Si la matinée de la Serdaigle avait été éreintante, elle avait trouvé le moyen de l’adoucir au moyen d’une petite virée dans le parc du château. C’était le seul endroit où elle se sentait à son aise – le seul endroit, en vérité, assez grand pour lui éviter de croiser d’autres élèves. Elle avait donc sauté son déjeuner – habitude qu’elle avait malheureusement prise ces dernières semaines- et passé une bonne partie de la fin de la matinée et du début de l’après midi allongée dans l’herbe au bord du lac, ses yeux verts jouant à cache cache avec les nuages du ciel anglais. De son sac dépassait le livre qu’elle avait emprunté quelques jours auparavant. La couverture rouge, légèrement ternie par le temps, affichait en lettres dorées : « Shakespeare love sonnets ».
Elle empoigna le bouquin sans plus de conviction. Elle trouvait cela niais à souhait mais apparemment, un Anglais – légalement parlant elle l’était – ne pouvait mourir en paix sans avoir lu le grand, l’illustre Shakespeare. Pour être honnête, la blonde n’attendait pas grand-chose de ce livre. Un livre aimé par les masses est un mauvais livre. Qui plus est un livre anglais.
Et pourtant. Deux heures étaient passées que la jeune femme avait l’impression d’avoir ouvert le livre la minute d’avant. Cette première lecture allait la lancer dans la voie tortueuse de tous les écrits cruellement réalistes du grand, de l’illustre Shakespeare. Mais pour l’heure, c’est sur cette première impression agréable – celle que l’on a après avoir passé un instant d’extrême connexion avec un auteur – qu’elle retourna au château. Ce jour parût touché d’une bénédiction divine pour ceux qui croisèrent Thalie car, chose assez rare pour que Merlin lui-même l’eut consignée si elle était arrivée en son temps, la jeune femme souriait. Pas d’un sourire éclatant et excessif. Ni d’un sourire de façade qu’elle affichait en temps normal. Un sourire léger mais sincère, satisfait.
Alors qu’elle se rendait tranquillement jusqu’à la bibliothèque pour permettre à un autre élu touché par la grâce shakespearienne de savourer ces vers, elle laissait derrière elle une traînée de parfum de fleurs d’oranger. Quelques pétales étaient en effet tombés près d’elle lors de sa lecture et lui avaient presque donné l’air d’une nymphe. Plus que d’habitude, elle attirait les regards sur elle grâce à cette douce fragrance et cela, au lieu de la flatter, l’agaçait – ou du moins c’est ce dont elle essayait de se convaincre car en vérité, elle était loin d’être du genre à raser les murs.
"Eh toi !"
Elle entendit derrière elle cette apostrophe. Il lui paraissait tellement improbable que quelqu’un puisse s'adresser à elle de cette manière sommes toutes assez peu respectueuse, qu’elle poursuivit son chemin sans plus de cérémonie. Pourtant, dans son dos, elle sentit deux éclairs la foudroyer métaphoriquement pour cet affront, et, comme un réflexe naturel, elle se retourna en faisant virevolter ses boucles dorées, son précieux livre contre son buste.
Il était à quelques mètres d’elle, son nez se fronça à sa vue et son sourire s’effaça. Il affichait constamment un air supérieur et il osait, par dessus cela, l’aborder de cette façon. Son sourcil s’arqua naturellement et elle jaugea du regard cet étranger qui l’interpellait. Son regard le balaya de bas en haut et de haut en bas et elle haussa les épaules. Il n’avait pas de quoi la regarder de haut, vraisemblablement. L’air de dédain que portaient ses yeux clairs aurait agacé n’importe quel élève, celui-ci plus que tout autre, mais s’en souciait-elle vraiment ? La jeune française tourna les talons sans lui porter davantage d’attention.