Les vacances de Noël. La période où Raven avait, en général, le plus de boulot. C’était le moment des fêtes là où les gens étaient les moins sur leur garde et où ils se faisaient avoir comme des lapins. Du coup, le nombre des dossiers enflait de façon incommensurable et les heures passées au Ministère également. Mais la veille de Noël… La veille de Noël, le Ministère était fermé très tôt, plus tôt que d’habitude. Ainsi, même si elle l’avait voulu et malgré sa position de sous-chef obtenue récemment, Raven n’aurait jamais pu rester travailler. Malheureusement. Du coup, à 19h pétante, la voilà qui traînait tranquillement sur le Chemin de Traverse, le port de tête haut et son dos droit. La sorcière pouvait paraître très hautaine ainsi, mais ce n’était pas le cas. Simplement, c’était une posture qu’on l’avait forcée à adopter dès sa plus tendre enfance et elle n’avait su comment se tenir autrement. Alors cette allure était restée. Il n’empêche que cela lui conférait une certaine classe, une certaine prestance qui la distinguait tant des autres au Bureau.
La sorcière aperçut alors, à quelques pas, la boutique de Madame Guippure. Son visage se fendit d’un fin sourire. Elle avait trouvé sa nouvelle destination. Après tout, comme chaque année, personne n’allait lui faire de cadeau et cette boutique offrait de belles promotions lors des périodes de fête alors… Pourquoi ne pas en profiter un peu ? Il fallait bien se faire plaisir de temps en temps, non ? Et puis Madame Guippure la connaissait bien. Raven était une habituée qui ne lassait jamais des nouvelles créations de la créatrice. Sa garde-robe était constituée uniquement des pièces de cet endroit, tous faits sur mesure en plus. En moindre nombre, les créations de sa sœur, Melody, qui aimait bien lui faire plaisir. L’Auror était consciente des efforts de sa sœur pour qu’elles se rapprochent et culpabilisait parfois de ne pas pouvoir rendre la pareille. Son cœur s’était fermé encore plus depuis le décès d’Eliott et elle n’arrivait plus à l’ouvrir de nouveau. Elle ne savait pas si cela allait changer dans le futur, mais elle n’en était pas certaine. De toute façon, à 36 ans, il était peu probable que quelqu’un daigne s’intéresser à elle encore une fois.

L’Auror rentra dans la boutique, cherchant la vendeuse du regard et l’aperçut aussitôt. « Raven ! Quel plaisir de vous revoir ! » Ladite Raven sourit de ses belles dents blanches et prit chaleureusement les mains de son interlocutrice entre les siennes. « Cela me fait plaisir également, madame. » La propriétaire de la boutique la conduisit vers une série de nouveaux vêtement en la montrant d’un geste du bras. « J’ai pensé à vous lorsque j’ai reçu cette gamme, elle vous irait à merveille ! » L’Auror s’approcha des vêtements et caressa le tissu du bout des doigts. De la soie… Magnifique en effet. Il y en avait de toutes les couleurs. Mais la sorcière repéra rapidement un petit haut bleu, de la même couleur que ses yeux. Elle eut à peine le temps de remercier la vendeuse que cette dernière s’excusa « Vous m’excuserez, je dois encaisser ce jeune couple… » et elle s’en alla d’un coup de vent. L’Auror sourit. Toujours aussi speed cette madame Guippure. Elle continua à contempler cette nouvelle collection qui, décidément, lui plaisait beaucoup, lorsque soudain…

… L’Auror se fit bousculer par un jeune homme visiblement très maladroit puisqu’il fit également tomber un porte-manteau qu’il rattrapa de justesse. Ce dernier se confondit en excuses et Raven lui sourit en remettant la manche de son manteau. « Ce n’est rien, il n’y a pas de mal. » Elle le jaugea légèrement avant de nouveau reporter son attention sur la nouvelle collection découverte un peu plus tôt par les soins de la vendeuse et se dit que ce tailleur bleu sombre lui irait bien. Il ressemblait un peu à ce que sa sœur lui avait confectionnée un mois plus tôt. Ou bien ce pull en laine couleur rouille ? Raven ne savait pas trop. Puis, soudainement, elle releva la tête, comme si elle avait oublié quelque chose. La sorcière se tourna à nouveau vers l’élève et eut un sourire en coin en lui tendant la main. « C’est à moi de m’excuser. J’en oublie les formalités. Raven Fawkes. » se présenta-t-elle. Mais quelle idiote ! Tellement absorbée par ces vêtements qu’elle en zappait les bonnes manières. Sa grand-mère devait se retourner dans sa tombe et gratter les parois de son cercueil tellement elle avait employée corps et âme pour éduquer sa petite-fille comme une parfaite progéniture de Sang-Pure. Dans un certain sens, cette éducation avait porté ses fruits, et on pouvait dire sans hésitation que Raven possédait la carrure d’une de ces aristocrates. Charismatique et élégante, froide mais douce. Cependant, lorsque l’on fouillait dans les idéologies, on voyait bien là que l’aînée Fawkes avait trouvé avant tout cette liberté qu’on lui avait privée durant toute son enfance. Il coulait donc de source qu’elle n’adhérait pas des moindres aux fantasmes des Sang-Purs, tous aussi sombres les uns que les autres. C’était une femme assez contradictoire qui avait des règles mais qui ne voulait pas y être enfermée. Autoritaire sans vouloir être dure. Un sacré bout de féminisme là-dedans.

À peine le jeune homme se présenta – du nom d’Adrian Owen – que l’Auror remarqua qu’il semblait assez dynamique et joyeux. L’on reconnaissait facilement les personnes qui souriaient en permanence de celles qui avait ce visage de marbre. Entre Melody et Raven par exemple, on pouvait aisément savoir laquelle des deux était plus pétillante que l’autre. Cela se lisait dans leurs yeux, dans leur manière de regarder les gens, dans la manière de se tenir. Un rien rendait chaque personne unique. C’était ce qui s’appelait la diversité. Le jeune homme lui serra la main, et si elle ne fut guère étonnée de sa poignée de main – après tout elle serrait celle d’hommes beaucoup plus costauds que lui chaque jour – son regard cependant attira son attention. Il n’affichait pas un air gêné ni mal à l’aise. Au contraire, Adrian semblait plutôt confiant et sûr de lui. Une qualité comme un défaut qui, parfois, pouvait poser problème quant aux autres à cet âge. Raven avait ce regard, mais c’était différent. Elle possédait un regard d’adulte, mais surtout de femme adulte Auror. Cela changeait toute la donne. Son interlocuteur se mit alors à monologuer un peu tout seul, se confondant en excuses et il semblait à la sorcière qu’il ne s’arrêterait jamais. Lorsqu’enfin le silence se fit, elle émit un petit rire cristallin avant de lui répondre gentiment « Ne vous inquiétez pas, vous ne me dérangez pas. Mais dites-moi – fit l’Auror en se retournant pour faire face à la nouvelle collection qu’elle observait un peu plus tôt – que vient faire un jeune élève dans les allées complexes de Madame Guipure ? » Car s’il y avait bien un endroit où l’on pouvait se perdre si on ne connaissait pas bien l’endroit, excepté le Ministère, c’était bien ici. Cette boutique au sortilège d’extension était tellement grande qu’il y avait des flèches pour indiquer la sortie. La vendeuse avait tout prévu pour satisfaire ses clients.

L’Auror avait à peine fini de poser sa question que le jeune homme en question répondait à vive allure comme s’il n’avait jamais connu dans le silence. Prenait-il le temps de respirer ? Était-il doté de poumons au moins ? Raven avait cette impression qu’il n’allait jamais s’arrêter ou alors s’évanouir à force de trop parler parce qu’il manquait d’air. Owen passait du coq à l’âne sans reprendre son souffle et la sorcière s’inquiétait presque pour lui, devant s’accrocher afin de ne pas perdre le fil. Heureusement pour lui, l’élève faisait face à une personnalité calme, attentive et attentionnée. Elle avait eu affaire à bien plus coriace que ça tout de même… « Je vois, répondit-elle simplement, j’imagine que Madame Guipure est allée chercher de quoi mesurer vos mensurations. » Il était incroyable comme cette petite sorcière était prévoyante et aux bons soins de tout le monde. Cependant, quelque chose tiqua aux oreilles de l’Auror Fawkes. Si elle comprenait et faisait bien le lien, ce jeune homme était d’ascendance moldue. Oh, ce n’était pas dramatique pour elle, Raven s’en fichait royalement du type de sang. Simplement, elle avait parfois rencontré des élèves à Poudlard qui, désemparés par ce changement de milieu et de monde, étaient en véritable échec scolaire. Elle se demandait si cela était la même chose pour ce jeune homme, mais poser la question était assez malvenue, ainsi ne la posa-t-elle pas. Finalement, l’Auror se tourna à nouveau vers lui. « Chez quelle Maison êtes-vous ? » Il était toujours intéressant de faire le lien entre la personnalité et la Maison dans laquelle le Choixpeau l’avait envoyé. Il n’y avait parfois pas de liens, et parfois la personne était incroyablement le digne représentant de cette Maison.

Le jeune homme face à elle devait avoir un cerveau qui fonctionnait à vive allure. Etait-il muni de poumons au moins ? Question loufoque qui passa pourtant dans l’esprit de l’Auror à la vitesse de l’éclair. Néanmoins, elle sourit face à sa défaite monumentale en couture. Il était vrai que ce domaine n’était pas des plus faciles, il fallait vraiment avoir le coup de main. Raven ne l’avait jamais vraiment eu mais était beaucoup plus douée lorsqu’il s’agissait d’assortir les bons vêtements ensemble. Sa sœur, en revanche, l’était beaucoup plus. La preuve puisque nombre de ses pièces dans sa garde-robe avait été confectionné par elle. Melody avait toujours eu un grain dans la création du textile. Une sorte de créativité inexprimée durant son enfance qui, à présent qu’elle était libérée de ses chaînes, vivait son apogée et Raven était la première à pouvoir profiter des talents à la fois textiles mais aussi culinaires de sa cadette. « Effectivement, la couture n’est pas un domaine facile » réussit à glisser l’Auror tandis qu’il prenait sa respiration. Mais, l’air de rien, le jeune homme la faisait sourire. Il semblait être tellement insouciant et ignorant du monde réel et ses guerres que cela lui donnait un côté tout chou. C’était beau, cette innocence.

Elle lui demanda alors dans quelle Maison il était, question un peu banale que beaucoup d’adultes posaient à des étudiants de Poudlard. La réponse fusa sans attendre et l’Auror, une fois de plus, fut un peu surprise de son débit de parole. Décidément, il fallait s’accrocher. Serdaigle, donc. Une bien belle Maison qui lui rappelait beaucoup de souvenirs. « Les préjugés des Maisons ne sont pas à prendre en compte. Serdaigle tout comme Serpentard possèdent de très belles qualités. L’Auror n’avait rien contre les Serpents, même s’il était vrai que beaucoup de Sang-Pur donc aux idéologies semblables au Mage Noir en sortaient. Mais était-ce la faute de la Maison ? Raven n’en était pas sûre. Elle ne voulait pas rentrer dans les stéréotypes. Quant à moi, j’ai été à Poufsouffle » Maison qui, elle aussi, était la victime de nombreux ragots la concernant. Qu’elle était la poubelle de Poudlard où l’on y mettait les élèves qu’on ne savait pas où mettre, mais c’était totalement faux. Lorsque l’on regardait Raven et que l’on voyait où elle en était à présent, difficile à croire qu’elle venait de Poufsouffle.

Les préjugés des Maisons. Raven n’avait jamais accroché à ce concept, même si les perches tendues avaient été nombreuses. Serpentard était, la plupart du temps, une Maison haïe par tous et l’Auror avait bien failli faire partie de ceux qui les méprisaient à cause de son passé. Evidemment, lorsque l’on passe la moitié de son enfance à se faire battre par une femme qui ne jure que par les valeurs de Serpentard, il devient tout de suite très compliqué d’avoir un regard objectif. Mais la sorcière était passée bien au-dessus de tout ça heureusement. Cependant, quelques noms tiquèrent à l’oreille de la sorcière. Njal Laensen. Moran. Mais c’est qu’elle les connaissait ces deux-là ! Et pas des moindres. Njal n’était autre que le fils de Torvald, monsieur l’Ambassadeur de Norvège avec qui elle avait travaillé de longs mois sur la piste d’un sorcier noir. Ils avaient finalement réussi à mettre la main dessus. Raven avait aidé son fils, quelques mois plus tôt, à trouver le bureau de son père et après quelques pannes d’ascenseurs, ils y étaient parvenus. Quant à Moran… Le lien qui unissait les deux sorciers était bien simple : marraine à filleul. Après le décès de Talia Blackwell, Raven avait été anéantie. Les parents de Moran, petit garçon tout juste né, lui avait alors proposé la responsabilité du petit bout de chou, tout juste âgé de quelques mois. Le prendre sous sa tutelle avait été un merveilleux cadeau, et à présent elle était extrêmement fière de constater qu’il était en voie de devenir Animagus. Elle lui sourit. « Je vois les personnes dont vous parlez. J’ai travaillé avec le père de monsieur Laensen quelques années en arrière. Quant à monsieur Powell, Moran… Il s’agit de mon filleul. » Que le monde était petit, se disait Raven à cet instant. En même temps, chez les sorciers, toutes les familles étaient reliées d’une manière ou d’une autre. Il suffisait de voir les Sang-Purs, leurs mariages et leur consanguinité. L’Auror avait fini par abandonner l’arbre généalogique, celui qui avait le courage de plonger le nez dedans finissait par ne plus en sortir. Ou bien avec un mal de crâne.
La sorcière lui sourit à nouveau face au presque monologue du garçon. Oh oui, Poufsouffle était une bien belle Maison. Raven aurait même dit la meilleure, mais évidemment elle n’avait pas un regard très objectif non plus. « En effet. Malgré ce que l’on peut dire sur elle, ses qualités lui sont bien légitimes » Où dont allait mener cette discussion ? Raven n’en savait trop rien. Mais ce qui était sûr, c’est qu’elle appréciait plutôt bien le jeune homme.

L'Auror lui sourit. Il était évident que ce petit ne provenait pas du monde des sorciers puisque tout sorcier savait à quel point cette communauté était petite. En réalité, tout le monde se connaissait. Le fait qu'ils aient tous fréquenté la même école jouait évidemment beaucoup, sans compter les familles de Sang-Pur dont le nom avait autant d'influence que l'importance de leur richesse. Qu'on le veuille ou non, le pouvoir même avait les ficelles tirées par ces personnages, et même si Raven croyait en la bonne volonté du Ministre Minchum, elle ne doutait pas qu'il allait avoir quelques agréables surprises. Mais après tout, les politiciens fermaient les yeux sur beaucoup de choses et l'ancien Poufsouffle n'échappait pas à la règle. « Monsieur Lænsen est en effet d'origine norvégienne. Vous avez une bonne oreille. Les accents n'étaient pas si difficiles que ça à décoder, mais lorsqu'ils provenaient de contrées lointaines on avait toujours un peu de mal à en connaître la provenance.
L'Auror pencha la tête sur le côté afin de connaître le prix d'une veste vert émeraude. 115 Gallions. C'était dans ses prix. De toute manière, Raven était seule et elle gagnait suffisamment pour deux personnes. Son métier était l'un des mieux payés. Je suis Auror depuis 16 ans, répondit-elle en remettant la veste en place avant de lui demander Avez-vous pensé à ce que vous vouliez faire après Poudlard ? »

L’auror émit un petit rire cristallin. La sélection était rude ? C’était même pire que ça. Non seulement les études en elles-mêmes engendraient une pression énorme – en plus de celle que les étudiants s’infligeaient eux-mêmes – mais en plus l’examen était d’un tel niveau que certains sortaient de la salle en pleurant, ce qui pouvait déstabiliser j’en conviens. Raven, elle n’avait pas flanché. Se battre si dur pour au final abandonner… Non, ce n’était pas son style, loin de là. Travailleuse acharnée, ça oui. Sans pour autant se vanter d’avoir le courage d’un lion, elle pouvait cependant mettre un point d’honneur sur le fait de n’avoir jamais songé à baisser les bras même dans les moments les plus difficiles. De la peur, elle en avait eu lors de ses stages sur le terrain. Elle avait vu à quel point les aurors frôlaient la Mort de très près et qu’ils étaient des habitués de Son territoire. Elle ne criait pas sur tous les toits qu’elle n’avait pas tremblé une seule fois, cela aurait été mentir de toute façon. Tout bon sorcier doté d’un minimum de bon sens avait conscience, lorsqu’un danger imminent arrivait, que ce n’était pas bon pour leurs fesses et que foncer droit dans le danger n’était pas sans risques. Même les plus vaillants et les plus téméraires de leurs troupes avaient appris à réfléchir à deux fois avant de se lancer dans quoi que ce soit.
« Je confirme. Sans préparation, il est difficile d’y arriver. » Les enfants n’étaient pas vraiment conscients de ce qu’ils allaient vivre dans les quelques dizaines d’années, et Raven leur enviait presque cette innocence. Ils pensaient à leur avenir sans savoir que la plupart n’allaient pas en avoir. Il fallait se l’avouer, ils étaient en guerre. À peine sortis de Poudlard et de ce cocon de protection, plusieurs allaient perdre la vie et gagner la mort, comme au milieu d’un no man’s land.
Mais pour l’instant, le moment le plus important qu’ils avaient à vivre, l’un des caps qui, à leurs yeux était essentiel, était sans conteste ce choix de l’orientation. Ces jeunes avaient tellement peur de l’échec, tellement peur de se tromper, tellement peur de décevoir. Les pauvres petits. S’ils savaient… Mais pour l’instant, ils n’avaient pas encore le recul nécessaire.
Au mot Beatles, Raven fronça les sourcils. Elle ne connaissait pas. Vint ensuite l’explication du jeune Owen et elle sourit, soulagée qu’il lui apporte cette information-là. Des artistes moldus, elle n’en connaissait que très peu. Il faut dire que les études lui avaient pris beaucoup de temps très vite mais elle avait essayé, durant toute sa vie, de se cultiver à gauche à droite, même si cette culture s’orientait davantage littérature que musique. Elle se tourna vers lui, assez intéressée.
« Photographe, vraiment ? Quelle idée intéressante, ma foi. Le plus important est que cela vous plaise après tout. Mais alors… Photos version sorcières ou moldues ? » demanda l’Auror gentiment, un sourire au coin des lèvres. Car oui, elle avait deviné. Ce jeune homme était né-moldu. Il était fascinant de voir à quel point les adolescents s’adaptaient si vite à un nouveau monde. À sa place, elle se demandait comment elle l’aurait vécu. Mal, probablement.