Jyn avait le talent de casser l'ambiance, appelez-ça une "crise d'adolescence violente et dérangeante". Elle adorait afficher son air d'ado renfrognée et blasée en levant les yeux au plafond dès qu'elle voyait quelque chose qui lui paraissait complètement stupide. De la même façon, elle adorait casser les conversations avec des sujets bêtes et méchants pour calmer la galerie. Elle le faisait souvent, notamment, lorsque Victoria s'emportait sur mille et une choses. Toutefois, la galloise se sentit un peu coupable de mettre Moggy mal-à-l'aise avec ses interrogations sur la guerre. Qu'est-ce qu'elle en avait à faire, de la guerre, Imogen ? Elle ne savait même pas les tenants et aboutissants du truc. Jyn pourtant, pressentait qu'une fois sortie de Poudlard, elle sera toujours là, la guerre. Et qu'elle allait se la prendre de plein fouet. La jeune fille s'approchait dangereusement de son seizième anniversaire, elle sortirait de l'école dans deux ans. Elle mourrait de hâte, sans pourtant savoir ce qui l'attendait au tournant. C'était le même horrible sentiment que celui de remonter une route sinueuse dans son pays, sans savoir si la courbe à passer serait celle qui serait fatale à cause de la mauvaise circulation. Jyn s'esclaffa pourtant à la remarque de la gamine sur Trelawney, cette fille lui filait la frousse. « Ouais, qu'elle essaie de me prédire ma mort, je prédirai la sienne » bougonna-t-elle de son air de mégère galloise qui vient de tuer le dernier poulet pour le bouillon du soir. Parlant de nourriture pour dîner, la cinquième année se servit une bonne grosse ration de haricots rouges qu'elle commença à manger comme si elle n'avait pas du tout un plat de napolitains dans le ventre déjà.

Elle avait une grosse ration dans la bouche lorsqu'Imogen la lança sur les trolls : « Hein ? C'est toi le troll, y'en a pas dans les bois ! » fit-elle en avalant tout rond sa portion, « par contre j'ai vu un troupeau de centaures plus haut ! ». La classe à Poudlard, hein ? « Enfin, si tu veux, j'peux t'y conduire moi, à la forêt ! Tu verras peut-être une licorne ? » proposa Jyn qui était ravie à la simple idée de retenter son plan d'évasion de la prison Poudlard. La jeune fille l'écouta religieusement tout en mangeant ses haricots, et en hochant la tête : « Peuh ! J'suis sûre que t'es plus intelligente que moi ! Tu veux que j'te dise combien de T j'ai eu dans toute ma scolarité ? Parce que j'ai compté, hein et oui ! » fanfaronna-t-elle joyeusement en plantant sans ménagement sa fourchette dans chacun des haricots de son assiette. Moggy fanfaronnait à son tour et la galloise sentit l'instinct de compétition monter doucement : « Ouais bah on fera un concours de ricochets un de ces quatre ! » la provoqua-t-elle avant d'enfiler une nouvelle portion de haricot pour qu'ils tombent droit dans son gosier. Les ricochet, c'était quand même sacré. Moggy la relançait toutefois sur le sujet de prédilection de la Poufsouffle qui gonfla le torse comme une petite poule : « Mes parents sont boulangers ! Alors t'imagine bien que des gâteaux j'en mange touuuuuut le temps ! Et y'en a aucun ici qui rivalise ceux de mon père ! » - ah, elle n'était pas peu fière ! - « pis pour le reste moi j'suis pas difficile ! ». Elle lui montra son assiette de haricots et planta le dernier sur sa fourchette.


(578)

Les créatures magiques, Moggy aurait été du genre à chiader ces classes, sauf que ça n'était pas encore une option. La môme aimait lâcher la baguette pour se saloper les pattes, les infos lui rentraient mieux dans la caboche quand la crasse lui rentrait aussi sous les griffes. Les classes de botanique et de vol étaient les exceptions qui ressortaient de son terrible bulletin. En attendant, les trolls et les centaures, elle n’y captait pas grand chose. C’est qu’on en voyait peu dans les rues de Stretford, la petite ville de la banlieue de Manchester où elle zonait. Ses yeux s’ouvrirent grands comme des vifs quand Jyn lui parla des centaures (c’était encore mieux que des trolls !). « Chaude comme un boutefeu ! Mais c’est peut-être mieux d’y aller avec des balais, non ? J’veux dire, juste au cas où ! ». Avec sa baguette, elle n'aurait pas su faire grand chose face à des centaures. Jyn avait également l'air de mieux toucher le balai que la baguette (elle était quand même capitaine).

Moggy bitait tranquillement que Jyn, qu’elle trouvait assez cool, était aussi pourrave en cours que les courges du potager de leur garde-chasse. La poufsouffle ne réalisait pas que, en une seule phrase et trois bouchées de haricots, elle dézinguait de longues heures de tutorat passées en compagnie de Amelia. Son nombre de trolls, aussi encourageant était-il pour la gamine, l'intéressait heureusement moins que son nombre de ricochets. La môme s'enflamma sur le sujet au point d'en lâcher son gâteau. « Un jour, j’ai réussi à en enchaîner onze ! ONZE ! T’imagines ? Je pensais détenir le record après ! Mais Reginald m’a aidé à chercher et je sais pas trop comment, on est tombés sur le Guinness Wizarding World Record à la bibliothèque, un livre mortel, genre trop de la bombe ! Et y’a un Canadien, bah il a enchaîné 5 636 ricochets ! Reggie était à fond mais moi, j’dis c’est cheaté avec de la magie, en plus forcément ils ont de plus grands lacs chez eux que chez nous alors ça passe comme un fantôme ! ». Et Moggy qui avait commencé son anecdote avec des yeux brillants se fâcha toute seule à la fin de son histoire. A un moment, elle avait vraiment pensé que son nom figurerait dans le livre, l'hallu !

Jyn vanta ses parents boulangers, aussi la gosse se demanda naturellement s’ils étaient capables de battre le record du cake le plus long. « Ils devraient peut-être cuire un gâteau de 10 544 619 pieds de long ? Ils battraient le record ! Mais bon, toujours pareil, c’est plus facile pour les Indiens que pour nous, leur pays est plus grand aussi ! ». Moggy voulait malgré tout bien croire que ce gâteau ne rivalisait pas avec ceux des Dawkins. Reggie et Dave disaient souvent que ce n'était pas la taille qui comptait. « T’as le chaudron bordé de nouilles en tout cas ! Le seul truc dumol que ma mère a acheté c’est un micro-monde ! C'est tous les jours surgelés à la maison ! ». Ce ne fut que après avoir fini de lui raconter toute sa vie que la demi-portion nourrie à l'Iglo tilta enfin que boulanger, c’était un étrange métier pour des sorciers. « Ils font de la magie tes parents, toi ? ».

La forêt interdite, ça ne faisait carrément pas peur à Jyn. Franchement, une forêt avec quatre cèdres qui se battaient en duel, ça passait crème, non ? Quoiqu'il en soit, la poufsouffle fut agréablement surprise de voir que Moggy était aussi enthousiaste à l'idée d'une excursion dans ces contrées que certains élèves ne parvenaient même pas à fantasmer. « Vendu ! » s'exclama Jyn en lui tendant la main. La jeune fille avait une mémoire d'éléphant et si l'excursion n'avait pas lieu cette année, elle espérait bien qu'elle arrive l'année suivante. De toute manière, la galloise était une adolescente indépendante. S'il fallait qu'elle s'y promène encore toute seule, elle le ferait volontiers, quoiqu'avec l'appréhension de se faire dévorer par une créature de la nuit. Plus elle grandissait et plus elle réalisait - fort heureusement d'ailleurs ! - qu'elle n'avait pas forcément fait les meilleurs choix pour sa sécurité ou celle des autres, mais elle préférait ne pas y penser. Discuter ricochets avec Moggy avait le mérite d'être quand même une conversation beaucoup plus innocente et rafraîchissante pour la cinquième année. « Je refuse d'y croire » affirma Jyn autant pour les onze ricochets d'Imogen que pour les 5 636 d'un canadien chanceux, « les sorciers passent leur temps à tricher avec la magie, c'est vraiment pas juste ». Voilà le retour de cet air d'ado renfrognée qui ne réalisait pas - ou ne voulait pas réaliser - qu'elle faisait quand même partie du monde des sorciers plus que de celui des moldus. Le déni, voyez où ça mène. « De toute manière, attend ta septième année pour réessayer en trichant. Ce qui pourrait être cool, c'est que ton ricochet se promène sur tout le lac, mais j'suis pas sûre que ce soit possible. En tout cas, doit bien y avoir un record du nombre de ricochets sur une surface limitée, le lac il est pas énorme ! » continua-t-elle d'un air pédagogue de grande soeur qui encourage la plus jeune à tenter une bêtise qu'elle n'oserait pas elle-même.

La conversation avait dévié sur la nourriture et l’orgueilleuse Jyn vantait les mérite des gâteaux de son père comme s'il était le Premier ministre et qu'elle défendait sa politique. « Hé mais tu connais tous les records ! » remarqua-t-elle en finissant son assiette de haricots pour racler sa chaise par terre en posant sa main sur son ventre. Voilà qui était mieux, quand même ! Moggy lui confia que sa mère avait acheté un micro-onde et elle se mit à pouffer à la seule idée qu'une sorcière essaie de l'utiliser sans le faire exploser. « Bah au moins elle a réussi à l'utiliser ! Des fois j'ai l'impression que les sorciers vivent dans un autre monde, alors qu'ils savent très bien qu'ils côtoient des moldus à côté ! » lui dit la jeune fille sans s'attaquer à autre chose. Sans dire qu'elle n'avait plus faim, elle avait sa petite réserve pour la nuit ET son panier avec des gâteaux dedans.
« Nan c'est des moldus ! » répondit-elle d'un air plutôt fier - en mentant en réalité éhontément puisque ses parents biologiques, elle les avait rencontré et l'un était cracmol et l'autre sorcière -  avant de fermer la bouche pour ne pas ajouter en bombant le torse qu'elle en était fière. Moggy ne comprendrait sans doute pas cette étrange passion pour tout ce qui concernait le monde sans magie. Jyn finit par se lever, en attrapant son panier : « Bon ! J'sais pas pour toi, mais il est tard, et la vieille McGo là, elle va me tuer demain matin si j'arrive encore à la bourre à son cours... ».


(611)

Moggy se régalait autant des pâtisseries des elfes que des élucubrations mentales de Jyn. Ses yeux brillèrent quand la plus grande lâcha l'idée fêlée qu’elle puisse plus tard accomplir un exploit magique de ricochets sur le lac noir. « Ca serait ÉNORME ! ». De quoi la motiver, plus que n’importe quelle visée de métier ennuyeux, à charbonner en classe de sortilèges. La gamine nullarde avait souvent l’impression d’être plus neuneu que les autres. Elle manquait plus généreusement de motivation que d’intelligence. Les trous de mémoire concernant les dates en histoire de la magie ? Inimaginables pour retenir les records les plus absurdes du monde magique ! La bouche vissée sur son verre de jus de citrouille, elle s’appliqua simplement à hausser les épaules sans se renverser du liquide orange et sucré sur le pyjama quand Jyn releva ses toutes futiles connaissances.

Un nouveau rot éructa du fin fond de son estomac, plus vibrant encore que le premier, et la fit rigoler. Les sources de sa passion pour les trolls ne faisaient aucun doute. La conversation entre les noctambules dalleuses se poursuivit encore et Jyn soupçonna naturellement Mrs Bubblington d’être une sorcière. Mam supportait en réalité très mal son statut de cracmolle et, forcément, sa fille également. C’était quelque chose dont Moggy avait honte et elle redoutait que d’autres l’apprennent et fassent le lien entre sa parenté et ses mauvais résultats magiques. Les joues rosissant légèrement sous ses tâches de son, elle se gava pour ne pas avoir à s’épancher sur le sujet. Le bord de l’assiette ramené à celui de ses lèvres, elle poussa avec deux doigts la moitié de son gâteau directement au fond de son gosier. « Ouais … à chond … ». Sa voix était étouffée sous la délicieuse masse de génoises.

La carcasse de moineau, qui avait plutôt un gosier d’oie, finit malgré tout par stopper son gavage. Quelque chose l’avait interpellée lorsque Jyn avait si franchement et si fièrement qualifié ses parents de moldus. Moggy ne connaissait pas grand chose à la magie mais avait capté, mieux que aucun sortilège, une chose à l’école. Ca n’était pas très bien perçu d’avoir des parents non sorciers. Mam haïssait les sorciers mais emmerdait les dumols. La fille avait toujours fait la même. Elle en avait déjà maraver quelques uns dans son quartier, quoi que sans jamais en tirer la moindre trace de fierté. Moggy faisait souvent des choses sans réfléchir qui lui faisait honte ensuite. Quoi répondre à Jyn ? Rien sans doute. Tout un tas d'autres points de vue se mêlaient à Poudlard sur le sujet et le sien n’était pas encore fait. Autant s'écraser sur le sujet donc. Toujours est-il que ce drôle d'acte de bravoure, naturel pour la plus grande, bouscula la plus jeune. Et la bouche ouverte, elle s’apprêtait à avouer à son tour sa naissance pas très commune. Le moment était pourtant passé et la pétulante poufsouffle coupa court à leur moment. « Hein ? Oui d’accord ! ». Moggy avait toujours admiré Jyn Dawkins sans savoir pourquoi. Après cette nuit, elle le saurait.