Le tapotement des gouttes de pluie contre les carreaux et le vent et dans les ramages des arbres au dehors berçaient paisiblement le dortoir des maraudeurs. Le grincement continu des lattes du lit de l’un des quatre compères était la seule fausse note de cette berceuse… Peter était en proie à une fringale nocturne qui lui déclenchait une cruelle insomnie. Il était arrivé au bout de sa réserve de bonbons qu’il conservait dans une petite boîte cachée sous son sommier. La couette remontée jusqu’au menton et ses yeux rivés vers le plafond, il aborda finalement une autre stratégie encore appelée reddition. « Psssst ! Pssst ! - insista-t-il tandis qu’un vague grognement émanait de la gorge de l’un de ses amis ensommeillés - Vous pensez qu’ils ont encore du gâteau au chocolat de ce soir dans les cuisines ? ». Il reçut pour toute réponse une chaussette puante dans la figure, et ce n’était certes pas le festin qu’il attendait !

Cette terrible situation de fait expliqua que, en cette dernière nuit de l’été, le rat sorte pour une fois seul de son trou. Et bien littéralement puisque sa forme d’animagus se trouvait un atout maître pour ne pas se faire surprendre par le nouveau concierge (sa chatte, c’était un tout autre problème !). L’accessoire que son habit de rat ne prévoyait malheureusement pas, c’était des poches suffisamment profondes pour y fourrer tout un tas de friandises. Ce fut le garçon rondouillard qui ressortit du fameux tableau figurant une coupe débordante de fruits et sa poire chatouilleuse. Il ne s’était en effet pas uniquement rempli le gosier des meilleures victuailles des elfes mais les poches de son pyjama et de sa robe de chambre également. Peter lâcha un soupir défait en passant devant la salle commune des blaireaux et regretta que la position de sa propre salle commune ne se trouve pas si stratégique. Il avait de plus toute une foulée de marches à grimper avant de retrouver le confort de son lit douillet. Les cachots autour étaient humides et l’ombre des armures projeté par les torches plus effrayantes que d’habitude comme il évoluait seul au coeur de la nuit. Son coeur se mit à battre un peu plus fort sous l’effet de la peur. Et si son pas était curieusement léger, il se trouvait seulement aussi discret que sa corpulence le lui permettait tandis qu’il rasait les murs.

Lily le débusqua à l’angle d’un couloir et, sous la lumière aveuglante de sa baguette, il se protégea du mieux qu’il put ses petits yeux endormis et émit un drôle de couinement. La nouvelle préfète baissa heureusement bien vite son bois de saule. Commençant à se frotter les paupières avec des mains souillés de glaçage au chocolat, le cobaye débusqué gémit une excuse peu inspirée. « Rien  … Rien du tout … Je … J’ai pas vu l’heure passer ! ». Il osa enfin lever les yeux et ses joues gênées imitèrent la couleur des cheveux de la préfète qu’il considérait de sa petite taille. Il se trouvait tout barbouillé de chocolat et renfonça instinctivement ses mains dans les poches pour protéger les fruits (façon de parler !) de son larcin. « J'étais à la bibliothèque ... » désigna-t-il derrière son épaule la mauvaise direction.

Le malaise évident du maraudeur ne se trouvait pas spécialement corrélé à la nécessité de devoir mentir, la seule présence de la préfète le mettait dans tous ses états. Peter avait toujours beaucoup apprécié sa camarade de classe. Le simple fait que Lily sot jolie fille aurait suffi à l’impressionner, mais il fallait encore qu’elle soit gentille, intelligente et idolâtrée par son meilleur ami ! Face à elle, c’était à peine si le rat osait bouger un orteil ; le sol autour d’eux aurait pu être piégé de tout un tas de bombabouses prêtes à exploser … « Euh … qui ça ? » bafouilla-t-il encore maladroitement alors qu’il aurait pu répondre droitement et sans mentir qu’il était le seul nigaud dans les couloirs cette nuit.

Le garçon rougit bêtement en découvrant sa piètre erreur d’orientation. C’était malgré tout une bonne chose que leur préfète demeure dans l'ignorance que, bien au contraire, la réserve de la bibliothèque constitue l’un des points de chute favoris de leurs pérégrinations nocturnes. Peter resta sur ce point bien silencieux quoi que tout à fait transpirant de culpabilité. Quant aux mensonges qu’il professait non pas malgré lui, la sorcière vit aussi clairement dans son jeu que dans du veritaserum. Et comme si lui même en avait bu quelques gouttes, la première vérité éclata enfin. « D'accord, je n’étais pas à la bibliothèque mais je te jure que tout le reste est vrai. James, Sirius et Remus sont vraiment restés au lit ! ». Et toisant la jeune femme de ses petits yeux humides, il tentait à la fois de déceler si elle le croyait que de lui inspirer un semblant de pitié. La suite de leur petit entretien se trouvait en effet cruciale. L’enjeu était tout de même sa garantie de pouvoir continuer à accéder en toute sérénité à l’endroit qui n’était pas uniquement celui qu’il préférait à l’école, mais bien au monde ! « Si j'accepte de te dire où j’étais, tu ne le répéteras pas à McGo ? ». La perspective que leur directrice de maison puisse rôder dans ce coin-là sous sa forme de chatte le terrifiait. « Je préfèrerais encore nous faire perdre tous nos points de maison … » soupira-t-il d'un air désespéré. Par Merlin, il aurait même préféré se faire virer de Poudlard. Quelle différence puisque, dans un cas comme dans l'autre, il n'aurait plus jamais pu accéder aux cuisines tenues par les elfes ?

C’était à la lueur de la baguette de la préfète que les deux camarades arpentaient les couloirs du château. La plupart des portraits somnolaient dans leur cadre accrochés aux murs. Les rêveries de Lily concernant James échappèrent complétement à Peter lequel était bien trop occupé à résoudre le mystère de la chaussette volante à voix haute. « Il faisait noir alors je n’ai pas bien vu d’où ça venait mais je crois que ça venait de lui oui, Sirius pue davantage des pieds - confessa-t-il avec un petit sourire de peste plus amusé que désolé - mais je ne pense pas que tu veuilles savoir comment je le sais ». Il s’égara sur le sens du sourire de la préfète et se figura que sa petite anecdote l’avait au moins amusée. Ils rejoignirent bientôt les escaliers mouvants et, après sept années d’expérience, déjouèrent leur tour pour rejoindre le rez-de-chaussée sans trop de difficulté. Ils arriveraient bientôt au cachot et les narines du rat en frétillaient déjà d’impatience.

Au bout d’un moment, Lily formula une demande qui haussa ses sourcils de manière circonspecte. La dernière fois qu’il avait partagé une telle aventure avec Lily, laquelle s’était soldé par un baiser mémorable sur sa joue, les maraudeurs avaient dû en supporter le récit pendant tout un trimestre. « Pourquoi ? » lui demanda-t-il comme si elle avait fait volte-face pour le punir sans prévenir. « Je suppose que c’est légitime comme tu ne me dénonces pas à McGonagall … c’est juste que j’ai rarement l’occasion de leur raconter des anecdotes aussi chouettes ! ». Leurs aventures, ils en vivaient la plupart tous les quatre ensemble. Et puis il y avait le récit des exploits sportifs de James, ceux des exploits féminins de Sirius. Remus et Peter étaient le plus souvent les auditeurs de ces histoires. Remus par humilité, Peter plutôt par dépit. Il aurait adoré leur raconter à son tour, dès le petit-déjeuner du lendemain, que lui avait cassé la croûte avec la préfète de leur maison après le couvre-feu. Il lui semblait que c’était un énorme secret qu’elle lui demandait de conserver.

Lily qui avait la tête bien faite opposa un argument plutôt pertinent pour convaincre Peter de se taire sur leur incartade nocturne. Cela faisait un peu moche pour une préfète … mais d’un autre côté, avait-on jamais vu un préfet gryffondor s’en tenir au règlement ? Lysandre, Remus, puis James, avaient porté le badge ! Il acquiesça un peu bêtement, prêt à rompre la promesse dès le lendemain matin. Jusqu’à ce qu’elle le qualifie d’ami. Il en rougit jusqu’aux oreilles, lui qui n’avait jamais compté d’autres amis que les trois autres maraudeurs. Il avait toujours beaucoup aimé Lily qui se montrait plus gentille avec lui que la plupart des autres filles. Mais jamais avant, elle ne l’avait qualifié d’ami. « Un secret entre amis, ça je sais garder ! - lui promit-il finalement avec une naïve sincérité - Je ne dirai rien pour ce soir, tout comme je ne te dirai pas si oui ou non nous faisons bien pire le reste du temps … ». Il voyait bien à la mine de la préfète que ce n’était pas une réponse qu’elle attendait véritablement. La réputation des maraudeurs les précédait, encore que depuis l’invention de leur fameuse carte, on ne les attrapait plus facilement la main dans le chaudron !

Sa camarade observait le tableau de la coupe de fruits sans se trouver particulièrement inspirée. Il est vrai que, comparativement à la grosse dame ou bien à la gargouille comique du troisième étage, ce tableau n’était pas le plus communicatif. « Et maintenant, il faut chatouiller la poire ! - déclara-t-il comme une évidence - Si, si, je t’assure, regarde ! ». Il commença à chatouiller la plus grosse poire du tableau, de couleur verte, et celle-ci se mit bientôt à glousser avant de se transformer en poignée de la même couleur. « Secret entre amis, hein ? » répéta le maraudeur avec une certaine lourdeur. C’est qu’il ne tenait pas à ce que tout le reste du château débarque lors de ses quatre heures nocturnes. Quand bien même, sans aucun doute, il y aurait eu assez de gâteaux au chocolat pour satisfaire absolument tous les élèves. Les elfes, ils ne s’arrêtaient jamais ! Le garçon saisit la poignée et, sa grand-mère lui ayant appris la galanterie, la tint ouverte pour que sa camarade puisse passer la première. Il lui tardait de voir sa tête quand elle découvrirait ce qu’il y avait derrière ! « Entre, tu vas voir, c’est le meilleur endroit du château ! ».

Les cuisines étaient l’endroit de l’école que Peter connaissait comme le fond de sa poche. L’air y était gorgé de délicieuses senteurs et il s’y sentait merveilleusement bien. Chez lui ici plus que nul part ailleurs ! Prêter attention aux elfes - autrement que pour leur demander à manger - ne faisait pas partie de son patrimoine sorcier. Aussi lorsque Lily l’interpella, il ne sut d’abord pas à quoi elle faisait référence, puis se retint de justesse d’éclater d’un rire moqueur en remarquant enfin l’air curieux qu'elle coulait aux petits êtres chétifs autour d'eux. « Ce sont des elfes de maison - les présenta-t-il par leur espèce faute d'être capable de les présenter par leur prénom - tu sais qu’ils ne peuvent rien te faire ? ». Il savait que la sorcière était née dans une famille moldue mais elle n’avait tout de même pas imaginé que leur école fonctionnait tout ce temps par la seule force de la magie, si ? « C’est plutôt tout le contraire en fait ». Et plutôt que de se lancer dans une longue explication de la fonction occupée par les elfes dans leur communauté, son estomac illustra plus efficacement la situation d’un exemple. « Y’a encore des Chelsea Buns ? Ceux fourrés à la praline ! ». Et le parterre d’elfe de s’agiter dans un drôle de ballet pour exécuter sa demande. « Tu peux leur demander tout et n’importe quoi, plutôt cool, hein ? ». Un sourire plutôt fier se dessina assez naturellement sur son visage, de ceux qu’on ne lui voyait jamais en présence de leurs camarades.

Il se dirigea vers le coin d’une grande table où les elfes avaient déjà poussé deux caisses qui leur serviraient d’assises. Et posant ses fesses sur celle qui avait l’air la plus solide des deux, il commença banalement à lui raconter sa vie. « Mon père a voulu offrir un elfe à ma mère pour leur anniversaire de mariage, mais c’était juste un gobelin très moche. Il n’a pas été content du tout d’être confondu avec un elfe et a retourné toute la cuisine … je veux dire littéralement ! Ca a bien failli être le dernier anniversaire de mariage de mes parents ! » se moqua-t-il cette fois-ci sans aucune retenue.