- Nathanael Curtis ? demanda une voix qui tira les patients de leur rêverie.
Un petit garçon, au teint pâle et aux cheveux mi-longs, encadré de ses parents, se leva et traversa la salle d'attente. Il suivit l'homme qui venait de l'appeler et qui les fit passer le long d'un couloir avant de les laisser entrer dans une pièce lumineuse. Meublée d'un grand bureau en bois, de chaises en osier et de luxuriantes plantes vertes, elle semblait inviter les trois protagonistes à se mettre à l'aise.

Le psychomage, Mr Donoghue s'assit tranquillement derrière son bureau, ouvrit son carnet de notes et se saisit d'un crayon.

- Vous venez donc pour votre garçon, dit-il avec douceur.

Le père de Nate hocha la tête, visiblement anxieux. Il avait le visage fermé -  celui qu'il arborait depuis qu'il s'était rendu compte que son fils avait un réel problème.
- Nate ne parle plus depuis trois mois, résuma-t-il alors que le psychologue lui demandait la raison de leur visite.
Et il expliqua tout. La mort de Lydia, l'arrestation et le procès de la grand-mère ainsi que le mutisme de Nate, « lui qui avant était intarissable ».

Le psychologue notait ce que disait Mr Curtis. Assis entre ses parents, le petit garçon était attentif, remuant doucement ses jambes, un peu impressionné par le monsieur qui semblait s'intéresser à lui. Il savait pourquoi il était là : son père lui avait tout expliqué. Il se demandait seulement si ça marcherait. Comment cet homme pourrait-il lui rendre la parole ?

- Tu ne peux donc plus parler, Nate, fit le monsieur.
Nate haussa les épaules. Il n'en savait rien. Il ne comprenait pas car ce n'était pas faute d'en avoir envie. Pour illustrer tout ça, le garçon ouvrit la bouche et expulsa un son muet. Et pourtant, il aurait eu plein de choses à dire...

- Tiens, Nate, dessine-moi ou écris-moi ce que tu veux dire – tu sais écrire, n'est-ce pas ?

Nate hocha la tête et, se saisissant d'un crayon, il s'exécuta. Il traça un grand carré sur la feuille avec deux traits pour figurer une télé avec ses antennes. Sur l'écran, il dessina sa grand-mère et sa sœur. Il avait appris à écrire depuis plusieurs années déjà, mais le dessin lui parlait plus. Il semblait au garçon que c'était plus limpide et moins brouillon que d'écrire. Il savait aussi pourquoi il avait dessiné cela. Autour de lui, les adultes se taisaient, les yeux fixés sur la feuille de Nate. Seul le psychomage gardait un attitude décontractée, tout en montrant bien à Nate que son dessin avait une réelle importance.
Au bout de quelques minutes, le garçon reposa son crayon sur le bureau et attendit le verdict. Le psychomage approcha la feuille vers lui et observa l'esquisse.

- Une télé. C'est intéressant. L'écran est un intermédiaire. Il fait le lien entre l'image et toi. Comme si tu assistais en tant que spectateur passif à ce qui est arrivé à ta sœur. Passif, oui. Parce que tu as été impuissant devant la scène. Quand tu regardes la télé, tu ne peux pas modifier le film ou le dessin animé. Ce dessin traduit, je crois, l'impuissant que tu as ressentie.

Il se tut un moment et laissa planer un bref silence.
- Je crois que ton mutisme vient de là. Tu n'as pas su agir sur cet événement, alors tu as modifié quelque chose en toi.

Le père de Nate croisa les bras sur son torse.
- Mais pourquoi le mutisme ?
- Alors je pense que ce changement devait être profond et brutal. Vous dîtes que Nathanael était très bavard auparavant. Or, qu'y a-t-il de plus fort changement qu'une attitude opposée à celle que l'on a habituellement ?

Les Curtis étaient sortis de la consultation épuisés lais confiants. L'analyse du psychomage leur avait donné de l'espoir. Ils estimaient que Nate retrouverait sa voix très rapidement. Ce qu'ils avaient moins prévu, en revanche, c'était que ce premier rendez-vous serait loin d'être le dernier...