Voilà plus d’un mois que Svetlana travaillait sur le festival. Elle avait croisé bien des gens, des rencontres parfois éphémères, d’autres plus régulières, des habitués de la buvette et avec qui elle échangeait plus qu’un « 2 gallons s’il vous plait ». Elle avait également retrouvé des camarades de Poudlard, de sa promo, parfois des plus jeunes, parfois des anciens.

Si elle avait eu peur de l’après-Pouldard, de perdre le lien avec ses amies, cette frayeur avait rapidement disparu. Aurora et Amelia venaient régulièrement sur les lieux et elles venaient systématiquement la voir, ce serait-ce que quelques secondes, en plein rush. « Je suis là. » Svetlana accueillit l’arrivée de son collègue avec soulagement. Enfin, elle avait terminé sa journée, elle avait sa soirée de libre cette fois.

La jeune russe sortit du stand en s’étirant. Elle y était depuis le matin, prête à servir le café pour réveiller les festivaliers, voire pour certains une bière bien fraiche. Rien que d’y penser, Lana eut une grimace de dégout en enlevant son tablier et son badge, les fourrant dans son casier. Quand elle se retourna, Aurora était là, devant elle. Sans un mot, elle lui fit un sourire. CE sourire. Lana haussa un sourcil mais n’eut guère le temps de lui demander quoique ce soit que son amie lui prenait la main et l’emportait au loin.

Svetlana savait que ce serait inutile de protester ou de questionner Aurora. Elle la connaissait bien. Après tout, elles avaient partagé le même dormir pendant sept années, et elles ne s’étaient pas quittées depuis leur 3ème année. Alors, Lana suit sans un mot son étoile filante, un sourire moqueur aux lèvres, jouant des coudes parmi les jeunes sorciers se dandinant sur les airs reggaes, venus tout droit de la Jamaïque.

Enfin, leur voyage prit fin devant le stand de tatouages éphémères et enfin la langue de son amie se délia. Froncement de sourcils. Une énigme… combien de fois Aurora avait-elle noirci les pages de leur carnet de ses phrases mystérieuses pour leur annoncer même la plus insignifiante des nouvelles, voire faire une petite boutade sur un de leurs camarades. Svetlana prit le temps de la reflexion. « Il trouve un autre moyen pour continuer à écrire, regarder les étoiles et composer ? » Demanda-t’elle en pinçant légèrement sa lèvre inférieure entre son pouce et son index, un geste qu’elle faisait systématiquement quand elle réfléchissait.

En voyant le sourire d’Aurora s’agrandir et son regard sombre pétiller davantage, Svetlana comprit qu’elle faisait partie de l’énigme. Et elles n’étaient pas devant le stand de tatouage pour rien. « Et que fait Aurora quand elle n’a plus de place sur ses parchemins pour dessiner ? Ni sur ses bras ? » Demanda-t’elle avec uns sourire en coin. En cours, son amie ne pouvait s’empêcher de noircir ses notes et quand elle n’avait plus de place, elle faisait glisser sa plume sur ses bras… et quand il n’y avait plus de place, c’était le bras de Svetlana qui était à son tour noirci d’encre.

Avec un soupir faussement agacé, qui dénoté à coté de son sourire amusé, Lana lui ouvrit son bras. Feu vert. « Fais-toi plaisir !!! » Elle avait toujours adoré les dessins de son ami, et parfois quand elle jetait ou abandonnait des parchemins, Lana les récupérait et les conservait précieusement.

Au final, rien n’avait changé. Elles étaient toujours les mêmes, même en dehors de Poudlard. Et cela la rassura et l’emplit de joie.

La bonne humeur d’aurore était communicative. Svetlana ne put s’empêcher de rire, discrètement, cachant ses lèvres étirées derrière ses doigts longs et fins. Puis, lorsqu’elle se glissa dans ses bras ouverts, se livrant à un élan d’affection qui la surprit mais auquel elle répondit, quoiqu’un peu maladroitement. Chez les Vassiliev, on ne montre que très peu son affection, jamais en public. Que dans les sphères privées. Alors voir tous ces regards… Mais elle y était plus ou moins habituée avec Aurora désormais.

La longue tirade de son amie lui fit lever un sourcil. Et plus encore lorsqu’elle l’appela « Sveta-dear », avec cet accent noble et anglais exagéré. Puis…

- Mes bras ?

Et pourquoi pas les siens en même temps ?

- Ils sont bien éphémères, n’est-ce pas ?

Noircir sa peau avec de l’encre indélébile, c’était bien une chose qui l’effrayée, surtout depuis qu’elle avait vue la marque sombre sur le bras de son père. Mais… elle comprit bientôt.

- Oh je vois…

Le coin de ses lèvres eut un léger soubresaut. Son regard analysa chaque parcelle du corps de ce Merwyn, ce nouvel… ami. Lana sentit les doigts de son amie se serrer dans le creux de sa main, et du coin de l’oeil, elle vit Aurora pencher légèrement la tête sur le coté.

Allait-elle… non. Oh… non elle ne pouvait pas… Oh c’était trop tentant.

Lana se décala légèrement et plaça sa main sous le menton de la belle, essayant le coin de la lèvre de son amie avec son pouce.

- Tu avais un peu de bave…

Svetlana pouffa de rire devant l’attitude de la rêveuse. Enfin, le jeune homme fut libérée de sa cliente et se tourna vers elles.

- Mon amie m’a dit qu’il fallait absolument que vienne vous voir. Aurora est très admirative de votre… travail.

Votre travail... elle était bien bonne celle là. Votre postérieur oui !!!!

Un tatouage éphémère. Pourquoi pas. Deux semaines... C'était raisonnable. Le véritable tatouage avait pour elle un coté irréversible, pas de retour en arrière. Elle voulait avoir le choix.

L'espace d'un instant, son esprit se perd, se morfond, sombre dans les méandres de la peur, la tristesse, l'angoisse. Le choix... le choix de pouvoir vivre sans cette p*tain de malédiction. Cependant, l'éclat dans les yeux de son amie, sa douce Aurora, la ramène doucement à la belle réalité et la lumière revient peu à peu. Le comble pour elle qui s'appelle Svetlana, un prénom formé à partir du mot sviet, la clarté.

La tatoueur s'adresse à elle et Lana ne peut s'empêcher d'afficher un sourire en coin, un brin moqueur... carrément moqueur. Elle toussote lorsqu'elle rougit un peu et se dandine face au clin d'oeil de Merwyn. Sous sourire s'élargit lorsque le coude d'Aurora lui tape les côtes.

Svetlana laisse Aurora répondre au tatoueur, elle la laisse diriger les opérations. Après tout, c'est elle qui l'a emmenée ici.

— Tu viens ?

Son regard appuyé lui fait hausser un sourcil.

— Je te suis, dit-elle en haussant les épaules avec nonchalance, une main sur la taille.

Les deux amies s'éloignent un peu pour s'approcher du book qu'une cliente précédente venait de déposer. Svetlana en profiter pour regarder les artistes dessiner sur les peaux des clients - les bras, les jambes, le dos, les... non elle ne voulait pas voir ça... quoique...

— Il avait l'air de bien te connaitre. Tu y es allée combien de fois au juste ? ne peut-elle s'empêcher de demander pour la taquiner.

En même temps, Svetlana prend le book et tourne les pages. Le tatouage... elle a l'impression que cet univers ne lui correspond pas. Trop sombre. Trop connoté. Elle ne peut s'empêcher de visualiser la marque sur le bras de son frère. Cependant, un des dessins attire sur regard. Une grosse pièce.

— Le phénix renait de ses cendres, souffle-t'elle sans pouvoir quitter des yeux ce dessin.

Elle est comme fascinée. Hypnotisée. Elle aurait presque l'impression qu'il prend son envol, s'échappe, s'enfuit, depuis les flammes chatoyantes d'un brasier.

— Qu'est-ce que tu en penses ? Moi je l'aime beaucoup.

Mourir pour renaitre.

Aurora avait le don de développer des sentiments à la vitesse de la lumière. Un coeur en or que Lana chérissait plus que tout. Quand elle lui avoue avoir arrêté de compté, la russe se doutait que son amie avait dû le rencontrer d'innombrable fois. Mais elle se passa de faire tout commentaire. Qui était-elle pour la juger ? Parfois, elle culpabilisait de rester à ses cotés, d'être encore proche, aussi ouverte, sachant qu'elle était condamnée. Combien de temps encore ? Elle l'ignorait mais les dernières filles Vassiliev étaient morte peu après leurs dix-neuf printemps.

Mais elle ne pouvait pas s'en empêcher. Aurora comptait beaucoup pour elle. C'était peut-être égoïste et peut-être qu'elle lui en parlera un jour... en attendant, elle devait profiter de ces moments avec elle. Ses dessins... oui Aurora était douée. Si un jour elle devait graver des lignes dans sa chair, ce serait sous sa plume, et sous aucune autre.

— Tu as un don. Tu as déjà essayé d'envoyer tes croquis à la galerie d'art ? Tu sais, celle du chemin de traverse.

Qui ne tente rien n'a rien, après tout, non ?

Puis, elle eut ces mots. S'élever au-dessus des cieux, au-dessus des attentes qu'on avait d'elle... Oui, c'était aussi cette partie là d'elle. Se libérer de cette influence familiale qui lui pesait, mais tellement contradictoire avec cet amour qu'elle avait pour son frère et son père.

Puis elle rit.

— Fluorescent ? Non merci. Tu te souviens de cette rune que tu avais dessinée sur la paume de main d'Amelia ? Tu avais fait un trait en trop et au lieu de signifier "amie", la rune voulait connard. A chaque fois qu'elle levait la main, le prof faisait une tête bizarre.

Rien que d'y penser, cela la fit rire aux éclats.

— Il avait voulu baisser le lueur des bougies pour ne plus voir le signe et projeter en même temps des symboles sur le mur. Alors quand elle a levé une nouvelle fois la main et que le signe s'est mis à luire...

Svetlana essuya une larme qui perlait dans le coin de son oeil. Que de bons souvenirs. Puis elle en revient à ce dessin de phénix. Dans le dos ? Robe dos nue ? Aurait-elle seulement le temps d'en porter une ? Ou l'occasion ?

— Pour cette fois je crois que je vais me contenter de l'épaule. Quand on emménagera ensemble, tu pourras t'entrainer sur moi.

Elle avait hate. Tellement hate.