Avril 1978, Poudlard

« T’as vu le dernier match des Frelons ? Une catastrophe… ça fait deux jours et mon père m’a déjà envoyé un hibou pou me charrier. » « De toutes façons, moi, j’l’ai toujours dit : les Falcons vont repasser devant avant la fin de la saison. Tu vois ? Ça a pas manqué ! » « Ouais, bon. Ils restent à la deuxième place, hein. » « Pour l’instant… tu n’as pas vu le score des Harpies face aux Tornade ? Un massacre. Elles sont bien parties pour chourrer la deuxième place aux Frelons. »

Remus évita le groupe de troisièmes années qui gesticulaient dans tous les sens et parlaient à voix excitée, juchés sur les fauteuils de la salle commune, et enjamba quatre à quatre les marches qui menaient au dortoir des garçons de septième année. Une pile de livre coincée sous le bras, son sac sur l’épaule, sa baguette derrière l’oreille et un papier coincé entre ses dents, le Gryffondor se contorsionna pour arriver à atteindre la poignée du dortoir et finit par réussir à ouvrir la porte - se cassant à moitié la figure en pénétrant dans la pièce. Laissant échapper une flopée de jurons qui feraient écarquiller les yeux de ses professeurs tant aimés, Lupin se redressa et commença à ramasser les livres qui s’étaient éparpillés sur le sol. Un craquement de sommier lui fit alors relever la tête, et…

« Oi, James ! » lança-t-il, tout étonné de trouver son meilleur ami affalé sur son lit. « Je te croyais sur le terrain ? » Remus était pris de court par deux choses ; premièrement, le fait qu’il n’ait pas remarqué le brun en rentrant. D’ordinaire, ses sens de loup-garou étaient sans cesse en alerte - c’était d’ailleurs la raison pour laquelle il était presque impossible de le surprendre. Mais la pleine lune était encore loin, et ces derniers temps, il avait passé absolument tout son temps libre à travailler d’arrache-pied pour l’astronomie. Il était plus crevé que d’habitude - et c’était dire… -, et cela devait diminuer sa perception.

La deuxième raison qui poussait Remus à hausser des sourcils d’un air perplexe, était qu’il se trouvait persuadé que James, en cet instant précis, devait être en train de voler à dix mètres du sol, perché sur un de ces troncs volant qu’il affectionnait tant. L’entraînement de Quidditch avait-il été annulé ? À moins que Remus, encore une fois, ne se soit complètement mélangé les pinceaux dans le planning…

Remus avait oublié à quel point la trilogie des Études des comportements des Fantômes en Europe au 18ème siècle était lourde ; couplée aux deux volumes des Sorts et Enchantement, niveau sept, et à la ribambelle de livres qu’il devait retourner à la bibliothèque le lendemain, ça faisait un paquet de choses sur le sol. Tout en ramassant laborieusement ses affaires, le loup écoutait James se plaindre - « Bah, si, carrément même que je devais y être. Mais ce débile de Dave Goujon nous a mal inscrit sur le planning d’entraînement, on a à peine eu le temps de s’échauffer et de monter sur nos balais que les serdaigles se pointaient : c’était leur tour. » Dès le nom de Dave Goujon prononcé, il compris. Cela ne le surprenait même plus. « Hmmm.», marmonna-t-il.

Remus avait arrêté de compter les fois où le pauvre garçon avait été la cible de tirades enflammées de James, même à trois heures et demies du matin dans le dortoir. Pour sûr, Goujon était au moins quelque chose lié au Quidditch que Remus retiendrait.

« Du coup, » termina James en descendant lestement de son lit, « je m’emmerde. » Il se pencha et fureta sous le lourd sommier de bois, à la recherche de sa baguette. « C’est vraiment dégueulasse là-dessous ! » « On se demande vraiment pourquoi, » railla le loup-garou. « Honnêtement, je suis surpris qu'un Bandimon n'ait pas déjà investi les lieux. » Après avoir essayé multiples positions, Remus réussit finalement à se libérer les deux mains et réunit tout son bric broc. « Et toi, qu’est ce que tu fais ? » demanda alors James.

Les bras chargés d’une dizaine de livres, la baguette coincée derrière l’oreille, les cheveux en pétard et son sac en bandoulière passé autour du cou l’étranglant à moitié, Remus s’immobilisa et leva lentement les yeux vers James. « Des gaufres, » répondit-il le plus sérieusement du monde. « Tu en veux ? Elles sont délicieuses. » (Ce qui étant d’autant plus faux que quiconque connaissait un tantinet le loup-garou, savait que s’approcher de ce qu’il avait réussi à extraire d’une casserole revenait à s’acheter un aller simple pour Sainte Mangouste, étage des intoxications alimentaires.)

Après avoir (péniblement) porté son bazar sur son propre lit, et avoir tout laissé choir lamentablement sur ses couvertures, Remus se débarrassa de son sac avec un soupir de soulagement et s’écroula par terre, assit le dos contre son lit. « Je crois bien que Sirius et Pete sont à la bibliothèque, » dit-il en étouffant un bâillement, « ou quelque chose comme ça. » Il s’étira, puis contempla un moment le bordel qui régnait sur le dortoir. « Merlin, » laissa-t-il tomber avec une grimace tordue alors qu'il attrapait et ouvrait le volume numéro deux de l'étude des fantômes, « c’est pitoyable… » ... puis, son regard dériva vers James, dont l'état faisait vaguement penser aux sans-abris qu'on rencontrait à Londres, et dont la mine déchue pouvait aisément concurrencer Mimi Geignarde. « ... mais pas autant que toi. Cheer up, Cornedrue, » lâcha Lunard avec une inflexion du sourcil, « tu as bien quelque chose à faire en dehors du Quidditch, non ? »

James n'aurait pas été surpris de retrouver des choses perdues depuis plusieurs années sous ce lit qu'il occupait depuis son arrivée à Poudlard. Il fallait croire que personne n'avait pensé à appliquer un sortilège de récurage… lui en premier. Mais ce n'était pas aujourd'hui qu'il allait se lancer dans un grand ménage de printemps, aussi, quand il eut retrouvé sa baguette, il épousseta la manche de son sweat pour enlever un mouton de poussière qui s'y était accroché et se détourna, remettant ça à plus tard (ou à jamais ?). Son air victorieux se transforma rapidement en une grimace et il retint un « Erk » écœuré en imaginant qu’un bandimon vivait sous son lit (heureusement, il pouvait compter sur le flair de plusieurs de ses coturnes aux caractéristiques canines pour se rassurer sur l’absence d’un tel nuisible).
L’allure de Remus était une bien meilleure réponse à la question que James lui avait retourné que ses paroles. Quelle idée de se charger d’autant de livres : est-ce qu’il aurait vraiment le temps (et surtout l’envie ?) de lire tout ça avant que les ASPICS se pointent ? Ce n’est pas pour autant que James lui donna un coup de main pour emmener sa bibliothèque personnelle sur son lit. « T’as dévoré un clown à la dernière pleine lune ? » se moqua-t-il face à sa blague des gaufres.
Il avait récupéré sa baguette mais les forces semblaient lui manquer pour se lever maintenant du sol et il resta appuyé contre sa table de nuit, se passant la main dans les cheveux. « J’sais pas pour Peter, mais si Sirius est à la bibliothèque, je suis sûr qu’il court encore après cette serdaigle… Becky ? Betty ? » Ca n’avait aucune importance.
A quatre pattes, il s’approcha du lit de Remus pour attraper un des ouvrages empruntés. « Tiens, celui-là m’intéresse. » fit-il avant de lancer l’exemplaire de Métamorphoses avancées : Essais et conférences sur son propre lit : il avait le goût à rien et surtout pas à se lancer dans une lecture qui, certes le passionnerait quand il aurait la volonté de s’y plonger, mais l’épuisait pour le moment rien que d’y penser. Mentalement, James fit la liste de tout ce qu’il aurait pu faire. Lily n’était pas disponible, puisqu’elle avait prévu de profiter de l'après-midi pour passer du temps avec ses propres amis. Il avait forcément des devoirs ou révisions à faire, mais surtout pas envie de s’y mettre.
« Divertis-moi, Lunaaard… » gémit-il en s’allongeant par terre, la main tendue vers son meilleur ami, telle une victime agonisante (ou un enfant au maximum de l’ennui…), avant de proposer, une moue qui se voulait attendrissante au visage : « Laisse tes livres et viens faire des bêtises avec moi… »