Stubby Boardman était quelqu'un de très à l'aise, il lui fallait au moins cela pour être chanteur, et haranguer les foules. Quelque chose que le tempérament assez timide de Jacob n'aurait jamais pu faire. Et son interlocuteur était assez à l'aise pour démultiplier les allusions, sachant pertinemment ce qu'il voulait. Le trentenaire n'était pas dupe non plus, il fallait être honnête. S'il n'était pas prédisposé à avoir la même idée que Stubby, cela ferait longtemps qu'il aurait fuit. Mais il y avait quelque chose, finalement de très excitant à camoufler ces sous-entendus sous quelques paroles innocentes qui, captées indépendamment les unes des autres, ne sauraient aboutir à la conclusion qu'ils avaient pourtant tous les deux en tête. La remarque du chanteur, d'ailleurs, était riche en enseignement. « Alors cela me va aussi » répondit gentiment Jacob. Qu'est-ce qui lui allait, sinon tout ? L'ancien libraire ne manquait pas le regard profond de l'autre trentenaire tout au contraire. Il prenait un certain plaisir à se plonger en retour dans les tréfonds bruns de ses yeux. « Disons que je suis aventureux et prêt à prendre ce risque » décida-t-il de répondre comme acceptation tacite de la proposition informelle du chanteur qui justement, quittait la table : « Je te suivrai où bon te semblera, ce soir ». Ils quittèrent ensemble la table de pique-nique d'un pas certainement enjoué mais non point pressant. Il pourrait tout aussi bien s'agir d'une balade nocturne que d'un joint partagé dans le noir. Pourtant, alors qu'ils s'enfonçaient tous les deux plus profondément dans la forêt et que la nuit leur tombait davantage sur les épaules, Jacob sentait également son coeur battre lentement plus fort. Chaque mouvement de roue contre le sol le menait à sentir une certaine fébrilité au bout de ses doigts. Stubby pourtant, semblait imperturbable.
Malgré le peu de luminosité qui perçait l'épais feuillage de la forêt interdite, Jacob en déboutonnant rapidement mais avec dextérité la chemise de Stubby, ne pouvait en manquer son motif excentrique qu'il n'avait, curieusement pas remarqué auparavant. Celui lui attira d'ailleurs un sourire fort amusé alors qu'il prenait grandement plaisir à coller ses lèvres à la peau du chanteur. Les mains baladeuses, quoique moins peut-être que celles de son interlocuteur, le trentenaire mêlait agréablement son souffle et ses soupirs à ceux de Stubby.
C'est la respiration haletante que Jacob chercha tant bien que mal sa propre chemise dans le noir, sur le sol humide parsemé du feuillage des arbres qui les entouraient. « Cher monsieur Boardman » - l'ancien libraire se décidait enfin après d'interminables minutes à briser le silence - « il est possible que vous ayez eu raison, et que j'en redemande ultérieurement ».