Déjà Severus comptait les jours qui le séparaient de sa rentrée en Quatrième année à Poudlard. Il rêvait de retrouver les sombres cachots, les couloirs humides et les sinistres escaliers de l'école des sorciers. Tout lui manquait de sa vie à Poudlard, sauf peut-être Potter et sa bande. Et encore, à choisir entre son père et James Potter... Severus, qui avait bien du temps à tuer, avait entrepris de mettre en compétition les deux êtres qu'il abhorrait le plus au monde, et avait bien du mal à trancher. Tous les deux étaient stupides, violents, cruels, et avaient décidé que lui, Severus Rogue, était une verrue incrustée sur la croute terrestre, que celle-ci soit moldu ou sorcière. La concurrence était donc rude entre les deux adversaires, et le jeune Rogue se découvrait assez de haine pour la répartir équitablement entre eux. Au moins, tant qu'il réfléchissait en traînant seul dans les rues de Cokeworth, ou assis sur son lit dans sa chambre, il ne pensait pas à la magie, qui lui manquait atrocement. Severus gardait sans cesse sa baguette sur lui, malgré l'interdiction formelle qu'il avait de s'en servir : il lui était physiquement impossible de la laisser derrière lui, il avait bien trop peur que son moldu de père ne l'abîme avec ses sales pattes. Si jamais il rentrait chez lui un soir et découvrait que Tobias Rogue avait touché à son bien le plus précieux, Severus n'était pas sûr qu'il parviendrait à se retenir de l'assassiner.
Lily était la seule lueur de son été de désolation. Si Severus avait dû supporter l'absence de sa meilleure amie en plus de sa privation de magie, et de l'obligation de se coltiner son père tout l'été, nul doute qu'il n'aurait jamais tenu une seule semaine. Heureusement, Lily était elle aussi rentrée à Cokeworth retrouver ses moldu de parents et sa moldu de soeur Pétunia. Seulement, Severus ne l'avait pratiquement pas vue depuis qu'ils avaient quitté la gare de King's Cross, et depuis ils n'avaient aucun moyen de communiquer puisque aucun des deux n'avait de hibou, et que Severus n'avait pas osé venir jusque chez les Evans. Dans le doute, le garçon en ce samedi après-midi nuageux s'était rendu à l'étang du village, où Lily et lui avaient l'habitude de se retrouver lorsqu'il faisait beau. Tous les deux avaient cessé de traîner au parc de jeux, d'une part pour éviter tout risque de faire de la magie en présence de Moldus (Lily lui en voulait toujours un peu d'avoir fait tomber une branche sur sa stupide soeur Pétunia), et d'autre part pour éviter les questions inopportunes des Moldus de leur âge, surpris de ne les voir que pendant les vacances d'été. Severus ne se plaignait pas trop de cette solitude forcée : vu ce que ses amis Serpentard les méprisaient, il n'aurait pas été très malin de sa part de ne pas les imiter. Lily en revanche semblait souffrir d'être ainsi mise à l'écart, bien que Severus ne s'en explique pas bien la raison. Cela l'arrangeait plutôt bien, lui : avec qui d'autre que lui Lily pourrait-elle bien passer l'été ? Petit à petit, un sourire étira les lèvres du garçon qui, les yeux clos, laissa reposer sa tête contre le chêne au pied duquel il s'était assis.

A force de passer du temps éveillé la nuit, seul dans le noir, à entendre ses parents se hurler dessus au rez-de-chaussée, Severus avait appris à discerner le moindre son dans son environnement. Le clapotis de l'eau provoqué par le vent léger qui remuait les joncs de l'étang, le chant des oiseaux, le bruissement des feuilles, le bruit des voitures au loin... Et ce pas léger qui s'approchait de lui sans hésiter. Ce pas, Severus l'aurait reconnu entre mille. Si léger, comme si Lily essayait de passer le moins de temps possible à toucher le sol de peur d'abîmer l'herbe, ou la vie qui pullulait sous ses pieds, Severus n'en était pas certain. Toujours Lily avançait d'un pas décidé, droit devant elle, mais avec une incommensurable légèreté. « Devine qui c'est ? » Comme il savait pertinemment de qui il s'agissait, il ne cilla même pas lorsque la jeune fille posa ses deux mains sur son visage pour bander ses yeux déjà fermés. Severus, qui pourtant tolérait très mal le moindre contact physique, aurait même laissé Lily lui mettre des noeuds dans les cheveux si elle en avait manifesté l'envie. Il cligna à plusieurs reprises des paupières lorsque Lily détacha ses mains de son visage, ébloui par le soleil qui perçait timidement la couche nuageuse, et par le flamboiement de la chevelure de son amie qui s'installait près de lui. « J'espérais bien te trouver ici. Je m'ennuie à la maison. Tu vas bien ? » Severus se demanda un court instant s'il allait comme elle ramener ses genoux à sa poitrine, mais décida de ne pas bouger et de rester les jambes étendues et croisées devant lui. De la sorte, le bras de Lily touchait le sien, et pour rien au monde Severus n'aurait pris le risque de briser ce contact.
— Comme d'habitude, répondit-il à Lily qui lui demandait comment il allait. Comme d'habitude, c'est-à-dire ni bien ni mal, ni mal parce que son père le laissait à peu près tranquille, ni bien parce qu'il était loin de Poudlard et de la magie. Et toi ? Pétunia t'embêtes ? s'enquit-il en accentuant bien le prénom de la soeur de Lily, qu'il méprisait copieusement.