Un ange passa, et pour un peu, s'il avait brutalement fait volte face sans dire un mot pour s'enfuir dans le couloir, je crois que je n'aurais pas été surprise. Une telle retraite ne m'était hélas pas envisageable - je ne pouvais même pas songer à lui claquer la porte au nez, il était déjà trop avancé. Alors la main sur la poignée, j'attendais de savoir ce qu'il voulait, me sentant étrangement gênée - y'a pas de quoi pourtant, eh ma vieille, ressaisi toi !! Reculant encore d'un pas, je poussais légèrement la porte dans son dos - pas assez pour la fermer complètement, mais assez pour rendre l'atmosphère soudain beaucoup trop intime, et je tortillais machinalement mes doigts, mains jointes derrière le dos comme une gamine prise sur le fait d'une bêtise.

Maintenant qu'il était rentré, il avait sans doute une meilleure vue d'ensemble du véritable capharnaüm organisé qui régnait dans la petite pièce. Le bureau en était le meuble principal, et mangeait presque tout l'espace disponible, surchargé de plusieurs strates de papiers, dossiers et journaux en tous genres, plumes, bouteilles d'encres, gobelets de café vides et j'en passe, ma baguette trônant victorieusement sur une pile de dossiers traités, soigneusement alignés sur un côté en une tour de guingois. Un pan de mur était occupé par des casiers montants jusqu'au plafond, dont quelques portes ouvertes vomissaient des papiers et des dossiers jusqu'au sol. Le reste des murs était indiscernable, intégralement placardé d'articles de journaux et d'affiches de recherche où les portraits des plus grands criminels de notre temps grimaçaient dédaigneusement. Une petite pendule au cadre doré était suspendue au-dessus de la porte, et au dos de celle-ci ma cape et mon écharpe pendaient mollement à un porte-manteau - mais malgré le désordre ambiant, chaque chose avait une place attribuée, rien n'était jamais perdu, et je n'en étais que plus efficace dans mon travail.

- Oh... répondis-je en le fixant toujours, n'ayant rien trouvé de mieux à répondre sur le coup. Euh... non... Non, repris-je plus fermement. C'est effectivement suite euh... à cette réunion, mais ça n'a rien à voir avec vous... En réalité, nous avons tendu une embuscade aux Mangemorts, et nous nous sommes retrouvés en infériorité totale, soupirais-je en contournant mon bureau pour me laisser tomber sur ma chaise, lui désignant celle me faisant face pour l'inviter à s'asseoir. J'ai été séparée du reste du groupe, et le combat a mal tourné, ce n'est ni la première, ni la dernière fois qu'une chose comme ça se produit... et chaque fois les journalistes en font des gorges chaudes, ajoutais-je, amère, usant de ma baguette pour arracher un exemplaire de la Gazette à la couche de papier nappant mon bureau, que je fis léviter jusqu'à lui, l'article acide et moqueur de Rita Skeeter entouré en rouge par les bons soins de Rebecca.

Au vu de sa réaction lorsque je rentrais dans la pièce, il était très clair qu'elle ne m'en aurait pas voulu si j'avais déguerpi avant même de lui avoir adressé un mot. Et pour être honnête, je devais avouer que cette idée ne me déplaisait pas plus que ça... Je me sentais mal à l'aise dans ce bureau faussement dérangé, au milieu d'un désordre organisé qui rendait le bureau très personnel... Peut-être trop. Je parcourus du regard les affiches, les dossiers et même les casiers avant de revenir à la jeune femme et de me jeter à l'eau.

Stoïque devant sa réaction, je me trouvais cependant soulagé de voir que je n'étais pas le seul à être gêné de la sorte. J'attendais sa réponse avec un peu d'appréhension, et me détendis imperceptiblement quand elle m'annonça que ma visite n'y était pour rien dans le lynchage dont elle avait été victime. Je n'aurais pas voulu mettre en péril sa mission, aussi bêtement que ça... Je l'écoutais donc m'expliquer pourquoi elle avait été envoyé à Sainte Mangouste, me détendant en même temps qu'elle, avant de m'assoir quand elle me le proposa.

Je pris au vol le papier journal que Penelope me fit léviter devant les yeux, le parcourant du regard avant de l'abandonner dans un sourire sur la table. J'avais déjà lu cet article le matin même, sans en comprendre réellement le sens. Mais maintenant que la sorcière m'avait éclairé sur les tenants et les aboutissants, les répliques acerbes de la journaliste prenait un tout autre sens...

- Mademoiselle Skeeter aime à se plaindre de inefficacité de notre Ministère, mais elle n'aurait pas pu faire mieux à votre place... Elle aurait surement fait pire. Avez-vous réussi à mettre quelques Mangemorts hors course, au moi ? demandai-je innocemment...

... Tout en cherchant à avoir des nouvelles de mes parents. Je me fichais pas mal de ce qui pouvait advenir d'eux, mais s'ils pouvaient disparaitre de la circulation, ça me soulagerait un peu... Au moins je n'aurais pas à surveiller chaque coin de rue quand je me déplace.

Suite à ma remarque, j'anticipai de quelques millièmes de secondes la réaction de Pénélope, qui ne loupa pas. La sorcière s'enflamma sans crier garde et assena à la journaliste un traitement que je n'aurais pas aimé subir. J'étudiais calmement ses traits dédaigneux qui cachait une colère furieuse, quoi que justifiée, et ne me choquais même pas de la voir réagir ainsi face à moi. Au contraire, j'étais... Heureux, étrangement, de voir qu'elle se détendait, ce qui m'aidait également. A être moins crispé, moins stoïque.

Alors, quand elle se reprit, visiblement très gênée, je la fixai avant de me mordiller l'intérieur de la joue... Puis de rire un peu, baissant la tête pour me cacher le mieux possible. Je riais silencieusement des rougeurs naissant sur ses joues face à la réalisation qu'elle s'était emportée face à un total inconnu... Ou presque. J'essayais également de cacher ma gêne en remarquant que ce léger rapprochement me plaisait. J'avais beau me rabâcher que j'étais un solitaire incorrigible, j'avais apparemment besoin de vie sociale... Ce qui était plus étrange, par contre, c'est que j'allais chercher cette vie sociale chez la sœur de ma défunte amie, totale opposée de ce que cette dernière pouvait être, et de ce que j'étais aussi...

J'arrêtais là mes réflexions et relevai la tête, les yeux brillants d'amusement et un léger sourire aux lèvres, me sentant presque soulagé de cet état d'esprit. Ces dernières années, je n'avais pas eu l'occasion de penser ou parle de façon légère et il s'est avéré que ça m'avait manqué... Mais je ne voulais pas m'étendre plus que ça sur mes pensées. Je m'en empêchais, sans savoir pourquoi. Alors, quand Miss Harper revint sur un sujet plus sérieux, je sautai sur l'occasion et repris mon masque froid... Ou presque.

- Mais... De rien, je n'avais aucun avantage à le faire...

Je me fustigeai en même temps que je parlais. Si, j'avais un avantage à le faire, mais je n'avais pas voulu l'utiliser... Parce que je ne voulais pas rejoindre le camp des Mangemorts. Je ne voulais rejoindre aucun camp, pour le moment.

- Enfin, si, mais je ne voulais pas... Le faire... Tout simplement. Je n'aurais pas du me rendre à cette réunion de toute manière. En fait, j'étais venu pour cela, pour m'excuser de ma venue dans cette réunion, qui aurait pu vous poser des problème, et... Pour prendre de vos nouvelles également. Voilà. Ah, et je voulais aussi vous dire que j'ai entretenue la tombe de Sylvia pendant votre absence.

Je ne comprenais pas pourquoi je parlais autant, tout d'un coup. Si on m'avait dit que j'avais autant à dire à Pénélope... J'aurais bien ri.

Le regard fixé sur le bureau comme si j'essayais de percer l'épaisse couche de papier l'encombrant, je n'osais pas relever les yeux sur le sorcier, gênée d'avoir dû formuler ainsi mes remerciements... d'autant plus après le petit coup de sang que je venais de me payer juste devant lui. Il allait vraiment finir par me prendre pour une hystérique compulsive à tendances meurtrières... Ma saute d'humeur avait été d'autant plus flagrante qu'il était resté parfaitement stoïque, comme d'habitude, et son bref éclat de rire, bien qu'il n'ait rien eu de méchant ou moqueur, acheva de me mortifier. Ou bien peut-être réagissais-je face à ce que j'avais pu apercevoir de son visage, lors de ce bref coup d’œil que je lui avais jeté avant de baisser les yeux ?...

A voir son visage s'animer ainsi, prendre une expression presque espiègle même dans sa réserve, j'avais ressenti le même genre de sensation qu'après avoir avalé une grande gorgé de Felix Felicis. Un puits de chaleur au creux de l'estomac, qui s'était brièvement étendu dans tout mon corps, avant de disparaître. J'avais eu l'occasion, lors de mon premier contact avec les Mangemorts, de profiter de l'incroyable pouvoir de cette prodigieuse potion. J'avais gagné le flacon à Poudlard bien sûr, après avoir remporté un défi de Slughorn haut la main... et je n'en avais avalé le contenu que bien des années plus tard, un jour où je savais que j'allais avoir besoin d'un sacré coup de chance. Le jour où j'avais été présentée au Lord en tant qu'Iris Dewitt... le jour où, si Felix n'avait pas été avec moi, j'aurais sans aucun doute été démasquée et tuée dans la seconde.

Ressentir pour la seconde fois de toute ma vie une sensation similaire me laissa profondément perplexe, ajoutant encore un peu à ma gêne - comme si j'avais besoin de ça. Mais ma remarque eut pour effet de sacrément doucher l'ambiance... ce qui me permis, alors que lui-même tentait à nouveau d'adopter son flegme habituel, de recouvrer un semblant de sang froid. Relevant enfin les yeux sur lui, j'acceptais sa réponse - simple, formelle. La conversation, qui avait pris un drôle de tour à peine quelques secondes plus tôt, redevenait enfin normale. Mais alors que j'allais lui répondre à mon tour, et avec un peu de chance, mettre un terme à cet étrange entretient, il se repris et étoffa sa réponse... et j'eu par la même la réponse à ma toute première question, à savoir ce qu'il venait faire par-ici. Ce n'était ni par devoir ni par obligation... mais par choix. Il était venu, de son propre chef... pour s'excuser. Et pour tout un tas d'autres choses. Était-ce réellement le même sale type que j'avais croisé dans une ruelle sombre, à peine une semaine plus tôt, et avec qui j'avais eu un si violent accrochage ?...

- ... Cette... "réunion" vous a sans doute au final coûté bien plus à vous qu'à moi... soupirais-je en me rappelant l'inquiétude que j'avais ressenti pour lui lorsqu'il s'était avéré qu'il ne me vendrait pas... et que j'avais compris qu'il ne serait jamais, jamais un Mangemort.

Et ce malgré les attentes de sa... "famille". Jetant un bref coup d’œil à la porte qui n'était pas tout à fait close, histoire de m'assurer que personne n'était en approche, je ramenais mon regard sur Orpheus.

- A présent, tous connaissent votre visage, et l'inverse est également vrai, murmurais-je rapidement. Même si vous-même n'avez aucun intention de vous impliquer dans la guerre, vous les avez vus à visages découverts... et vous n'avez pas rejoint leurs rangs. "Si vous n'êtes pas avec nous, vous êtes contre nous"... c'est un de leurs préceptes favoris. Je ne saurais vous recommander assez la plus grande prudence, maintenant que vous avez été exposé... on ne sait jamais ce qui pourrait passer par la tête de l'un d'entre eux, tentais-je de lui expliquer en guise de mise en garde.

Je savais qu'il rentrait souvent tard du travail. Et les ruelles trop discrètes qu'il empruntait au quotidien pouvaient si facilement se transformer en un piège mortel d'où personne ne viendrait l'extirper...

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Notre conversation reprit les sentiers habituels après avoir pris quelques libertés et, même si je me sentais soulagé de pouvoir maitriser à nouveau les émotions de mon visage, ce bref instant de détente et de... Complicité m'avait plu, et m'avait donné envie d'en savoir plus. Sur elle, sur tout ce qu'elle pouvait me dire. J'avais envie de me lier à elle, de pouvoir... De pouvoir être en sa compagnie.

Je secouai la tête, moi même surpris de ce que je pensais. Pourquoi, d'un coup, j'avais envie de parler à quelqu'un ? La solitude m'avait accompagné ces dernières années, et je ne voulais pas que ça change. Non, c'était très bien comme ça, et si s'attacher à quelqu'un signifiait risquer de le perdre, comme je viens de perdre Sylvia... Je me perdis dans mes pensées quelques instants, avant que la voix de Penelope ne me rattrape. J’émergeai de mes souvenirs de Sylvia et la regardai, plongeant dans l'éclat mordoré de ses yeux.

Ses remarques me firent légèrement sourire. De tristesse. Elle m'avait couté le désillusion. J'avais espéré, vainement, que mes parents n'aient pas rejoints les Mangemorts, malgré tout ce que j'avais entendu, malgré les sous-entendus de Berkeley. Je m'étais dit que c'était une manière de me tenter, de me dire que je n'étais pas capable de rejoindre leurs rangs. Je ne voulais simplement pas, mais c'était une nouvelle distance qui s'imposait entre nous.

Même si je savais la situation grave, et que j'avais compris ce dont elle voulait m'avertir, je ne pus empêcher un sourire en coin apparaitre. C'était une chose très rare, que je m'anime de la sorte. En général je préférais me taire et attendre, sans réagir. Mais, sans comprendre vraiment pourquoi, j'avais envie d'embêter la sorcière. Aussi, je me penchais un peu au dessus du bureau pour mieux regarder Penelope.

- Oserais-je croire que vous vous inquiétez pour moi ? Ne vous en faîtes pas, je vais faire mon possible pour éviter les ennuis. Mais si j'en ai, je pourrais peut-être faire appel à mes contacts au sein des Aurors ?...

Je m'étonnais. Il fallait que je sois sacrément malade pour dire de telles choses à une femme qui avait un caractère aussi... Explosif. Et avant de voir arriver le retour de flammes, je me levai souplement et saluai Penelope d'un signe de tête.

- Dans tous les cas, je suis ravi de voir que vous vous sentez assez bien pour reprendre le travail. A bientôt Miss Harper, lançai-je pour annoncer mon départ.

Je tournai le dos à la sorcière et sortis de son bureau, une étrange sensation d'amusement flottant autour de moi. Etais-je assez suicidaire pour vouloir jouer de la sorte avec Penelope Harper ? J'avais plutôt intérêt à faire profil bas à présent, car ce genre de remarques n'étaient pas vraiment faites pour lui plaire...

... et au pire, ce n'était pas mes affaires. Qu'est-ce qui me prends, de jouer les mères poules ?! C'est ses parents les Mangemorts, il doit être un chouilla mieux placé que moi pour savoir ce qu'il risque maintenant qu'il s'est pavané devant eux sans les rejoindre. Et vu l'ambiance, quelque chose me dit que si ses parents lui tombent sur le coin du museau, il en mènera pas large... eeeeeeeeet encore une fois, c'est pas mes affaires tout ça. Ma remarque n'était que purement professionnelle - pas besoin qu'un membre du Ministère se fasse tuer attaquer maintenant, on a assez de publicité négative comme ça en ce moment. Pensif, un sourire que je classais immédiatement de mauvais augure étira ses lèvres à ma remarque, et je me redressais imperceptiblement, méfiante. Il cachait bien son jeu, mais pour avoir déjà eu affaire à sa langue de vipère, je savais à quel point il pouvait jouer de rhétorique quand ça lui prenait. Haussant un sourcil, je ne pu retenir un léger mouvement de recul lorsqu'il se pencha vers moi, malgré la distance effective que maintenait mon imposant bureau entre nous... et genre, non mais je rêve !!!

Ravalant une réplique cinglante, je m'exhortais au calme - et puis quoi encore, faudrait pas qu'il me prenne pour sa soubrette personnelle non plus aussi !! Mais il me coupa la chique en se relevant lestement, et j'en fis de même sans pouvoir m'empêcher de songer qu'avec moi, debout ou assise, niveau taille, ça ne faisait pas grande diférence. Il fila sans attendre de réponse, et je restais debout, interdite devant mon bureau, un peu perplexe - quelque part, j'étais contente qu'il soit parti sans me laisser le temps de perdre mon calme... quelque chose me soufflait que sa pique n'avait rien eu de méchant. Ce n'était qu'une provocation gratuite, comme le début d'un jeu qui me semblait avoir déjà commencé à mon insu, mais désirais-je en être ?...

- A bientôt... soufflais-je comme une promesse.