sa fierté lui soufflait que Wilhelm ne faisait le difficile que par joie de voir la femme que Glinda était devenue, dénuée d'intérêt par rapport à l'homme qu'il était devenu, entouré de sa réussite.
Finalement, en l’entendant accepter simplement ses paroles, d’un « d’accord », le soulagement éloigna ses relents de fierté mal placée. Il n’ajouta rien de plus et prit le chemin de la sortie. Elle ne voyait pas ce qu’elle pouvait ajouter de plus si lui non plus ne voulait pas continuer cette conversation. Il était bien trop tôt pour imaginer qu’ils allaient se raconter leur vie autour d’un verre ou même devenir autre chose que des vieilles connaissances. Wilhelm ne l’avait pas insulté, il avait été d’accord pour écouter ses paroles mais n’avait pas non plus déclaré lui pardonner son comportement.
Glinda saurait se contenter de ça pour ce soir et elle était même soulagée que cette conversation soit terminée. Elle s’apprêtait à quitter la librairie, quand le vendeur l’avait arrêté en pointant du doigt le livre qu’elle avait attrapé sur une étagère au moment de s’approcher de l’auteur pour lui faire signer. Elle devait payer.
Réchignant à acheter un livre dont elle ne comprenait rien et qui comportait en plus une faute à son nom dans la dédicace, elle sortit bien contre son gré sa bourse pour payer le bouquin à un prix qui lui semblait faramineux. Le prix de la rédemption !