Etait-il seulement utile de préciser qu'en matière de relations amoureuses, Cecil était quand même bien à côté de la plaque ? Outre les quelques cadeaux souvent décalés, le jeune homme se payait aussi le luxe, souvent, d'être en retard aux rendez-vous - dans le meilleur des cas. Oui, parce que la plupart du temps, cette fameuse tête en l'air se contentait d'oublier ses obligations amoureuses. Ainsi et sans grande surprise pour lui, ses relations amoureuses prenaient fin entre la première semaine et la dernière semaine du mois. Entendez par-là que jamais aucune femme n'avait su le supporter plus de trente jours, chose terrible s'il en est. Là, on pouvait parler d'un miracle. Cecil avait eu la bonne idée de se coller un post-it sur le frigo, un truc bien moldu qu'il vendait pourtant dans sa boutique toute sorcière du village de Pré-Au-Lard. Il aurait pu l'ensorceler pour qu'il lui gueule qu'il avait rendez-vous à QUATORZE HEURES et pas quinze, mais on ne se refait pas. C'est en venant chercher une brique de lait qu'il avait compris l'outrage. Alors, il s'était dépêché, il avait enfilé ses chaussettes dépareillées, coiffé ses cheveux à la main parce qu'il n'avait pas le temps et il avait même essayé, de façon générale, de s'habiller un peu élégamment. Son frère n'était pas là pour voir le carnage et tant mieux d'ailleurs. Pas le temps de rêvasser, il prit les fleurs qui étaient dans le pot sur la fenêtre de la cuisine en les enrobant dans du papier journal, parce que ça ferait bien l'affaire, même. Et il transplana.
Par un miracle dont seules sont capables les femmes, son rendez-vous était toujours là. « Bonjour ma douce » roucoula-t-il en lui tendant le bouquet de fleurs, « mille pardons pour mon retard ». Il n'ajouta pas qu'elle devrait s'y habituer pour ne pas la faire fuir encore. Kalia ne semblait pas en faire grand cas puisqu'elle se saisissait de ses lèvres avec passion, et s'il ne s'était pas délesté du bouquet, il l'aurait sans doute fait tomber au sol tant il était surprit par la spontanéité du geste. Oh, il n'était pas non plus un prude, Cecil. Mais tout de même... Lorsqu'elle se sépara finalement de lui, il passa machinalement son pouce sur ses propres lèvres - et personne ne saurait savoir si c'était pour se les essuyer ou bien s'il ne s'agissait que d'un toc bizarre. Assit à côté d'elle, il glissa ses doigts entre les siens pour lui tenir la main alors qu'elle lui posait la question qui fâche. « Oh, tu ne vas jamais le croire » fit-il d'un ton un peu lointain alors qu'il cherchait un mensonge à lui sortir, « j'ai eu un problème avec la machine moldue qu'on a, tu sais, ça lave les fringues. Je crois que mon frère a trop bourré le tambour de ses vêtements ». Ou plutôt des siens, en fait. Parce que Cecil et la lessive, ça faisait trente-six. Ce n'était pas tant qu'il ne voulait pas la faire mais plutôt qu'il oubliait de la faire, c'était dire l'intérêt qu'il portait à la chose. En tout cas, il se racla la gorge alors que le serveur repartait une fois qu'ils eurent commandé. Il ne savait pas s'empêcher de demander un grand chocolat chaud avec double ration de chamallows et un coulis de caramel. « Tu devrais toujours partir du principe que j'aurais au moins une demi-heure de retard » la conseilla-t-il naturellement d'une voix douce, « j'ai besoin d'une horloge dans la tête ». Et de davantage d'attention, sans doute...
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