Tout allait beaucoup trop vite. Quelques minutes plus tôt, il assistait à la mise à mort brutale et cruelle du gérant de la boutique de Quidditch. Un homme qu'il ne connaissait même pas, juste de vue, et qui n'avait rien fait de plus pour mériter son sort que se trouver au mauvais endroit, au mauvais moment. Exactement comme lui. Qu'est-ce qui t'a pris, avait demandé Selena. Mais rien ne l'avait pris. Il n'avait rien fait pour mériter tout cela. Et Selena, parlons-en ! Par Merlin, d'où avait bien pu sortir son aînée ? La voilà qui apparaissait de nulle part, alors qu'il courrait pour sa vie, et qui l'entraînait à sa suite, sans qu'il sache où, ou pourquoi. Tout s'était enchaîné, sans aucun sens, et avant qu'il n'ait compris ce qui lui arrivait, il se trouvait embarqué dans la tourbillon d'un transplanage qu'il avait à peine vu venir. Lorsque les pieds de Galaad touchèrent à nouveau le sol, il fut saisi d'une si violente nausée qu'il aurait vomi son dernier repas, s'il n'avait pas été aussi lointain. Plié en deux, il lui fallut plusieurs minutes pour reconnaître les murs du manoir familial. Le soulagement aurait du l'envahir, à la vue de pièces si familières, mais Galaad se sentait juste las. Et perdu. Il n'avait aucune idée de ce qu'il venait de se passer.

- J'ai besoin d'un verre, murmura-t-il d'une voix éraillée. Il était resté silencieux pendant tellement de temps que le simple exercice de parler lui était délicat. D'un pas maladroit, le jeune irlandais s'avança jusqu'à un fauteuil, dans lequel il se laissa tomber. Il ne réalisait pas encore que le chemin de traverse était derrière lui. Qu'il était libre. Mais d'ailleurs, l'était-il vraiment ? Le vertige du transplanage s'étant enfin calmé, il leva vers sa sœur aînée un regard où brûlait un mélange de méfiance et de colère.
- Qu'est-ce que tu foutais là-bas, Selena ? Tu m'expliques ? Il voulait savoir. Il avait besoin de savoir. Si elle avait pu faire fi des barrières magiques que les mangemorts avaient élevées, pourquoi avait-elle mis si longtemps ? Jugeait-elle que la mésaventure lui servirait de leçon ? Voulait-elle faire démonstration du pouvoir que lui accordaient ses amis Mangemorts ? Mais dans ce cas, pourquoi était-elle venue le chercher, au final ?
- Ou peut-être que tu préfères que ce soit moi qui explique ? Maintenant que la voix lui était revenue, son flux de paroles semblait ne plus vouloir s'arrêter. Comme si tous les mots qu'il avait gardé enfouis les jours précédents s'échappaient brutalement. Tu veux savoir ce que je fichais là bas ? Je vivais juste ma vie, figure-toi. Comme tous les autres qui étaient là. Les autres. Qui étaient toujours bloqués là-bas, au milieu de Mangemorts qui le torturaient. Ou pire. Ils vont tous y passer, c'est ça ? souffla Galaad. Et cette fois, ce n'était pas vraiment une question, plutôt une réalisation. Aurora, Wilda ... Non, il ne voulait pas y penser. Putain, j'ai vraiment besoin d'un verre.

Selena se montrait bien trop fervente partisane d'un verre pour ne pas éveiller la méfiance de Galaad. Si elle espérait pouvoir s'en servir pour enterrer la hache de guerre, comme elle avait failli le réussir lors de leur dernière entrevue, elle se mettait le doigt dans l’œil. Mais il avait été privé trop longtemps pour refuser maintenant. Il observa Poody passer avec un regard vide, comme s'il doutait toujours de la réalité de la situation. Ce qui était le cas, à vrai dire. Il avait encore l'impression qu'un sursaut pourrait suffire pour qu'il se réveille en sueur dans le lit de Wilda, à nouveau prisonnier du chemin de traverse. Même le cuir du fauteuil dans son dos, les odeurs familières du manoir tout autour de lui, ne parvenaient pas à le convaincre que ce qu'il vivait était réel. Au moins les manières brusques et insensibles de sa sœur n'avaient-elles pas changé. Il doutait même que son esprit ait pu inventer une telle mauvaise foi, ce qui suggérait donc que ce qu'il vivait n'était pas un rêve, mais bien la réalité.
- Le moins qu'on puisse dire c'est que tu as pris ton temps, alors. Ou alors quoi, tu t'amusais avec tes copains sang purs et tu t'es rappelé que ton petit frère était là ? Elle n'arriverait pas à lui faire croire que son geste n'était que pure bonté de sa part. Car alors comment expliquer qu'il ait mis si longtemps à arriver ? Un mois, Selena. Ça fait un mois que j'étais là-bas.

L'entendre évoquer aussi froidement le sort des otages restés derrière eux le rendait malade. Tandis que Selena se laissait à son tour tomber dans un fauteuil, Galaad détourna son regard d'elle avec une moue de dégoût, et l'envie de whisky se fit plus insistante que jamais.
- Et qu'est-ce que tu as fais, qui pourrait te donner des regrets ? grogna-t-il, inquisiteur. Selena ne lui disait pas tout, c'était évident. Et ces zones de vide laissaient libre court à son imagination, aux scénarios les plus affreux. Il se demandait si son aînée faisait partie de ces silhouettes masquées qui les avaient acculés dans le chemin de traverse, pour les rassembler comme du bétail qu'on allait abattre. Ou si elle s'était contenté de marchander sa vie avec eux, une fois assez de temps écoulé, dans l'espoir de passer pour l'héroïne de la situation. Difficile de décider laquelle de ces deux options était la pire.
- Je suis sûr que tu serais prête à tous les sacrifier. Tous ceux qui sont restés derrière. Et ça ne t'empêcherait même pas de dormir, grommela Galaad dans sa barbe. Si Selena espérait de la reconnaissance de sa part, elle allait être déçue. Pas sûr que tout le whisky du monde parvienne un jour à noyer son amertume ...

Il avait voulu la vérité, il avait insisté, alors qu'il savait pertinemment qu'elle ne lui plairait pas. Peut-être espérait-il la pousser dans ses retranchements, obtenir des aveux ou, encore mieux, des excuses. Mais au fond, il se doutait qu'il n'avait pas envie d'entendre sa réponse. Pourtant, il avait beau le savoir, le choc n'en fut pas moins rude. Elle avait négocié. Inutile de demander avec qui. C'était évident. Galaad en resta muet, le visage fermé. Il ne savait pas ce qui était le pire. Savoir que Selena était assez proche des Mangemorts pour pouvoir négocier avec lui, ou que ce qu'elle avait négocié, c'était sa vie. Sa vie à lui, et pas celle des autres. Comme s'il était un chaudron un peu plus brillant que ses camarades.
- Oh, une grande négociatrice comme toi, je suis sûre que tu n'as rien dû perdre de bien méchant, souffla-t-il d'un ton ton empli de mépris. Comme Selena pouvait-elle s'écouter parler, sans réaliser à quel point ce qu'elle énonçait était horrible ? Inhumain ?

Mais ce n'était pas fini. Les mâchoires serrées, Galaad l'écouta continuer sa tirade. Jusqu'à ce qu'elle évoque ses amis Mangemorts. Alors que lui avait tourné autour du chaudron sans jamais prononcer ce mot, elle l'avait dis, et ça sonnait comme un aveu. Exactement comme elle admettait ne pas s'intéresser au sort des autres, seulement à celui d'Antinea et lui. Qu'espérait-elle, au juste, qu'il serait touché ? Reconnaissant ? Poody arriva sur ses entrefaits, posant devant eux une bouteille encore neuve et deux verres. Galaad le regarda leur servir l'alcool, et si le manque lui donner envie de se jeter sur le sien, la rage qui bouillonnait dans son ventre l'en empêchait encore. Il l'attrapa tout de même, mais contrairement à sa sœur, ne le porta pas immédiatement à ses lèvres. Au lieu de quoi, il reprit la parole, un ton plus fort qu'avant.

- Et toi, ce que tu ne comprends pas, Selena, c'est que je préfèrerais encore crever là-bas, avec mes amis, que te devoir ma survie. Que d'avoir une dette envers ces tarés qui m'ont affamé pendant un mois. Galaad n'était pas un homme de principe. Aussi loyal qu'il était envers ses amis, il prenait plutôt garde à lui, et les débats concernant Sang Purs et né-moldus lui étaient toujours apparus comme un inutile brassage d'air. Bien perché sur ses privilèges sans s'en rendre compte, il n'avait jamais imaginé pouvoir être mis en danger par les Mangemorts. Il y avait eu l'attentat du chemin de traverse, bien sûr. Première réalisation. Mais cette fois-ci, c'était différent. Vous-Savez-Qui s'était directement adressé à eux. Galaad pouvait encore entendre sa voix, comme si c'était hier. Le verre dont il s'était saisi lui paraissait tout à coup bien moins attirant, tandis qu'une nouvelle nausée lui tordait l'estomac.
- Alors, on fait quoi ? Tu vas me ramener là-bas ? Il savait, bien sûr, qu'elle ne le ferait jamais. Mais la provoquer, c'était tout ce qu'il lui restait. Le seul hommage qu'il pouvait rendre à ses amis encore coincés là-bas. Ses amis qui étaient peut-être morts, à l'heure où il parlait.

Selena ne lâcherait pas facilement le morceau, c'était une évidence. Et qu'elle cache ainsi ce qu'elle avait dû sacrifier, qu'elle n'étale pas son héroïsme au grand jour ... tout cela n'augurait rien de bon. Mais Galaad avait trop vécu dans la peur, ce dernier mois, pour la ressentir à nouveau. Un toit au-dessus de sa tête ... Comme si ça pouvait lui importer.
- Tu te répètes, grinça-t-il entre ses dents. J'ai déjà un toit, et ce n'est pas celui-là. Bien sûr, il n'était que locataire. Colocataire, même. Mais c'était déjà un net progrès par rapport aux années qui avaient suivi sa sortie de Poudlard, et où il avait squatté les canapés des uns et des autres sans jamais se poser. Même à cette période-là, il n'avait pas envisagé de revenir au Manoir. Ces murs lui étaient aussi étrangers que s'il n'y avait jamais vécu. Ça fait longtemps que ce toit n'est plus le mien. Son reste d'accent irlandais était le seul signe qu'il avait un jour arpenté la campagne qui entourait Belfast. Avant même la fin de sa scolarité, il avait très bien compris que les idéaux dans lesquels il avait été éduqué ne seraient jamais les siens, qu'il ne serait jamais accepté pour ce qu'il était entre ces murs. Alors il avait fait ce qu'il faisait tout le temps face à l'adversité : il avait fui. Pour ne jamais revenir - ou alors, seulement en catimini, pour voler quelques Gallions.

- Ne mêle pas Anti à tout ça, tu veux bien ? J'aimerais bien savoir ce qu'elle pense de tes amitiés avec les Mangemorts, tiens. C'était inutile et cruel, de sortir ainsi la carte de sa petite sœur. Il ne voulait pas qu'elle se retrouve mêlée à ses disputes avec Selena. Aussi immature qu'il soit, il n'avait jamais attendu d'elle qu'elle prenne parti. Mais l'entendre utilisée pour justifier son sauvetage lui retournait le cœur. Elle, elle comprendrait qu'une vie ne vaut pas plus que celle des autres ...
Car sa vie ne valait pas plus que celles de Wilda, Aurora ou Amelia. Pas plus que celles de tous les inconnus qui avaient vécu la même chose que lui, ou pire. Elle ne valait pas plus, elle valait même moins. Et c'était d'autant plus vrai maintenant que Selena avait jugé bon de le soustraire à ce cauchemar. Comment pourrait-il un jour croiser les regards de ceux qui y auraient perdu un proche, un ami ? Il n'eut pas vraiment besoin que Selena l'y encourage pour vider d'une traite son verre. Il avait bien besoin de courage liquide ... L'alcool brûla son œsophage - une douleur familière et rassurante, intense mais bienvenue. La chaleur qui s'installa au creux de son ventre lui avait terriblement manqué. Plus qu'il n'était prêt à l'admettre.

- Si tu crois que je vais te raconter quoi que ce soit ... Ne compte pas sur moi pour alimenter tes fantasmes de cruauté et de pouvoir, grimaça-t-il quand la brûlure se fut apaisée. Mais l'alcool avait tant noyé les mots de Selena qu'il mit un moment de plus à réaliser ce qu'elle impliquait. Le temps de se remettre ... Elle comptait le garder au manoir ? Venait-elle vraiment de l'arracher à une prison pour l'enfermer dans une nouvelle ? Il aurait aimé se lever pour courir vers la cheminée, attraper une poignée de poudre et disparaître de leur demeure familiale pour de bon. Mais ses dernières forces avaient disparu dans le whisky, et il ne put qu'agripper les accoudoirs de son siège. Ongles plantés dans le cuir, il dévisagea Selena.
- Il va te falloir ta meilleure magie si tu crois pouvoir me garder ici. Une menace en l'air. Merlin, il n'avait même plus de baguette ! En aurait-il eu une que ça n'aurait pas changé grand chose, de toute manière. Elle était bien meilleure que lui, ils le savaient tous les deux. Si elle avait décidé qu'elle ne bougerait pas d'ici, elle serait bien capable d'y parvenir ...