Le vaste et luxueux appartement dans lequel Daisy vivait désormais lui semblait bien vide. Son mari était peu présent et les rires ou les larmes de ses sœurs, les hurlements froids de son père, les claquements de portes, les disputes, les notes de musique lui manquaient terriblement. Assise sur le rebord de la fenêtre, la jeune femme fixait un jeune couple dans le parc d'en face qui se promenait. Ils venaient de s'assoir sur un banc, exprimant par des gestes affectueux leur amour dans la lueur tombante du crépuscule.
Était-ce de l'envie, du mépris ou bien du regret qu'on pouvait lire dans ses yeux couleur glacier ? Sans doute un peu des trois.... Le visage impassible, sa gorge et son cœur étaient comme pris dans un étau et malgré la dureté de ses traits, ceux qui la connaissaient l'auraient vu.
Tandis que ses mains se crispèrent délicatement sur le tissu de sa robe noire, elle songea en les voyant à Bobby et aux sentiments de force et de liberté indescriptible qu'elle avait ressenti auprès de lui. On dit souvent qu'il vaut mieux avoir connu l'amour et l'avoir perdu que de ne l'avoir jamais connu. C'était faux ! Pensa-t-elle. Ceux qui ne l'ont jamais connu ne savent pas ce qu'ils perdent !

La nuit tombait et la jeune femme ne quittait pas le couple des yeux. Était-ce la solution ? Il lui semblait. Pouvait-elle formuler un "oubliette" sur elle-même pour éliminer à jamais ses souvenirs heureux de sa mémoire ?
Sans réfléchir davantage, elle tendit son bras vers la table de nuit et sortit sa baguette du tiroir. Fixant toujours les amoureux, elle plaça le bout de bois contre sa tempe et .....

..... le caressa doucement. Le tissu doux ondulait sous ses doigts et la jeune femme commençait à sentir des mouvements à l'intérieur d'elle-même. Pourrait-elle donner la vie ? Elle qui ne frémit qu'en en prenant ? De nombreux moldus et sangs mêlés avaient péris sous ses sorts et elle avait aimé ça ; comment élever un petit être quand le désir de destruction est plus fort ? Comment élever un enfant quand le modèle parental est un parfait échec ?
Elle songea longuement à ses sœurs, à son père, à sa mère. Serait-elle à son image ?

Elle posa le regard sur l'un des tiroirs de la coiffeuse et de sa main libre l'ouvrit. Daisy en sortit un morceau de parchemin parfaitement plié dont le sceau de Ste Mangouste témoignait la non-ouverture. Il était temps de savoir .. Le sexe de l'enfant était contenu dans les quelques lignes de ce papier officiel fermé, et n'attendait qu'à être dévoilé.

Et si c'était une fille ? une poupée blonde, docile, parfaite, à l'image de la lignée Blackstone. Déçu, Edgar la détesterait davantage, nierait sa capacité à engendrer et reporterait son attention et son désir inassouvi sur Orchid ou Lilac. Alors faudrait-il redoubler d'effort pour faire un fils, afin de satisfaire les deux familles ?
Et si c'était un fils ? un ange blond au regard d'un ciel d'été..ou bien brun, aux yeux noirs et perçants, rappelant à sa mère cet amour perdu qu'elle devine chaque jour en Damien. Obtiendrait-elle enfin la fierté de son père qu'elle a tant désirée ? La regarderait-il enfin autrement que comme la génitrice du descendant Blackstone qui n'a jamais vu le jour ?

Et elle, que voulait-elle ?

Le sceau céda sous la pression de ses doigts et la lettre s'ouvrit doucement. C'était ....

Un garçon. Le mot apparaissait clairement sur le parchemin. Elle le relit une fois. Puis une autre. Et sans vraiment s'en rendre compte, l'emprise de ses doigts avait froissé l'objet de la terrible révélation. Elle se pencha en avant, ses coudes ancrés sur la commode et saisit sa tête entre ses mains. Des larmes jaillirent de ses yeux clos et ruisselèrent sur ses joues marbrées tandis qu'elle étouffa un sanglot plaintif. Puis sa mâchoire se serra si fort que ses dents crissèrent sous la pression. De longues minutes d'une rage sourde défilèrent, nourrie par la profonde tristesse et le remord.déchirant.
Seule, elle demeurait seule. Plus aucun soutien, plus de contact, plus d'amis, plus de famille. Doucement elle leva les yeux vers son reflet dans le miroir. L'image qu'il lui renvoyait était devenu insupportable. Dans un silence inquiétant, son poing vint s’abattre sur le miroir, zébrant la surface réfléchissante. De nombreux éclats volèrent en tout sens, tandis que le sang auréolait ses articulations. La douleur vive de son poing n'était rien comparée à la blessure lancinante qui transperçait son cœur. Les mains crispées, elle resta assise, fixant son image morcelée dans les yeux. Chaque morceau semblait refléter une partie de sa personnalité. L'un des morceaux représentait une femme aimante, dévouée corps et âme à son nouveau mari, un autre symbolisait une petite fille blonde aux yeux innocents, le plus petit fragment de miroir montrait une jeune femme fougueuse et libre, solide et amoureuse; et le plus grand une brune au regard de glace noyée dans une brume ténébreuse.
Laquelle était-elle ?

Un garçon. Le mot apparaissait clairement dans son esprit et une lueur de jalousie l'anima. Et si Edgar l'aime davantage ? Et s'il l'enlève pour l'élever à sa guise ? Et s'il me délaisse après avoir obtenu ce qu'il attend depuis si longtemps ? Les questions se bousculaient aussi vite que le sang jaillissait de sa plaie, toujours à l'air libre. Complétement indifférente à cette dernière, la jeune femme se focalisa sur l'unique réponse qui lui vint ...

Personne n'était encore au courant. Personne ne remarquerait. Elle n'avait pas encore endossé ce rôle de mère.. Il lui suffirait d'un simple sort ou d'un simple geste pour éliminer cette chose qui grandissait en elle.
Daisy se leva, renversant sa chaise derrière elle dans un bruit sourd. Elle souleva doucement le tissu de sa robe de sa main indemne en fixant le reflet brisé de son ventre. De sa main souillée de sang, elle saisit une petite fiole sur la coiffeuse qu'elle avait prévu spécialement pour cette solution là. Il n'avait pas été bien difficile de se procurer cette mixture abortive dans l'allée des embrumes...
Son regard se verrouilla sur son arme improvisée aux reflets violets, puis avant de s'en rendre complétement compte, avala une gorgée... En sueur, Daisy se courba sous la douleur. Une gorgée, puis une autre, puis encore une autre, convulsant son corps, faisant couler le sang de sa bouche comme une fontaine. La quatrième gorgée lui demanda un effort surhumain la faisant basculer en arrière, lui arrachant un premier cri de douleur. Sa vue se troubla légèrement lorsque sa tête percuta le sol, annihilant avec sa chute toute volonté de continuer son massacre. Déboussolée, elle plissa les paupières mais les bruits de porte qui venaient du rez de chaussée la ramenèrent précipitamment à la réalité....

(Désolée ma Bobbynette pour le retard:/)

Les bruits de pas restaient au rez de chaussée, pour le moment. Malgré la souffrance qui lui tenaillait les entrailles, Daisy roula sur le côté et posa sa main sur le sol pour s’aider à se redresser. Son buste lui semblait plus lourd qu’une plaque de béton et avant même de le positionner à la verticale elle retomba sur le flanc avec fracas. Que ferait Damien, en la découvrant là, gisant dans son sang, le ventre rond dénudé ?
Le bruit du choc mena les pas du nouvel arrivant dans les escaliers. Chaque pas raisonnait dans sa tête et la menait à la fois vers la libération et la sentence. Désespérée, la jeune brune fixa la porte de ses yeux embrumés. Elle s’ouvrit sur une silhouette qui se précipita au dessus d’elle. Ses cheveux bruns et ses yeux doux et perçants lui arrachèrent un murmure : « Bobby », qui se perdit dans le silence.
L’homme souleva son corps endolori avec force et le déposa sur le lit avec délicatesse. Elle percevait mal ce qui se passait mais la hâte et l’urgence décrivaient ses mouvements. Damien griffonna quelque chose sur un morceau de parchemin et sortit de la pièce. Il revint aussi vite avec sa baguette et sa main commença à valser dans les airs tandis que le mobilier reprenait sa forme initiale et que les tâches écarlates s’évanouissaient sur les surfaces souillées. La pièce remise en ordre, il trouva la lettre de Ste Mangouste et il lui sembla qu’il marqua une pause avant de froisser le bout de papier et de l’enfoncer dans sa poche de pantalon. Elle le regarda s’approcher du lit, sentant le poids de son regard sur elle. Damien s’assit auprès d’elle, et tandis qu’elle attendait, craintive, une bourrasque de coups ou de paroles assassines, il se passa quelque chose de tout à fait inattendu. Le beau brun approcha sa main de son visage et le caressa avec douceur du bout des doigts. Il passa sa main dans ses mèches brunes, entrelaçant ses doigts et dit d’une voie calme et rassurante:

- Je m’occupe de toi.

Il retira sa main aussitôt qu’un individu pénétra dans la chambre, une mallette à la main :

- Bonjour Damien, tu m’as appelé ?

Ses mots raisonnaient dans son esprit. « Je m’occupe de toi ». Loin de la menace ou du ressentiment, le ton de sa voix était mêlé d’inquiétudes et d’intérêts. La vision embrumée, elle ne pouvait pas le lâcher des yeux, essayant d’analyser cette réaction inespérée. Pourquoi se montrait-il si attentionné ? Etait-ce le calme avant la correction ? Qu’espérait-il en retour ? Que demanderait-il ?
Damien rompit le lien au moment ou un individu pénétra dans la pièce. Son mari se leva pour serrer la main de l’homme qui vint s’asseoir de l’autre côté du lit. Leur conversation se fit plus distincte malgré la douleur qu’elle sentait dans son ventre :

- Bonjour Olméric, j’ai besoin que tu examines ma femme.

L’homme fit une rapide analyse de la situation. Ses doigts se posèrent successivement sur son front, sa nuque, son cou, ses bras, ses mains.

- Que s’est-il passé ?Demanda-t-il en continuant méthodiquement sa palpation

- J’ai trouvé ça sur le sol. Dit Damien en tendant la fiole.

Le médicomage saisit l’objet et en sentit le contenu. Une lueur inquiète teinta son regard et il sortit un instrument de sa mallette. Une extrémité dans les oreilles l’autre sur le ventre de la jeune femme, il semblait écouter quelque chose.. Puis son visage se mina. Sinistre nouvelle que Damien comprit instantanément. Leurs regards se verrouillèrent alors sur l’unique survivante du massacre et le médecin choisit un liquide dans sa mallette qu’il approcha de ses lèvres.

- Ça va être un peu douloureux ! Lui dit-il en lui administrant la totalité du contenu.

« Un peu » était très en dessous de la réalité. Ce liquide lui brûlait littéralement les entrailles, bien au-delà de ce qu’elle venait de traverser. Dans la violence, Daisy saisit la main de son mari et la serra si fort que ses articulations blanchirent. Puis la douleur, trop forte, lui fit perdre connaissance…

Quand elle ouvrit de nouveau les yeux, l’aube illuminait doucement la pièce. Une douleur plus faible mais lancinante alourdissait son corps entier. Tandis qu’elle s‘habituait peu à peu à la clarté, elle posa son regard sur la silhouette allongée auprès d’elle et elle vit la présence familière de son mari d’un oeil nouveau. Il dormait, sa main dans la sienne, veillant sur elle. Alors Daisy songea un instant qu’il n’était peut-être pas l’ennemi qu’elle avait imaginé. Peut-être pouvait-elle enfin le voir autrement. En allié….


(hj : Clôturons notre sujet mon doux )