Peut-être était-ce parce qu’ils avaient été séparés pendant si longtemps que la nécessité de vivre ensemble se révélait tout à coup. Séparés par les kilomètres, par la vie aussi, et un temps par leur stupidité. Mais maintenant que Neo en avait parlé, sa légère ivresse ayant débloqué la situation, toute sa peur ridicule de l’engagement lui sembla envolée. Il fallait dire que dans les bras de Razvan, elle n’avait pas peur de grand chose. Et puis après tout, avoir peur pour les raisons qui étaient les siennes allait totalement à l’encontre de sa façon de penser, quand on y réfléchissait. Elle qui voulait aller de l’avant, s’empêcher de vivre pleinement à cause du spectre de son divorce, c’était un paradoxe tout à fait ridicule. Certes, c’était prendre un risque. Mais chaque relation amoureuse au fond, emménagement ou pas, mariage ou pas, en était un. C’était donner à l’autre la possibilité de nous faire mal. C’était aussi accepter qu’on finirait peut-être par faire mal à l’autre, et c’était d’ailleurs ça qui la terrifiait le plus, empathique comme elle était. Et dans sa relation avec Razvan, le risque était plus grand encore, celui de perdre cette si précieuse amitié. Mais voilà, c’était bien ce qui avait failli se passer quand ils avaient essayé de la préserver alors… Neo était prête à prendre tous les risques cette fois, et non, ça ne lui faisait pas peur.
Le regard profond de Razvan posé sur elle, Neo chercha à y déceler une réponse alors qu’il prenait le temps, sans doute pour trouver les bons mots. Le roumain n’était pas aussi prompt à s’exprimer qu’elle, la spontanéité de la jeune femme contrastant avec son côté réfléchi et posé. Mais après tout, le sujet appelait à un peu de réflexion, et c’était tout à fait normal. Aussi le regard plus clair de Neo ne trahissait aucune impatience, ne serait-ce que parce que les deux options lui allaient. La roumaine n’était pas quelqu’un pour qui les lieux comptaient, et ils auraient aussi bien pu vivre dans un deux-pièces qu’un manoir, le simple fait qu’ils y vivent à deux comptait plus que tout le reste. Car oui, ce qui comptait, c’était de savoir qu’ils allaient pouvoir se créer des souvenirs à deux. Ce qui comptait, c’était que l’endroit soit imprégné de la présence de l’autre, même quand il ou elle ne serait pas là. C’était de pouvoir lire leurs deux noms sur l’interphone, comme s’ils ne faisaient qu’un. Alors ici ou ailleurs… Quelle importance ? Mais visiblement, ça ne serait pas ici, et les arguments avancés par Razvan étaient bien pragmatiques - était-ce surprenant ? Le simple fait qu’il parle de son croup pouvait laisser penser que c’était une attention adorable mais la vérité, c’était qu’il se cachait derrière ce résidu de peur qui ne se décollerait jamais de lui, hélas. Et la cohabitation entre les deux risquaient d’être… Comment dire ? Mouvementée ?
Alors que Neo s’apprêtait à lui répondre avec sa spontanéité habituelle, Razvan ajouta ce petit bout de phrase qui voulait tellement dire en quelques mots. Elle lui adressa un tendre sourire, caressant désormais du bout des doigts ses lèvres si douces. « Ce n’est pas tant l’endroit qui compte que les gens avec qui on le partage. » Que ça soit un appartement, un quartier, une ville, un pays… La façon de penser de Neo était aussi large que celle de Razvan sur le sujet. Elle savait bien qu’il ne serait ps d’accord, mais après tout, c’était comme ça, elle l’acceptait. « D’ailleurs, le simple fait que tu acceptes de partager ta vie avec mon petit croup, je crois que c’est la plus belle des preuves d’amour. » dit-elle dans un sourire, amenant leurs mains entrelacées à ses lèvres pour embrasser sa peau blessée par un récent combat peut-être. Parce que le fait de partager sa vie avec elle, elle n’avait même pas besoin de le préciser. « Prenons notre temps, d’accord ? Ca vous laissera le temps encore de vous apprivoiser un peu, et puis j’ai toujours mon invité à durée indéterminée sur le canapé, alors… » Mais comme le disait Razvan, elle habitait déjà à moitié ici, n’est-ce pas ? « Et puis ça n’est pas comme si on avait le temps d’organiser ça pour l’instant, pas vrai ? » Se glissant doucement vers le bas du lit, elle fut bientôt assez près pour lui délivrer un tendre baiser, mais avant : « Je préfère profiter des trente et quelques minutes qui restent avant de penser aux trente prochaines années. » L’attirant doucement à elle, Neo scella son intention par un baiser donc, un baiser du présent qui promettait de belles choses pour l’avenir.