Au final, après deux bonnes heures de torture, à ne pas pouvoir me changer les idées, je m'endormis comme une masse sur la table de Penelope. Même la lumière du matin ne me réveillai pas, trop fatigué que j'étais par mes nombreuses nuits d'insomnies et la dernière, où je devais m'occuper de l'Auror. Ce qui me sortis de ma torpeur fus un bruit de verre cassé. Je me redressais vivement, avant de grimacer fortement. Le dos douloureux, je me demandais un instant où j'étais, avant de me repérer rapidement.

Je me demandais ensuite l'heure qu'il était. Mais pour cette question, j'eus plus de mal. Ce qui était sûr en tout cas, c'est que j'étais sacrément en retard. Après un instant de flottement, les injures de Penelope me firent paniquer. Que se passait-il ? Elle s'était blessée ? Elle avait besoin d'aide ? J'étais en train de me lever quand je vis une flèche brune passer devant la porte, déjà torse nu, et s'engouffrer dans la salle de bains, face à la cuisine. Sans que j'ai le temps de détourner les yeux, j'eus Penelope nue dans mon champ de vision, ses formes découvertes devant mes yeux sans que j'ai pu donner mon avis. Mais elle se cacha bien vite dans la cabine de douche, et des vapeurs d'eau obstruèrent ma vue. Je détournai les yeux, mortifié.

Ca n'était pas la vision d'une femme nue qui me troublait autant, je n'étais pas un novice non plus, mais... Penelope c'était différent. Bien sûr, elle était agréable à regarder, ses formes étaient très harmonieuses et la courbure de ses reins...

Non mais j'allais pas mieux ?! Je manquais de me coller une gifle ou de me mettre la tête sous l'eau pour me calmer, et me passai les mains dans les cheveux pour reprendre mes esprits. Mes pensées s'étaient beaucoup trop échauffé et je n'arrivais pas à reprendre pleine possession de mes moyens -C'était inutile de penser à me lever pour le moment...- Mais je devais le faire rapidement, car déjà la jeune femme sortait de la douche. Je n'osais pas tourner les yeux de nouveau vers elle et préférais regarder fixement le mur. Je devais avoir fière allure, avec ma robe de sorcière froissée, mes cheveux en vrac et mon regard trouble.

- ... Habillez-vous miss Harper, fus la seule chose que je pus dire.

J'étais mortifié, et je ne savais pas comment faire pour reprendre mon calme.

Tout tournait autour de moi, et j'échappais un gémissement de douleur en pressant la paume de ma main contre mon front - allez... 19... 18... 17... alleeeeeeeeeeeez, reprends-toi... ça va passer... ou peut-être pas. Des intonation douce et veloutées, quoi qu'un peu tendues, au fort accent irlandais, m'arrachèrent un sursaut, et j'ouvris les yeux sans y croire. Orpheus se tenait droit devant de l'autre côté du couloir, raide sur une chaise de ma cuisine, le regard résolument fixé sur la tapisserie du mur. Pâlissant pour de bon, je restais bouche bée, incapable de la moindre réaction - qu'est-ce que... mais... attend... mais... mais qu'est-ce qu'il fiche ici lui ??!!! Comment il sait où j'habite ???!!! MAIS QU'EST CE QUI S'EST PASSÉ BON SANG ??!

- ... Vous !!!... m'étranglais-je en crispant mes mains sur ma serviette, qui me sembla soudain un bien maigre rempart entre ma nudité et le regarde du sorcier. J'espère pour vous que vous n'avez pas profité de la situation !!! sifflais-je en filant dans le couloir, fulminant de colère.

Le... cet espèce de... ce sale... RAAAAAAAAAAAAAAAAAAAH !!!! Entrant dans ma chambre en évitant les bouts de verre au sol, je claquais la porte derrière moi, rageuse - mais la colère ne me réussissait pas, relançant douloureusement ma migraine, alors j'essayais de me calmer tout en me vêtant, m'appliquant à respirer lentement pour calmer mal de tête et nausée. J'éprouvais également le besoin urgentissime de me brosser les dents... et il faudrait que je vienne nettoyer ma chambre avant de m'ouvrir les pieds aussi. Et mon bras droit, celui qui avait été blessé à peine deux semaines auparavant, et qui conservait des traces de brulure, me picotait désagréablement - forcément, je n'avais pas mis de crème hier soir, alors que j'étais censée traiter la zone brulée pendant au moins un mois...

Vêtue d'un jean propre et d'un tee-shirt des Rolling Stones, j'essorais un bon coup mes cheveux dans ma serviette, avant de me décider à retourner dans la cuisine affronter le sorcier. J'éprouvais une gêne affreuse rien qu'à l'idée de croiser son regard délavé - d'autant plus alors que je ne me rappelais toujours rien de la soirée de la veille. Que s'était il passé ?... Cette question sans réponse n'améliorait pas mes mots de tête, et je m'arrêtais finalement dans l'encadrement de la porte de la cuisine, les bras croisés, le regard baissé sur Orpheus en essayant de dissimuler à la fois ma gêne, ma honte, et mon mal de crâne carabiné.

- Que faites vous ici, demandais-je simplement, calmement, dans un murmure.

L'atmosphère se refroidit au moment où Penelope entendit le son de ma voix. Sa réaction et sa réponse me tirèrent un rire désabusé. En profiter ? Comme si j'étais assez désespéré pour prendre parti d'une jeune femme ivre et inconsciente... J'avais l'air aussi peu regardant ? Et elle, elle se pensait tellement irrésistible que les hommes ne pouvaient s'empêcher de profiter d'elle tant qu'ils en avaient l'occasion ?... D'accord, c'était mentir que de dire qu'elle n'était pas attirante mais...

Je secouai la tête, furieux de ne pas réussir à conserver mon calme face à elle. Je sifflais entre mes dents, croisant les mains sur la table.

- C'est sûr que j'ai toujours voulu profité d'une ivrogne aux relents d'alcool...

J'espérais seulement que j'avais parlé assez bas pour qu'elle ne m'ait pas entendu, histoire d'éviter une bagarre, ce que j'étais dans l'impossibilité totale de faire en ce moment. Je restai donc assis alors qu'elle repartait dans sa chambre, hésitant très fortement à transplaner pour fuir très loin afin d'éviter toutes les explications qui allaient suivre. Mais avant que j'ai pu décider de ma stratégie de repli, Penelope était de retour, habillée cette fois, et n'osait pas s'avancer plus que le pas de la porte. Je sentais son regard peser sur moi mais n'osais pas encore me tourner vers elle, incapable de prédire quelle sera ma réaction quand je l'aurais face à moi, et que je devrais expliquer pourquoi j'étais assis à sa table et que je l'avais probablement vu dans le plus simple appareil.

Quand, enfin, je trouvai le courage de me redresser, je ne fis que survoler sa silhouette pour planter mon regard clair dans le sien, encore brumeux de sommeil et empli de questions. Pourquoi j'étais là ? Très bonne question, au final. Je me retrouvais dans cette maison sans aucune bonne raison, à part le fait que j'ai voulu l'aider, mais pourquoi au juste ? Après tout nous n'avions plus rien en commun, mais je n'avais pu me résoudre à l'abandonner dans cette état, sans comprendre quelle force m'avait poussé à ça.

- Je rentrais chez moi quand j'ai croisé la jeune femme qui vous ramenait ici. Vous étiez ivre mort, alors je l'ai aidé, et je suis resté pour m'assurer que vous alliez bien.

Mon ton était clair, neutre, sans émotion. Pas la peine d'en faire des tonnes, j'en avais déjà suffisamment fait. J'espérais cependant ne pas avoir à lui rappeler l'épisode de la douche, sinon j'étais bon pour me retrouver noyé sous les injures et les coups...

Campée sur mes deux jambes, bien droite, je le toisais d'un regard que j'espérais aussi neutre que possible, ignorant de mon mieux la migraine qui me martelait les tempes. Je me sentais faible et fébrile, mais le cachais en serrant les poings et en croisant les bras, et me forçais à inspirer et expirer calmement... ou je risquais de faire un malheur. Stoïque, à bien y regarder, il n'était pas vraiment en meilleur état que moi, et je devinais qu'il avait dû passer de meilleures nuits dans sa vie, mais ne poussais pas plus loin la réflexion alors que j'attendais sa réponse. Visiblement aussi tendu que moi, mais sans doute pas pour les mêmes raisons, il ne me répondit pas immédiatement, et j'attendis patiemment - enfin, faudrait quand même voir à ce qu'il se décide vite, je n'allais pas tenir la position éternellement.

Sa réponse, proférée d'un ton aussi calme et neutre que le mien, m'arracha pourtant un léger mouvement de recul, et je pinçais machinalement les lèvres à la mention explicite de mon état de la veille. Dont je ne me souvenais même pas, à vrai dire. Voilà le tableau que j'avais dû offrir... et que j'offrais sans doute toujours. Que "j'allais bien" ?... S'il était encore là, c'était qu'il avait largement eu sa réponse. Rien ne m'expliquait pourquoi il avait... fait je ne savais trop quoi en réalité - mais ça n'avait pas dû être bien glorieux. Vu tout l'alcool que j'avais ingéré, j'avais dû dégobiller tripes et boyaux avant de finir assommée par la boisson - au moins visiblement, je ne lui ai pas vomi directement dessus... on peut donc estimer que ça aurait pu être pire.

Au bout de quelques secondes d'un silence tendu... je me décidais à bouger, le dos raide, mâchoire crispée. Entrant enfin dans la cuisine - puisque après tout, il s'agissait bien de ma cuisine - je démarrais la cafetière, jetais un coup d’œil critique à mon polynectar en cours, et attrapais deux tasses dans le placard que je déposais ensuite sur la table, dont une devant lui. Une boite de sucre et un paquet de cookies s'ajoutèrent au tableau, deux petites cuillers, puis j'ouvris un placard précis de mon buffet - celui contenant ma collection d'antidotes. Une des fioles contenait un antidote très doux, conçu pour contrer les effets d'un poison non mortel, et dont la composition serait idéale pour traiter ma gueule de bois en vitesse. Elle allait sans doute m'anesthésier un peu au passage... mais ça vaudrait toujours mieux que ma migraine. Trouvant rapidement ce que je cherchais, je la débouchais et en avalais le contenu cul sec, avant d'aller m'affaler en soupirant sur la chaise en face d'Orpheus. M'accoudant à la table, j'enfilais mes doigts dans mes cheveux humides en serrant mon crâne entre mes mains, tête en avant - j'ai mal aux ch'veuuuuuuuuuuuuuux...

Peut-être que je devrais filer vite... Elle n'avait pas l'air d'être ravie de me voir ici, et même d'apprendre que j'avais été témoin de son état déplorable de la nuit dernière. Au moins pouvait-elle être rassurée, elle n'avait rien fait ou dit de bien choquant, ses seules actions avaient été de vomir et parler de Sylvia... Jusque là, rien de compromettant, sur son travail ou même sa vie personnelle.

Je l'entendis avant de la voir bouger, et je suivis l'Auror du regard lorsqu'elle passait devant moi. Je la regardais, intrigué, sortir deux tasses pour en poser une face à moi. J'en déduis donc que je ne suis pas mis à la porte tout de suite... En attendant, la journée n'aura pas été très productive... J'imaginais déjà la tête de mon supérieur demain. En presque dix ans, c'était la première fois que je manquais une journée de boulot.

Penelope s'assit sur la chaise en face de moi, apparemment toujours mal en point. En même temps, elle n'avait rien fait pour calmer les effets secondaires de sa nuit d'excès... Elle était complètement déshydratée, et au son de sa voix, sa gorge devait être irritée à cause du tabac que je pouvais encore sentir flotter dans l'air. Elle avait besoin de repos, mais je n'allais pas l'obliger à rester chez elle... Après tout, elle faisait ce qu'elle voulait. Et puis aussi, pourquoi j'étais resté aussi longtemps ? J'avais quand même une journée de boulot à assurer, ce que je n'avais pas fait, tout ça pour quoi ?... Je m'étais senti... Redevable ? Je n'aimais pas cet état d'esprit. J'avais horreur de me sentir attaché à quelqu'un par une telle sorte de lien. Mais malgré tout, j'étais redevable envers Penelope, depuis plusieurs années déjà, et cette nuit n'effaçait pas à mes yeux la dette que j'avais envers elle.

De mauvaise humeur, je me levais, pris des ustensiles qui trainaient et m'occupai à préparer un petit déjeuner un peu plus consistant que des cookies préparés à la va-vite. Bientôt, le bacon grésillait dans la poêle et j'y cassais les oeufs, faisant comme chez moi. Vu son état, je ne devais pas compter sur la sorcière pour faire quoi que ce soit... Une fois mes oeufs cuits, je repérai deux assiettes et servis ma préparation, avant de retourner vers la table, de pousser une assiette vers Penelope et de poser la mienne à "ma" place. Le café fut prêt. Je lui servis une tasse, avant de préférer un thé à cette mixture à l'odeur trop forte pour moi. Je n'avais jamais aimé le café, seulement lorsqu'il était au lait, et de préférence pas au réveil.

Je me rassis ensuite, et commençai à piocher dans mon assiette, sans grand entrain. Mon esprit oscillait entre vide total et myriade de questions, mais je ne savais pas si je devais me risquer à les lui poser. Oh et puis m...

- Vous n'avez jamais craint pour votre vie, avec votre double jeu ?

J'avais sorti ma question sans la regarder. Après tout, je n'étais pas connu pour ma grande curiosité et elle pour son côté loquace. J'avais toutes les raisons de croire que j'allais me faire rembarrer sans ménagement.

Je crois bien que je n'avais jamais rien vécu d'aussi bizarre - si ça se trouve, je suis juste encore en plein délire - maintenant, allez savoir quelle est la pire option : que je sois en train de délirer sur Orpheus faisant la cuisine dans MA cuisine, ou que ce soit la réalité. Tout bien réfléchis, je préfère encore la seconde option - au moins celle là ne dépend en aucun cas de ma volonté, de mon subconscient tordu ou du reste. La tête posée sur mes bras croisés, affalée en avant sur la table, le regard vide, j'attendais que ma potion fasse effet en essayant de ne pas penser à ce qu'Orpheus pouvait bien être en train de penser. Entre la bizarrerie de mon intérieur, l'indécence de mon comportement et sans doute bien d'autres choses qu'il avait eu le temps de découvrir cette nuit... non, pas la peine d'y penser, j'ai vraiment encore trop mal au crâne pour me prendre la tête avec tout ça.

Je ne songeais même pas à objecter lorsqu'il s'installa aux fourneaux - je sais pas où il a été trouver à manger, et je veux même pas savoir. Un silence de plomb était retombé dans la cuisine... mais il me paraissait moins tendu que le précédent - après, je n'avais aucun moyen de savoir si Orpheus partageait mon avis. En attendant, une sensation de fraicheur ne tarda pas à se répandre dans mes membres, signe que l'antidote commençait à faire effet, et ma tête se fit de plus en plus légère à mesure que la douleur s'estompait enfin. Une bonne odeur de bacon grillé et d’œuf cuit embauma rapidement la cuisine, et je me rendis compte que j'étais affamée - je crois bien que ma cuisine n'a jamais senti aussi bon... à part les quelques fois où je me suis essayé à la préparation de philtres d'amour, juste pour rigoler. Le petit déjeuné fut vite prêt et servit, et je le remerciais d'un hochement de tête avant d'attaquer mon assiette - j'avais l'impression qu'en brisant le silence, j'ouvrais la porte à tous les possibles d'une conversation trop intime autour d'un bon repas... je n'étais pas en état d'affronter ça tout de suite.

Mon café était toujours aussi infâme, mais agrémenté de 4 sucres, il devenait buvable - les œufs et le bacon étaient délicieux, mais là encore, je ne me sentais pas de tenter un compliment qui aurait impliqué trop... d'implication, justement. Au moins, je n'avais plus mal à la tête... même si comme prévu, la légère somnolence, qui était le principal effet secondaire de l'antidote, ne m'aidait pas à reprendre correctement pied. Alors à sa question, où je l'aurais sans doute rembarré en temps normal, je me contentais de hausser les épaules.

- Non, répondis-je sans m'embarrasser de fioritures. C'est une éventualité qui a toujours fait partie de mon métier. Si je suis tuée au combat, eh bien, j'aurais accomplis mon devoir jusqu'au bout. Si les Mangemorts m'attrapent et me gardent en vie en espérant me tirer des infos, j'ai toujours sur moi de quoi leur couper l'herbe sous le pied, expliquais-je d'un ton affable en songeant à ma chevalière.

Oui, décidément, je n'avais jamais rien vécu d'aussi bizarre. Moi, discutant de l'éventualité de ma mort avec un quasi inconnu, dans ma cuisine, à déguster un savoureux petit déjeuné préparé par ses soins, le lendemain de l’anniversaire de mort de ma sœur.

- A ce propos, où est ma baguette ?... demandais-je, toujours aussi calmement.

En plein milieu de ma préparation, je me demandais si je faisais bien de prendre autant mes aises ici. Mais après tout, j'avais faim, donc même si je regretterais cette prise de confiance, en l'état j'avais surtout besoin de manger. Quand je me rassis et commençais à manger, je surveillais Penelope du regard et la vit entamer son petit déjeuner avec entrain. Sans un merci ou un signe d'approbation, à part peut-être ce vague signe de tête, je pris cependant son appétit pour un compliment, et me remis à manger.

Je n'étais pas spécialement mauvais en cuisine, sans exceller non plus, mais au moins je me défendais et arrivais à sortir des plats plutôt équilibrés et variés à peu près tous les jours. Les oeufs au bacon n'étaient pas la chose la plus compliquée à faire, même si j'étais assez fier d'avoir trouver la cuisson parfaite pour les oeufs. Mais je m'égarais. Le nez dans ma tasse, j'écoutais la réponse stoïque de Penelope sans tiquer. Elle semblait totalement détachée de sa situation, mais après tout, si elle voulait être efficace, c'était ainsi qu'il fallait procéder... Enfin, j'imaginais. Sa question calme attira cependant un peu plus mon attention. Sa baguette ? Surement dans une de mes poches...

Je posai ma tasse et commençai à fouiller, trouvai mes lunettes en premier lieu. Je les enfilai, sentant déjà un mal de tête poindre, avant de continuer à chercher. Je la trouvais enfin et la posai sur la table.

- Pardonnez-moi le désarmement, mais je n'étais pas sûr que le passage sous la douche d'hier était bien recommandé pour elle...

Et puis je n'avais pas voulu risquer un sort lancé par réflexe. Je remontai mes lunettes à la fine monture écaille sur mon nez, avant de reprendre mon repas sans dire plus. Le silence qui pesait était moins lourd qu'il y a peu, mais je me trouvais pris d'une sensation étrange, mélange entre le sentiment de ne pas être à ma place, mais également de ne pas gêner... C'était très étrange, d'autant que j'étais presque persuadée que Penelope n'était pas ravie de m'avoir dans ses pattes.

Si un peintre de la renaissance s'était amusé à représenter la scène qui se tenait actuellement dans ma cuisine, il aurait pu appeler son tableau "Le Déjeuné des Statues" ou "Dîner aux chandelles en Solitaire". Nous ne parlions pas, nous ne nous regardions pas, nous contentant simplement de manger et de boire en silence, comme si nous avions été seuls dans la pièce. Même notre conversation sonnait... vide, en fait. Trop lisse, ni tendue, ni intéressée... et finalement, je ne trouvais pas cet étrange état, comme perdu entre deux eaux, plus agréable que lorsque nous nous engueulions. Au moins, quand on se dispute, y'a un peu de vie dans notre discours... mais qu'est-ce que je raconte moi. Relevant les yeux à ma question, je l'observais fouiller ses poches - je songeais un instant à m'offenser du vol de ma baguette... mais là encore, je n'en avais pas vraiment l'énergie, alors je me contentais de le regarder enfiler ses lunettes, avant de reprendre ses fouilles. Attrapant finalement ma baguette sitôt qu'elle fut posée sur la table, je la fis tourner machinalement entre mes doigts sans réagir immédiatement... Attendez...

- ... La QUOI ??!!! m'exclamais-je en me redressant vivement, plantant mon regard acéré dans le sien.

La DOUCHE ?? Mais en quel honneur ??! Réchauffée par un élan de colère subite... je levais une main pour l'interrompre avant qu'il ne songe à répondre, soupirant longuement pour me calmer, yeux clos, tête baissée.

- Peu importe. Je ne veux pas savoir. Merci, résumais-je en trois mots, secs mais dénués de colère.

Enfin, du moins c'était l'idée. Finissant mon assiette sans plus oser croiser son regard, maudissant mon esprit de m'imposer des images plus sordides les unes que les autres impliquant ma cabine de douche, Orpheus et moi bourrée dans la même pièce, je me levais et commençais sans un mot à faire la vaisselle. La poêle, la spatule, ma tasse, ma cuiller, ma fourchette, mon assiette... L'éponge dans une main, je tendis ma main libre trempée de mousse vers Orpheus pour qu'il me passe ses couverts, avec la bizarre impression de jouer une scène de ménagère modèle - en mode "puisqu'il a fait la cuisine, à moi de faire la vaisselle"... Sauvez-moi. Je pourrais plus jamais regarder cet homme en face de ma vie...

Continuant de manger mon repas sans plus de cérémonie, je relevai le nez quand j'entendis la question ulcérée de Penelope. Je me pris son regard acéré de plein fouet, et me sentis coupable de tous les maux. Quoi ? Mais je n'avais strictement rien fait !... A part la doucher froidement pour la réveiller, quitte à  lui faire subir un choc thermique. Mais je n'avais pas cherché à profiter d'elle, je n'avais pas pris de douche avec elle, mais qu'est-ce qu'elle croyait ?!

- Je ne sais pas ce qui vous fait penser que je cherche à tout prix à profiter de vous... J'ai seulement essayer de me rendre utile.

... Contrairement aux dernières années, où je n'avais fait que me planquer gentiment derrière mon bureau, en ignorant totalement que, durant mes années à Poudlard, je m'étais faite une amie. J'avais repoussé l'envoi de nouvelles encore et encore, me prétextant l'emménagement, la recherche d'emploi, le travail important... Jusqu'à laisser les quelques hiboux que Sylvia m'avait envoyé sans réponse, et cela pendant plusieurs années. Jusqu'au jour où elle avait cessé d'insister, et qu'elle m'avait probablement rayé de son esprit.

M'avait-elle totalement oublié ? Ou espérait-elle me croiser, au détour d'une rue ou d'un couloir ? Je ne saurais jamais le fin mot de l'histoire, car elle avait disparu avant que je n'ai pu mesurer l'étendue de mon erreur. Je finis mon assiette, plongé dans mes pensées, refroidi par les mots de Penelope. Elle n'avait pas été trop busque, mais je pouvais sentir qu'elle ne souhaitait pas instaurer un quelconque lien avec moi. Est-ce que j'en avais envie ?... Surement, car elle me rappelait Sylvia, toutes les choses que j'avais manqué. Et pour cela, je ne voulais plus de cette barrière froide, mais comment arriver à ce genre de choses ?

Je me levai à peine après elle et amena mon assiette jusqu'à l'évier. Je m'appuyai à côté d'elle, pris un torchon et entrepris d'essuyer les couverts que l'Auror venait de laver.

- Vous allez travailler aujourd'hui ?... Personnellement, je pense que je vais aller m'enterrer dans mon appartement jusqu'à demain matin...

La question était sorti d'elle même, sur un ton très naturel. Mais intérieurement, je me demandai si elle allait jouer le jeu ou simplement me renvoyer bouler.

Les mains dans la mousse, je pataugeais gaiment dans l'évier - les trois quart des gens font la vaisselle par pure obligation, et s'achètent un lave vaisselle dès qu'il peuvent... ou alors, la font par magie, ce qui serait largement dans mes cordes. Mais moi, j'aime bien avoir les mains qui marinent dans l'eau chaude et la mousse... et rendre tout son éclat à la vaisselle bien blanche, ça a un côté magique aussi, même si je fais ça comme une moldue. Le silence était retombé dans la cuisine - j'avais lu l'éclat de surprise dans son regard lorsque j'avais haussé le ton, mais je n'avais au final pas cherché à en apprendre plus. Peut-être que j'étais trop naïve... mais à le voir si posé, si correct, si poli au point d'en paraître guindé et même froid, alors même que la veille il m'avait vue au plus bas... je ne pouvais pas l'imaginer se comporter autrement qu'en gentleman. Quelque part... je lui faisait confiance, et j'essayais de ne pas trop pousser la réflexion pour aujourd'hui. Un peu dans les vapes à cause de ma potion, je redescendis sur terre à sa réponse, et ressentis, pour une raison inexpliquée, une pointe de culpabilité pour l'avoir accusé d'une chose dont je le savais au final incapable.

- ... Je sais bien, murmurais-je dans un soupir. Je... merci. Je sais bien que... je n'aurais pas dû... que c'était... enfin... pas très... "professionnel" de ma part... commençais-je à demi-mots. Mais... je... enfin... merci, conclus-je finalement, estimant qu'il était inutile d'essayer de me justifier si je n'étais pas au moins capable de m'exprimer clairement.

Ce qui ne serait clairement pas dans mes cordes pour aujourd'hui. Je n'avais plus mal à la tête, mais je me sentais bien vaseuse, et je n'avais pas envie d'épiloguer sur mon état de la veille, et le fait qu'il ait dû prendre en charge la loque que j'étais temporairement devenue. Assez lucide pour avoir la décence d'être pétrie de honte à l'idée de ce à quoi il avait dû assister - si ça se trouve, je me suis vomi dessus, et c'est pour ça qu'il a dû me rincer... aaaaaaaaaaaaaah pitié je veux mourir, arrête de penser à çaaaaaaaaaaaa !!!! - je lui jetais un bref coup d’œil lorsqu'il approcha pour me donner son assiette, avant de détourner le regard et de me remettre à la tâche, tentant de me concentrer uniquement sur ma joie enfantine dans mon mini bain moussant. Saisissant un torchon, il entrepris alors d'essuyer la vaisselle, et je constatais que curieusement, ça ne me dérangeait pas. J'avais habituellement horreur que quiconque vienne s'immiscer dans mes tâches quotidienne... et encore moins qu'on vienne me coller d'aussi près... mais l'ombre de sa grande silhouette n'avait rien de menaçant, et j'achevais tranquillement mon ouvrage.

- Non... je suis en congé normalement aujourd'hui... D'habitude, congé ou pas congé, je m'en préoccupe pas trop, mais là... vu l'heure (entre autre mais on va éviter d'insister de trop sur mon état)... je vais rester tranquille pour aujourd'hui, je ne crois pas être capable de quoi que ce soit de productif d'ici une bonne poignée d'heures, répondis-je sans réfléchir, avec un naturel qui me laissa perplexe.

Alors que j'essuyais la vaisselle, Penelope baissait un peu plus les yeux avant de parler. Même si ses paroles étaient confuses, et décousues, elles me soulagèrent un peu. Avec tout cet air lourd de suspicion, je commençais à douter de moi-même... Avais-je fait quelque chose de déplacé ? Ou dit quelque chose ?... Pourtant, je n'avais pas l'impression de m'être mal conduit... Alors, quand elle bredouilla des remerciements qui, par leur hésitation, me parurent sincères, je souris légèrement, sans aucune ironie.

Je posai les couverts séchés sur la table face à moi, et continuai ma tâche sans mot dire. Je ne savais pas si elle voulait que je l'aide ou non, mais je ne me voyais pas rester les bras croisés, assis à la table, sans rien faire alors qu'elle rangeait les restes de notre petit déjeuner... A ma question, j'attendis donc sa réaction qui m'allait parfaitement. Loin d'une réponse plate ou froide, voire même d'un rapide "ça ne vous regarde pas", Penelope me parla normalement, comme si elle était parfaitement à l'aise avec le fait que j'étais chez elle après sa nuit de beuverie. Loin de me déranger, j'étais content de pouvoir tenir avec elle une conversation un peu plus détendue.

- C'est une chance pour vous alors... Demain, je sens que je vais devoir rendre quelques comptes, je n'étais pas censé ne pas me présenter au Ministère aujourd'hui.

Je me frottais les yeux histoire de me réveiller, mais rien n'y faisait, j'étais bon pour somnoler toute la journée. Je n'allais pas faire long feu en rentrant chez moi, c'était certain... Même pas besoin de m’assommer avec un livre, j'allais tomber tout seul comme une mouche. J'étais tellement perclu de courbatures que j'avais l'impression d'être tombé dans un Saule Cogneur... Mais bon, après tout, je devais me douter que dormir au bout d'une table n'allait pas m'arranger.

Une fois la vaisselle faite et essuyée, je reposai le torchon où je l'avais trouvé, avant de me redresser et de me tourner vers Penelope. Après quelques secondes de flottement, je lui tendis la main, ne sachant que faire d'autre.

- Je vais vous laisser tranquille à présent. Vous avez surement encore un peu de sommeil à rattraper... Et moi aussi.

Je faillis lui conseiller de faire attention la prochaine fois, mais cette remarque était, à mon sens, plus que mal venue.

C'était tellement étrange... tellement étrange que j'avais hâte qu'il s'en aille, pour retourner à mon quotidien bien réglé... et en même temps, tellement étrange... parce que je n'avais pas envie qu'il s'en aille. J'essayais tant bien que mal de me persuader que je ne voulais juste pas me retrouver seul le lendemain de la mort de ma sœur... et en même temps... c'était plus que ça, mais je me laissais anesthésier par ma potion sans rechigner, peu désireuse là encore de trop m'étendre sur la réflexion. En attendant, le sujet de nos comportements respectifs semblait clos, et la tension qui ne faisait que monter et redescendre depuis mon réveil sembla enfin se stabiliser un peu. Enlevant la bonde dans l'évier, l'eau s'évacua rapidement et je me rinçais les mains avant de lever les yeux... que je baissais aussitôt, penaude. J'en apprends de plus belles à chaque secondes qui passe... voilà qu'en plus je suis responsable de son absence injustifiée au travail. Prise d'une inspiration subite, je me séchais rapidement les mains et attrapais ma baguette sur la table.

- Spero Patronum.

Un petit animal au faciès pointu et aux oreilles triangulaires se matérialisa sur la table de la cuisine. Irradiant d'une douce lueur argentée, le renard corsa se drapa dans son épaisse queue touffue, plus vrai que nature, prêt à recevoir mes instructions.

- A l'attention de la Confédération Internationale des Sorciers, section Britannique : M. Goldsmith ici présent sera absent aujourd'hui, suite à son intervention la nuit dernière pour secourir une Auror en danger. Pour plus de détails, voir avec le Bureau des Aurors, débitais-je d'une voix claire.

D'un mouvement de baguette, j'envoyais le patronus porter mon message au ministère, et relevais vers Orpheus un demi sourire un peu dépité. Il avait l'air fatigué...

- ... Euh... oui, répondis-je en serrant sa main avec un temps de retard, un peu prise au dépourvu. Bonne journée... et... merci encore, ajoutais-je après un instant d'hésitation.

Alors que je faisais part de mon absence à Penelope d'un air désabusé, je la vis baisser les yeux. Je compris immédiatement pourquoi. Elle se sentait surement responsable de mon absence, même si je ne la voyais pas s'excuser pour autant. Mais quel abruti... Ca n'était pas le moment pour lui faire part de ce genre de choses. Elle devait encore penser à Sylvia et, même si le sujet de ce qui s'était passé la veille était à présent affaire classée, il n'en restait pas moins qu'elle devait avoir des tonnes de questions en tête. Je me redressai, avançai ma main pour la poser sur son épaule, avant de me raviser. Un contact physique était surement prématuré.

- Mais ce n'est pas important, je pourrais...

Je me tus à l'entente de la formule, et regardai l'étrange petite bête apparaitre sur la table. Il ressemblait à un renard, mais je n'étais sûr de rien. Toujours est-il que je fixai le Patronus de Penelope comme s'il s'agissait d'un revenant. J'étais impressionné de voir avec quelle vitesse elle pouvait faire apparaitre le sien... Mon Patronus n'avait pas fait un tour depuis des années, je n'arrivais pas à le matérialiser. Je n'avais plus aucune pensée heureuse au final, toutes étaient teintées de trop de mélancolie.

Une fois le message envoyé, Penelope répondit à ma poignée de main avec un peu d'hésitation et de gêne. Je pouvais le comprendre, je n'étais pas totalement à mon aise non plus. Mais au final, cet échange avait été le plus calme et le plus chaleureux que nous avions eu depuis des années... Et il me donnait envie d'autres. Je ressentais soudain cette envie étrange, qui m'avait habité il y a plus de dix ans, de connaitre quelqu'un...

- Merci d'avoir justifier mon absence, vous n'étiez pas obligée. Bonne journée à vous aussi et si... un jour, vous ressentez le besoin de... Je ne sais pas. Parler, ou même simplement boire un thé ou un café, vous savez où me trouver.

Je lui accordai le sourire le plus chaleureux possible venant de moi et me rendis compte, trop tard, qu'une once d'air charmeur avait habité mes yeux durant cet échange. Je remis mon pardessus, mon chapeau, avant de prendre ma mallette au vol et de transplaner jusqu'à ma chambre, ou je posai mes affaires avant de m'écrouler sur mon lit.

Prononçant la formule sans réfléchir, je fus soulagée que mon paronus apparaisse sans faire d'histoire - soulagée et fière à la fois. Malgré ma tristesse et ma douleur, je parvenais à passer outre, encore assez forte pour faire l'impasse sur le présent juste assez longtemps pour jouir du bonheur d'un souvenir révolu. Mais le jour de l'arrivée de la lettre de Sylvia restera dans ma mémoire comme l'un des plus beaux jours de ma vie. Orpheus sembla sur le point de protester, mais abandonna à l'instant où mon patronus apparut sur la table. Tant mieux... je n'étais franchement pas en état d'argumenter avec lui maintenant. Après tout, j'étais responsable de son absence, il n'avait pas à subir les conséquences de ma bêtise. Enfin, disons plutôt qu'il les avait assez supportées comme ça sans que ça le poursuive jusque dans son travail... Lui jetant un bref coup d’œil, je constatais qu'il paraissait assez... surpris, et j'imaginais qu'il devait trouver étrange que je sois capable de faire apparaitre un patronus malgré les circonstances.

- Mais je vous en prie, c'était la moindre des choses... répondis-je avec un demi sourire gêné. Et... je m'en souviendrais, répondis-je en détournant le regard.

Il était peu probable que je me tourne vers lui un jour, quelle que soit la raison... mais... j'appréciais l'attention, avant tout parce qu'il était sincère dans sa suggestion. Ce n'était pas une simple formule de politesse... non, c'était plus que ça, et l'étrange éclat qui animait ses prunelles lorsque je relevais les yeux pour croiser son regard me laissa perplexe... alors que je sentais avec horreur mes joues chauffer légèrement. Je n'avais plus rougis devant personne depuis des années, et je me reculais, laissant un rideau de cheveux retomber devant mon visage alors qu'il rassemblait ses affaires, osant à peine un dernier regard lorsqu'il transplana.

Il était parti... et le silence qui retomba me parut instantanément trop lourd pour moi. Allumant la radio, je zappais entre les stations moldues et sorcières jusqu'à en trouver une qui me convenait, puis me dirigeais à pas lents vers la salle de bain, où je me brossais les dents durant une bonne dizaine de minutes environ. Retournant dans la cuisine pour surveiller mon polynectar, j'arrosais quelques plantes, avant de finalement décider qu'une courte sieste ne me ferait pas de mal. La cuisine m'avait parue tellement vide après son départ...