[terminé]ça faisait longtemps ... [Severus]

Severus Rogue vivait un véritable enfer sur terre depuis quelques jours maintenant. Une observation, une simple intuition, au début de la semaine, lui avait ôté toute vie : Lily voyait quelqu'un. Et ce quelqu'un, ça n'était pas lui. Severus en avait perdu le sommeil, trop occupé à réfléchir, il ne mangeait plus, consacrant ses repas à observer avec qui la Gryffondor discutait, il ne suivait plus en cours, préférant suivre chaque regard que la belle lançait dans la salle. Et puis petit à petit, l'affreuse réalité s'était imposée à lui, comme une évidence. Ils étaient très discrets, trop discrets pour que quelqu'un de moins attentif que le Serpentard ne les perce à jour.

Le jeune homme, une fois la première bouffée de rage passée, s'était laissé aller à la douleur la plus complète. C'était pire que si Lily lui avait lancé un Endoloris dans le dos ; maintenant, elle était en couple avec celui qui les avait séparés, elle et lui, ce qui était la pire trahison qu'elle pouvait lui infliger. Elle passait du temps avec Potter, lui prenait la main, lui susurrait des mots doux, elle l'enlaçait. Elle embrassait Potter. C'était à ce moment-là en général que Severus devenait fou et détruisait tout sur son passage.

Au bout d'un certain temps, la colère redescendait, revenait la tristesse, puis la résignation, et enfin la résolution : il devait lui parler, et ce en tête-à-tête. Seulement, elle refusait toujours de le voir, depuis leur brouille. Elle refusait de le voir depuis la fin de leur Cinquième Année. Le Serpentard s'y était fait tant bien que mal, surtout mal, sans que jamais son amie ne fléchisse. Et maintenant, elle s'éprenait de ce crétin de Potter... Le sang de Severus n'avait fait qu'un tour, il avait subtilisé un parchemin de cours de l'autre bellâtre, l'avait étudié avec attention et entreprit de rédiger un message en recopiant son écriture maladroite, dans lequel il invitait Lily à le rejoindre dans un endroit discret. Et il avait signé James.

Finalement il s'était posté, un peu avant l'heure indiquée, dans l'ombre d'une armure, croisant les doigts pour que la jeune fille tombe dans le panneau. Effectivement, la belle rousse s'était pointée à l'heure convenue, pas très rassurée, mais du défi plein les yeux. Severus sentit une vague d'affection coupable l'envahir lorsqu'il la vit s'asseoir et regarder autour d'elle, et malgré lui fit un pas en avant. Lily se tourna immédiatement dans sa direction et l'interpella sous son nom de plume :

James, c'est toi ? Severus se raidit, subitement refroidi. Fais pas le troll, tu m'fais pas peur de toute façon.

Le Serpentard jaillit alors hors de sa cachette, s'arrachant à l'obscurité qui le protégeait jusqu'à présent, et s'approcha de sa jeune amie, un sourire triomphant dessiné sur les lèvres.

Peut-être devrais-tu. Alors comme ça, on répond aux rendez-vous de Potter, maintenant ? insinua-t-il d'une voix acide et courroucée, les yeux glacials que les pierres du cachot.

Lily le rabroua immédiatement, désapprobatrice, et lui ordonna de retourner à sa place, de courber l'échine, de ne rien dire et de la laisser faire, comme d'habitude. Sans doute était-ce son tout nouveau statut de préfète qui lui donnait l'impression qu'elle pouvait encore lui parler comme à un enfant ; mais ça, Severus ne pouvait plus l'accepter. Non, il n'accepterait plus qu'elle le traite comme un moins que rien, qu'elle lui parle de la sorte, non, c'était fini : il lui était égal, sinon supérieur. Et elle l'avait trahi.

Ce que je fais là ? fit-il mine de s'étonner d'une voix désagréable. Oh, des choses. Je traîne. Severus lança un regard un peu moqueur autour de lui. La question est plutôt ce que toi tu fais là. Attendrais-tu quelqu'un par hasard ?

Le Serpentard se délectait de l'expression perdue de la Gryffondor, visiblement désappointée de ne pas trouver son Dom Juan pour un rendez-vous romantique en terre inconnue. Une pointe de satisfaction perçait le coeur du jeune Vert, un plaisir certes coupable, mais Ô combien salvateur. Mais déjà, il réalisait que dans la tête de sa camarade, les pièces du puzzle commençaient à se mettre en place : son regard déjà se faisait plus vif.

On dirait que tu commences à comprendre, lâcha-t-il simplement en s'époussetant la manche. Il la connaissait si bien, tellement mieux que ce bon à rien de Potter. Lui qui ne voyait rien, depuis si longtemps, et Lily elle-même qui était parvenue à se duper à son sujet. Severus, lui, voyait clair dans leur jeu depuis le début, du moins, il voyait ce binoclard de malheur comme un rival, depuis toujours. Et aujourd'hui, Lily lui donnait raison, aux dépends de Severus : mais il voulait l'entendre le dire.

Elle lui demandait des explications, elle faisait celle qui ne comprend pas, alors qu'au fond d'elle elle savait très bien ce que voulait Severus, et à quel jeu il jouait, comme elle disait. Seulement, la brave lionne ne l'était visiblement pas assez pour affronter la vérité en face, à l'inverse du Serpentard, qui y était parfaitement disposé.

Mais tu poses des questions que c'est à moi de te poser, Lily, gronda-t-il soudainement, abandonnant son masque tranquille pour laisser voir son vrai visage, celui de l'âme blessée et tourmenté. A quoi tu joues avec ce veracrasse de Potter ? Tu crois que je n'ai rien vu à votre petit manège ?

Il s'éloigna de quelques pas dans un tournoiement de cape, fuyant la vue du doux visage de son aimée, qui baissait les yeux pour fuir les siens. Il aurait aimé discerner la moindre lueur coupable dans ses iris, mais il n'y avait rien de tel dans les beaux yeux de Lily Evans.

As-tu oublié tout ce qu'il nous a fait, Lily ? Est-ce que tu te sers de lui pour me punir ? lui demanda-t-il alors d'une petite voix, le dos toujours tourné à celle qu'il aimait.

Le rire de Lily blessa Severus, qui blêmit. Ce rire sans joie, ce rire haineux, aux antipodes du rire naturel de Lily Evans, le touchait plus qu'un torrent d'injures. Elle prétendait ne pas voir en quoi cette histoire le concernait, lui, son ami de toujours, qui n'avait jamais cessé de l'aimer. Pire, elle en riait, comme si sa réaction était absurde.

En quoi cette histoire me concerne ? s'écria-t-il d'une voix insurgée, indigné par l'injustice dont la rousse faisait preuve. Mais c'est de la faute de ce maudit Potter si tu ne veux plus me parler ! C'est de sa faute si je suis devenu tel que je suis, continua-t-il d'une voix suintante de venin. S'il ne l'avait pas déclaré souffre-douleur officiel du clan des Maraudeurs, s'il l'avait laissé en paix, s'il ne l'avait pas humilié tout au long de sa scolarité, où Severus en aurait-il été aujourd'hui ? Sans doute pas à ce stade.

Et toi tu es entrée dans son jeu ! Sa voix avait pris un accent à la fois horrifié et dégoûté. Malgré tout le mal qu'il a pu me faire, tu m'accuses d'avoir voulu me défendre ? Tu voulais que je continue à endurer ces humiliations quotidiennes, pour l'amour de toi ? C'est ça que tu me reproches, Lily ? martela-t-il violemment en plongeant ses prunelles folles dans celles de la Gryffondor. Il resta dans cette position une courte seconde, tremblant de tout ses membres. Toute cette fureur, qu'il gardait en lui depuis si longtemps, et qui le rongeait à petit feu, semblait avoir pris position de son corps aussi bien que de son esprit.

Tu considères que nous n'avons plus rien à nous dire, reprit-il soudain d'une voix plus calme. Moi je te dis que tu te trompes. Je suis ici pour te prouver que non, tu n'es pas une personne honnête, Lily. Tu n'as pas été honnête, tu n'as pas cherché à me comprendre, moi, ton meilleur ami. C'est de ta faute, Lily, si je suis tel que je suis aujourd'hui.

Severus se tenait figé, le regard noir, cillant légèrement à chaque mot violent de Lily. Tout son esprit était trouble, un flot d'émotions se déversait dans son âme, mélangeant la haine avec la peur, et l'amour avec le désespoir. Bien sûr, elle avait raison, mais Severus ne pouvait pas le reconnaître, il avait été victime d'une injustice, et cette dernière primait sur le chagrin qu'il avait du infliger à sa jeune amie.

Tu n'as rien compris ! s'emporta-t-il en rejetant la main en arrière. Je... Je... Il posa son regard perdu sur elle, l'esprit soudainement vide. Je me suis excusé des dizaines de fois, auprès de toi... Et de Kayla. Il ne pouvait s'empêcher de repenser à cette période de sa vie avec tristesse, mais aussi colère : qu'aurait-il pu faire d'autre ? Mais vous avez froidement rejeté chacun de mes regrets, acheva-t-il d'une voix morne et revêche.

Son regard se perdit sur un cadre fixé sur le mur du cachot, représentant un paysage apocalyptique dans lequel quelque fois apparaissait un Magyar à pointes, qui leur lançait un regard farouche à chaque fois qu'ils levaient la voix. Severus était songeur. Ce paysage lui semblait caractériser son âme, nue et désolée, stérile. Mais qui était ce féroce dragon ? Que faisait-il ici ? Que lui était-il arrivé ?

Ne t'est-il jamais arrivé, reprit-il brusquement, d'être tellement en colère que tu aurais pu dire n'importe quoi, à n'importe qui, pour n'importe quelle raison ? Il se cherchait des excuses, il n'aimait pas ça. Il s'était suffisamment excusé, il en était intimement convaincu, son meilleur ami Wilkes le lui avait sans cesse répété. Joseph n'avait jamais compris l'attachement que Severus ressentait pour Lily, mais il l'avait plus ou moins respecté, parce qu'elle était d'une intelligence supérieure à la sienne. Croupton et Rosier, eux, ne s'étaient pas gênés pour critiquer son sang, mais c'était normal, le leur était pur. Severus les avait toujours affrontés à ce sujet, et puis un jour, l'humiliation suprême, le barrage avait cédé, et Severus avait répété tout ce que ses amis lui répétaient depuis si longtemps, mais sans le penser lui-même ; les mots, l'insulte, était venue d'elle-même, naturellement, comme si elle coulait de source. Résister aux sous-entendus de Rosier, ça avait été comme empêcher l'eau de s'infiltrer dans un sac de papier. Le sac de papier, ça avait été Severus.

Severus resta un long moment silencieux, les mots de Lily se frayant avec difficulté un chemin dans son entendement tandis qu'il faisait quelques pas. Elle prétendait ne plus lui en vouloir, mais s'était paradoxalement bien gardée de le prévenir qu'elle lui accordait son pardon, le laissant patauger dans une flaque de regrets. C'était un peu facile de se donner le beau rôle ainsi.
A quoi sert-il de pardonner, si celui qui te prie de le faire depuis si longtemps n'est même pas au courant ? marmonna-t-il d'une voix quelque peu écoeurée. Si elle avait fini par comprendre qu'il regrettait ce jour plus que tout autre, que ne l'avait-elle pas soulagé plus tôt de ce poids, si elle était vraiment son amie ? Pourquoi l'avait-elle laissé souffrir de la sorte, elle qui était la seule à détenir le baume à cette plaie béante que représentait le coeur du Serpentard ? Severus ne comprenait pas bien. C'est alors que Lily reprit, lui servant comme argument de rupture le fait qu'il ait changé. Le Serpentard leva les yeux vers elle, soudainement ahuri : lui reprochait-elle simplement d'avoir grandi ? Une véritable amie ne se serait-elle pas réjoui de le voir grandir et évoluer, réussir dans ses entreprises ?
J'ai changé ? Est-ce bien cela que tu me reproches ? s'étonna-t-il. Jusqu'à preuve du contraire, je suis toujours le même, Severus Rogue. Je n'ai jamais cessé de l'être, mais tu le saurais si tu... il se tut quelques secondes. Il était inutile de lui rendre le bâton pour le battre. Je crois que tu te trompes. J'ai toujours été moi-même avec toi, Lily, tu le sais, soutint-il d'une voix un peu piteuse. C'était vrai, il repensait avec une douce nostalgie aux moments passés avec sa jeune amie, dans tous les coins de Poudlard. Elle était sa plus ancienne amie, et à ce titre avait marqué à tout jamais son existence. Il ne pouvait pas accepter l'idée qu'il n'en soit plus jamais de même. Je n'ai pas changé, Lily, je peux te le jurer, insista-t-il avec désespoir, tant la résolution de son amie semblait grande. Je peux me racheter, et te prouver qu'il n'y a rien de changé entre nous ! Je... Je peux même oublier Potter, à condition qu'il en fasse de même, je t'en prie. Il la suppliait du regard, un peu effrayé par la tournure que prenait leur entrevue. Il préférait quand ses yeux le fusillaient, au moins elle n'avait pas cet air résigné, comme si plus rien venant de lui ne pouvait l'atteindre. Comme si elle lui était définitivement perdue.

Elle le croyait, au moins un peu, elle tentait de cacher son trouble mais elle n'y parvenait pas, elle ne parvenait jamais à cacher quelque chose à Severus, et n'y parviendrait jamais. Elle était sensible à ses arguments, parce qu'ils étaient sensés, et qu'elle le savait, au fond d'elle, elle savait qu'elle s'était en partie leurrée en pensant qu'il avait mal tourné. Et en réfléchissant un peu, elle comprendrait également pourquoi il s'était rapproché de ses camarades de maison, il le savait, il la connaissait. Peut-être alors cesserait-elle de penser que leurs chemins se séparaient : peut-être étaient-ils tout bonnement parallèles ? Peut-être finiraient-ils par se rejoindre autrement que sur un champ de bataille ? Car son allusion à un combat prochain contre elle et Kayla eu le don de déstabiliser Severus. Tu sais bien que je ne te ferais jamais de mal, souffla-t-il d'une voix tendre. Il en était intimement convaincu, il lui serait impossible de faire de mal à Lily, pour quelque raison que ce soit. Mon intention n'est pas de détruire, mais bien de construire quelque chose ! rétorqua-t-il avec feu. Les idées du cartel sur le sang ne m'intéressent pas, tu sais très bien pourquoi. Evidemment, Lily savait fort bien qu'il était un sang-mêlé, par conséquent qu'il était à peine mieux vu qu'elle des Mangemorts. Rosier et Croupton l'acceptaient fort bien, mais ça n'était pas pour autant de Severus le criait sous tous les toits ; son intention alors n'était nullement de détruire des races prétendues inférieures, Lily était la preuve même qu'il n'y avait aucune infériorité, il en était également la preuve vivant. Il désirait simplement s'abreuver de pouvoir, atteindre des strates inconnues en matière de magie, et impressionner de la sorte sa chère Lily. Pour cela, il lui fallait rejoindre les rangs de Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom, et pour rejoindre ses rang, il devait faire comme si ces idées étaient les siennes, se relever à chaque brimade et faire comme si. Car le savoir était du côté des Serpentards, il le savait, quand à chaque retour de vacances Minerva lui rapportait un nouvel ouvrage de magie noire, là où à Poudlard Flitwick leur apprenait encore en septième année le sortilège de Lévitation. La lutte contre les Moldus était bonne pour les brutes assoiffées de mort, lui n'était qu'une brute assoiffée de connaissance, ce qui était totalement différent. Mais ça, il ne pouvait pas le dire à Lily, pas ici, pas maintenant, sinon il encourrait de graves dangers si quelqu'un l'entendait. Si je me retrouve face à toi, reprit-il d'une voix plus basse, je te jure que je me laisserai tuer pour ne pas avoir à toucher un seul de tes cheveux. Je ne serai jamais ton ennemi, Lily, martela-t-il pour reprendre les mots de son amie. Entendre Lily le repousser commençait à l'agacer : elle ne comprenait pas ? Il n'y a pas de camp qui se mette entre nous ! Tu te cherches des excuses, je t'assure que ça ne change rien à... nous ! Tu ne peux pas me demander de changer ! Il était trop tard, de toute façon, Severus était abreuvé de pouvoir, et ne parviendrait pas à renoncer à sa quête, même pour Lily. Son ambition était au-dessus de tout, si pour la satisfaire il devait devenir un Mangemort, il le ferait, Rosier ne vivait que pour cela, et il n'avait pas mauvais fond. Pourquoi Severus ne pouvait-il pas faire de même ?

Spoiler:

Lily resta un moment silencieuse, ses yeux plongés dans ceux de Severus, comme si son âme cherchait à entrer en connexion avec celle de son ami. Le Serpentard se noyait dans le regard de son amie, qui malheureusement n'avait rien de doux ; il n'était plus que détermination, mais Severus croyait tout de même y percevoir une touche de regret. C'est à cet instant qu'il comprit que c'était trop tard, et que celle qu'il aimait plus que tout le reste avait érigé entre eux une barrière infranchissable, un gouffre sans fond, un désert mortel. Ses yeux devinrent humides, et elle leva la main pour la poser sur la joue de Severus, comme lorsqu'ils étaient jeunes et qu'elle parvenait par ce geste à le calmer quand il était en colère. Le geste était hésitant, car maintenant Severus était nettement plus grand qu'elle, mais le visage du jeune homme trouva tout naturellement le moyen de se loger tendrement au creux de la paume de Lily, et il ferma les yeux dans un soupir. C'était comme si le temps n'avait pas passé, comme si elle l'aimait toujours et se préoccupait encore de comment il allait. Il avait tellement besoin d'elle, il devait le lui dire, il rouvrit les yeux et une larme traîtresse s'échappa de son oeil, pour rouler jusqu'aux doigts de Lily. Toi non plus, tu ne seras jamais mon ennemi, lui dit-elle d'une voix fervente, avant de laisser retomber sa main le long de son corps. Le contact de l'air froid, de nouveau sur la joue de Severus, manqua de le faire hurler de frustration, mais il n'y songea pas, car Lily venait de lui porter le coup de grâce. Elle ne le détestait pas, mais ne pouvait plus l'aimer, et Severus sentait au plus profond de lui qu'elle était sincère, et peut-être même le regrettait amèrement. Le Serpentard serra douloureusement les mâchoires et vissa son regard sur le sol, pour retenir à grand-peine les larmes brûlantes qui menaçaient de jaillir d'entre ses cils. C'était donc ainsi que cela se terminait, que tout se terminait, tel était le point final que Lily posait à leur histoire, au fin fond des cachots de Poudlard, par un soir d'hiver. C'est alors qu'elle le salua d'une petite voix, et s'écarta de lui pour retourner Merlin savait où, mais loin de lui. Comprendre que si elle partait, c'était à tout jamais, était insupportable pour Severus. La voir lui tourner le dos, être assuré qu'elle ne se retournerait plus s'il l'appelait, eu raison du jeune homme, qui s'écria soudain, toute retenue envolée.
Lily, non ! il lui agrippa violemment le bras et la retourna vivement vers lui pour la serrer étroitement contre lui. Tu ne peux pas me laisser... lui chuchota-t-il d'une voix démente tandis qu'il appuyait sa joue contre le crâne de son amie. Il ne pouvait contenir ses tremblements, son coeur battait la chamade, il l'enlaçait trop fort, il le savait, mais il avait tellement peur qu'elle s'en aille qu'il se sentait de force à ne jamais la lâcher. Lily ne pouvait pas l'abandonner, elle n'avait pas le droit de lui faire ça.

Les virulentes accusations de Lily le touchèrent plus violemment que si elle l'avait frappé, et Severus recula lentement de quelques pas en fixant ses mains, la mine horrifiée. Lui, d'ordinaire si calme, quasi-flegmatique, ne prononçait jamais un mot plus haut qu'un autre, que lui arrivait-il ? Pourquoi se comportait-il de la sorte ? Lily avait raison, il avait manqué de l'étouffer, de lui faire du mal. Le souci, c'est qu'il n'avait pas fait exprès.
Ce qu'il me prend ? Si ça va ? rugit-il. Je crois que ça se voit, non ! Evidemment que ça ne va pas, comment veux-tu que cela aille ! De nouveau, la colère prenait le pas sur la douleur ; comment pouvait-elle insinuer qu'il puisse aller bien, cela le dépassait. Elle était là, rendue à rompre avec lui, et elle s'étonnait qu'il réagisse mal. Comment Lily Evans pouvait-elle se montrer des fois aussi sotte ?
Je ne sais pas ce qu'il m'arrive, Lily, gémit-il de nouveau en se prenant la tête entre les mains, comme si sa tête était devenue trop lourde pour lui. C'était l'une des premières fois qu'il se laissait aller à une telle pulsion, qu'il ressentait cette impression intolérable de ne rien contrôler du tout, pas même ses gestes, et la première fois que cela lui était arrivé, c'était lorsqu'il avait insulté sa chère Lily devant toute l'école. Il ne voulait pas réitérer cette expérience ! Lily, il faut que tu m'aides, tu ne peux pas me laisser comme ça ! s'écria-t-il d'une voix suppliante. Il fit de nouveau un pas vers elle, la main tendue comme vers un antidote, mais il la vit se raidir et amorcer un mouvement arrière, ce qui lui brisa le coeur.
Je... Je suis désolé Lily ! Je ne voulais pas te faire mal, je ne sais pas ce qu'il m'a pris, balbutia-t-il, en une vaine tentative pour la rassurer. Tu sais que je ne suis pas comme ça, d'habitude ! argumenta-t-il d'une voix plaintive. Je ne sais pas ce qu'il m'arrive, il se passe des choses dans ma tête et... Lily je t'en supplie, aide-moi... Mais toujours la même distance dans sa posture, et la même intuition comme quoi elle ne ferait rien. L'égoïsme de la jeune fille, qui ne voulait même pas réparer ce qu'elle avait cassé, le mettait soudainement hors de lui.
Lily ! Tu ne peux pas me laisser comme ça ! répéta-t-il alors furieusement, en écartant les bras comme pour mieux se désigner, les yeux couleur d'orage et la bouche tordue en un pli effrayant. Pourras-tu supporter de me voir ainsi, moi qui suis comme cela à cause de ce que je t'aime et que tu veux m'abandonner ?

Severus s'était figé en entendant Lily lui avouer qu'il lui faisait peur, lui Severus Rogue, son meilleur ami, qui l'aimait plus que sa propre vie et ne voulait que son bonheur, il l'effrayait, elle, la courageuse lionne qu'il admirait tellement. Elle l'avait avoué d'une toute petite voix, dans laquelle le Serpentard avait malheureusement discerné toutes les intonations de la vérité ; elle ne mentait pas, ne disait pas cela pour le repousser, elle le pensait réellement. Severus s'était alors reculé de lui-même et avait percuté le mur froid du cachot, saisi d'horreur. Comment pouvait-elle avoir peur de lui ? Lily continuait de lui parler à voix basse, mais il n'entendait plus rien, c'était comme si son esprit était en totale ébullition. Par-dessus le tumulte qui résonnait dans son crâne, le jeune homme distinguait faiblement la voix de son amie, sans parvenir à isoler précisément les mots qu'elle employait pour s'expliquer. Il ne retenait qu'une chose ; elle avait peur de lui, comme s'il lui était dangereux, s'il était son ennemi. A cet instant, il entendit confusément Lily prendre congé de lui, et l'observa sans la voir se retourner pour partir. C'est alors qu'il comprit, en la voyant s'éloigner de lui, vague silhouette sombre couronnée de feu, c'est alors qu'il réalisa au plus profond de lui-même qu'il ne pouvait pas la protéger, qu'il ne pouvait tout simplement pas prendre soin d'elle. Cette vérité se répandit en lui comme un monstrueux torrent, noyant tout ce qu'il restait d'infime espoir en lui. Il ne pouvait pas la protéger, car il était la seule chose qui lui faisait du mal, la seule chose qui pouvait lui faire peur. Il ne pouvait la protéger autrement qu'en la laissant s'éloigner de lui, partir. En arrivant à cette conclusion fatale, Severus lâcha un gémissement rauque qui ressemblait à un sanglot, et s'écroula plus qu'il ne s'assit sur le banc sur lequel se reposait quelques minutes plus tôt Lily pour reprendre sa respiration. Il ne parvenait pas à pleurer sa souffrance, c'était comme si les larmes avaient décidé de couler à l'intérieur de son âme, plutôt que de se répandre sur ses joues. C'était comme si sa peine était trop grande pour mériter des effluves, comme si sa peine ne méritait pas de laisser des traces si Lily n'était pas là pour les voir. Elle était mieux sans lui, ces quelques mots lui revenaient sans cesse à l'esprit, il commençait à s'en persuader. Déjà il se calmait, pour retomber dans cet état de torpeur qui le caractérisait depuis plusieurs jours déjà ; déjà son esprit intimait à son coeur de se taire, car quelqu'un s'approchait dans le couloir. Severus Rogue, la terreur des cachots, le prince des potions, ne pouvait se permettre d'être surpris assis sur un banc seul dans un couloir désert en train de renifler misérablement. Il se releva promptement, juste à temps pour voir surgir au détour d'un couloir un jeune troisième année, qui se raidit en l'apercevant, avant de jeter un regard inquiet derrière lui, à la recherche d'un camarade. Mais Severus se contenta de le foudroyer du regard en passant devant lui dans un tournoiement de cape ; il était temps de retourner préparer sa vengeance au coeur du dortoir sombral qui abritait tous ses plus sombres travaux.

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