La lumière tamisée de la lampe de chevet créait une ambiance apaisante dans la pièce plongée dans une semi-obscurité. On n’aurait presque pas dit que l’on se trouvait dans une tente. Un tourne-disque jouait une musique d’ambiance sobre à faible volume. Après être resté enlacé dans ses bras de longues minutes, Stubby avait momentanément abandonné son amant, le laissant seul dans son lit, pour aller se faire un brin de toilette dans la salle d’eau.
Le chanteur revint une quinzaine de minutes plus tard, vêtu d’une robe de chambre en satin légère, et deux coupes de rosé à la main. En souriant, il alla s’installer, s’asseyant en tailleur, près de Jacob, qui était confortablement allongé, le dos appuyé contre la tête de lit, lui tendant un verre. Ils trinquèrent avant de boire une première gorgée.
« Je n’ai pas été trop long ? » demanda Stubby.
Il remarqua que l’attention du futur professeur s’était arrêtée sur son livre de chevet qu’il tenait entre les mains et qu’il semblait avoir commencé à feuilleter en son absence. Il s’agissait des Aventures Rocambolesques d’Opalus Diamentus : le voyage au centre d’un ananas de Petrus Videfou – un grand classique sorcier de la littérature de genre. Comme s'il eut été gêné que Jacob ait fait cette découverte, qui était sous son nez, le chanteur lui prit gentiment l'ouvrage des mains.
« Ne perds pas ma page… » fit-il avec une petite moue et un léger sourire.
Le livre était dans un bon état. Le blanc du papier prouvait qu'il s'agissait d'une édition récente et d'un achat aussi certainement récent. Une vieille lettre jaunie servait de marque-page.

Allongé sur le dos, Jacob regardait le plafond de la tente d'un air pensif. Stubby s'était volatilisé pour aller à la douche, et le professeur s'était contenté de lui sourire pour seule réponse alors qu'il s'en allait. Il n'avait pu empêcher ses beaux yeux bleus de se poser sur le corps de son amant qui s'en allait. Il se rappelait qu'Octavius lui avait dit que l'on faisait toujours de belles rencontres au Festi'Witch lorsqu'il avait évoqué ses réticences à y aller. Vraisemblablement, son meilleur ami avait raison. Stubby Boardman était une belle rencontre. Une main repliée à l'arrière de son crâne, il patientait tranquillement. Finalement, il explora du regard la pièce dans laquelle il se trouvait. Et son âme de libraire sentit bien entendu l'odeur du livre de chevet de son amant. Jacob étendit le bras pour s'en saisir, et le feuilleter machinalement. Un livre donc qu'il n'avait pas lu depuis des années. Il était plongé à la troisième page lorsque Stubby revint. Il releva les yeux du bouquin pour sourire : « Non du tout ! Comme tu peux le voir, je ne m'ennuyais pas » répondit gentiment Jacob en affichant un sourire qui dévoilait ses dents blanches.
Le livre s'évapora de ses mains et le britannique leva un sourcil : « Tu parles à un libraire quand même » s'amusa-t-il de sa moue, maintenant relevé sur les coudes. Il soupira, ils avaient passé un bon moment. Alors maintenant quoi ? Enveloppé dans une robe de chambre qui devait coûter à peu près l'équivalent de son salaire de l'année, alors que lui était en boxer dans le lit, il continua, l'air de rien : « Tu l'as déjà lu ? C'est un très bon ouvrage bien que la morale soit légèrement douteuse. Cela doit bien faire quinze ans que je ne l'ai pas lu ».

Stubby n’était pas un très grand lecteur. En fait, il n’avait jamais été très à l’aise avec la lecture. Etant petit, il avait eu beaucoup de mal à apprendre à lire pour de multiples raisons. Il avait appris avec sa mère en lisant le Petit Prince de Saint-Exupéry et un peu à l’église. Il avait toujours eu le sentiment que cette activité n’était pas faite pour lui et ressentait un certain malaise vis-à-vis d’elle.
Alors, quand il retrouva le libraire qu’étant son amant avec son livre de chevet entre les mains, il se sentit un peu gêné. Comme s’il avait été un petit garçon que l’on aurait surpris à essayer les talons de sa mère dans le plus grand secret. Mais Jacob était bienveillant, ne le jugeant ni sur l’activité en elle-même – cela aurait été un comble pour un libraire – ni sur son choix de lecture. Ce qui rassura un peu Stubby.
« Tu n’es plus libraire. » répliqua-t-il gentiment avec un petit sourire pour le simple plaisir d’avoir raison.
Il gardait l’ouvrage entre ses mains, faisant tourner les pages distraitement, appréciant l’odeur de neuf qui en émanait encore.
Fidèle à lui-même, Jacob commença à parler de l’ouvrage tout naturellement. Comme s’ils n’étaient pas tous les deux presque nus dans un lit king size dans une atmosphère propice à la luxure. Mais cela ne dérangeait pas Stubby.
« Je suis en train de le lire. Mais j’avance pas des masses avec le festival. Pomelo me l’avait pris à Fleury et Bott juste avant de partir. Il se disait que je serais peut-être moins stressé si on lisait un peu tous les soirs. Il dit qu’il y a des études qui prouvent que lire avant de dormir améliore le sommeil. »
Pomelo était un elfe de maison très prévenant. On pouvait aisément sentir qu’entre lui et son maître, il y avait un lien affectif assez rare dans ce type de rapport sorcier / elfe.

Jacob n'avait jamais été du genre à juger les autres pour ce qu'ils étaient, pour leurs passions, leur manque d'intérêt, quand bien même cela touchait ce qui le passionnait lui. Il avait très vite compris que son amant n'était sans doute pas quelqu'un qui aimait se perdre dans les pages d'un ouvrage. Et il admettait volontiers qu'il fallait peut-être avoir un certain grain pour apprécier perdre autant d'heures de vie devant des pages. Mais c'était sa grande passion et quoiqu'il veuille faire, il ne parvenait pas à s'empêcher de la ressentir. Alors oui, il n'était plus libraire. Pour autant, c'était toujours aux livres qu'il consacrait son temps libre… En partie tout du moins. Il répondit à Stubby un franc sourire gentil dont lui seul avait le secret. "La lecture détend si tant est que l'on soit intéressé par elle" lui répondit le professeur en laissant sa main reposer contre le matelas, non loin de la jambe du chanteur, "il ne faut pas que cela devienne une plaie pour toi. On peut parfois trouver un peu mieux à faire que de se perdre au détour de certaines pages, non ?". N'était-ce pas ce qu'ils avaient fait tous les deux ? Se perdre dans des plaisirs souvent contés dans les ouvrages sans en ouvrir un seul toutefois ? Jacob était quelqu'un d'ouvert. Il était capable de parler de bien des choses. Et il était capable, de la même manière, de ne pas parler de certains sujets si son interlocuteur n'était pas très à l'aise dessus. Il avait cette impression concernant "le voyage au centre d'un ananas", alors, il n'insista pas, préférant perdre ses yeux sur le visage de Stubby que sur la couverture en excellente état de ce best-seller sorcier.

Stubby n’était pas hostile à la lecture. En fait, ce qui le poussait à plonger dans un livre en dépit de ses difficultés , c’était l’histoire qu’il contenait. La littérature offrait une plus grande offre de fiction que la radio. C’était un fait vérifiable. Cela étant, le chanteur aurait pu investir dans une télévision moldue. Mais il ne trouvait pas l’idée si attractive que cela, à la réflexion. Il préférait de loin aller au cinéma.
« En soi, je ne demande pas tant à un livre de me détendre. Mais surtout de me divertir. »
L’écriture, tant qu’elle lui était compréhensible, la morale ou la vraisemblance d’un roman lui importaient peu, finalement. Il était un lecteur naïf.
« Tu sais, tu as une jolie voix pour raconter. T’as jamais penser à postuler à la RITM pour l’émission de lecture du jeudi soir ? »
Tous les jeudis soirs, quelqu’un lisait à haute voix une nouvelle ou un conte à la radio (il y avait une émission semblable très tard le mardi soir pour des lectures plus érotiques). Le chanteur écoutait cette émission dès que son emploi du temps lui permettait.
Il avait abandonné le livre quelque part dans le lit pour prendre la main de Jacob qui s’était posée à côté de lui. Il se mit distraitement à tirer doucement sur ses doigts, caresser le dos, entrelacer ses doigts dans les siens.
« Moi j’aimerais bien que tu me racontes des histoires. »
Il affichait un sourire enfantin et le regardait avec des yeux pétillants.

Certains utilisaient la lecture pour se cultiver davantage que parce qu'ils aimaient réellement cela. C'était quelque chose que Jacob acceptait bien qu'il ne comprenait pas. Il entendait davantage la lecture comme divertissement, ainsi que le soulignait Stubby, bien que pour lui-même, il s'agissait de quelque chose de beaucoup plus profond que cela. Le Professeur lisait certes pour se divertir, mais aussi pour sortir d'un quotidien dans lequel il était enfermé malgré lui. Les affres du handicap l'avaient conduis, hélas, à comprendre trop tard qu'il aurait dû profiter davantage lorsqu'il en avait l'occasion. Peut-être se brimait-il tout seul, quoiqu'il en soit, il avait beau apparaître comme quelqu'un qui acceptait les choses, qui plaisantait même de ce handicap, la vérité, c'était qu'il avait l'impression d'être le peintre immobile à côté d'un tableau animé. Un livre, c'était tellement plus que des pages simples. Tellement tellement plus. "C'est en effet un bon divertissement" acquiesça gentiment Jacob, "mais un livre, ça peut être tellement plus. C'est, je trouve, quelque chose qui centralise énormément de choses. Mais peut-être ai-je passé trop de temps au détour de leurs pages". Stubby se fendit d'un compliment que le Professeur n'attendait pas. Aussi le regarda-t-il d'un air surprit mais passablement flatté. Un léger sourire sembla s'imprimer sur ses traits sans qu'il ne soit capable de le retirer. "Venant d'un chanteur, je prends vraiment cela pour un compliment" lui répondit-il en posant ses yeux sur leurs doigts qui se touchaient. Jacob entrelaça machinalement ses doigts aux siens avant de lever les yeux vers son amant : "Oh j'ai cru pendant un instant que tu allais me parler de l'émission plus coquine du mardi soir" plaisanta-t-il en souriant de toutes ses dents blanches, "mais non, je n'y ait jamais songé. Tu sauras peut-être te montrer un peu persuasif pour me convaincre de m'y adonner l'année prochaine…?".

La passion manifeste de Jacob pour les livres et la lecture faisait sourire Stubby qui trouvait cela très charmant. Il buvait ses paroles avec un regard pétillant. Il aimait l’écouter parler même si ses paroles pouvaient paraître banales ou ennuyeuses. L’ancien libraire aurait pu raconter la chose la plus absurde au monde que le chanteur l’aurait quand même écouté avec la plus grande attention. Spontanément, il lui fit un bien joli compliment que l’on puisse recevoir d’un homme de sa profession. Un compliment sincère que Jacob apprécia à sa juste valeur.
« C’est un compliment. » confirma Stubby les dires du professeur avec un sourire.
La plaisanterie lui fit lâcher un léger rire. L’ancien gryffondor avait quelques fois écouté cette émission. Mais il n’y avait pas été très réceptif. Il n’était pas le public ciblé, de toute évidence. Alors non, il n’aurait pas particulièrement eu envie d’y entendre la voix de Jacob. A moins de faire la lecture d’un texte auquel Stubby aurait été sensible.
« Ce serait du gâchis. »
Quitte à l’entendre prononcer des paroles érotiques, il préférait qu’il les lui susurre doucement et suavement au creux de l’oreille. Cette idée lui donnait chaud. Ou était-ce l’invitation à la persuasion de Jacob ?
« Si tu le fais, je ne manquerais pas une seule de tes émissions. Je serais toujours au rendez-vous où que je sois. En soirée, en concert, dans mon bain, dans mon lit… »
En souriant, il se mordait légèrement la lèvre inférieure.
« Mais si l’idée d’avoir tout le Royaume-Uni pendu à tes lèvres te dérange, je peux aussi être ton seul et unique auditeur… J’en vaux bien la peine, non ? »
Il avait toujours ce petit regard malicieux quand il se saisit de son verre de rosé pour en boire une gorgée. Il le reposa doucement
« Je te laisserais même le choix de l’ouvrage. »
C’était presque une proposition sérieuse. Cette perspective éveillait en lui de chastes fantasmes.

Peu habitué à recevoir pareils compliments, le sourire de Jacob s'étira un peu plus devant celui que venait de lui faire Jacob. C'est qu'il avait une vie amoureuse au point mort depuis son divorce - bien qu'il ne faisait certes pas beaucoup d'efforts non plus. A dire vrai, le britannique se laissait vivre, alternant entre ses activités et son statut de père célibataire. Cette aparté avec Stubby Boardman, on pouvait dire qu'il ne s'y attendait pas vraiment. Le trentenaire n'avait rien fait pour chercher cette situation. Il était venu au Festi'witch sur un coup de tête et pour faire plaisir à son fils. Voilà tout. Oh, il ne regrettait pas du tout ce moment. Voir Stubby lui offrir des regards langoureux et des paroles si douces lui faisait du bien, réellement. "J'espère bien que tu seras toujours au rendez-vous" lui répondit Jacob d'un ton taquin, le sourire grand. S'il avait su qu'il était capable de charmer un homme simplement en parlant, il aurait peut-être davantage profité de sa voix. "Ce serait sans doute à toi que je m'adresserais en sous-texte" - oh vraiment, Jacob ? Des sous-entendus, maintenant ? Comme quoi, certaines choses pouvaient lui délier un peu la langue.    
   Le jeune professeur le regarda avec un sourire mutin alors qu'il buvait dans sa coupe de rosé, comme un monarque. Il avait des allures de monarque, Stubby. Quelque chose de précieux, c'était l'image qu'il renvoyait, peut-être qu'il voulait renvoyer aussi. Avait-il toujours été comme cela ? Il n'en avait aucune idée. "Tu sors l'artillerie lourde à ce que je vois" dit-il en repoussant un peu ses lunettes vers lui pour ajuster ses verres, "mais que feras-tu si mon choix te déplaît ? Je ne sais pas si nous avons les mêmes goûts en matière littéraire".

De temps en temps, Stubby appréciait de vivre des moments simples, sans grandes extravagances – mais rarement dénué de luxe. C’était des moments précieux dans une vie comme la sienne qui se résumait en spectacles constants et expositions de soi. C’était de petits badinages presque enfantins. Stubby voulait entendre Jacob lui raconter des histoires. Rien que pour lui, de préférence. Voilà tout. Il le regardait avec un regard malicieux.
« Je te fais entièrement confiance sur le choix du livre. Je suis sûr que tu sauras en trouver un qui me plait. C’était bien ton travail en tant que libraire, non ? Ou passais-tu ta journée à lire derrière ton comptoir ? »
S’il avait su qu’il y avait de si beaux hommes en librairie, il y aurait été plus souvent avant de devenir célèbre. Mais Stubby avait toujours été plus adepte des boutiques de vêtements et des disquaires, à rêver d’avoir les moyens d’acheter tout ce qu’il désirait.
Voyant que Jacob n’avait pas bu une goutte de rosé, il désigna son verre.
« Tu devrais le goûter. Il est bon. Promis je n’ai rien mis de louche dedans. »
Il était fort sucré, comme Stubby aimait l’alcool. Pomelo avait bien choisi le breuvage. Le chanteur en but une nouvelle gorgée.
« Ce n’est pas comme si j’en avais besoin… »
Il se mordit légèrement la lèvre inférieure avec un sourire malicieux.

Jacob avait toujours été tourné vers la lecture, c'était peut-être parce qu'il ne se sentait pas assez à sa place dans le monde. La lecture ouvrait à de nouveaux univers. Il n'était pas très condescendant sur les goûts des autres, il trouvait de la beauté dans tous les textes, vraiment. Il ne serait pas du genre à juger Stubby pour ses lectures, quand bien même elles étaient différentes des siennes. Ne fallait-il pas de tout pour faire un monde ? Des conteurs, autant que des spectateurs, aussi. Le jeune homme serait ravi d'être le conteur de Stubby. Lire des livres à d'autres, c'était quelque chose qui lui plaisait beaucoup. Son fils appréciait qu'il lui en lise, bien que ce n'était pas le même genre de lectures que celles qu'il pourrait faire au chanteur. « J'aimais beaucoup aider les clients à cerner ce qui leur plaisait en effet » acquiesça Jacob en souriant, en renfonçant machinalement ses lunettes sur son nez, « nous avons tous des goûts très différents. Et parfois, certains veulent reprendre ou commencer à lire, sans savoir ce qui les intéresse réellement. Les aider à réveiller une passion pour qu'ils s'y mettent, c'est vraiment quelque chose qui me plaît ».
La conversation commençait lentement mais sûrement à quitter le sujet de la lecture pour se promener vers d'autres sujets, disons-le, plus particuliers. La référence au rosé le fit sourire, mais ce fut la suite qui arracha au jeune professeur un rire léger. « Tu as raison, tu n'en as pas besoin » - il ponctua sa phrase d'un clin d'oeil avant de se saisir de son propre verre, « si tu me fais confiance sur les livres, je dois pouvoir te faire confiance sur le vin ». Jacob porta la coupe à ses lèvres pour en voler une gorgée, avant de passer discrètement sa langue sur ses lèvres pour en saisir tout le goût. « Il est bon, très sucré. C'est toi qui l'as choisi ? ».

Jacob était un homme doux et bienveillant. Avec lui, Stubby se sentait bien. Dès le premier soir, son aura l’avait séduit. Du fait de son handicap, il pensait que cela n’allait durer que le temps d’une nuit ou deux. Ils allaient nécessairement se retrouver limités assez vite. Mais le chanteur se surprenait à vouloir le revoir plus que cela car il n’y avait pas que le physique, contrairement à d’autres amants qu’il avait pu avoir.
Le sujet de cette conversation déviait peu à peu. Stubby attira l’attention sur le rosé et il regarda Jacob en boire une gorgée. Ces lèvres ! C’était un appel à la luxure.
« C’est Pomelo qui l’a choisi. Mais il connait mes goûts, je sais que je peux compter sur lui. »
Il posa son verre sur la table de nuit la plus proche. Il vint ensuite s’allonger tout contre son amant, la tête reposant sur son torse. Il laissa sa main librement et pensivement parcourir du bout des doigts son torse, des pectoraux aux abdominaux. Il y eut un silence contemplatif.
« Qu’est-ce qui est arrivé à tes jambes ? » demanda soudain Stubby, aussitôt que la question lui fut venue à l’esprit.
Cependant, il se rendit compte que ce n’était peut-être pas très délicat. Il leva alors le regard vers le visage de Jacob.
« Désolé. Tu n’es pas obligé de répondre. »

Stubby et Jacob n'avaient rien en commun. Vraiment, lorsque l'on essayait de leur trouver des points communs, on se heurtait à un mur. Et même la plus évidente des ressemblances pour le commun des mortels se trouvait heurtée par le handicap de Jacob. Même avec leurs jambes, ils étaient différents. Cela ne posait pas de problème, en tout cas, pas pour lui. Jacob avait une nature qui le rendait appréciable, il était doux. Peut-être était-il trop parfait, ce n'était pas impossible. Sans doute aurait-il été drôle de rappeler que Stubby Boardman était le premier amant masculin qu'il ait eu. Longtemps marié, le jeune homme n'avait jamais osé... Comment oser dans leur société ? Comment avoir le courage, alors qu'on était déjà pointé du doigt par son handicap, d'assumer en plus son homosexualité ? Il n'avait pas d'autre choix que de paraître en public avec ses jambes invalides. Mais il avait le choix de montrer ses préférences et tristement, il ne voulait pas qu'elles se sachent. Finalement, il était plus honnête avec le chanteur qu'avec n'importe qui d'autre, pour des raisons évidentes. Mais c'était une autre histoire... « Tu as de bons goûts alors » - il badinait peut-être. Un peu.

Jacob le suivit du regard alors qu'il s'allongeait à côté de lui, la tête contre son torse. Il ne pu empêcher sa main de se glisser dans ses charmantes boucles brunes, quitte à s'amuser un peu avec quelques unes qui étaient les siennes. La question qu'il lui posa le surprit mais ne l'offensa pas. Il avait l'habitude qu'on lui demande, tristement. Et puis, des gamins le regardaient souvent de travers et il se sentait parfois obligé de poser des mots sur ce qui s'était passé. Il n'était même pas vraiment brusqué par la question. Sans cesser ses mouvements dans les cheveux de son amant, Jacob dit : « C'est tout bête, en réalité. J'étais en Cornouailles, chez moi et j'ai été percuté par une voiture » - il eut un sourire un peu triste que Stubby ne pouvait pas voir - « j'avais vingt-cinq ans. Et je n'ai pas été emmené à Sainte-Mangouste directement, j'étais dans un hôpital moldu. Lorsque j'y suis allé pour régler les choses, on m'a simplement dit que c'était trop tard, et que j'avais trop attendu... Comme si j'avais voulu attendre ». L'indélicatesse de certains mots l'avait heurté, admettons-le. Ressortir de l'hôpital toujours en fauteuil alors qu'on s'était persuadé qu'on allait en sortir en marchant, ça faisait un choc. Surtout que dans son déni, Jacob n'avait pas envisagé le "pire".

Jacob n’était pas du tout le premier homme avec qui Stubby partageait sa couche. Le chanteur avait eu un certain nombre d’amants mais très peu qu’il avait souhaité revoir. Il n’avait pas pensé que le libraire puisse être l’un d’entre eux. Le jour de leur rencontre, il l’avait trouvé aimable et désirable pour le temps d’un soir, d’une petite sauterie sans prise de tête. Une façon appropriée de débuter un festival, n’est-ce pas. Pour une seule fois, le fauteuil n’était pas un obstacle ni foncièrement dérangeant. Mais sur le long terme, cela lui avait paru assez inenvisageable. Et puis le voilà qu’il en redemandait.
Ce qui le réattirait et retenait dans les bras de Jacob, ce n’était pas son physique, ni la performance sportive et acrobatique – cela aurait été compliqué, ni seulement le plaisir sexuel en lui-même. Il appréciait juste sa présence, son tempérament, sa tendresse. Il ne se sentait pas pressé à faire quoique ce soit par Jacob comme il avait eu le sentiment avec d’autres hommes. Et c’était ce qu’il recherchait les plus chez un partenaire.
Il s’allongea doucement contre lui. Les mains du libraire vinrent se perdre dans ses boucles brunes. Il l’écoutait raconter sa triste histoire.
« Mais il y avait vraiment pas d’autres moyens ? Tu vois cette femme qui s’est fait couper la jambe…. On a su la lui faire repousser. »
On aurait pu lui couper les jambes pour lui en faire repousser de toutes neuves et fonctionnelles. A moins qu’elles repoussent mais gardent leur handicap ? Stubby n’y connaissait pas grand-chose en médicomagie. Il se redressa un peu pour pouvoir poser son menton sur le torse de Jacob et regarder son visage.
« C’est criminel d’abîmer un si joli garçon… »

Jacob passait outre la formulation malheureuse de Stubby parce qu'il l'appréciait et qu'il n'était pas quelqu'un de difficile à vivre. Il avait l'habitude des gaffes, des formulations difficiles. S'il se braquait pour cela, alors, il n'aurait plus qu'à vivre en ermite. Ce n'était pas son souhait. Le chanteur calé contre lui, sa propre main perdue doucement dans ses cheveux qu'il appréciait caresser, Jacob laissait son esprit divaguer un peu. Tellement qu'il aurait pu s'endormir, bien qu'il livra son histoire d'un air totalement mécanique. La réflexion qu'il lui fit lui arracha un triste mais éphémère sourire qu'il ne pouvait pas voir. « Je ne sais pas si j'ai très envie de me faire arracher les jambes » dit-il avec humour, « dans le doute, je préfère encore les garder immobiles que de ne pas en avoir du tout ». Il ne manquerait plus que ça. Mais plus sérieusement, la question était intéressante. Mais Jacob n'était pas médicomage, ce n'était pas son domaine. Son domaine, c'était les livres et leur empire, ce qu'ils disaient des Hommes qui les avaient écris. « En tout cas, je suppose que ce n'est pas possible. Je veux croire qu'on m'aurait proposé quelque chose, sinon » - et la triste vérité, c'est que... - « je me suis depuis longtemps fais une raison ». Jacob était handicapé et tout ce qu'il pouvait faire désormais, c'était avoir un regard dirigé vers le futur. Qu'est-ce qu'il pourrait faire ? Il allait devenir professeur en septembre. Sa carrière évoluait. Il ne savait pas encore que ce travail d'apparence innocente allait signer la fin de sa vie. L'aurait-il accepté, sinon ? Il suivit du regard le chanteur qui se tournait légèrement pour le regarder et Jacob eut un tendre sourire avant de faire glisser sa main de ses cheveux à sa joue. « Peut-être. Mais il y a de bien bonnes personnes pour en prendre soin, de ce joli garçon non ? ». Il afficha un sourire un peu taquin. Il aimait bien jouer avec Stubby.

On n’imaginait d’ordinaire jamais à quoi ressemblerait notre vie si l’on était amené à perdre l’usage d’un ou plusieurs membres. On pense toujours à tort que cela ne pourrait pas nous arriver, que cela n’arrive qu’aux autres. Jacob a dû se prendre la réalité des choses violemment à la face. Stubby compatissait mais ne pouvait pas comprendre. Lui, il aurait préféré mettre fin à ses jours plutôt que de vivre ainsi. Mais les choses n’étaient jamais aussi simples. Le chanteur allait y penser la prochaine fois qu’il allait faire un excès de vitesse avec sa voiture moldue sur l’autoroute.
Il se retourna pour apprécier la vision du visage de Jacob avec une moue un peu triste. D’un sourire tendre, le professeur glissa doucement sa main sur sa joue et parvint à arracher encore un sourire au chanteur.
« Je suis content de m’occuper de ce joli garçon. Il le mérite bien. »
Il se redressa encore pour venir embrasser Jacob tendrement et longuement. Il lui mordilla malicieusement la lèvre inférieure. Il en voulait plus. Il se mit à califourchon sur lui et plaça ses mains impudentes sur le corps de son amant, son corps demandant une nouvelle étreinte pour finir la soirée.