Razvan afficha un sourire mais ne répondit pas à la plaisanterie de Neolina. Lorsqu'ils étaient plus jeunes et surtout adolescents, le roumain avait l'habitude de l'appeler "Domnișoară", un adjectif gentil qu'il prenait soin d'utiliser lorsqu'il voulait la faire sourire. Nul doute à ses yeux que la référence roumaine qu'elle fit était un clin d'oeil à ce terme qu'il employait toujours avec elle lorsqu'ils avaient quelques années de moins. Le temps les avait peut-être changé et torturés, il y avait certaines habitudes qui ne se perdaient pas. Lui plus réservé, certes, tenait toujours autant à elle. Peut-être même plus, désormais. Quant à elle, il n'en savait rien. Il n'était pas dans sa tête et c'était probablement mieux, il avait assez de problèmes avec sa propre torture intérieure. Et comme avant, il accepta nécessairement lorsqu'elle lui demanda s'il pourrait se libérer pour son anniversaire. Razvan était finalement touché que ce soit avec lui qu'elle souhaite passer du temps et non quelqu'un d'autre. Contrairement à lui, Neolina avait d'autres amis, d'autres cercles de connaissance. Et il savait qu'elle ne lui infligerait pas la présence d'autres personnes. C'était donc avec son ami et seulement son ami, qu'elle désirait passer sa soirée d'anniversaire. Comme avant, non ? Pas sûr. Accepter cette soirée, c'était également prendre le risque de s'asseoir sur la décision qu'ils avaient prise d'un commun accord. Aurait-il seulement la même volonté de fer, après avoir enfilé deux bières ?
Londres était assurément une ville pleine de surprises, surprises qui ne plaisaient pas au roumain. Et contrairement à lui, elle estimait qu'il s'agissait-là d'une des meilleures décisions de sa vie que celle de venir s'y installer. Le cœur du médicomage se serra un peu plus alors qu'il s'arrêtait de marcher à un mètre de son amie d'enfance. Sa voix flottait dans sa tête comme une musique de fond. Neolina arrêtée, comme si elle avait été saisie par la douceur moment, le roumain, les mains dans les poches se tourna vers elle pour la regarder. Une des meilleures décisions de sa vie disait-elle, vraiment ? Même après ce qui s'était passé entre eux, même avec ce que ces moments provoquaient comme gêne ? Le visage impassible, il la regardait comme pour attendre la suite qui ne se fit pas prier pour arriver. Des heureux hasards… Une ombre de sourire triste s'afficha brièvement sur les traits de l'homme. Heureux hasards… Les mots n'étaient pas choisis sans avoir été pesés. C'était peut-être ça le pire. C'était sans doute un hasard qui l'avait conduit en Angleterre - disons qu'il avait surtout choisi ce pays par pur sentimentalisme - et sans doute était-ce également un hasard qui avait conduit Neolina à l'y rejoindre. Il savait bien qu'elle n'était pas venue pour lui. Tout comme il savait très bien que ce matin-là, c'était un hasard qui avait conduit les pieds de la roumaine jusque devant la porte de son appartement. « Comme celui que je sois de garde le jour où tu finis à l'hôpital ? » préféra-t-il un terrain beaucoup moins dangereux que celui auquel il pensait initialement. Les secondes s'égrainaient.
« Je suis heureux que tu sois en Angleterre » avoua-t-il finalement, toujours éloigné d'elle par un mètre, « vraiment Neolina ». Son amie d'enfance ici, c'était finalement peut-être, un peu comme la Roumanie, un peu comme la maison. Elle lui rappelait, ne serait-ce qu'en lui parlant roumain, son pays qui lui manquait tant. Razvan aurait voulu lui tendre la main pour qu'elle la saisisse mais il se força à les garder dans ses poches. Il désirait autant qu'il ne supportait plus la proximité physique avec la sorcière. Aussi se détourna-t-il pour continuer son chemin. C'était moins dangereux pour eux deux.
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