∇ TO DROWN INTO THY EYES ∇ GIDEON & ALIX

La pluie martèle les fenêtres du château, emplissant Poudlard d'une sourde musique de tambour. Au plafond de la Grande Salle, des milliers de chandelles éclairent de leurs flammes les travaux et discussions des élèves de Poudlard. La journée est presque finie et il est temps pour toutes les maisons de converger vers le rez-de-chaussée pour le dîner. Ce soir, pas d'Angie ni de Will – les deux acolytes d'Alix ont écopé d'un tête à tête avec Picott pour avoir joué un mauvais tour à des serpentard de première année. Comme à chaque fois que ses meilleurs amis sont absents, la serdaigle traîne des pieds pour descendre manger. La solitude lui pèse de plus en plus et ce soir, elle ne serait pas contre la compagnie bruyante, mais tellement adorable, de ses amis.

Ses lunettes remontées sur sa tête comme un serre-tête, la jolie blonde s'installe à la table des serdaigle, encore vide – la majorité de ses condisciples de maison doivent étudier à la bibliothèque. Alix repasse dans sa tête chaque instant de l'essai de quidditch pour intégrer l'équipe. Elle n'aura la réponse qu'avant le premier match mais son envie d'ajouter un Folkhart à la liste des anciens joueurs de serdaigle la fait vibrer d'impatience. Une voix l'apostrophe alors, la tirant de ses pensées. Elle lève la tête pour voir son frère la rejoindre. Elle regarde derrière lui avec espoir, espérant croiser le regard d'un serdaigle de sixième année en particulier. La déception se fait sentir mais elle n'en montre rien et accueille son frère avec un grand sourire. Magnus lui claque une bise sur la joue et rejoint le bout de la table pour la contourner et s'asseoir en face d'elle, posant son sac avec son peu de légèreté habituelle. Pour ne rien changer à ses habitudes, il commence à raconter sa journée.

Les mots sortent de sa bouche et ricochent sur Alix qui ne peut s'empêcher de se demander comment elle doit agir, ce qu'elle doit dire et ce qu'elle doit lui cacher. Elle voudrait pouvoir se confier à lui mais après le fiasco avec Bertram en première année, l'adolescente de quinze ans n'a pas vraiment envie de partager avec son grand frère son affection pour son meilleur ami. Affection, le mot n'est pas suffisant. Tu l'aimes, point barre, lui susurre sa conscience. Malgré une formulation aussi simpliste, la réalité est bien plus compliquée. Il est le meilleur ami de Magnus et à ce titre, est-ce qu'elle a le droit d'en être amoureuse ? Magnus ne risque-t-il pas de prendre ça comme de la trahison ? Accepterait-il que sa « petite » sœur sorte avec un gars de son âge ?

Trop de questions affluent dans la tête d'Alix qui détourne le regard vers l'entrée, où Gideon Prewett apparaît alors. Magnus suit sa tête et se redresse. « On est là Prewett ! » lance l'aîné Folkhart avec un geste du bras, visiblement ravi de l'arrivée de son meilleur pote. « Bon, et ta journée ? » demande-t-il alors à Alix qui reporte aussitôt son attention sur lui et se concentre sur chaque mot qu'elle prononce pour ne pas bafouiller. Du coin de l’œil, elle le voit s'approcher de plus en plus, jusqu'à ce qu'il soit debout à côté d'elle. Elle déglutit et tourne la tête pour lui sourire timidement, du bout des lèvres, tandis que son palpitant bat la chamade.  

Dragées:

HJ:

Il y avait tous ces devoirs qui commençaient déjà à s'accumuler alors que la rentrée était tout juste derrière eux. Il y avait aussi son insigne de préfet qui disait qu'il avait de nouvelles responsabilités. Il y avait Fabian qui n'avait pas attendu pour reprendre son rôle de trouble-fête au sein du château. Il y avait beaucoup de choses auxquelles Gideon aurait pu penser. Mais une seule personne était dans son esprit depuis cet été.
Installé à son bureau, il essayait en vain de lire un ouvrage que le professeur Flitwick avait fortement recommandé, mais son esprit divaguait au loin en même temps qu'il fixait sans vraiment le voir le paysage de collines écossaises, par la petite fenêtre de la tour Serdaigle. Avec la pluie qui tombe dehors, il est d'autant plus heureux d'être à l'intérieur et non pas sur le terrain de Quidditch où il pourrait apercevoir, s'il détournait un peu le regard, toute l'équipe de serpentard s'entraîner. C'est l'heure du repas qui le ramène à la réalité, quand un camarade de dortoir le prévient du temps qui passe.
Ni dans le dortoir, ni dans la salle commune, il ne trouve son meilleur ami, Magnus, qu'il imagine à la bibliothèque ou bien déjà dans la Grande Salle. Alors après avoir enfilé des chaussures et un pull par dessus sa chemise, il descend les étages du château, l'estomac appelant la nourriture, son cœur appelant quelqu'un d'autre. A peine est-il dans la Grande Salle, il ne cherche pas son petit frère pour s'assurer de sa présence à la table des Gryffondors comme il avait l'habitude de le faire très régulièrement pendant ses deux premières années. Il n'a pas à chercher Magnus longtemps : celui-ci l'appelle dès qu'il franchit les grandes portes. Pendant une seconde, Gideon reste bloqué à l'entrée. En face de son meilleur ami est assise sa petite sœur. Petite sœur, il s'entraîne à ne pas la qualifier autrement. Son chemin jusqu'à elle, enfin jusqu'à eux, lui donne tout loisir d'observer la petite sœur en question. Si jolie quand elle met ses lunettes dans ses cheveux de cette manière là.
Il s'installe en face d'elle. A côté de Magnus. Qui lui donne une petite tape dans le dos en signe de bonsoir. Et Gideon répond au petit sourire d'Alix par un même sourire, les yeux pétillants, le cœur revigoré. Il aurait pu lui sortir « je t'aime » au lieu de bonjour, tellement à chaque fois qu'il la voyait l'évidence lui sautait aux yeux.

« Comment ça va, les Folkhart ? »

Petite sœur, la petite sœur de Magnus.
Il aurait mieux fait de s'installer à côté d'elle plutôt qu'en face, il trouvait ça au départ peut-être mieux pour ne pas attirer les soupçons de Magnus, mais à l'avoir juste en face de lui, il risquait encore plus d'attirer ses soupçons en ne la regardant pas comme il aurait dû. Baissant les yeux sur son assiette vide, il attrapa un pichet de jus de citrouille et entreprit d'en verser dans leurs trois verres.

∇ TO DROWN INTO THY EYES ∇ GIDEON & ALIX

Le cœur d'Alix bat la chamade. Tandis que Gideon prend place au côté de Magnus qui se lance dans un monologue en réponse à la question de son ami, Alix concentre toute son attention à ne surtout pas lever la tête. Si elle lève la tête, elle risque de croiser on regard et si elle croise son regard, elle n'est pas certaine d'être capable de s'arracher à la contemplation de ces yeux magnifiques. Comment peut-on n'avoir que quinze ans et se consumer ainsi pour quelqu'un ? Des questions, Alix en a toujours plein la tête et sur tous les sujets imaginables mais là, tout de suite, son esprit est focalisé sur ce bras, à moins d'un mètre du sien, sur ces jambes sous la table et si près des siennes, sur ce visage en face d'elle. Le ridicule de sa situation lui éclate en pleine figure quand elle entend son frère rapporter des ragots sur un couple dans une situation similaire et ayant quitté Poudlard depuis quelques années.

« Le gars était en dernière année et l'un de ses meilleurs potes sortait en fait avec sa frangine, qui était en sixième ou cinquième, je sais plus trop. Eh ben le gars l'a su et ça n'a pas été joli ! En même temps, quel Scrubb à pétard, le pote. Il avait toutes les autres filles de l'école ! » conclut Magnus en haussant les épaules et en se servant une rasade de jus de citrouille. Alix lève enfin la tête pour obtempérer d'un sourire. Elle est plutôt habituée aux monologues de son frère. Quand il part dans des discours pareils, elle acquiesce et laisse passer en silence. Sauf que là, elle n'est pas seule. Et il est temps de tâter le terrain. Après tout, la petite histoire de Magnus est une perche involontairement tendue et qu'Alix ne peut décemment pas ignorer. Une telle opportunité ne se représentera peut-être pas de si tôt. De plus, Magnus est tellement persuadé que sa vision des choses est la bonne qu'il ne lui viendra même pas à l'idée que sa propre sœur puisse en pincer pour son meilleur ami.

La serdaigle prend son courage à deux mains et plante son regard bleuté dans celui de son frère. « Je ne suis pas d'accord avec toi. Son pote, il n'a pas choisi de qui il tombait amoureux, la sœur non plus. Ça ne se commande pas, ces choses-là. Ils ne sont pas sortis ensemble parce qu'ils étaient le pote et la sœur de ce gars-là ! Ils sont sortis ensemble parce que lui était un gars et elle une fille. C'est aussi simple que ça » finit-elle. « Tu en penses quoi, Gideon ? » ajoute-t-elle innocemment en pivotant sur le banc pour lui faire face et darder son regard dans le sien. C'est vrai qu'ils sont beaux, ses yeux mais pour le moment, c'est plus la réponse à sa question, qu'elle voudrait. Elle vient volontairement de le mettre dans une situation assez périlleuse mais qui aura, elle l'espère, le mérite de l'éclairer sur la situation. Va-t-il comprendre le rapport à leur propre situation et lui envoyer ce signe qu'elle attend depuis trop longtemps ? Ou bien se rallier à l'idée archaïque et machiste de Magnus, qui ne comprend vraiment pas pourquoi sa petite histoire vient de se transformer en débat.  

Tout concentré à sa tâche, Gideon servait donc leurs trois verres. Au moins ça lui donnait une excuse pour ne pas regarder devant lui, pour ne pas regarder Alix. Dans la foulée et pendant que Magnus commençait à raconter les potins du moment, Gid porta son verre à ses lèvres, but une gorgée de jus de citrouille et... manqua s'étouffer avec. Il toussa plusieurs fois... Avait-il bien entendu ? Ce ne pouvait pas être une coïncidence, Magnus savait, s'en était fini de l'ainé Prewett ! Il allait l'étouffer dans son sommeil ou peut-être mettre du poison dans son thé le matin... Il déglutit difficilement à l'idée que son heure était peut-être proche alors qu'il n'avait encore rien fait que tomber amoureux. Il s'était imaginé mourir d'une façon plus... digne.
Alix ne tarda pas à répondre de quoi contre-argumenter les propos de son grand frère. Le regard posé sur elle pour ne plus en bouger, il était totalement d'accord avec ce qu'elle disait. Mais est-ce qu'il pouvait interpréter cette défense en sa propre faveur ? Oh, elle se mettait probablement à la place de la fille de l'histoire de Magnus, c'était simplement ça, défendre cette fille qui était juste tombée amoureuse et elle se retrouvait avec un frère un peu trop protecteur.
Alors qu'il commençait à désespérer de la réciprocité des sentiments d'Alix, elle le prit brusquement à parti, dardant son regard dans le sien. Ce n'était pas le même bleu que les siens, c'était un bleu beaucoup moins commun, il y décelait au moins cinq nuances, il n'était même pas sûr qu'ils soient vraiment bleus. Quand il y avait du soleil, ils lui faisaient penser à l'océan, mais là sous la lumière presque tamisée des bougies de la Grande Salle, il pensait plutôt à une galaxie ponctuée d'étoiles...
Qu'est-ce qu'il en pensait ? Quel était son avis sur la question ? Un gars pouvait-il sortir avec la petite sœur de son ami ? C'était une question qu'il s'était posé plusieurs fois ces derniers temps.

« Bah... euh... c'est que... je... » bafouilla-t-il pendant quelques secondes en se passant nerveusement la main dans les cheveux.

C'était difficile. Il ne voulait pas se mettre Magnus à dos et en même temps, il avait envie de profiter de l'instant pour se situer un peu mieux dans une situation similaire. Il ne pouvait pas se mettre à la place de la fille amoureuse, il n'arrivait pas non plus à comprendre la position du frère – après tout, si c'était son propre petit frère qui sortait avec sa meilleure amie, il en aurait même été rassuré et il aurait accueilli la nouvelle avec joie, mais il comprenait qu'un petit frère, ce n'était pas une petite sœur... La seule position qu'il comprenait parfaitement, c'était la sienne.

« Eh bien... Peut-être que le problème de cette histoire se situe au niveau de l'amitié entre le gars et le frère ? Pourquoi est-ce que le frère refuse que sa petite sœur sorte avec son meilleur ami ? Est-ce que c'est parce qu'il pense que c'est une mauvaise personne ? Dans ce cas, c'est étrange qu'ils soient amis. Je ne sais pas, peut-être que si le frère considère le gars comme son meilleur ami, il devrait être rassuré de savoir sa sœur avec quelqu'un qu'il estime être bien... »

Son regard alternait entre Magnus et Alix sans réussir à se poser sur l'un d'eux. Il était gêné, n'arrivait pas à penser correctement et pourtant essayait de chercher des mots appropriés.

« On n'en sait rien en fait... Peut-être que le gars était une sorte de bourreau des cœurs, qui enchaîne les conquêtes, donc le frère l'appréciait bien comme ami mais voulait juste protéger sa sœur. Dans ce cas-là, c'est normal de vouloir la protéger. Vous voyez ce que je veux dire ? »

∇ TO DROWN INTO THY EYES ∇ GIDEON & ALIX

Lorsque Gideon planta son regard dans celui d'Alix, l'adolescente déglutit. Il ne la regarda pas très longtemps mais cela suffit à lui couper le souffle. Vint enfin la réponse tant attendue. Et la déception. Alix arqua un sourcil en entendant les hésitations de Gideon. Il ne semblait pas avoir un avis bien défini sur la question. Peut-être n’y avait-il jamais réfléchi, après tout ? S’il n’avait aucun intérêt autre qu’amical pour elle, il était bien normal que la question ne lui soit jamais apparue comme importante.

Déçue, l’adolescente baissa la tête et porta son attention sur son assiette. Elle ne put s’empêcher de porter attention à la deuxième partie de la réponse de Gideon, qui semblait chercher un autre type de justification. Alix arqua un sourcil puis haussa les épaules. « Vu comme ça » murmura-t-elle avant de couler son regard vers celui du serdaigle. Magnus, qui n’avait rien à ajouter, s’était relancé dans un monologue. Un gryffondor, son partenaire de DCFM, s’approcha alors du trio et engagea la conversation avec lui. Magnus s’excusa et quitta quelques instants la table pour converser des cours avec le gryffondor en question, laissant Gideon et Alix seuls.

La serdaigle ne savait pas quoi faire. Ce devait être la première fois qu’elle se retrouvait seule avec Gideon. Certes ils étaient entourés de tous les étudiants prenant leur repas mais cela n’avait guère d’importance à ses yeux. Pour une fois, Magnus s’était éloigné et il n’y avait plus qu’elle. Et lui. « Tu penses ce que tu dis ? » demanda-t-elle enfin en s’arrachant à la contemplation de son assiette pour plonger son regard dans celui de Gideon. Elle décida de clarifier les choses. « Si je résume ce que tu as dit, si le meilleur ami en question est un bourreau des cœurs, alors le frère doit protéger sa sœur » dit-elle avant de continuer, dans un élan d’espoir. « Mais si le meilleur ami est tout ce qu’il y a de plus gentil, est-ce que le frère doit se mettre entre lui et sa sœur ? » Involontairement, elle venait de mettre sa question au présent. Elle s’en rendit compte trop tard et ne put que se mordre la lèvre en se rendant compte à quel point cela rendait sa question particulièrement explicite…

Gideon était un peu perdu et presque tenté de demander "de qui parle-t-on ?".
D'un côté, Magnus avait lancé le débat sans vraiment se rendre compte que les deux personnes à qui il parlait pouvaient totalement entrer dans ce cas de figure. Et pourtant, tout était sous-entendu très implicitement et il avait peur de sur-interpréter ou de se faire de fausses idées en s'imaginant qu'Alix parlait peut-être d'elle et de lui... d'eux. Peut-être qu'il le voulait tellement que son esprit ne voyait que ce qu'il voulait voir et non pas la réalité.
Mais en même temps, le sujet, ainsi lancé en parlant d'autres personnes, semblait vraiment avoir dévié, peut-être accidentellement ou inconsciemment, sur un cas qui la touchait de plus près. Peut-être lui ? Une idée lui vient soudainement : peut-être qu'elle pensait bien à elle mais pas avec lui, peut-être avec un autre garçon que connaissait Magnus et peut-être qu'elle espérait que Gid puisse tâter le terrain auprès de son meilleur ami, agir en médiateur... Trop de peut-être... cette hypothèse était tirée par les cheveux. Et puis, elle continuait le débat alors que le principal intéressé était parti discuter un peu plus loin : ça ne pouvait être qu'une indication que ça concernait Gideon. Non ?
Il se prenait bien trop la tête, il fallait que ses méninges se mettent sur pause avant que son cerveau explose.

« C'est un très bon résumé ! » s'exclama-t-il, peut-être un peu trop joyeusement.

C'était maintenant qu'il lui fallait tenter sa chance, il en était sûr. Avant que Magnus ne revienne s'asseoir à leur côté car alors, il changerait probablement de sujet et une autre chance de faire comprendre à Alix qu'il ne voulait pas la fréquenter que comme une amie, une chance comme celle-ci ne se présenterait pas avant des semaines. Il avala une nouvelle gorgée de son jus de citrouille pour se donner du courage et se lança, la voix moins assurée que ce qu'il aurait voulu. Il aurait aimé être comme ces garçons qui ne se faisaient pas toute une formalité de demander un truc aussi insignifiant à une fille.

« … Dis, tu as vu qu'il y avait une nouvelle sortie à Pré-au-Lard le week-end prochain ? On pourrait y aller ensemble, si tu veux ! »

Intérieurement, Gid pria tous les dieux qu'elle ne sous-entende pas dans sa réponse que Magnus se joindrait à eux.

Spoiler: