Le feu d’une bataille était quelque chose que Marlene n’avait jamais connu. Et depuis que la sorcière avait rejoint l’organisation secrète, pas un seul jour ne s’était écoulé sans qu’elle ne l’imagine (chaque fois qu’elle grattait rêveusement les crânes de ses clients au salon de beauté). Qu’un sortilège la touche, la blesse, la tue, elle y pensait parfois mais moins, beaucoup moins, que les sortilèges que elle devrait lancer. Qu’est-ce que cela faisait de blesser sciemment un être vivant ? En serait-elle capable ? Force était de constater que, en cet instant, ses principes humanistes avaient été balayés à la même vitesse que le gobelin que Shannon envoya valser contre l’autre mur. Aux côtés de son voisin irlandais, la sorcière lançait des sortilèges, levait un bouclier, sans même avoir à y penser. Son coeur battait la chamade, son sang magique pulsait à ses tempes, c’était sa baguette et non ses pensées qui dirigeait ses actes. Monsieur Ollivander lui avait bien dit, des années en arrière, que son bois de houx aimait les sorciers qui se lançaient dans des quêtes périlleuses. Marlene, tout simplement, ne l’avait jamais éprouvé avant. Et cette sensation, curieuse et jouissive pour qui l’éprouvait pour la première fois, l'effraya et la déstabilisa un court instant. Son bouclier vacilla avant de disparaître et elle aperçut trop tard un gobelin au sourire malin. « Shan … ». CLAP, un enchaînement de catastrophes s’en suivit.

Durant une poignée de courtes secondes, le sol et le plafond s’inversèrent. Cette habile diversion suffit à tous les gobelins encore conscients et droits sur leur courtes pattes pour s’échapper. Les sacs de précieux joyaux se déversèrent en l’air, les ateliers, pupitres et chaises encore entiers s’éclatèrent contre la pierre pour se mêler aux autres débris. Le lustre chancela d'un côté, puis de l'autre, répandant partout ses bris de cristal. Et les deux sorciers se trouvèrent ballotés par le terrible sortilège de la même manière. Marlene eut tout juste le temps de sortir sa baguette pour incanter une formule avant que, à leur tour, ils ne s’écrasent contre le sol qui déjà retrouvait sa place.

1, 2, 3 : « Arresto momentum ! ». Le sortilège n’est pas assez puissant pour arrêter complétement la chute des deux sorciers. Mais il la ralentit au moins un peu, à quelques centimètres du sol. Shannon et Marlene s’y effondrent lourdement mais avec de moindres dégâts.
4, 5, 6 : « Arresto momen … ». Le sortilège est incanté trop tardivement et pire encore, le bois de la baguette de la sorcière, puis son poignet, craquent en rencontrant le sol. Elle pousse un cri du coeur en découvrant que sa baguette ne tient plus qu’à un fil, ou plutôt qu’à une plume de phénix !

Le rugissement, qui résonnait lointain dans les égouts, résonne maintenant sous la voûte qui a retrouvé sa place normale. Le sol est de nouveau en bas, le plafond de nouveau en haut. Le crabe de feu à la carapace abîmée les a rejoint. L’un des gobelins qui a fini de se sortir du sortilège qui l’empêtre lève vers la créature son doigt et commet une grossière erreur en décidant de lancer contre elle un maléfice. Ce dernier se répercute contre l’un des derniers joyaux de la carapace et rebondit, à la vitesse d’une balle, entre les différentes pierres précieuses et éclats de cristal partout éparpillées.

1, 2, 3 : Le sortilège finit par frapper la pauvre créature sous le ventre, elle s’effondre dans une plainte aigüe.
4, 5, 6 : Le sortilège continue à rebondir jusqu’à ce que le crabe de feu réponde à l’attaque par le feu. Des étincelles, puis une gerbe de flamme, sortent enfin de l’arrière de sa carapace.

Marlene s’appuya sur sa main valide pour profiter du bouclier que lui offrait son compagnon d’infortune et se redresser sur ses deux jambes. Son poignet abîmé conservait les vestiges de sa première baguette serrés contre sa poitrine. Cela était assez terrible, après avoir ressenti une connexion si intense avec la plume de phénix et son bois de houx, d’en ranger les morceaux brisés dans la poche de sa veste. La douleur de son poignet n’était pourtant rien en comparaison à celle qu’elle ressentait dans son coeur. Et le terrible sentiment de ne pas avoir mérité sa plus fidèle alliée guettait la sorcière qui commençait doucement à culpabiliser … Shannon était heureusement bien en vie, mais plus grâce à lui que à elle. La dernière recrue savait d'ailleurs qu’elle n’aurait pas fait long feu si elle était partie sans lui durant cette mission.

Le crabe de feu poussa alors un hurlement plaintif en vacillant sur ses six pattes. « NOOOON ! ». La sorcière désarmée se précipita au devant du bouclier, c’était une bonne chose que le dernier gobelin ait fui. Sa carapace coupante, elle l'enveloppa dans ses bras à la manière d’un nourrisson emmitouflé dans des couvertures autrement plus douces. Heureusement, il n’était pas la deuxième victime collatérale du féroce affrontement. Sa double paupière papillonnait encore sur ses petits yeux jaune luisants, et il ronronnait de chaleur comme une chaudière. « Il a juste été assommé ! » la sorcière s’exclama-t-elle en révélant un sincère sourire, et un visage pétri d’émotions, derrière ses mèches folles. Les débris de bois finissaient de brûler autour, produisant une sombre fumée. « Je veux dire plutôt … comment va Dingus ? ».

Marlene assimilait un peu la prétendue mission du jour à ses classes de conduite de voiture à dix-sept ans. Et s’il s’avérait que Shannon n’était pas le gentil guide de l’autoécole mais plutôt le farouche inspecteur, cela ne devait sans doute pas être très indiqué de s’enquérir de la santé d’une créature avant celle de l’un de leurs collègues, même si peu populaire. La créature blessée toujours dans ses bras, elle se redressa cette fois-ci avec plus de souplesse (qui avait besoin de bras finalement ? une question qu’elle ne poserait pas à un certain auror) pour rejoindre Shannon devant la cage de Mondingus Fletcher. Ce dernier n’était pas dans un plus piètre état que le crabe de feu. Avec sa poitrine qui se soulevait doucement, il avait l’air d’être plus endormi que mort, sa prison n’était pourtant pourvue d’aucun confort. Lui non plus n’était plus le fier possesseur de sa baguette.

La sorcière lâcha un juron bien gaélique en se rappelant qu’elle ne pouvait pas plus incanter un alohomora qu’un accio baguette … « A toi de jouer. J'imagine qu'une mission d'observation, c'est déjà tout un honneur que tu m'fais ... ! ». C'était bien la première fois que la sorcière utilisait son ton d'adolescente cynique et rebelle à l'égard de l'ancien tireur d'élite, Octavius était celui qui avait d'ordinaire droit à sa mauvaise humeur. La sorcière s'éloigna bouder plus loin avec son crabe. Cela était dur à admettre que Alastor, Caradoc, Raven, Alice, Octave avaient eu raison à son sujet. Cela l'était encore plus d'admettre que Shannon, qui avait toujours été son unique soutien, avait maintenant toutes les raisons du monde de rejoindre leur ridicule petit groupuscule d'empêcheurs de tourner en rond.