A la question de Mildred, Wolfgang baissa la tête en souriant. Sa question était naïve, il reconnut dans sa voix la fraîcheur de la petite Milly qu'il avait été forcé de quitter quelques années plus tôt. Elle s'excusa mais Wolf balaya son pardon d'un geste de la main.
— Ce n'est rien, lui dit-il, tu as bien le droit de savoir. Pour tout te dire, c'est très douloureux. La sensation que tous tes os se brisent un à un...
Devant la tête qu'elle tira, le loup-garou préféra ne pas continuer. Les lèvres pincées, il hocha la tête.
— C'est pas une partie de plaisir mais je suppose qu'on s'y fait.
En réalité, il était impossible de s'y faire. Même s'il avait fini par accepter sa condition avec l'aide de Greyback, les transformations étaient toujours un véritable calvaire et il mettait à chaque fois plusieurs jours après chaque pleine lune pour s'en remettre, quoique la période de convalescence était plus ou moins longue suivant les conditions de liberté du loup en lui. S'il était libre d'aller et venir avec la meute, il était relativement aisé de recouvrer sa forme. Si, au contraire, il était attaché au fin fond du cave sombre, les séquelles étaient beaucoup plus importantes.
Mildred se proposa alors pour lui rendre service et Wolf grimaça, gêné.
— Non, tout va bien, je me débrouille, dit-il en jetant un coup d'oeil à sa chambre miteuse qu'il ne pourrait pourtant pas squatter éternellement. C'est pas trop mal ici, quant à l'argent... Ça va, je gère.
Comment lui dire, sans la vexer, qu'il n'avait aucune intention d'utiliser l'argent de ses parents, même avec Milly pour intermédiaire ? Cependant, peut-être que sa soeur pouvait lui être d'une aide précieuse pour quelque chose de bien particulier...
— Mais maintenant que tu le dis... commença-t-il prudemment, peut-être que tu pourrais faire quelque chose pour moi, oué.
Il se tut, réfléchit à comment amener ça, se demanda si c'était une bonne idée ou non.
— En fait, j'ai besoin d'une baguette, lâcha-t-il enfin. Et de cours pour savoir comment l'utiliser...

Mildred était probablement la représentation la plus juste de la naïveté gentille. La candide jeune femme ne s'imaginait pas, même dans ses pires cauchemars, comme ce que vivait son frère était dur. Physiquement, et mentalement. Abandonné par des parents en qui il avait toujours cru, pour devenir un animal une fois par mois dans des souffrances intolérables. Bien qu'elle se figure cela, elle ne parvenait pas à comprendre véritablement, ce qu'il endurait. Comment le pourrait-elle, puisqu'elle n'était pas à sa place, et qu'elle n'était pas destinée à l'être pour l'instant ? Il supposait simplement qu'on s'y faisait, cela voulait-il dire que ce n'était pas encore son cas ? La jeune femme le détailla avec tristesse, avant de frotter le bras de Wolfgang avec sa main, comme pour le réconforter. Ne le méritait-il pas après des années de solitude, dans la violence d'une meute menée par un chef probablement sanguinaire ? Elle n'avait jamais entendu parler de Greyback comme elle était tenue éloignée de ce genre de terribles conversations. Les loups-garous avaient presque toujours fais office de mythe pour elle, car jamais la petite héritière ne pensait pas en rencontrer un. Ils n'étaient que des parias dans son esprit de jeune femme nourrie à la cuillère d'argent. Et pourtant, la voilà qui retrouvait son frère après des années passées à essayer de faire son deuil, en loup-garou. La terrible ironie de toute cette situation la frappa comme si un forgeron l'avait assommé avec une enclume. N'était-ce pas épouvantable que ce soit elle, l'enfant gâtée, cachée, et malade, qui soit confrontée la première au mensonge de ses géniteurs, et à l'atroce transformation de son propre frère ? "D'accord..." répondit-elle à Wolfgang lorsqu'il lui confia gérer son argent. Elle était tellement heureuse de le revoir, tant sous le choc d'apprendre la vérité, que son esprit innocent ne réalisait pas la pauvreté dans laquelle il vivait, "mais si tu as besoin, tu me demandes !".

Mildred avait réellement à coeur d'aider son aîné à repartir du bon pied. Elle ne se rendait pas compte combien il avait été dangereux pour lui de quitter la meute, car l'héritière n'avait jamais connu d'autre danger que son propre corps. A sa demande concernant une baguette, la jeune femme écarquilla les yeux avant qu'ils ne se plissent dans une expression de pur bonheur. Il en faut peu pour être heureux. "Oh mais bien sûr Wolfgang, comme je suis bête ! On pourra aller t'en chercher une si tu veux, quand tu veux même !" s'extasia-t-elle. Avoir une baguette, c'était revenir un peu à la normale telle qu'elle la considérait elle. Malheureusement, elle n'était pas très douée avec la sienne. "On ne peut pas dire que je me débrouille très bien avec ma baguette... Mais on verra bien ! Tu seras sans aucun doute plus doué que moi !".