La nuit tombait déjà sur le Chemin de Traverse lorsque Rodolphus Lestrange quitta Gringott's, sa luxueuse cape alourdie d'une bourse rebondie prélevée dans le coffre familial dévasté. Ce vieil escroc de Trog, le Gobelin chargé du suivi de leur compte, l'avait harcelé au sujet des impayés qui s'accumulaient sur l'ardoise des Lestrange et avait par tous les moyens cherché à l'empêcher de repartir avec cet or qui était pourtant le sien... C'est donc au terme de plus de deux heures de tractations et quelques accords louches que Rodolphus avait été en mesure de s'échapper de la célèbre banque des sorciers, maudissant copieusement tous ceux qui avaient causé la ruine de sa famille, et en particulier ce nabot de Barty Croupton Sr. D'un geste rageur, l'aîné des Lestrange rajusta le col de sa cape et promena son regard couleur d'orage dans le Chemin de Traverse et ses pavés souillés par la pluie et la vermine grouillante de sang-impurs. Il ne voulait pas rentrer chez lui, où rien de plaisant ne l'attendait... Et il avait bien besoin d'un moment plaisant. Il resta quelques instants songeur sur le perron de Gringott's, avant que l'illumination ne lui apparaisse sous la forme d'une gracile silhouette féminine dotée d'une longue chevelure d'ébène, appartenant à une commerçante qu'il connaissait bien et dont il situait l'échoppe quelques rues plus loin. Sans perdre une minute, l'héritier Lestrange transplana et se matérialisa devant la boutique Remèdes&Potions, dont la vitrine éclairée renseignait sur la présence de la charmante Ava Zabini. Rodolphus poussa la porte du magasin qu'il trouva vide de tout occupant et silencieux à l'exception des quelques bruissements qui s'élevaient depuis l'arrière-boutique, à laquelle on accédait par une porte dérobée située derrière la caisse. Rodolphus flâna quelques secondes le long des étalages, soulevant au passage quelques fioles pour mieux discerner les étiquettes, et finit par s'accouder nonchalamment au comptoir et s'éclaircir la voix :
— Je cherche à me débarrasser de la personne qui partage ma chambre à coucher, vous n'auriez pas quelque chose pour moi ? s'enquit-il tranquillement en direction de l'arrière-boutique, un sourire goguenard aux lèvres.

La belle Ava Zabini apparut finalement dans l'encadrement de la porte, un air d'étonnement ravi sur le visage, et s'approcha nonchalamment de lui pour s'appuyer de l'autre côté du comptoir. Rodolphus ne fit pas mine de bouger de sa place et pencha la tête sur le côté pour atteindre du regard le visage de la sorcière qui le surplombait de toute sa glorieuse beauté.
— Ma demande n'était pas sérieuse, je le crains, soupira-t-il en laissant tomber une main lasse sur le comptoir de bois, figure même du désespoir, tu sais pertinemment de toute façon, ajouta-t-il avec un ricanement en se redressant de toute sa hauteur, que personne ne partage ma chambre à coucher. Si leurs six ans de mariage brillaient par l'absence de toute naissance d'héritier, il n'était pas non plus de notoriété publique que les époux Lestrange faisaient chambre à part. Ava le savait, car Rodolphus et elle avaient très vite découvert qu'ils avaient en commun une vie maritale à part, et trouvaient le moyen de s'en amuser ensemble. Ava Zabini poussait cependant l'amusement plus loin que lui, car si Rodolphus nourrissait des plans morbides à l'endroit de son père, il ne parvenait pas à ne pas voir les difficultés qu'il y aurait à se débarrasser de Bellatrix... D'un naturel si bruyant qu'il serait compliqué de ne pas remarquer son absence.
— Je passais dans le secteur, je n'avais rien de mieux à faire, et je me disais que tu étais peut-être libre ce soir afin de m'accompagner au Casino Flint ? s'enquit-il tout à fait honnêtement, en réalisant qu'une soirée passée hors de chez lui et qui plus est en charmante compagnie était probablement tout ce dont il avait besoin.

Un soupir théâtral s'échappa de la poitrine de l'héritier Lestrange lorsque la belle Ava lui exprima ses regrets de ne pouvoir se joindre à lui et qu'il réalisa qu'il n'avait plus d'autres choix que d'aller soit seul au Casino, soit rentrer chez lui s'enfermer dans sa bibliothèque. Il ne se sentait pas le goût de passer la soirée avec Rabastan ou même Morfin, et aurait de loin préféré une agréable compagnie féminine pour lui faire oublier ses noirs démons. Voilà qui éliminait également Bellatrix, ni agréable, ni féminine, et qui d'ailleurs incarnait sans nul doute son pire démon.
— Quel dommage, vraiment ! se désola-t-il, sans qu'il fut possible de deviner s'il se lamentait d'avantages de sa situation ou de celle d'Ava. Probablement de la sienne, car Ava du moins avait de la compagnie, trahie par un bruit de pas dans l'arrière-boutique, puis l'introduction de sa compagne, et finalement le visage contrarié d'Ares Zabini fit irruption dans la pièce et dissimula à sa vue, de manière par ailleurs fort désavantageuse, le charmant minois de sa sœur dans une posture agressive. Rodolphus fronça les sourcils et son visage retrouva son masque de froide impassibilité tandis qu'il jaugeait rapidement le degré de dangerosité du nouvel arrivant. Il prit cependant le parti de ne pas dégainer sa baguette en réponse à l'affront que lui faisait Zabini, même si sa main droite disparut souplement dans les replis de sa cape à la recherche de sa meilleure alliée.
— Evidemment, nous avons déjà eu le plaisir de nous croiser du temps où ton père cherchait à nous marier, répondit-il courtoisement à Ava en prenant le parti d'ignorer l'inattendue mise en garde de son frère, qu'il ne quitta pourtant pas de son regard froid, même s'il semblerait visiblement que le plaisir ne soit plus au rendez-vous, ce que je regrette profondément. Puis-je savoir que me vaut ce charmant ultimatum, Zabini ? s'enquit-il avec désinvolture en s'adressant pour la première fois directement à l'aîné de la famille.

A en croire la réaction stupéfaite d'Ava, Rodolphus n'était pas le seul à ne pas saisir quelle mouche avait pu piquer l'héritier Zabini. Toutefois, si la jeune sœur du forcené laissa quelque peu éclater son courroux en s'éloignant de celui qui cherchait à la protéger, Rodolphus resta complètement calme même si l'éclat de ses yeux changea subtilement tandis qu'il se transformait en un prédateur jaugeant celui qui lui faisait face... Rival ou proie ? Il ne le savait pas vraiment, pour n'avoir jamais croisé les baguettes avec Zabini. Ce dernier ne faisait pas partie des Mangemorts à sa connaissance (qui était assez vaste notamment grâce à Bellatrix), ce qui à première vue donnait l'avantage à Rodolphus si par le plus grand des hasards il devait se dérouler un affrontement dans la boutique... Mais l'héritier Lestrange n'était pas désireux de se battre, qui plus est s'il ignorait tout des raisons pour lesquelles il se battait.
— Moi fou ? MOI FOU ! s'égosilla Ares Zabini en réponse à sa sœur, et Rodolphus eut la désagréable impression de se trouver en présence d'un sbire masculin et noir de Bellatrix, elle aussi capable de tels excès de fureur qui tendaient d'ailleurs à se multiplier ces derniers temps... Pour le plus grand ennui de son pauvre époux. C’est lui et sa famille qui sont fous ! Tu sais ce qu’ils ont fait à notre famille ? Ce qu’ils ont fait à notre arrière-grande-tante Laurena ? Rodolphus n'avait pas la moindre idée de qui était cette Laurena, ni les Kama et les Akkufo auxquels Ares fit allusion quelques secondes plus tard, mais il saisit sans peine qu'une fois n'était pas coutume, un Lestrange avait dû faire ce que les Lestrange faisaient de mieux : semer le désordre et la désolation.
— Je n'aime pas vraiment le ton avec lequel tu t'adresses à ta soeur... et à moi. Le regard restait arrogant, mais la voix avait perdu tout accent agréable car la situation n'amusait plus vraiment l'héritier Lestrange. Si Zabini lui donnait clairement l'impression d'avoir perdu la tête (et la réaction d'Ava lui donnait raison dans cette intuition), ce dernier avait clairement l'intention d'en découdre et commençait à se montrer provoquant alors qu'il n'était jamais bon de provoquer un Lestrange. Rodolphus avait trop de respect envers Ava pour se battre dans sa boutique, mais il n'hésiterait pas à abattre Ares Zabini dans le caniveau devant la porte de Remèdes&Potions si le frère de la propriétaire ne se calmait pas très vite. Tu me pardonneras de te contredire mais si je me bats en homme, nous ne serons pas à armes égales, car sauf ton respect Zabini à te voir présentement tu tiens plus de l'animal que de l'homme... Rendre la provocation de Zabini n'était probablement pas la chose la plus sensée à faire, mais Rodolphus Lestrange restait Rodolphus Lestrange, quand bien même il en était rendu à échanger des mots doux avec un sorcier probablement renseigné en matière de magie vaudou, discipline occulte mais bougrement efficace s'il en croyait ses lectures, et qu'il ne maîtrisait pas du tout. Et si tu nous expliquais plutôt ce que les méchants Lestrange ont fait à ta chère grand-mère ? Arrière-grand-tante, qui s'intéressait encore à ces sorcières et sorciers dont les corps et les querelles étaient déjà desséchés au moment où ils avaient poussé leur premier cri... Certainement pas lui. Mais pour cette fois il était prêt à faire une exception. D'autant que la fureur d'Ares avait eut un effet positif : sa curiosité était attisée, et Rodolphus ne connaissait sincèrement pas cette histoire qui pourtant visiblement concernait son propre sang et parvenait à courroucer Zabini si fort après tant d'années.