La benjamine Travers avait pris soin que personne ne la reconnaisse tandis qu'elle traversait à pas de loup la fête foraine du cirque Arcanus. Personne n'était au courant de sa présence ici, et personne ne devait l'apprendre : elle n'avait cure de ces présentations de monstres et d'acrobates, qui n'intéressaient que les enfants et la vulgaire populace. Non, elle avait appris la présence d'une voyante, et depuis son expérience ratée de spiritisme et la révélation idiote de la planche ouija de Vespyr, Azelma se posait quand même des questions... et n'était pas contre un démenti formel de la part d'une autre personne, même aussi moche que cette Madame Irmage.
— Bonjour, concéda-t-elle poliment en soulevant la lourde tenture à l'entrée de la tente de la voyante, qu'elle localisa et rejoignit devant la table en quelques enjambées dynamiques. Je veux savoir si je vais me marier avec un sorcier de sang-pur. Cette question (qui n'en était pas vraiment une) la taraudait depuis de longs mois maintenant, et la jeune Travers n'était à la recherche que d'un peu de tranquillité d'esprit... Après tout, si elle ne faisait pas de beau mariage, qui en ferait à sa place ?

Azelma suivit attentivement des yeux l'immonde vieille sorcière qui en face d'elle battait les cartes de son futur, le cœur battant la chamade. En elle subsistait la conviction, profondément ancrée, qu'elle agissait sottement et n'avait pas à croire aux élucubrations ni de Vespyr (qui avait par ailleurs des notes désastreuses en Divination, il fallait bien le reconnaître), ni de cette diseuse de bonne aventure dont l'odeur lui rappelait celle des vieux rideaux du grenier de la demeure Travers. Pourtant, sotte ou non la Serpentard attendait avec une rare impatience le verdict de la voyante, impatiente de retrouver une forme de tranquillité d'esprit au sujet de son futur marital. Madame Irmage retourna une carte, qu'elle appela celle de l'ermite.
— L'ermite ? répéta-t-elle d'une voix stridente, le visage déformé par une grimace d'horreur, avant de reculer de quelques pas, assommée, tandis que la voyante lui expliquait la signification de cette carte. Pas de mariage, que des chats, telle était la prédiction de Madame Irmage, qui confirmait les dires de la planche ouija de Vespyr. C'était plus que n'en pouvait supporter la benjamine Travers, qui jeta prestement quelques tickets sur la table avant de s'enfuir en courant de la roulotte, les yeux embués de larmes.

La benjamine Travers, dans sa course folle destinée à mettre le plus de distance possible entre cette roulotte de malheur et elle, souleva brusquement la tenture de l'entrée et manqua de percuter de plein fouet la voyante qui lui barrait le passage avec son abominable visage de borgne. Le hurlement de terreur qui aurait dû s'extraire de la poitrine de la jeune fille lorsque Madame Irma s'empara de son bras resta cependant coincé dans sa poitrine, comprimé par la surprise, ne lui laissant que l'intime et fugace conviction qu'elle allait s'évanouir et périr dans d'atroces souffrances entre les mains de cette vieille folle. Très vite pourtant, la sorcière la relâcha (après avoir épousseté sa cape ?) et la planta sur place pour rentrer de nouveau dans sa roulotte sans ajouter un mot. Face à cette chance inespérée de s'échapper, Azelma ne perdit pas une seconde et s'enfuit en courant, déterminée à ne jamais parler de cet épisode à personne.