Le bruit typique des oignons crus touchant la casserole chaude et graissé recouvra l'espace de quelques secondes la musique dans l'autre pièce et une odeur agréable commença à flotter dans la cuisine de Soyle. Bien qu'il ait l'air concentré sur les oignons en train de rissoler, Marius hochait la tête avec une certaine discrétion pour montrer à Amélia qu'il prêtait attention à ce qu'elle disait. Entre chaque partie de la réponse de la jeune femme, Marius écrasa vigoureusement trois gousses d'ails avec le plat de sa lame de couteau, prévenant à chaque fois par par un petit « Attends un peu » qu'il n'entendait pas lui couper la parole de manière impromptue, et les mit dans la casserole.

Il écoutait Amélia mais une partie de lui partit un peu au-delà de la conversation alors que du vin rouge chauffait doucement dans une autre casserole. Il était un homme fait quand ses parents avaient été assassinés et qui plus est il était de l'autre côté du globe, il n'avait pas non plus vu de ses parents décédés que les pierres tombales dans la section sorcière du cimetière de Highgate. Pourtant il ne pouvait s'empêcher de dresser des parallèles entre eux deux et de tirer des conclusions plutôt en la faveur de la jeune Bones. Elle avait de l'ambition et des idéaux, le parfait mélange pour faire bouger les choses et se comporter honorablement. Si Amelia réussissait dans sa voie (et elle réussirait, Marius n'en doutait pas) elle deviendrait un des pires ennemis du crime organisé et Marius se félicita de n'être plus aux commandes quand ce moment viendrait...Marius savait ce qui était arrivé aux Amélia Bones précédents, ils gagnaient mais tôt ou tard il y avait un Marius Draven pour mettre un terme à leur carrière ou à leurs idéaux, ou les deux.
Il chassa d'une gorgée de vin rouge ses sombres pensées. Il aimait les jeunes gens ambitieux et enviait ceux qui avait des idéaux lui qui avait la première qualité mais n'avait jamais eu le luxe du deuxième. Il avait des principes mais les idéaux avait toujours été un luxe qu'il ne pouvait s'offrir.

Soyle répondit à Amélia avant lui, par les petites phrases encourageantes dont elle avait l'habitude, sur un ton qui ressemblait à celui de sa mère quand elle remontait le moral de l'ancien légionnaire. Amélia vivait un enfer en ce moment mais dans cet enfer, elle avait trouvé Soyle Hoover et c'était sûrement ce qui lui était arrivé de mieux là-dedans. D'un geste de la main il répondit par l'affirmative à  la question de Soyle sur les frites, Marius lui faisait suffisamment confiance pour lui laisser le contrôle d'une partie de sa recette signature. Il ne s’embarrassa même pas de lui dire comment il voulait les frites, elle savait. Sans la regarder, toujours concentré sur le vin rouge et les oignons en train de rissoler doucement il répondit à Amélia :

- Une idée claire avec l'ambition et les idéaux qui vont avec, tu commences ton parcours avec les meilleurs outils possibles Amélia. Tu as l'air d'avoir le cœur et l'intelligence qui va aussi avec. Ça me fait dire que tes rêves n'en sont pas tant que ça,  crois-moi si tu gardes ton objectif clair en tête rien ne peut t'arrêter.

Marius avait dit cela avec un ton plus paternel que ce qu'il aurait voulu, similaire à celui qu'il avait avec sa fille et qu'il avait eu avec Soyle bien des années plus tôt. Le vin rouge chaud vint rejoindre en bouillonnant les oignons et les gousses d'ail, Marius remua le début de sauce d'un geste sûr et ajouta du thym, du laurier et un clou de girofle, s'excusa de couper son discours par une pédagogique explication de ce qu'il était en train de faire. Il conclut cette partie en expliquant avec un certain amusement que bien manger et du coup bien cuisiner avait un effet certain sur le moral et par conséquent faisait mieux travailler. Il sala et poivra trois magnifiques morceaux de rumsteak qu'il avait sortit une une vingtaine de minutes plus tôt, mit  de l'huile et du beurre dans un grill et y mit les steaks qui grésillèrent et répandirent une agréable odeur de viande grillée dans la cuisine. Le genre d'odeur qui en général donnait immédiatement faim à Marius et il ne pût s'empêcher de le faire remarquer en souriant à sa jeune interlocutrice. Il lui confia la surveillance de la sauce, lui donnant pour consigne de touiller pour ne pas ça attache et de veiller à ce que ça ne bout pas. Lui s'occupa de la cuisson des steaks, surveillant la viande il dit avec un sourire :

- C'est bien que tu habites avec Soyle, c'est prouvé scientifiquement que Soyle Hoover est bonne pour le moral, sa cuisine aussi, puis il continua sur un ton un peu plus sérieux, en plus vous vous ressemblez beaucoup j'ai l'impression de la revoir au même âge quand je te vois.

Il demanda à Amelia de mettre la table, mit la touche finale à sa sauce avec une noisette de beurre  puis servit les steaks  qu'il arrosa très généreusement de sauce pendant que Soyle servait les frites. Il avait faim, les filles aussi sûrement (Soyle à coup sûr) et ils se mirent à table...