Les Highlands, c’était à la fois désert, froid et sauvage. Ce n’était pas l’Écosse dans laquelle Marlene avait grandi, ni même celle où elle avait étudié à Poudlard avec Remus. La sudiste tirait donc la gueule des circonstances sous la capuche de son ciré en marchant le long d’une route à une voie au bout de laquelle la silhouette de son ancien camarade et nouveau confrère était reconnaissable. La botte dans une bouse de vache au moment de le rejoindre. « Salut Remus ! L’endroit est presque aussi hospitalier que la forêt interdite … ». Elle lui adressa un fin sourire tout en se décrottant la semelle contre un piquet de bois. Les deux gryffondors avaient en effet déjà partagé une aventure ensemble dans la forêt interdite, enfin façon de parler puisque l’une avait pris l’autre en filature, et que l’autre avait sciemment promené l’une. Ils s’étaient retrouvés à l’orée d’une clairière pour partager le somptueux spectacle de la danse nuptiale de veaudelunes et avaient finalement enterré la hache de guerre. La voiture d’un moldu était en train de passer sur la route et, après qu’elle ait disparu dans un virage, la sorcière sortit sa baguette pour murmurer un recurvit autrement plus efficace sur son pied crotté. « Maintenant je suis prête ! ».

Leur point de rendez-vous était situé à l’angle d’un petit muret de pierres et offrait une vue imprenable sur la côte et ses environs. Les arbres étaient rares, recroquevillés dans d’étroits vallons. Et la lande était parcourue de moutons qui ressemblaient à autant de petits points blancs. Le fracas des vagues de la mer du nord en contrebas rappelait mieux que aucun panneau d’avertissement la proximité de falaises escarpées sous leurs pieds. Il n’y avait pas trop de vent contrairement à d’habitude et surtout contrairement à cette fameuse nuit sur laquelle l’Ordre du Phénix leur demandait de mener l’enquête. Des rafales de quarante nœuds avaient frappé et fait explosé (d’après les dires de journalistes moldus) la coque du Star Canopus et ainsi coûté la vie à deux plongeurs. Cet accident n’avait eu aucun retentissement au Ministère ni dans les pages de la Gazette, comme bien souvent lorsque les accidents étaient si étroitement liés au monde moldu. Les circonstances se trouvaient pourtant étranges, comme bien d’autres accidents qui se déroulaient ces derniers mois. L’Ordre du Phénix menait donc également son enquête en étroite collaboration avec la police. Ils avaient en effet, sans grande difficulté, obtenu les documents de l’investigation moldue … avant de décider de la compléter à leur façon.

Comme Remus, Marlene avait donc pris le temps d’étudier les environs avant que la nuit ne vienne l’en empêcher. « L’autre côté des cordons de police me semble être un excellent endroit par lequel démarrer nos recherches, qu’en dis-tu ? » désigna-t-elle l’endroit d’un signe du menton. La carcasse du navire échoué serait forcément quelque part de l'autre côté. Il s’agissait de la première fois que Marlene participait à une mission sans un membre de l’organisation secrète plus âgé pour la guider. C’était un peu inquiétant mais plus excitant encore. La sorcière n’entretenait aucun doute sur les qualités de son coéquipier comme elle savait au moins deux choses rassurantes à son sujet : Remus était de tous les coups des maraudeurs. Et Remus était également et sans conteste le plus discret d’entre eux sur leurs exploits.

Le halo lumineux de la baguette de Marlene se joignit à celui de Remus. L’herbe était rase ou avait été fraîchement pâturée. On y voyait plutôt clair, mais quoi exactement, lui demanda le sorcier. « Rien d’autre que de l’herbe qui verdoie - puis pour elle-même - si seulement on savait ce qu’on recherche … ». Leur mission se serait terminée sur un simple accio, mais aucune mission de l’ordre ne se trouvait aussi simple. Une bourrasque de vent glacée s’infiltra sous le ciré de la sorcière et lui fit instinctivement regretter de ne pas avoir doublé son pull, la côte était maintenant tout près. Sa baguette suivit naturellement le sens du vent pour éclairer une masse informe quelques mètres devant eux, il ne s’agissait de rien de plus impressionnant qu’un rocher. L’endroit était plus indiqué que la rase campagne pour y dissimuler quelque chose dans l’urgence et l’écossaise en fit naturellement le tour sans rien trouver hormis une nouvelle vue.

Remus n’avait pas menti en qualifiant le terrain comme étant escarpé. Son ancienne camarade toute proche du bord de la falaise pouvait constater qu’elle avait été taillée à brute directement dans la mer du nord. La mélodie régulière des vagues sur les rochers en contrebas était maintenant fracassante. Le déferlement de la houle était moins violent sur la plage qui s’étalait un peu plus loin. La carcasse du navire, reconnaissable à sa quille rouge, était immanquable malgré la nuit. Et fait rare s’il en était, la sorcière se mura dans le silence en l’observant depuis son perchoir. Impossible de ne pas penser aux victimes puis à son beau-père moldu. En dépit du caractère sauvage du haut pays, et de celui désespérant des recherches menées, la sang mêlée était satisfaite qu’on leur ait confié cette mission. Elle avait toujours eu un pied dans le monde non magique en vivant chez sa mère, avait toujours suivi la presse moldue même à l’école, s’était souvent heurtée des étrangetés que la gazette des sorciers ne relayait jamais. Cela lui allait bien d’ajouter sa maigre pierre à l’édifice d’une vérité sur un massacre de moldus qui, peut-être, était du fait de la guerre de la communauté. Puis quand ils se furent retrouvés avec Remus. « Je n’ai pas pu m’empêcher d’en parler à mon beau-père, sans les détails je veux dire, il travaillait sur un navire avitailleur avant alors il a suivi l’affaire ». Sans les détails de l’Ordre du Phénix qui était le seul secret de ses membres entendez. « Il n’arrête pas de répéter qu’il n’a jamais vu ça dans sa carrière, qu’une rafale de vent soudaine ou qu’un grain passant, ça peut arriver, mais pas à quarante nœuds … ni aussi longtemps que ce qui a été enregistré cette nuit-là … ». 

Impossible de réaliser pourtant, depuis leur point de vue, que l’accident n’avait rien de moldu, n’était pas un énième dérapage quelque part entre la trop grande foi en la technologie ou la trop grande foi des hommes à maîtriser les évènements marins tout au moins. « Mais je comprends encore moins ce que des sorciers seraient venus faire ici, pas toi ? C’est vraiment le fin fond du bout du monde ... ». Répondre à cette question les aurait peut-être aidés à savoir quoi rechercher.

Un noeud se noua doucement dans l’estomac de Marlene lorsque Remus suggéra que le seul intérêt apparent du lieu qu’ils arpentaient demeure dans la discrétion offerte par son isolement. L’ancienne et pétulante griffonne ne pouvait s’empêcher de trouver cette théorie peu tranquillisante. Le fait que deux moldus aient perdu leur vie sur cette côte quelques jours auparavant confirmait d’ailleurs cette sombre intuition. Il était dur de penser à un fait isolé ou simplement hasardeux à la vue de la carcasse froide et dépouillée du navire si l’accident du Star Canopus impliquait de la magie. « Ouais ! » fit-elle d’une voix pâteuse qui ramollissait un peu le coeur qu’elle souhaita insuffler à sa réponse.

La sorcière aurait transplané si elle n’avait pas eu à cet instant l’estomac au fond de ses bottes de pluie. La descente de la falaise, malgré le chemin escarpé qu’ils trouvèrent et que quelques chèvres aventureuses avaient dû leur tracer, se révéla fastidieuse. Les deux sorciers redessinèrent discrètement la côte avec quelques sortilèges pour déplacer les rochers au fur et à mesure de leur descente, comme un artiste précautionneux à coups de pinceaux. Lorsqu’ils parvinrent enfin au pied de la falaise, l’Écossaise transpirait sous son ciré et n’avait plus froid du tout. La capuche baissée sur les épaules, elle se laissa rafraîchir par les embruns marins.

L'avancée sur la plage, malgré le temps peu propice, ressembla en comparaison à une balade de santé. Plusieurs petits drapeaux jaunes numérotés avaient été plantés dans le sable aux divers endroits où la police avaient trouvé des pièces, entourés par un second cordon qu'ils n'hésitèrent pas à franchir. « On dirait que les policiers ont déjà tout ratissé autour … ». La carcasse du navire était de plus en plus imposante tandis qu’ils approchaient. Le vaisseau fantôme, avec ses deux ponts, ne ressemblaient plus du tout à une barque échouée sur un tapis de sable comme cela avait été le cas depuis le haut de la falaise.

Et puis ce bruit de grincement … La marée descendait mais la poupe était encore immergée et l’écho des vagues qui y restaient prisonnières faisaient tout un tumulte. Les deux sorciers contournèrent la grue qui s’était désolidarisée du premier pont pour s’approcher plus près. Le navire avait complétement basculé sur le côté. La curiosité éprouvée par Marlene chassa, comme bien souvent, ses pensées plus sombres. « Mais je me demande s’ils ont vraiment tout fouillé à l’intérieur … ». Elle tira sur une corde, qu’elle soupçonnait les policiers d’avoir placé pour grimper, et celle-ci mal assurée retomba à leurs pieds. Descendre une falaise c’était une chose, grimper sur la carcasse d’un géant de ferraille en était une autre. Le coeur ne lui manquait plus pour transplaner à l'intérieur et ... pop !

L’odeur des vieilles embarcations, du bois pourri, des boyaux de poissons évidés, la sorcière y était habituée. C’était même une odeur qui lui avait parfois manquée à l’approche des vacances, c’était intimement familier à sa maison. L’air putride que renfermait la carcasse du géant de fer était à peine similaire et Marlene enfonça instinctivement le nez dans la manche de son ciré. « Pouah ! ». L’atmosphère du bureau dans lequel elle venait de transplaner était glauque, l’endroit était retourné et le désordre laissé n’avait rien à voir avec le travail méticuleux qu’ils avaient pu observer alentour de la part de la police moldue. Remus la rejoignit aussi vite, c’était un sacré soulagement. Son ancien camarade était un partenaire peu bavard mais rassurant en même temps. Et puis, ils avaient été préfets ensemble pendant une année, le souvenir de leurs rondes n’était pas si éloigné pour lui rappeler une époque plus tranquille.

La sorcière ouvrit à la volée plusieurs placards et tiroirs poisseux sans s’attarder à lire, autrement qu’en diagonale, un jargon maritime auquel elle n’entendait que peu de choses. Il y avait des gilets de sauvetage, des cordes, des lampes torches, rien de suspect dans la cabine d’un navire en somme. Remus flaira alors une trouvaille et sa partenaire faillit glisser les fesses dans une flaque de vase en le retrouvant si elle ne s’était pas raccrochée in extremis à un coin du bureau. « Ca alors ! - C’était en effet un journal de bord et il n’appartenait pas à n’importe qui - C’est le nom du capitaine mais il n’a pas du tout parlé de son journal de bord à la police … ». Sa grande taille lui permit de parcourir sans difficulté, et à la lumière d’un lumos, les mots grattés sur les pages par-dessus l’épaule de son ancien camarade de maison. « Je comprends mieux pourquoi, regarde ça … A 3h16, j’appelle Kelly sur l'interphone du navire pour l'avertir qu'un grain approche sur notre radar. Je lui ordonne de retourner à la cloche. A 3h42, Kelly aperçoit une lumière verte sur la côte. Ward corrobore ses propos huit minutes plus tard, rien à voir avec les aurores boréales qu’on observe plus au nord, ça a été soudain. Peut-être l’alerte d’un garde-côte. Notre radar serait donc défaillant ? 4h05 : Je demande à l’opérateur de coder un CQD. 4h40 : Pas de réponse. 5h10 : Pas de réponse. A 5h45, le vent change soudainement de direction et commence à souffler du nord à une vitesse de 40 nœuds … ». La liseuse se tut pour écouter l’espace d’une courte seconde les battements de son palpitant se joindre aux ronflements sinistres qui parcouraient le navire échoué. Il y avait autre chose que l’air ambiant qui la rendait nauséeuse. Son regard n’avait jamais été aussi grave quand il rencontra celui de son ami qu’elle soupçonnait d’être arrivé à la même conclusion. « Remus, je crois que le capitaine n’a pas voulu parler de son journal de bord, et surtout pas de cette lumière verte, parce qu’il n’aurait pas su l'expliquer aux policiers ... ».