« Bien. Je vais évaluer vos aptitudes sur balai volant tout d'abord. La maison Gryffondor est ravie de l'intérêt que vous portez tous pour l'équipe de Quidditch ! Tout le monde ne pourra être sélectionné, mais vous pourrez toujours retenter votre chance l'année prochaine ! Faîtes quatre groupes : ceux qui postulent comme poursuiveurs, ceux qui postulent comme batteurs, comme gardien et comme attrapeur. Hop hop hop, du nerf, molassons ! ».

Shannon se dirigea en tenant son balai vers le groupe des poursuiveurs. Vu sa taille, vu sa carrure, et vu son poids, ce serait une bien mauvaise idée qu'il postule comme gardien ou batteur. Ils étaient sept à postuler en plus des deux autres poursuiveurs qui étaient titulaires l'année précédente. « Je vous rappelle que ce n'est pas parce que vous faisiez parti de l'équipe l'année dernière que votre place vous est attribuée cette année » - encore heureux... - « et ça ne sert à rien de me regarder comme ça, Cormac ». Un type qui faisait deux fois la taille de Shannon leva les yeux vers le ciel. Il avait l'air d'avoir assez confiance en lui pour ne pas craindre d'être rejeté de l'équipe. Ambiance saine, ambiance saine. Une fois tous sur leurs balais, les exercices s'enchaînaient : passes, buts, esquives. Tout ce qu'il était possible de faire sur un balai se fit. Et il y avait même assez de monde pour organiser un faux match de Quidditch.

C'est une heure et demi plus tard que tout le monde revint sur la pelouse pour entendre les résultats. Apparemment, le capitaine n'avait pas besoin de davantage de réflexion pour choisir ses joueurs. « Bon. Vous êtes tous de bons joueurs. Mais je ne peux pas sélectionner tout le monde. J'accrocherai dans le courant de la semaine la liste des remplaçants, venez vérifiez que vous n'en faîtes pas parti avant de commencer à râler » lança-t-il ses propos préliminaires avec l'air blasé du type qui s'y connait quand même. Installés dans les vestiaires, Delaney sorti son parchemin : « Gardien : Elliott McIntosh. Batteur : Elina Jones. Inutile de préciser que je n'ai pas sélectionné quelqu'un d'autre pour jouer à ma place ». Piètre tentative pour détendre l'atmosphère, quatre joueurs commençaient déjà à renifler leurs propres larmes, dont un septième année, qui voyait son rêve d'être sélectionné comme gardien s'envoler. « Poursuiveurs : je reconduis Cormac Stuart et Emily Williams. En nouveau joueur, je sélectionne Shannon O'Mahony. Pour le poste d'attrapeur, je reconduis Fred Roberts. Bravo à ceux qui nous rejoignent. Les autres, n'oubliez pas de vérifier les vestiaires à la fin de la semaine ! Bonne journée à tous, entraînement tous les mercredi soir et dimanche matin ».

C'est un pas traînant qui se fit entendre derrière la porte en bois d'une bâtisse qui s'élevait sur le port. Petite baraque, de ces maisons dont on ne savait pas très bien la date de construction et dont on ne pouvait s'amuser à prédire la date d'effondrement. La rue n'était pas la plus fréquentée du port, à dire vrai, c'était la rue où s'entassaient les vendeurs de poissons et les propriétaires de chalutiers. Deux hommes vêtus de capes noires se tenaient donc devant une porte de derrière laquelle il était possible d'entendre la voix bourrue d'un homme à l'accent fort. Finalement, finalement, la porte s'ouvrit, pour laisser s'afficher dans son encadrement un homme d'une soixantaine d'année, le teint tanné par le soleil, mais les cheveux encore roux comme s'il n'avait jamais vieillit. Il posa sur eux un regard noisette bien vif, alors qu'il sortait de sa poche une pipe pour se mettre à la fumer, avec cette déférence de marin qui n'a jamais craint le regard de personne d'autre que son capitaine. « Messieurs » les salua-t-il sobrement, en attardant ses yeux suffisamment longtemps sur leurs accoutrements pour comprendre d'où ils venaient, « qu'est-ce qu'il a fait, encore ? ». Henry O'Mahony perdait souvent de vue que depuis la majorité de son fils, on ne venait plus le voir pour se plaindre des frasques de Shannon en raison de la magie. Toutefois, il avait vu tellement souvent de gens similaires pendant l'adolescence de son rejeton, qu'il avait gravé dans sa mémoire absolument toutes les fois où ils venaient le voir. Sans se douter que quelque chose d'épouvantable pourtant avait pu se passer, Henry les regardait d'un air impatient. « Monsieur O'Mahony » commença le plus petit homme en retirant de son crâne dégarni le chapeau pointu et ridicule qu'il avait sur la tête, « le Ministère de la Magie vous fait savoir qu'un attentat a eu lieu à Londres hier. Votre fils, Shannon Javier Cormac O'Mahony, âgé de 29 ans, s'y trouvait ». L'homme fit une pause comme s'il s'attendait à une réaction, mais cette dernière ne vînt pas. Tout au contraire, Henry fit claquer ses dents sur sa pipe d'un air impatient. Décontenancé, il poursuivit : « Il est actuellement en état critique à l'hôpital Sainte-Mangouste. Peut-être avez-vous envie que l'on vous y conduise...? ».  Henry recracha sa fumée sur le visage de l'homme qui retint du mieux qu'il le pu ses étouffements intempestifs. « Non merci » grommela-t-il d'un air condescendant, « ce gosse m'a toujours apporté que des problèmes. Allez ouste, du balai ! ».

Enfermé dans les toilettes du Ministère, le cœur battant, Shannon O'Mahony, âgé de 23 ans et trois millénaires de connerie, tenait entre ses mains une fiole de Felix Felicis. Il avait certes déchiré aux épreuves pratiques, comme toujours dès qu'il s'agissait de magie, mais là...Là, il avait une journée d'épreuve théorique où il allait devoir écrire des pages. Et non seulement il avait une écriture illisible parsemée de fautes d'orthographe çà et là - ce pauvre garçon avait tendance à écrire comme il parlait, c'est à dire très mal - mais en plus la théorie vraiment, c'était sa bête noire. Il n'arrivait jamais à se concentrer plus d'un quart d'heure, comment il pouvait tenir une journée à gratter du parchemin ? Un miracle qu'il ait eu ses ASPICs avec de bonnes notes. Un véritable miracle. Mais pour l'épreuve finale pour devenir tireur de baguette d'élite, vraiment, il ne pouvait tout faire reposer sur un miracle. Il préférait être encore radié et trouver autre chose à faire, vraiment.
Il avala le contenu de la fiole cul sec et ressentit presque immédiatement un étrange sentiment d'euphorie. Bien sûr que tout irait bien. C'était évident. Il sortit des toilettes pour s'asperger le visage. Ça allait passer crème. « Bonne chance Edgar » le salua-t-il devant la salle d'examen avec une chaleur presque inhabituelle avant de pointer sa signature grossière sur le papier qu'on lui tendait. Shannon fila s'asseoir à sa place, numéro 34 et attendit patiemment mais avec un grand sourire, qu'on lui donne sa copie. Il allait tout déchirer.

   Le transplanage moyennement bien exécuté, Shannon atterri dans son salon où, les tempes battantes et les mains moites, il se dirigea illico presto dans sa salle d'eau pour s'y enfermer. L'appartement était totalement désert bien entendu, cela faisait un peu plus de trois semaines que Magdaleentje n'habitait plus avec lui et cela faisait quelques jours à peine qu'il était revenu de Colombie. Affalé contre la porte qu'il avait fermé à clé au cas où une de ses connaissances ne décide de se rendre chez lui pour X raison - cet endroit était un véritable moulin, parfois - l'irlandais avait sa tête entre ses mains tremblantes. Deux corps. Deux morts. Deux cadavres ravagés par l'eau. Il ne se rendit compte qu'au moment où elle s'emballa vraiment qu'il avait la respiration haletante. Il se rappelait très bien de son vieux souvenir. Un de ses plus vieux souvenirs, qui avait conditionné son épouvantard et sa peur épouvantable de mourir noyé. A ce souvenir s'ajouta celui du bruit des détonations du feu d'artifice et il secoua la tête. Pas. Encore. Pas maintenant alors qu'il était tout seul dans son appartement. Shannon regretta de ne pas être assez à l'aise avec Athos ces derniers temps, auquel cas il aurait transplané chez lui, tout de suite. Mais leur relation était trop bancale en ce moment. Alors, entre deux râles de respiration difficile à trouver, Shannon prit une décision surprenante, qu'il regrettera sans doute plus tard.


   "Salut Papa".

Monsieur O'Mahony semblait particulièrement surprit de voir son rejeton sur le pas de sa porte en plein milieu de la nuit pluvieuse qui agitait Sligo. Ce n'était pas pour arranger sa dévastatrice humeur habituelle. "T'crois qu'c'est une heure pour réveiller un vieil homme ?" bougonna-t-il en s'effaçant néanmoins pour laisser entrer son fils. Il fallait dire que Shannon tirait une sale tête. Non seulement il était trempé jusqu'aux os - il avait mis cinq bonnes minutes avant d'oser toquer à la porte de la maison de son père - ses cheveux étaient plaqués contre son crâne et son regard, particulièrement hagard. Les mains entortillées l'une dans l'autre, le jeune homme posait ses yeux partout, comme s'il ne connaissait pas la maison de Henry. "Alors, qu'est-ce qui t'arrive fils ?". Qu'est-ce qui lui arrive ? Shannon se sentit honteux. Comme à chaque fois que son père lui demandait ce qui n'allait pas. Il avait toujours eu l'impression que son paternel était un roc insubmersible, incapable de tanguer, jamais. Pourtant, il avait eu une vie difficile, lui aussi. "Je - j'ai v..." - il suivait en même temps Henry qui s'enfonçait dans son salon pour sortir du placard une bouteille de Gin et en verser un shot à son fils. Il en profita pour allumer sa pipe et fit claquer ses dents dessus. Il s'impatientait. "Tu te rappelles quand on avait repêché le noyé, en mer de Béring ?" demanda finalement Shannon en prenant le verre de gin que lui avait servi son père pour l'avaler cul sec… Et se le faire reremplir presque immédiatement. Son père fit un hochement positif de la tête. Cela avait marqué un peu tout le monde. Repêcher un noyé, ça arrivait et c'était assez horrible comme cela. L'irlandais avait toujours supposé que sa peur de finir ainsi était la même que celle de son père et de tous les autres marins. Était-ce vrai ? "J'ai vu quelque chose ce soir qui m'a rappelé ça et… Enfin c'est carrément stupide que ça me dérange tant, hum, non ?". Henry avala une telle quantité de fumée d'un coup que Shannon se demanda comment il pouvait ne pas en être mort. Mais le vieux marin encaissait correctement. "On aurait pas dû te laisser te faufiler entre nos pattes ce jour-là" répondit Henry de cette voix qui avait un étrange sentiment de regrets. Il n'en avait jamais entendu dans la bouche de son père. Cet homme-là était un homme d'une époque passée, le cœur vendu à la mer et à ses vieilles croyances. Curieusement, le jeune homme fut presque touché de ce ton. Allez savoir pourquoi. Il retrempa ses lèvres dans le gin sans le finir d'un coup. Le silence étrange semblait s'étirer entre eux comme si rien ne pouvait l'achever. Peut-être que pour une fois, ces deux hommes se comprenaient.

Shannon s'était coincé la tête dans son t-shirt pourtant trop grand, allez savoir comment. Au final, il gigotait comme un ver dans la pièce minuscule à vivre de la maison de Rafa à Puerto Huitoto. Au bout de cinq minutes, il s'arrêta, s'assit par terre en plein milieu de la pièce, décidé à attendre l'homme qui l'hébergeait. Ce dernier était sortit chercher du bois. Il allait bientôt revenir.
Rafa de retour, il l'aida à se dépatouiller de ses vêtements avant de brouiller les cheveux du gamin qu'il hébergeait. "J'aime bien être ici avec toi" avoua Shannon en souriant d'un air un peu gêné toutefois. Il passa sa petite main dans ses cheveux fins ce qui eut le don de les décoiffer davantage. Ils commençaient à être longs. "Je vais te les couper" dit brusquement l'homme en prenant le gosse par l'épaule pour l'emmener près d'une chaise où il s'assit, ciseaux en main. "Tu crois que mon papa il va revenir ?" ; "Gigote pas, Javi". Shannon se mit à se ronger un ongle alors qu'il entendait les lames se croiser pour lui couper des mèches brunes qui tombaient au sol. "Pourquoi tu réponds pas…? Il veut pas de moi hein ?" - Rafael releva la tête en affichant un sourire un peu triste que le gamin ne pouvait pas voir. Bien sûr que son père ne voulait pas de lui. Mais il n'allait quand même pas le dire comme ça à ce gamin qui voulait retrouver son père et qui n'avait en prime même pas de mère. Dans ses habits trop grands pour lui, Shannon faisait surtout peine à voir. Encore plus avec ses cheveux trop longs. L'homme posa son ciseau et le fit se retourner pour regarder le gamin en lui poussant les cheveux de devant les yeux : "Il va revenir. Il me l'a promis. Tu sais bien qu'un marin tient toujours parole, pas vrai ?". Un peu incertain, Shannon détourna le regard sans arrêter de se ronger l'ongle. Rafael posa sa grande main sur celle du gosse : "Tu devrais arrêter de faire ça, tu te les abîmes" ; "M'en fout". Forcément. Il ne dit rien lorsqu'il recommença à se les ronger, signe d'anxiété et il le fit se retourner pour finir de lui couper les cheveux. Il ne pouvait rien faire pour ce gamin. Rien du tout, sinon l'héberger pour quelques temps, conformément aux vœux de son père.

« Shannon Javier Cormac O'Mahony, né le trois mars mille neuf cent quarante-neuf, à Sligo en République d'Irlande » - Shannon, les fesses vissées sur une chaise de bureau bien rembourrée, ne faisait même pas un effort pour se tenir droit. Il écoutait vaguement cet homme de la commission épeler son nom, ses caractéristiques importantes au monde des sorciers et au Ministère. Les mains croisées sur le bureau derrière lequel il était, et qui ne servait strictement à rien puisqu'il n'avait ni papier, ni feuille, ni verre d'eau, l'irlandais passait en revue les visages de ces gens qui allaient enfin lui faire parvenir leur réponse quant au petit scandale le concernant avec Wilda Griffiths. « Vous êtes convoqué ce jour, le seize septembre mille neuf cent soixante dix-huit en raison de l'article paru en première page de la Gazette du Sorcier. L'assemblée disciplinaire est aujourd'hui réunie pour entendre votre version des faits et statuer des suites ou non à donner à cette affaire. Avez-vous des questions ? ». Ciel, il se faisait déjà chier. Il hocha négativement la tête sans prendre la peine d'ouvrir sa bouche pour leur donner une réponse.

[…]

Shannon attendait à l'extérieur de la pièce, les mains dans les poches. Quelques employés du Ministère le regardaient bizarrement lorsqu'ils passaient à côté de lui. Il se contentait de les ignorer copieusement. Ça le faisait chier d'être-là. Shannon avait souvent eu des conseils de discipline pour des problèmes sur le terrain de Quidditch. Généralement, il les avait mérité. Là en revanche, il n'avait rien fait. Ces mecs de la commission devaient en avoir ras le bol de voir sa gueule mal-rasée au petit matin pour répondre à leurs questions. Il avait affreusement envie de se griller une clope, comme à chaque fois qu'il était stressé. Parce que mine de rien, même s'il était innocent, ça ne voulait pas dire qu'il n'allait pas se faire virer. Et se faire virer pour quelque chose qui n'était même pas vrai, c'était limite. Le Ministère étant ce qu'il est, il n'aurait pas été très étonnant que ça arrive. Quand on savait que certains innocents finissaient en prison… « Monsieur O'Mahony ? ». Shannon suivit le secrétaire et retourna s'asseoir sur sa chaise pendant que les types de la commission de discipline reprenaient leur place. « Il apparaît au vu des éléments du dossier, de votre témoignage ainsi que de celui de Miss Griffiths, que les accusations portées à votre encontre par la Gazette du Sorcier sont calomnieuses. Nous n'engageront aucune poursuite contre vous, ni contre Miss Griffiths et aucune sanction, bien entendu, ne vous sera opposée ».