C'était un jour pluvieux qui était tombé sur l'Ecosse. Est-ce que cela changeait réellement du quotidien ? Pas tellement. Mais Razvan était un homme de quotidien, il l'avait toujours été. Et perdu le nez dans un carton qu'il n'avait pas pris la peine de déballer depuis qu'il avait quitté la Roumanie - c'était dire la couche de poussière à l'intérieur - le roumain en sortit de nombreux livres scolaires, qui dataient de cette époque où il étudiait la médicomagie, dans son pays. Assit en tailleur devant le carton, seul de toute façon chez eux parce que ce n'était une journée de pause que pour lui, Razvan se saisit finalement d'un cinquième livre et l'ouvrit machinalement pour le feuilleter. Ce qu'il n'avait pas vu, en revanche, c'était ce curieux marque-page qu'il avait glissé dans l'ouvrage pour ne pas perdre sa page. C'était là une petite enveloppe jaunie par le temps, tâchée un peu par il ne savait quoi. Et sans savoir ce qu'il y avait à l'intérieur, le médicomage sut exactement ce dont il s'agissait avant même de l'ouvrir, pour la bonne et simple raison que le temps, semblait-il, n'effaçait jamais un parfum.




Mon Razvan,


J'ai bien envie de commencer cette lettre comme toutes nos aïeules de Sibiu, en te disant le temps qu'il fait par chez moi ! Figure toi qu'il neige, de la bonne neige comme on en voit pas tous les hivers chez nous. Je sais qu'il fait froid dans ton école, Durmstrang a toujours eu cette réputation d'être glaciale, au sens propre comme au sens figuré, mais j'espère que tu me plaindras quand même !
Je voulais aussi te féliciter, tu as réussi à dépasser les dix lignes dans ta dernière lettre. Je trouve quand même que c'est un joli effort qui mérite d'être récompensé par mes compliments, alors, félicitations !


Trêve de plaisanteries.
Le temps se fait long, et mes amies ne me suffisent plus. J'ai l'impression qu'elles ne suffisent jamais. Pourtant, elles remplacent très bien tes silences, parce qu'elles passent leur temps à discuter et à parler ! Mais elles n'ont pas le mérite de raccrocher mes pensées à elles, puisqu'elles semblent toujours tournées vers toi.
Tu me manques, j'espère que la réciproque est vraie - je sais qu'elle est vraie, mais tu permets !
Comment vas-tu ? Moi je vais bien, comme toujours, mais je m'ennuie. L'hiver n'a jamais été ma saison préférée comme tu le sais. Mais enfin, qu'est-ce qu'on peut y faire ?


Je t'aime,

Mara I.

Razvan était figé, la lettre entre ses doigts. Ses yeux ne quittaient pas le nom qui était tout en bas, signature qu'il avait vu une première fois quand il était adolescent, lettre qu'il redécouvrait maintenant que tout avait changé. Un air pensif, il caressa un peu le papier jaunit. Cette trouvaille était précieuse. Toutes les lettres de Mara qu'il avait reçu étaient perdues, sauf celle-ci. Pourquoi l'avait-il gardé ? La réflexion ne dura en réalité qu'une seconde, avant qu'il ne se pince l'arête du nez.

Ah ça, Razvan était bouleversé, bien comme il faut. C'était la première fois qu'elle lui avait dit "je t'aime". Ou en l'occurrence, qu'elle le lui avait écrit. C'est que Mara était parfois dénuée de courage pour ce genre de choses, encore plus pour une démonstration de sentiments pareils. Elle n'était pas froide, mais au premier abord, elle pouvait être un peu distante quand même. Au tout début de leur relation d'ailleurs, certains trouvaient qu'ils allaient drôlement bien ensemble pour cette raison. Elle-même assez distante, lui toujours mutique, cela ne pouvait que coller, non ? Pourtant, elle avait, avec le temps, montré toute l'étendue de son caractère bienveillant. Et il se rappelait très bien que pour les vacances qui avaient suivi, Mara avait été autrement plus chaleureuse avec lui. Sans rien dire, Razvan replia la lettre et la glissa dans l'enveloppe. L'air de rien, il la remit dans le livre, à la page qu'il avait un jour voulu marquer avant d'oublier qu'il était en train de lire ce chapitre. Ce livre avait prouvé qu'il pouvait protéger cette lettre de plusieurs déménagements et d'une fuite d'un pays. Qu'est-ce qui l'empêcherait donc de le protéger pour les années à venir ? Le temps était passé. Il avait refait sa vie. Elle était morte depuis des années. Et leurs petits tracas de l'époque, qui étaient monstrueux pour deux adolescents, étaient maintenant oubliés, ou dérisoires pour l'adulte qu'il était devenu. Malgré tout, le roumain mit un point d'honneur à continuer de vider ce carton. Officiellement pour qu'il n'ait plus rien à son nom qui traîne. Officieusement, peut-être, avec l'espoir de lire un souvenir supplémentaire.