Les yeux de Gemini se baladaient encore dans les rayonnages alors que pourtant, il était dans la file, à attendre tout patiemment que vienne son tour. C’était qu’il avait envie de tout acheter, de tout lire, mais non. Tiri avait dit non, trop de bouquins en guise de décoration dans l’appartement, elle en devenait folle. Un livre à la fois, pas plus. Gemini avait tourné son nez, prétextant qu’il pouvait en stocker à Poudlard maintenant, et puis que les malles, ça s’agrandissait. Mais Tiri avait dit non, et Gemini souvent obéissait pour lui faire plaisir. On a un loyer à payer, blabla oui il savait, merci. Même qu’il ne vivait plus là la moitié du temps, mais bon, il n’avait pas envie de faire déménager sa femme qui quand même, aimait bien leur petit appartement au-dessus du Chemin de Traverse. Alors en revenant de chez ses parents, il était passé dans sa libraire moldue habituelle et s’était forcé à n’acheter qu’un bouquin, et un seul. Il avait jeté son dévolu sur une pièce de théâtre, enfin des petites pièces de théâtre, de Ray Bradbury. The Wonderful Ice-Cream Suit, de son nom. Gemini n’aurait su dire pourquoi, mais la couverture l’avait happé. Le résumé aussi. Ca avait l’air absolument étrange et l’étrangeté, lui, il aimait ça.

Tout affairé qu’il était à imaginer tous ces merveilleux livres empilés sur ses étagères, Gemini ne prêta aucune attention aux gens autour, et encore moins à la jeune femme devant lui qui lui fonça dedans sans ménagement. Et il n’est pas bien gros, Gemini alors forcément, ça lui coupa le souffle sur le moment et il se retrouva les fesses par terre. Choqué un peu, mais pas agacé pour autant. Les accidents, ça arrivait. Et avant même de poser son regard sur la jeune femme, il observa l’amoncellement de livres qui venaient écraser le sien au sol, et qui formaient une pyramide instable. Décidément, une thématique se dégageait. Un certain amour de l’espace semblait-il. Il adorait ça, lui, l’espace. Après tout, ne disait-on pas tout le temps qu’il était dans la lune ?

La jeune femme le tira de son observation et il posa enfin les yeux sur elle. Une jeune femme dans la lune aussi visiblement ! La phrase sur l’horoscope lui arracha un petit sourire. « Vous devez être taureau à foncer comme ça dans les gens. » lui dit-il avec son énigmatique expression, mais gentille au fond. Lui non plus n’était pas pressé de se lever, et il resta assis au sol en face d’elle . Horoscope, étoiles… Cette jeune femme avait un peu de cohérence quand on y pensait. Elle lui demanda avec sollicitude s’il s’était blessé et, oh non, il en fallait plus que ça pour casser un Gemini. Beaucoup avait essayé avant, et volontairement. Alors une petite chute, ça allait. « Ca va, merci. Mais si l’horoscope vous intéresse, vous devriez lire quelques revues scientifiques sur l’effet Barnum. » Il avait balayé la question pour se lancer sur le sujet qui l’intéressait alors qu’il comprit aux toussotements autour que ça n’était pas normal de rester au sol. Aussi se remit-il sur pied d’un petit bond, et entreprit de ramasser ouvrages et pièces d’un air distrait tout en restant focalisé sur sa conversation. « C’est tout à fait fascinant. L’effet de validation subjective. Quoi qu’il ait été écrit, vous auriez pu y associer cette rencontre, j’en suis certain. » Ah, quand un sujet le passionnait le Gemini, il devenait un moulin à paroles. Gentiment, il lui rendit ses bouquins et un peu de sa monnaie avant de remarquer que les pièces étaient, disons, un moyen de paiement non accepté ici. « Oh ! » lâcha-t-il, agréablement surpris. « Je vois que nous vivons dans le même monde. » lui dit-il en tendant un gallion et en lui faisant un petit clin d’oeil. Avant d’embrayer en désignant un de ses livres, histoire de couvrir le secret magique, tout ça. « Celui des têtes en l’air ! » Référence évidente à sa maladresse qu’il aurait tout aussi bien commettre, mais aussi à son amour des étoiles. Il aurait pu monologuer là-dessus quatre heures, mais bon, tout de même. La queue avait avancé devant eux, et les gens les doublaient en s’agaçant car c’était un samedi, certes, mais les moldus ne prenaient jamais le temps de rien. Pas même d’aider une fille à ramasser ses livres, rendez vous compte. « J’imagine déjà votre horoscope. Taureau : n’oubliez pas de garder les pieds sur terre ! » Il rit, d’un rire aérien assez beau qui fit se retourner le monsieur bougon devant eux. Cet homme était à coup sûr du signe du chat-foin.

La demoiselle était curieuse, ce qui était tout de même une qualité que pleins de gens voyaient comme un défaut, quel dommage ! Et l’effet de monsieur Barnum avait l’air de l’intriguer. Ca n’était pas très étonnant qu’elle n’en ait pas entendu parler : après tout, il n’y avait bien que Gemini pour s’instruire sur ce genre de choses de son plein gré. Et puis, les gens qui aimaient l’astrologie étaient des croyants à leur façon, là où lui était un cartésien dans l’âme en fait. Son côté né-moldu peut-être, ou alors juste son esprit qui était comme ça, allez savoir. En tout cas, il expliqua un peu sans rentrer dans les détails. Etonnant, direz-vous ? Pas tellement. À quoi bon casser un peu les rêves d’une jeune femme sensible aux effets d’un signe ? Si ça lui plaisait de croire ça, qui était-il pour lui dire que c’était des âneries sans nom ?

En tout cas, elle lui parla de rencontre stellaire, et la formule l’amusa. Des rencontres, on pouvait en faire sans se fier à son horoscope, même si Gemini n’était pas super doué à ce jeu-là. Sûrement que si elle ne lui avait foncé dedans, il n’aurait adressé la parole de la journée qu’à sa femme et ses parents, comme souvent. Mais non, le hasard en avait voulu autrement. Le hasard et rien d’autre, qu’on se le dise, mais il ne voulait pas réfréner son charmant élan. Aussi sourit-il avec sa douceur habituelle sans rien dire, parce que parfois, les mots ne servaient à rien. Mais le hasard faisant bien les choses, la jeune femme n’était pas tombé sur un moldu qui aurait trouvé ses pièces bizarres, mais bien sur un sorcier qui les lui rendit sans trop en dire, juste lui faire comprendre que hé, lui aussi, tout ça. Il ne manquait plus que le clin d’oeil pour appuyer son propos, mais elle eut l’air de comprendre, et c’était suffisant.

Gemini s’était donc essayé à deviner son signe, enfin, sûrement que c’était ce qu’elle pensait alors qu’en vérité, c’était là surtout un trait d’esprit. L’horoscope, c‘était bien une page du journal qu’il ne lisait jamais - en fait, il ne lisait pas non plus le journal, à dire vrai. Elle le corrigea avec beaucoup de poésie, de celle dont manquaient bien des actrices avec qui Gemini avait partagé la scène. Un poisson volant, l’image était jolie, et il imagina la jeune femme dans un univers aquatique sans trop bien savoir pourquoi. Autour d’eux, le monde continuait de tourner, et les moldus de ronchonner mais hé, quand deux rêveurs se rencontraient, ça ne comptait pas trop. Oui, cartésien et rêveur, c’était tout à fait possible figurez-vous ! Etait-ce inhérent à son signe, qu’elle essayait de deviner, comme obsédée par le sujet ? Oh, Gemini aurait été bien mal placé pour critiquer, lui qui souvent se lançait dans un monologue dont il ne déviait pas quand un sujet l’intéressait. Elle misa sur 4 signes, la tricheuse. Une chance sur 3, trop facile, franchement. Mais il y avait bien son signe là-dedans, c’était qu’il le savait parce que, devinez quoi, on l’appelait tout le temps comme ça. Elle qui réclamait des indices, ça en aurait tout de même fait un sacré ! « Oh, je pourrais vous donner mon prénom mais quand même, voyons si vous êtes douée. » En soit, c’en était un parce qu’on avait jamais vu personne s’appeler Pisces ou Capricorn. Mais Aquarius, ou Leo, peut-être…

Mais voilà, rentrer dans ce petit jeu impliquait que Gemini parle de lui et en fait, ça n’était pas trop un exercice dans lequel il excellait. Se décrire, non mais franchement… « Je dirais que j’avais bien ma place chez les aigles… » Non, il ne dit pas le nom de la maison, secret magique tout ça. « Et que je suis probablement autant dans la lune que vous ! » Son rire vint désamorçer la chose, comme si elle aurait pu se vexer. « Avec une fâcheuse tendance à vouloir regarder derrière le voile de la réalité. » Est-ce que ça avait le moindre sens ? Pour Gemini, oui. Et pour elle, alors ?